4 mars 2020

Après le pétrole? Le lithium.

«Admirons la sagesse de ceux qui rêvent d’habiter la lune après avoir rendu la terre inhabitable.» ~ Lanza del Vasto

«Quand la nature aura passé, l’homme la suivra.» ~ Roger Heim

La boulimie minière, nous voilà à l'ère métallique!


Une compagnie minière de lithium veut vider deux lacs et faire don des poissons

Même si la mine permettra de fabriquer des batteries pour les véhicules électriques, elle aura aussi des effets néfastes sur l'environnement.

Thomas Gerbet
ICI Radio-Canada Info / 4 mars 2020

Deux lacs asséchés, des cours d'eau rayés de la carte et un millier d'hectares de milieux humides indirectement affectés. Ce sont quelques unes des conséquences environnementales du projet Rose Lithium Tantale, dans le Nord-du-Québec.

Pour faire accepter ce projet de mine à ciel ouvert, l'entreprise Corporation Lithium Éléments Critiques (CLEC) propose à des communautés autochtones de leur offrir le poisson des lacs qu'elle compte assécher.

Mais sur son site web, la compagnie met surtout en avant l'utilisation du lithium pour la fabrication des batteries de véhicules électriques.

L'exploitation des réserves de lithium du Québec est au cœur de la stratégie d'électrification et de lutte contre les changements climatiques que doit bientôt présenter le gouvernement de François Legault.

Le mois dernier, le premier ministre a signé une entente avec les Cris, baptisée «Grande Alliance», lors de laquelle il vantait l'exploitation de «métaux stratégiques» comme le lithium.

Le promoteur prévoit 10 jours pour pêcher les poissons du premier lac. On y retrouve du meunier noir, du mulet perlé, de l'omble de fontaine et de la lotte. Les poissons seront captés grâce à une technique de pêche électrique qui les immobilise un instant à la surface. Les poissons du deuxième lac, des grands brochets et des meuniers noirs, ne seront quant à eux pas pêchés en raison de leur faible abondance, selon l'étude.

«Le projet entraînera la perte de 173,55 hectares de milieux humides, dont quatre milieux humides à valeur écologique élevée», peut-on lire dans l'étude d'impact. Au total, 1158 hectares de tourbières et autres marécages seront indirectement affectés.

Le promoteur reconnaît dans l'étude d'impact que la valeur de l'écosystème est «grande» et que l'effet résiduel sera «fort» et «important».

Les milieux humides comme les tourbières sont extrêmement utiles pour capter et séquestrer le carbone, ce qui contribue à réduire de façon naturelle la présence des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

De 2014 à 2018, les dépenses minières pour le lithium ont été multipliées par neuf. En plus de Rose Lithium, quatre projets de mines de lithium sont en préparation au Québec, en plus d'une mine déjà en place.

Selon le registre des lobbyistes, Rose Lithium sollicite, elle aussi, un soutien financier du gouvernement du Québec. L'entreprise a toutefois un premier actionnaire solide, puisqu'il s'agit de la multinationale américaine de la finance JPMorgan

Article intégral :

Vivre de peu

Joseph Delteil 1894-1978

La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice. Une tentative pour remplacer l’homme en chair et en os par l’homme robot. Tout est falsifié, pollué, truqué, toute la nature dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompue (les poumons couleur Louvres), les airs et leurs oiseaux empestés d’insecticides, les poissons empoisonnés jusqu’au fond des océans par les déchets nucléaires, partout la levée de substances cancérigènes, la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes, à la chaîne vous dis-je… Telle est la vie industrielle, la vie atomique. Le grand crime de l’homme moderne! Oui, ceci n’est qu’un cri : Au feu! Au fou! À l’assassin!

Quant à l’alimentation... Le pain, le vrai pain est mort. Vous savez comment on dégerme, énerve, décervelle le brave blé (après quoi il reste il est vrai l’amidon, sans doute pour les lavandières du Portugal). Comment on sophistique toutes choses, à force de bromures, de carbonates de magnésie, de persulfates d’ammonium, etc. Vous consommez le lait conservé à l’aldéhyde formique, les épinards verdis au sulfate de cuivre, le jambon au borax, le vin fuschiné, etc. C’est l’alimentation chimique.

Ils appellent ça le progrès. Mais entre l’hippopotame dans son marigot, le lézard au soleil et l’Homme au fond de sa mine, où est le progrès?

Il s’agit de faire front, de retrouver terre, de redevenir sauvages, vierges de sens et d’esprit comme au premier matin...

Source :
Cent poèmes pour l’écologie
Choisis par René Maltête
Le cherche midi éditeur; 1991

1 mars 2020

Entrez, mais en pantoufles

Cette murale de Banksy, No Trespassing (défense de passer), met en scène un Amérindien assis par terre, qui se lamente de l'intrusion de l'homme blanc et des ennuis qu'il a apportés avec lui. [Apparue sur un mur du Mission District de San Francisco en 2010, elle fut rapidement entachée par d'autres graffitis et est désormais entièrement recouverte de peinture.]


