31 mai 2014

En attendant la 6e extinction


La politique de l’autruche est respectable :
tout dépend de ce qu’il y a dans le sable.  
(Didier Van Cauwelaert) 

Du bitume par exemple… 

On nous assure que les méthodes d’exploration et d’extraction sont sécuritaires et sans danger. Or, comme le disait Pierre Dac : «Il ne faut pas se fier aux choses qui ne peuvent pas arriver, car c’est justement celles-là qui arrivent.»

De toute façon, le réchauffement climatique et les extinctions sont des utopies d’écolos.

Alors, vive le rush pétrolier, et après nous le déluge!

Mais ce déluge n’est peut-être pas si lointain qu’on le prétend…

Dans son dernier livre, The Sixth Extinction: An Unnatural History, Elizabeth Kolbert décrit son voyage à travers le monde, effectué pour documenter ce qui semble une extinction massive des espèces se déroulant sous nos yeux. «Il y a eu cinq crises comparables dans l'histoire de la vie sur Terre, écrit-elle, mais celle-ci est différente : elle est causée par nous.» L’auteur considère que c’est une tragédie : «Les qualités qui au départ font de nous des humains : notre impatience et notre capacité de coopérer pour résoudre des problèmes et réaliser des tâches complexes nous ont portés à changer le monde tellement rapidement et radicalement, que les autres espèces ne peuvent pas suivre.» (National Geographic)

[Je crois qu’il nous arrive la même chose avec la technologie, ou l’intelligence artificielle : nous sommes dépassés. L’arroseur arrosé!]

«Le tiers de tous les coraux, le tiers de tous les mollusques d’eau douce, le tiers des requins et des raies, le quart de tous les mammifères, le cinquième de tous les reptiles et le sixième de tous les oiseaux sont destinés à tomber dans l'oubli, constate Elizabeth Kolbert dans son bilan de destruction (causée par l’homme). Et les pertes se produisent partout : dans le Pacifique Sud, dans le nord de l'Atlantique et de l'Arctique, au Sahel, dans les lacs et les îles, au sommet des montagnes et dans les vallées.» (E.K.)
       Le coupable n'est pas un astéroïde ou une force géophysique, mais une créature vivante : l'Homo sapiens. Nous avons peut-être réalisé des choses extraordinaires sur terre, mais nous l'avons fait au détriment de presque toutes les autres espèces.

«Durant cette période de changement si rapide, tout ce que nous pouvons faire est d’essayer de laisser autant d’endroits intacts que possible. Des grands territoires. Si les choses peuvent se déplacer, et elles feront, l’évolution suivra son cours. L’idéal serait de donner la chance au plus grand nombre d’organismes possible de le faire maintenant, en laissant les réseaux alimentaires intacts, tels qu’ils sont en ce moment. Beaucoup de gens ont dit la même chose que moi : c'est notre unique chance.» (E.K.)

 
Les cinq étapes du Réchauffement Global :
1. Déni (denial)
2. Culpabilité (guilt)
3. Dépression (depression)
4. Acceptation (acceptance)
5. Noyade (drowning)

Par Tweet of God sur le site d’Elizabeth Kolbert : http://www.elizabethkolbert.com/

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COMMENTAIRES

Déclin de civilisation? 
   Nous battrons les Romains

Déluge? Perte totale?
   Nous battrons la légende Atlante  

Les dix plaies d’Égypte?
   Nous battrons «Dieu» à plate couture…

Je me souviens avoir sursauté en voyant cet autocollant sur un camion : Save the planet: kill yourself. Quand on y songe, c’est peut-être ce que nous sommes en train de faire.

En attendant la 6e extinction, je vous invite à lister tous les gadgets, toutes les inventions inutiles, dommageables et destructrices qu'on fabrique encore et qui pavent le chemin vers l’extinction : des heures d’hébétude. Examinez votre maison, votre quartier jusqu’à imaginer la terre au complet – en pensant que nous sommes plus de 7 milliards d’individus. Si vous manquez de «matériel», visitez Internet. Vous mourrez avant d’avoir complété votre liste car c’est colossal. Les catégories sexe, sport, luxe, gastronomie, voitures, armes à feu, etc., ne vous décevront pas.

