Tout comme Mark Twain, Gerry Spence a toute mon admiration. Bien sûr pour ses réussites remarquables (qui en fait prouvent le bien fondé de ses méthodes), mais aussi pour son HUMANISME. Heureusement, pour ceux qui le souhaitent, il offre des classes de «maître».
«Le génie n'est pas un heureux amalgame de cellules cervicales. Le génie est énergie, simple énergie dirigée.» ~ G.S.
[Gerald Leonard «Gerry» Spence (1929 - ) est reconnu comme l’un des plus grands avocats plaidants de tous les temps. Spence affirme n’avoir jamais perdu une affaire criminelle comme procureur ou avocat de la défense depuis 1969. Sauf une fois, mais il a gagné en appel.]
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Nous, les tueurs
Gerry Spence
09/09/03
Il est très facile d’acquiescer quand un inconnu tue un autre inconnu : un bourreau installe le misérable sur cette chaise de fer dans la chambre à gaz et dépose la pilule de cyanure dans l'acide; quelqu'un d'autre le regarde suffoquer tandis que ses yeux sortent de leurs orbites, que la bave sanglante apparaît sur ses lèvres, et qu’il est secoué de spasmes pendant dix minutes avant de mourir. Il est facile de lire au sujet de la dernière exécution en page trois du quotidien, tandis que pacifiquement, le cœur pur, nous buvons notre café et tartinons nos toasts de confiture à la framboise.
Assis à la table du petit déjeuner, notre position est plutôt agréable et sécuritaire. Nous sommes assurés de ne pas être témoins de la douleur de la famille du condamné, des enfants terrorisés, de la vieille mère assise toute seule sans personne pour lui tenir la main pendant que l'état assassine son enfant. Nous ne sommes pas tenus d’avoir de la considération pour les avocats qui se sont battus pour l'accusé jusqu'à ce qu'ils tombent, qui ont perdu et qui sont torturés par la culpabilité parce qu’ils ne l’ont pas sauvé. Un certain sentiment de rectitude nous entoure comme un halo sombre, macabre. Nous avons rejoint la foule des inquisiteurs distants, le club du petit déjeuner des bourreaux, et nous sommes saufs à la fois vis-à-vis des condamnés et de nous-mêmes. Mais nous sommes tout de même des tueurs, nous, les partisans avoués de la peine de mort.
Les pays européens ont aboli la peine de mort. Même notre voisin, le Canada, la rejette comme étant sauvagement indigne d'une culture ouverte d’esprit. Bien sûr, des pays comme la Chine ou l'Irak, où la vie humaine n'a pas de valeur, imposent encore cette sanction, et nous nous joignons allègrement, aveuglément, à eux. Mais pourquoi? Pourquoi une nation qui prétend accorder une grande valeur à la vie humaine, veut-elle si volontiers, si avidement, tuer ses tueurs? Y a-t-il quelque chose d'endémique au fait d’être Américain qui nous pousse à tuer, à approuver ces exécutions, oui, à nous rallier derrière ces guerres sans fin?
Nous savons tous que la peine de mort ne dissuade pas de commettre un meurtre. Avons-nous déjà vu un enfant avec un gun sur le point de voler dans un Seven-Eleven s’arrêter à la porte et dire : «Man, j'aime mieux ne pas aller là et voler l’entreprise. Je pourrais tuer quelqu'un et obtenir la peine de mort!»? Avons-nous déjà vu un mari voulant tuer sa femme décider de l'emmener dans un État où la peine de mort a été abolie pour s’éviter l’exécution? Nous connaissons tous les faits : dans les États où la peine de mort a été abolie, il a moins de meurtres par habitant que dans les États qui tuent leurs tueurs. Alors, à quoi cela rime-t-il?
Du point de vue des victimes, le désir de vengeance est compréhensible. Mais la vie doit continuer. Comment une vie constructive peut-elle rester centrée sur la vengeance? Le sauvage besoin de vengeance procure au tueur un contrôle sur ses victimes. Une mère autrefois paisible devient obsédée; elle veut que le meurtrier de son fils soit assassiné. Une fois l'exécution accomplie, peut-être dix ou vingt ans plus tard, qu'est devenue la vie de cette mère?