Que pouvons-nous espérer des rencontres entre le gouvernement fédéral et la communauté Wetʼsuwetʼen? Ce n’est pas un litige qu’on peut résoudre en trois jours... Certains reprochent aux chefs de ne pas s’entendre entre eux. Les provinces ne s’entendent pas non plus sur l’exploitation des énergies fossiles à ce que je sache! S’il y a une question qui soulève l’antagonisme c’est bien celle-là.
   L’analyste politique Luc Lavoie devrait être poursuivi pour incitation à la violence; être son boss, je lui aurais montré la porte :  
«Il [Luc Lavoie] a suggéré lundi sur les ondes du 98,5 d’opter pour «un coup de [pistolet] .45 entre les yeux» des manifestants autochtones qui bloquent les chemins de fer. «Un coup de .45 entre les deux yeux, tu réveilles, mon homme. Ou tu t’endors pour longtemps», a-t-il lancé à son collègue Bernard Drainville.» (Le Devoir, 21 février 2020)

La Presse canadienne / 1er mars 2020 – Aux dernières nouvelles, selon le chef Woos, un des chefs héréditaires Wet’suwet’en, l’entente représente un jalon important pour son peuple et toutes les parties impliquées.
   «Au cours des trois derniers jours, nous avons discuté de certains sujets qui nous préoccupent tous», a-t-il indiqué aux journalistes.
   Il a toutefois rappelé que le groupe demeurait fortement opposé au passage du gazoduc sur son territoire ancestral.
   Nous continuerons de rechercher le dialogue avec la Colombie-Britannique, le promoteur et la GRC à l’extérieur du territoire. Ce n’est pas encore terminé. Il y a encore beaucoup de travail à faire.
   Le promoteur du projet de gazoduc, Coastal GasLink, n’a pas perdu de temps pour annoncer la reprise des travaux dans le secteur de la rivière Morice dès lundi.

Photo : Rivière Morice, B.C. 

«Coastal GasLink reconnaît les discussions survenues au cours des derniers jours et le fait qu’un progrès important avait été accompli pour aborder les préoccupations des chefs héréditaires Wet’suwet’en», a déclaré le président de l’entreprise, David Pfeiffer dans un communiqué publié dimanche.

Territoire traditionnel Wet’suwet’en

Une entente de principe conclue entre ministres et chefs Wet’suwet’en
Article intégral :

«La bêtise ne dépasse jamais les bornes, où qu’elle pose le pied, là est son territoire.» ~ Stanislaw Jerzy Lec

Le litige est en droite ligne avec la sale histoire de Keystone XL. Un nom différent, Coastal GasLink, mais le même propriétaire : TC Energy (TransCanada). But : acheminer le gaz albertain à Kitimat B.C. (au lieu d’au Texas), pour ensuite l’envoyer en Asie.

Évitons un deuxième Standing Rock... Les opposants avaient lutté, en vain, contre le Dakota Access Pipeline, aujourd’hui opérationnel. La fin de l’occupation avait été brutale; les forces armées utilisaient des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des grenades, formaient des barrages de blindés. En novembre 2016, les altercations entre policiers, soldats et manifestants firent de nombreux blessés. On a rapporté la présence d’agents d’infiltration et les arrestations furent nombreuses. Bref c’était vilain.

Standing Rock 

La phase IV du projet Keystone XL, qui était au cœur du litige, fut autorisée par l'administration Trump en mars 2017. Il s’agit d’un shortcut pour transporter les hydrocarbures synthétiques et le bitume dilué canadiens de Hardisty (Nord-est de l'Alberta, Canada) jusqu'à Steele City (Nebraska, États-Unis), lieu à partir duquel les infrastructures existantes (phases II et III) permettent leur acheminement jusqu'aux raffineries du golfe du Mexique. Sa capacité de transport prévue était de 830 000 barils par jour (132 000 m3/j).
   Plusieurs groupes de militants ont consacré fonds et efforts pour contester et amener la compagnie devant les tribunaux.  Des éleveurs et des agriculteurs dont les terres étaient sur la route de l’oléoduc Keystone XL s’étaient associés aux contestations. La mobilisation avait créé un mouvement mondial de solidarité afin de promouvoir le respect des droits des minorités trop souvent persécutées, discriminées et censurées. Encore une fois en vain.
   Les communautés autochtones craignaient des fuites de pétrole, une possible pollution de l'eau et assimilaient la construction de l'infrastructure à une violation des traités historiques passés entre les nations amérindiennes et le gouvernement. En cas de fuite, les tuyaux souterrains de Keystone XL menaceraient l’aquifère Ogallala, une immense nappe phréatique de faible profondeur située sous les grandes plaines des États-Unis, du Dakota du Sud jusqu’au Texas. Elle fournit l’eau potable de 85 % des habitants du Nebraska et permet l’agriculture d’irrigation sur ces terres poussiéreuses.
   Lorsqu'en novembre 2014 la Chambre des représentants avait voté en faveur de l'oléoduc, Cyril Scott, le chef de la réserve indienne de Rosebud, où vivent nombre de Brûlés, avait déclaré : «Nous sommes une nation souveraine mais nous ne sommes pas traités comme tels. Nous allons fermer les frontières de la réserve à Keystone XL. Autoriser Keystone XL est un acte de guerre contre notre peuple.»