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Le taux de chômage actuel.
La petite histoire : Autrefois nous disposions de fabricants de chaussures et de vêtements durables, d’excellente qualité. Mais les businessmen ne faisant pas assez de profits puisqu’à un certain moment, ils furent contraints d’offrir des salaires décents et d’améliorer les conditions de travail de leurs employés, conséquemment, ils décidèrent de se tourner vers les pays émergeants – la main-d’œuvre coûtait à peu près rien. Résultat ici : chômage ostentatoire.

Alors, quand le PDG d'Alimentation Couche-Tard, Alain Bouchard, dit qu’il trouve inacceptable que le Québec continue à être ‘sur le BS’ en recevant de la péréquation de la part du gouvernement fédéral, eh bien, je le trouve plutôt arrogant.

Il faut créer des emplois et de nouvelles entreprises? Adressez-vous d'abord aux hommes d’affaires et demandez-leur de ramener leurs entreprises ici, et d’engager des gens d’ici…

Si vous voulez dominer un peuple, privez-le de travail, affamez-le et vous en ferez ensuite ce que vous voulez. Une vieille tactique de suprématie.

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En complément :

À ceux qui lui font valoir l'importance économique des sables bitumineux de l'Alberta, Desmond Tutu rétorque que «le monde n'existera plus» si rien n'est fait au sujet des émissions de gaz à effet de serre.

S'exprimant durant une conférence organisée dans la région des sables bitumineux, vendredi, l'ex-archevêque et prix Nobel de la paix a tenu à souligner les impacts mondiaux des changements climatiques.

«Nous sommes assis sur une poudrière», a-t-il estimé durant un point de presse à Fort McMurray.

(Source : Grands titres, ICI Radio Canada)

Vous aimerez peut-être :
http://situationplanetaire.blogspot.fr/2010/08/terre-poudriere.html

Conclusion : «N’ayant aucun moyen de connaître l’avenir, je choisis de ne pas m’en inquiéter.» (Aphorisme zen)

27 mai 2014

Cher Victor Hugo…


Hugo en exil – Bref contexte historique : Devenu républicain il siège à l’Assemblée constituante et s’oppose au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851 en tentant d’organiser la résistance. En vain. Opposant farouche à Napoléon III il doit s’exiler à Bruxelles pour fuir la répression qui s’abat sur les républicains : 26 000 arrestations, 9 500 personnes déportées à Cayenne et en Algérie et 1 500 expulsions (dont 66 députés). Son fils Charles le rejoint dans son exil, à sa sortie de prison, à la fin de janvier 1852. «Charles me dit tout bas : On entendrait voler un mouchard.» (V.H.)

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Il suffirait de changer quelques mots pour une parfaite concordance de temps.

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L’Assemblée constituante de 1848 … est presque entièrement composée d’hommes qui, ne sachant pas parler, ne savent pas écouter. Ils ne savent que dire, et ils ne veulent pas se taire. Que faire? Ils font du bruit.
       On sent que cette assemblée est d’hier et qu’elle n’est pas de demain. Elle vient de naître et elle va mourir. De là le bizarre amalgame des défauts de l’enfance et des misères de la décrépitude. Elle est puérile et sénile. Elle discute, dispute, avance, recule, dit oui et non, se fâche, s’impatiente, boude, bougonne; elle se hâte et elle se traîne. Jamais de hauteur, jamais de profondeur, même dans la colère. Pas de tempêtes, des giboulées.

Je contemple souvent en rêvant l’immensité de la salle et la petitesse de l’Assemblée.
(…) Chaque système doit disparaître avec ses démolitions.