N’a-t-elle pas été transformée en une vie de haine, de frustration et de laideur qui macère toujours dans l'âme vindicative? Une autre vie n’a-t-elle pas été gaspillée?
Mais lorsque la mère d'un enfant assassiné en vient à accepter le fait que le meurtre du tueur de son enfant ne fait que ternir la beauté du souvenir de son enfant, lorsqu'elle réalise qu'un autre meurtre au nom de l'enfant n’a pas lieu d’être, et qu'elle souhaite aller de l'avant dans sa propre vie avec des œuvres salutaires et créatives, peut-être au profit d'autres parents qui ont été victimes comme elle, un éclairage différent illumine ces tragédies. L'horreur de jadis s’est transformée en un monument vivant dédié à l'enfant.
Et, quelle distinction faisons-nous entre le meurtre légal et celui qui ne l'est pas? L’assassinat légal est simplement le résultat d’un consensus issu d'un certain groupe d'humains pour qui le meurtre est admissible. D'autres groupes, en d’autres gouvernements, ont conclu que c'était une erreur. Le consensus n’innocente pas le meurtre. Qu'une majorité d'Américains soutienne la mort comme punition ne rend pas la mise à mort correcte. Elle la rend uniquement légale. Que les citoyens dépendent du gouvernement pour leur dire ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, qu'ils permettent au gouvernement de façonner leur propre conscience représente une abdication de la responsabilité individuelle plutôt bizarre. Nous sommes responsables de ce que nous croyons, de ce que nous appuyons. Les objecteurs de conscience ont refusé de combattre au Viet Nam. Des millions de gens ont défilé contre l'invasion de notre gouvernement actuel en Irak. En ce qui concerne la peine de mort, on doit simplement se demander : si on me donnait, à moi seul, le devoir de rendre justice, serais-je incapable de trouver une meilleure solution que de tuer l'assassin? Tuer est si facile. C'est aussi tellement banal et non créatif. C'est l’acte de pouvoir ultime, radical, le même pouvoir que le tueur a utilisé contre sa victime en premier lieu.
Le tueur, bien qu'inconscient de son pouvoir, restitue ce pouvoir à toute une nation. Son acte vénal, indicible, nous transforme en tueurs. Nous célébrons son exécution. Nous revenons à nos personnalités meurtrières néo-primales, je dis néo-primal parce que les sociétés plus primitives ne savent rien de la peine de mort. Les Indiens d'Amérique bannissaient simplement leurs mécréants. D'une manière, on peut se demander si la peine de mort n'est pas le produit d'une société dissolue, insensible au caractère sacré de la vie humaine, et qui de par la même insensibilité chante la mort?
D’où viennent ces tueurs? Ce sont principalement les pauvres, les illettrés, les oubliés, les sans-voix et les méprisés de notre société. Ce sont les enfants maltraités, ceux qui ont été nourris de violence, qui ont subi les âmes torturées et déformées de leurs parents et de leurs pairs, et dont les modèles étaient ceux qui croyaient que la vie n'a pas de valeur, ni la leur ni celle des autres. Ce sont des laissés-pour-compte, punis dès leur naissance. Ce sont des enfants innocents arrachés aux berceaux des hôpitaux pour être projetés dans les chambres de torture de la crasse, de l’anarchie et de la haine, où ils seront châtiés par la pauvreté et les préjugés. Ce sont nos échecs et, comme tout le monde, nous ne voulons pas faire face à nos échecs. Nous les enterrons dans nos placards, dans nos souvenirs verrouillés, dans nos histoires revues et corrigées. En tant que société, nous les balançons aux ordures et si certains parmi eux deviennent des tueurs, nous les enterrons dans un quelconque cimetière de pauvres et nous restons accrochés à notre cycle de haine et de meurtres qui n’est jamais satisfait que par davantage de haine et de meurtres.
J’aimerais qu'un jour nous puissions rompre ce cercle vicieux sadique, comme le toxicomane qui un jour s'éveille à la possibilité d'une vie meilleure, au-delà de sa dépendance. Une prise de conscience s’impose. Nous avons enduré notre propre tuerie depuis trop longtemps déjà.
Article original en anglais :
http://www.gerryspence.com.php53-12.dfw1-1.websitetestlink.com/we-the-killers/
Blog:
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