Standing Rock 

Même si le pétrole coule à flot dans le pipeline depuis 2017, les Sioux de Standing Rock n’ont pas lâché et réclamaient à nouveau, en novembre 2019, sa fermeture sur leur territoire.
   “To some, this may be just another pipeline in just another place. But to us, it’s not just a pipeline, it’s a threat. And it’s not just a place, it’s our home. The only one we have. Every day the pipeline represents a threat to our way of life and an insult to our culture and traditions that have withstood so much. We are still here. We are not giving up this fight.” 
~ Mike Faith, chairman of the Standing Rock Sioux Tribe 

En 2020, le pétrole brut albertain est enclavé. Les prévisions de croissance ont été réduites de moitié. Certains groupes de l'Ouest canadien anvisagent une séparation - un Wexit. Des entreprises emblématiques ont changé de nom ou ont déménagé leurs sièges sociaux; Trans Mountain a vendu l'extension de son pipeline au gouvernement Trudeau - Les PDG de la compagnie rient encore de nous avoir si bien roulés! 

Le fédéral achètera-t-il Coastal GasLink?!  

Et quid du rejeton GNL Québec?

Projet GNL Québec: une industrie dépendante des fonds publics

Colin Pratte et Bertrand Schepper
Respectivement chercheur associé et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques

La Presse, 26 février 2020

En étudiant les cadres financiers des compétiteurs de l’éventuelle usine de l’entreprise Énergie Saguenay (GNL Québec), on réalise que ce projet s’inscrit au sein d’une industrie fortement dépendante de fonds publics. Ainsi, pour voir le jour, Énergie Saguenay devra obtenir au même titre que ses concurrents un important soutien du Trésor public.

À titre d’exemple, nous pouvons citer le terminal Sabine Pass, installé dans le golfe du Mexique, qui a bénéficié de 1,69 milliard de dollars américains sous forme de congé de taxe et de subventions. Pour chacun des 225 emplois créés, l’État aurait ainsi payé 7,5 millions de dollars américains, ou se serait passé de l’équivalent en revenus. Ouvert en 2016, ce premier projet d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) de l’histoire des États-Unis a exporté 40 % de son produit vers le marché asiatique, soit au Japon, en Corée du Sud et en Chine.
   Dans l’Ouest canadien, le portrait est le même. Le projet LNG Canada, dans lequel l’entreprise d’État PetroChina a investi, a bénéficié en 2018 d’un cadeau fiscal évalué à au moins 5,35 milliards de dollars de la part du gouvernement de la Colombie-Britannique. LNG Canada ne sera pas imposée sur ses revenus. En plus de cela, la taxe provinciale de vente sera annulée lors de la phase de la construction, sans compter la diminution de sa taxe carbone.
   C’est donc dire qu’Énergie Saguenay, afin d’exporter son gaz, serait en compétition directe avec ces terminaux fortement subventionnés et géographiquement mieux situés.
Les 56 projets de terminaux actuellement prévus en Amérique du Nord seront en concurrence pour alimenter le marché asiatique. L’agence Bloomberg prévoit que cette région sera responsable de 86 % de la croissance de la demande de gaz naturel liquéfié pour la période 2017-2030.
   Bref, tout indique qu’en plus des 550 mégawatts d’hydroélectricité qu’elle recevra au tarif diminué, Énergie Saguenay devra obtenir des fonds publics équivalents à ceux dont bénéficient ses compétiteurs directs. Des centaines de millions de dollars de deniers de l’État devront lui être accordés pour que ce projet dont les capitaux transitent par des sociétés établies dans des paradis fiscaux voie le jour.

Un frein à la transition énergétique

D’un point de vue écologique, la question est la suivante : à l’heure où une transition énergétique est requise pour freiner l’emballement climatique, est-ce pour ce projet d’exportation de gaz naturel non traditionnel, issu à 85 % de la fracturation, que l’argent des contribuables doit servir et que tant d’hydroélectricité doit être vendue au rabais?
   Le premier ministre reprend le discours de l’industrie lorsqu’il soutient que le GNL doit être considéré comme une énergie de transition.
   Financer ce projet dont la durée de vie prévue est de plusieurs décennies ne fera que prolonger notre dépendance aux énergies fossiles et ralentir leur remplacement par des énergies renouvelables.
   Dans tous les cas, une subvention à Énergie Saguenay ne garantit pas la réussite économique de ce projet qui a déjà de nombreux compétiteurs largement subventionnés. Un tel soutien nous assure toutefois que la transition écologique juste dans laquelle le Québec doit s’engager sera freinée.