Le grand péril et le grand problème de la situation actuelle, c’est la vieillesse des choses aux prises avec la nouveauté des idées. 

(1848; p. 656-657)

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Quand même les hommes se tairaient, la vérité crie. Voilà ce que savent ceux qui pensent, ceux qui font quelque distinction entre une plaie fermée et une plaie guérie, qui ne confondent pas les affirmations du code avec les solutions du droit, et qui ne croient pas que la volonté momentanée de la loi suffise pour réprimer l’éternelle révolte de la réalité méconnue. Faire le silence, ce n’est pas faire la paix. Il y a quelque différence entre un consentement et un bâillon.

Certains êtres naissent chefs de groupes.
Il y a le bélier, il y a le taureau, il y a le coq; ce sont les chefs des partis; en dehors il y a les solitaires, le lion, l’aigle, le génie. Que chacun suive sa loi.

Il y a les imbéciles, mais il y a les fourbes, il y a les alacoquistes, mais il y a les alacoquins; indulgence aux premiers, surveillance aux seconds.

(1885; Fragments sans date; p. 1394-1395)

~ Victor Hugo

HUGO Choses vues
Quarto Gallimard (édition 2002)

26 mai 2014

Médecines indigènes

Tableau : Saint Pantaleon the Healer, Nicholas Roerich 1916

La série

Bernard Fontanille, médecin urgentiste, a parcouru les continents à la rencontre de ceux qui soignent autrement, par les coutumes ancestrales, avec les ressources de la nature. La série documentaire Médecines d’ailleurs (17 pays, 20 films) est diffusée/rediffusée sur «ICI Explora».  http://ici.exploratv.ca/emissions/medecines-dailleurs

Ce médecin disait entre autres à l’émission Les années lumière :
«… Il y a des tradipraticiens un peu partout, avec des plantes, avec des tas de techniques, et ces gens vont probablement disparaître sous la pression, sous différentes pressions. Mais parfois c’est déjà disparu dans des endroits. Les plantes disparaissent aussi; la pression sur la biodiversité est telle que les conditions environnementales font que ces plantes disparaissent. On le voit très bien au Cambodge, le vieux monsieur qui soigne avec des plantes est très triste parce que les grands arbres ont disparu, parce qu’on rase tout* pour cultiver de l’hévéa pour les Chinois.»

[* Raser tout : «landgrabbing» en bon français, ou «néocolonialisme agraire» en langage onusien.]


Le livre

MÉDECINES D'AILLEURS
Rencontres avec ceux qui soignent autrement
Bernard Fontanille, Elena Sender
Éditions de La Martinière; Arte Éditions

[Médecines d'ailleurs, accompagne la série documentaire du même nom qui fut présentée sur Arte en mars dernier] 

Inde, Népal, Chine, Cambodge, Indonésie, Japon, Brésil, Pérou, Bolivie, Kenya, Ouganda, Afrique du Sud … Bernard Fontanille, médecin urgentiste parcourt le monde à la rencontre de ces femmes et de ces hommes qui prennent soin des autres, sauvent des vies et parfois inventent de nouvelles manières de soigner et de soulager. En s’immergeant dans la vie et l’intimité des praticiens et des patients, il nous raconte les différentes réalités d’un pays et nous fait découvrir des pratiques médicales ancestrales, profondément ancrées dans une culture.

INTERVIEW BERNARD FONTANILLE

Qu’est-ce qui vous a amené à partir à la rencontre de médecins d’ailleurs ?
       Je suis médecin urgentiste à Chamonix depuis 15 ans. C’est un métier qui m’a permis d’effectuer de nombreux séjours à l’étranger, pour des missions humanitaires, des événements sportifs, des tournages. Je me suis retrouvé dans des situations où ce que je savais faire en tant que médecin n’était pas très facile à appliquer, par manque de moyens, d’infrastructures… Je me suis alors demandé comment faisaient les médecins sur place pour répondre aux problèmes de santé d’un malade quand on est à 10 heures de marche ou de voiture du premier hôpital. L’idée de parcourir le monde à la rencontre de ceux qui prennent soin des autres a germé dans mon esprit. (…)

Suite :
http://www.editionsdelamartiniere.fr/ouvrage/medecines-d-ailleurs/9782732464671

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En complément

Médecines Traditionnelles & Naturelles
La Médecine au Cœur du Vivant!
http://www.medecines-traditionnelles-naturelles.org/

[Extrait de la présentation] 

Les médecines de demain
       Les Médecines évoluent à l’image de l’humanité. Les intentions changent. Les compréhensions avec. Elles ne se destinent plus à un groupe d’individus appartenant à une même culture, mais à la grande famille humaine. Elles se mélangent, se nourrissent mutuellement au profil de l’humanité. La terre prend la forme d’un immense puzzle, unité riche de ses différences et de ses couleurs. Chaque pièce a son identité, sa place et son importance. Chaque médecine porte un regard sur l’essence des choses et apporte une pierre à l’édifice.
       Les Médecines de demain ne sont plus exclusivement le fruit de l’intelligence humaine, du domaine scientifique ou des traditions. La science apporte un complément aux médecines traditionnelles et réciproquement. La reconnaissance et le respect de chaque parti deviennent incontournables. Les Médecines de demain se construisent dans l’acceptation de l’interdépendance entre l’homme et son environnement. Elles se nourrissent des intérêts et échanges entre les éléments de ce grand ensemble vivant que nous pourrions nommer la Nature.

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Plantes médicinales
Un guide pratique pour identifier facilement 150 plantes médicinales
Pamela Forey, Ruth Lindsay; adaptation française de Noëlle Akoa
Éditions Gründ, Nature-Poche, 1989

[Extrait de l’intro]

L’homme a utilisé les plantes médicinales bien avant d’en dresser la liste. Avec l’avènement de la science et des médicaments modernes, de nombreux remèdes à base de plantes sont tombés en désuétude. Pourtant certains médicaments, tels la morphine et la digitaline, proviennent encore aujourd’hui des plantes, et de nombreuses herbes agissant avec douceur mais efficacité permettent de ne pas avoir recours aux produits chimiques de synthèse. Les plantes contiennent des huiles essentielles, des vitamines, des alcaloïdes, des glycosides, du mucilage et des tanins, produits naturels, qui agissent  sur l’organisme. Certaines plantes jouent un rôle essentiel, d’autres stimulent simplement la digestion ou l’activité hépatique, présentent des qualités antiseptiques, etc.
       Les plantes à usage médicinal peuvent être cultivées au jardin, récoltées à l’état sauvage, ou achetées chez l’herboriste. En les cultivant soi-même, on peut les identifier avec certitude et s’assurer qu’elles n’ont pas été contaminées par des pesticides. L’identification précise des plantes est une règle d’or en phytothérapie; en effet, chaque espèce végétale renferme une substance chimique naturelle ayant une action spécifique sur l’organisme. Par ailleurs, certaines plantes inoffensives ressemblent à des plantes toxiques. Ainsi, le Cerfeuil et le Persil, ayant tous deux des propriétés médicinales, se confondent avec la Petite ciguë (Aethusa cynapium) qui contient un poison mortel. Nous vous déconseillons de récolter des plantes sauvages si vous ne pouvez les identifier avec certitude. (…)
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Un livre à emporter en randonnée. Il m'est toujours utile.

Très fâchée, la dame

Je suis toujours renversée de voir des membres de la classe politique manquer autant de classe.


Julie Boulet, députée de la circonscription de Laviolette sous la bannière du PLQ. De gaffe en gaffe. Le doigt d’honneur : ça peut toujours passer au Festival western de Saint-Tite (tout le monde est ivre-mort), mais là, en assemblée parlementaire... Et c’est avec de tels représentants que nous allons progresser? Alors, ne vaudrait-il pas mieux que chacun des partis fasse le ménage dans sa propre cour plutôt que chez les voisins d’en face?

Donc, je continue d’observer la farce politique avec la phrase d’Albert Schweitzer en tête : «ce que tu fais, parle plus fort que ce que tu dis».

Anecdote : Le lendemain du jour de votation, un client au café du coin disait à son ami à quel point il était satisfait que le PLQ ait repris le volant : «enfin, on va rouler!» (je me demandais s’il n’était pas amnésique). Peu importe, c’est vrai, droit ou croche, il faut rouler. Mais rouler qui?

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N.B. Une fois de plus : je ne suis ni fédéraliste, ni séparatiste ou souverainiste, ni animée d’un patriotisme quelconque. Les seules «vraies affaires» qui m’importent : les humains, les animaux et la nature (sans ordre de préséance car toutes choses sont interdépendantes).

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Regarder une biosphère en dérive s’écrouler sous notre nez est passablement lugubre. Le mépris et l’irrespect du vivant (humains, animaux, nature) ont atteint un paroxysme. La violence, la corruption et le déni culminent. Les hommes se sautent à la gorge les uns les autres au moindre prétexte. Les vieux systèmes patriarcaux échafaudés sur le mensonge agonisent. Les tyrans politiques, financiers, religieux et scientifiques pullulent, de même que les petits dictateurs de l’entourage individuel (milieu de travail, famille, etc.). À l’heure actuelle, il y a des barbaries plus graves et qui tuent plus de monde que toutes les pandémies de grippe réunies; pourtant, aucun vaccin en vue… Et, il va sans dire que les bizarreries climatiques, la surpopulation et la disparition rapide d’innombrables espèces et écosystèmes multiplient les problèmes; cela ressemble étrangement à un suicide collectif… inconscient.

Déjà dans les années 60, certains biologistes et scientifiques sonnaient l’alarme. Je pense notamment à Rachel Carson dont le livre Silent Spring prédisait que l'empoisonnement graduel et irréversible des écosystèmes rendrait la terre impropre à toute vie. (…) N'écoutant rien, nous avons continué de foncer dans le mur, la pédale de l’accélérateur collée au plancher. Avec le pétrole combiné au nucléaire, nous fonçons vers l’extinction à la vitesse de la lumière. Et bien sûr, avant d’y aboutir, nous aurons détruit et siphonné la terre jusqu’au dernier centimètre carré. Aussitôt que des prospecteurs découvrent des mines et des gisements inexploités, tout le monde applaudit et se précipite parce que cela signifie qu’on peut continuer, encore pour un temps, à vivre de la même manière sans se soucier des conséquences. Y a-t-il encore des humains assez naïfs pour croire que notre mode de vie barbare et archaïque (malgré toute la technologie, rien n’a changé sauf le décor) se poursuivra indéfiniment? À quoi bon une intelligence prétendument supérieure qui ne sert qu’à nous exterminer tous autant que nous sommes? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas la sagesse qui nous exterminera, et nous n'avons pas besoin d'une boule de cristal ni d'un calendrier Maya pour prédire un futur déjà présent...

(Extrait de l’introduction de ce blogue)  

24 mai 2014

Honnêteté cosmétique

Source : Le Devoir

Chaque geste individuel a un effet.

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Les meilleurs et les pires se trompent quelquefois et font le contraire de ce qu’ils voudraient faire. Il vaut mieux faire le bien avec les coquins que le mal avec les honnêtes gens. 
~ Victor Hugo
(Hugo Choses vues; Quarto Gallimard 2002; p. 804)

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- Qu’est-ce que l’honnêteté? Pour le plus grand nombre, un soin de ne rien faire de criminel dont on puisse vous donner des preuves.

- La crédulité publique est le patrimoine, le champ d’un plus grand nombre de gens qu’on ne l’a jamais vu. Ce champ, on le cultive avec soin, avec ardeur, avec sollicitude; on y sème des mensonges que l’on arrose d’hypocrisie, et l’on récolte la fortune, la renommée, et même la considération.

- Notre génération s’est perdue par les besoins nouveaux. «Le pain quotidien» s’est tellement compliqué de fricots divers, d’assaisonnements variés, de condiments ruineux (il se mange dans de telles assiettes, sur de telles tables, dans de tels logis), qu’on ne les conquiert, les uns par un travail de galérien, et les autres que par la servilité et par le crime. Si bien que ce «pain quotidien», ce n’est plus à Dieu, mais au diable qu’il faut le demander chaque matin. 

- La civilisation, qui a commencé par nous faciliter la satisfaction de trois ou quatre besoins que nous tenons de la nature, y a rajouté une trentaine d’autres besoins, et la sottise de centaines. De ces besoins viennent la dépendance, les tyrannies, la nécessité du travail incessant, la pauvreté du plus grand nombre.

~ Alphonse Karr (1808-1890)
(L’esprit d’Alphonse Karr; Pensées extraites de ses œuvres complètes, 1877) 

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Les gens sont loyaux jusqu’à ce que ça devienne profitable de ne plus l’être.
~ Julian Assange (Le cinquième pouvoir)

Inversement :
Les gens sont malhonnêtes jusqu’à ce que ça devienne profitable de ne plus l’être (comme à la Commission Charbonneau par exemple). 

HUMOUR

Toute ressemblance à des personnalités connues est pure coïncidence.

La Reine (conte Blanche Neige et les sept nains, Disney) 

La maison de rêve de Barbie

21 mai 2014

Où va tout ce sang répandu?

À pied, à cheval, en chars d’assaut, en bombardiers ou à drones, les humains perpétuent les mêmes ahurissantes boucheries. Combien en faudra-t-il encore pour donner «un sens à notre insignifiance» (réf. au dernier roman de Milan Kundera La fête de l'insignifiance). 

«La vie sur terre n’a aucun sens, sauf celui que vous choisissez de lui donner~ Joseph Campbell (1904-1987)

Source photo : CRIDG* «Faut-il que les hommes soient bêtes de fabriquer des machines comme ça, pour se tuer… comme si on ne claquait pas assez vite tout seul!» ~ Alphonse Allais (1854-1905)

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J’écoute l’excellente série 14-18 La Grange Guerre des Canadiens narrée par Claude Legault : les moments marquants de la participation des Canadiens français à la Première Guerre mondiale. De l’enrôlement à l’Armistice, de la bataille de Courcelette aux émeutes de Québec, des soldats, des infirmières, des citoyens et leurs descendants livrent leurs témoignages, complétés par des analyses d’historiens.

Mot de la réalisatrice Lynda Baril
En acceptant de réaliser une série documentaire radio sur la Première Guerre mondiale, je savais qu'un grand défi m'attendait. Comment produire une série vivante, comment incarner la Grande Guerre alors que tous ceux et celles qui l'ont connue sont disparus?
       J’ai donc passé des semaines dans les archives de Radio-Canada à la recherche d’entrevues de militaires et de civils. J'ai lancé, sur les ondes de Radio-Canada, un appel à tous. Puis, j’ai choisi des extraits de lettres de soldats (un grand merci à l'historien Michel Litalien) et réalisé des interviews avec les enfants de ceux et celles qui ont vécu cette folie meurtrière. Ces témoignages, souvent bouleversants, sont ponctués de musiques, de chansons d’époque, de reconstitutions sonores et d’entrevues avec une nouvelle génération d’historiens. Le tout raconté par l'acteur Claude Legault, féru d'histoire de la guerre, que j'ai choisi pour sa sensibilité toute particulière.
       J’ai tenu aussi à sortir des tranchées et à illustrer tout autant la vie au pays – l’effort de guerre des femmes, la crise de la conscription, l’épidémie de grippe espagnole – que la vie au front.
       Cette série me tient particulièrement à coeur parce que nous, les francophones du pays, avons très peu raconté notre guerre. Un conflit que nous avons toujours vu à travers les yeux des Canadiens anglais et des Français. Pas à travers nos propres yeux.
       J’espère que ce document radiophonique saura vous toucher et vous faire mieux connaître cette période charnière de notre histoire.

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Si vous n’avez pas accès à l’Audio fil, le site vaut la halte pour ses documents d’archives et témoignages :
http://ici.radio-canada.ca/special/guerre_14-18/serie.shtml

Oliva Cinq-Mars (photo : Radio Canada)  

Extrait 
       De Saint-Henri à la Russie
       Oliva Cinq-Mars

       En s’engageant en tant que volontaire dans l’armée en 1914, Oliva Cinq-Mars a hâte de voir du pays, mais il ne s’attend pas à se retrouver cinq ans plus tard dans une toundra gelée de Sibérie. De 1915 à 1918, l’artilleur de la 9e Batterie a participé à toutes les batailles majeures du Corps expéditionnaire canadien et a perdu bien des illusions à propos de la guerre.
       Dans ses mémoires, il se rappelle l’ambiance qui régnait à l’époque : «Ne riez pas trop, vous qui me lisez, car les jeunes de 1914 n'avaient jamais connu la guerre et ils étaient chauffés à blanc par les journaux remplis de sujets de guerre, des exploits glorieux des armées françaises et anglaises, mais surtout par les atrocités commises en Belgique.»

En complément à la citation d’Oliva Cinq-Mars au sujet de la propagande : 

Le discours dominant cristallisé dès le début de la guerre dans les différents pays belligérants est destiné à persuader de la légitimité du conflit et de la nécessité pour les hommes de défendre leur nation. La Grande-Bretagne présente un cas particulier : en l’absence de conscription, on doit faire appel au volontariat pour former une armée. Recrutant à l’échelle locale parmi des communautés bien constituées (au niveau du village, quartier, de l’entreprise), drainant également une population pauvre pour qui la guerre représente une échappatoire, le volontariat conduira environ 1,5 million d’hommes au front. On argue souvent du volontariat britannique comme preuve du «consentement» des sociétés européennes à la violence du conflit. Il convient cependant de rappeler que la conscription doit être instaurée en 1916 précisément parce que les volontaires deviennent introuvables, tandis que la réalité de la guerre est mieux appréhendée, connue et crainte. La guerre pour laquelle on s’engage massivement en 1914 n’est pas la guerre réelle mais une guerre imaginée et souvent euphémisée, sans commune mesure avec les conditions de vie et de mort dans les tranchées. Enfin, il faut aussi rappeler que l’engagement dans le conflit des volontaires est également obtenu à travers une culpabilisation des hommes dont les affiches sont un vecteur important.

Source : CRIDG* L'affiche britannique la plus célèbre, conçue par Alfred Leete en 1914 pour le magazine London opinion, puis tirée à des milliers d'exemplaires : Lord Kitchener, ministre de la guerre, pointe son doigt et «vous veut». La légende ajoute: «Rejoignez l'armée de votre pays! Dieu sauve le roi».

Source : CRIDG* Autre affiche de 1914 qui déploie le même langage graphique culpabilisateur, à travers la petite fille qui demande à un père civil et honteux, aux pieds duquel un enfant (patriote) joue à la guerre, «Papa, qu'as-TU fait dans la Grande Guerre?».

* Site : Collectif de Recherche International et de Débat sur la Guerre de 1914-1918 (CRIDG) http://www.crid1418.org/

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La visite de Charles & Camilla, officiellement pour souligner le 150e anniversaire de la Conférence de Charlottetown, est riche de coïncidences transversales.

Sherlock Holmes dirait probablement :

~ “But is it coincidence? Are there not subtle forces at work of which we know little?”
(The Adventure of the Blanched Soldier)

~ "The world is full of obvious things which nobody by any chance ever observes. You see, but you do not observe. The distinction is clear.”

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Bilan sommaire donc –
plus de 60 millions de soldats ont participé à la Grande Guerre;
environ 9 millions de personnes sont mortes, et environ 20 millions ont été blessées;
de nombreuses populations qui ont combattu côte à côte : 140 000 Chinois;
20 500 Amérindiens – 3500 du Canada, et 17 000 des États-Unis (dont seuls 14 000 auraient combattu en Europe). (Wikipedia)

Photo : chien de recherche de blessés muni d'un masque à gaz. Les animaux n’ont pas été épargnés du service obligatoire ni de la boucherie, bien évidemment.

En conclusion, on peut penser que la Première Guerre Mondiale n’était qu’une avant-première de la Seconde, une sorte de test. Aujourd’hui, les nouvelles guerres ne sont pas «mondiales» comme tel, la stratégie consiste à attaquer un peu partout, ouvertement ou sournoisement, en vue de s’approprier les biens et ressources d’autrui.      
       Rien de nouveau. Les voleurs et les envahisseurs ont toujours fonctionné de la sorte : «Donne-moi ta femme, tes enfants, ton cheval, ta charrette, ta maison, ta terre, tes récoltes, ton pétrole, ton uranium, ton lithium, ton or, tes métaux rares, sinon je te tue.» Dat’s it, dat’s all. 

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CHANSON DANS LE SANG
Jacques Prévert

Il y a de grandes flaques de sang sur le monde
où s'en va-t-il tout ce sang répandu

Est-ce la terre qui le boit et qui se saoule
drôle de saoulographie alors
si sage... si monotone...

Non la terre ne se saoule pas
la terre ne tourne pas de travers
elle pousse régulièrement sa petite voiture ses quatre saisons
la pluie... la neige...
la grêle... le beau temps...
jamais elle n'est ivre
c'est à peine si elle se permet de temps en temps
un malheureux petit volcan

Elle tourne la terre
elle tourne avec ses arbres... ses jardins... ses maisons...
elle tourne avec ses grandes flaques de sang
et toutes les choses vivantes tournent avec elle et saignent...

Elle elle s'en fout
la terre
elle tourne et toutes les choses vivantes se mettent à hurler
elle s'en fout
elle tourne
elle n'arrête pas de tourner
et le sang n'arrête pas de couler...

Où s'en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des meurtres... le sang des guerres...
le sang de la misère...
et le sang des hommes torturés dans les prisons...
le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman...
et le sang des hommes qui saignent de la tête
dans les cabanons...
et le sang du couvreur
quand le couvreur glisse et tombe du toit

Et le sang qui arrive et qui coule à grands flots
avec le nouveau-né... avec l'enfant nouveau...
la mère qui crie... l'enfant pleure...
le sang coule... la terre tourne
la terre n'arrête pas de tourner
le sang n'arrête pas de couler

Où s'en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des matraqués... des humiliés...
des suicidés... des fusillés... des condamnés...
et le sang de ceux qui meurent comme ça... par accident.

Dans la rue passe un vivant
avec tout son sang dedans
soudain le voilà mort
et tout son sang est dehors
et les autres vivants font disparaître le sang
ils emportent le corps
mais il est têtu le sang
et là où était le mort
beaucoup plus tard tout noir
un peu de sang s'étale encore...
sang coagulé
rouille de la vie rouille des corps
sang caillé comme le lait
comme le lait quand il tourne
quand il tourne comme la terre
comme la terre qui tourne
avec son lait... avec ses vaches...
avec ses vivants... avec ses morts...
la terre qui tourne avec ses arbres... ses vivants... ses maisons...
la terre qui tourne avec les mariages...
les enterrements...
les coquillages...
les régiments...
la terre qui tourne et qui tourne et qui tourne
avec ses grands ruisseaux de sang.

Anthologie de la poésie française du XXe siècle
(Tome 1, page 405, nrf, Poésie/Gallimard) 

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Dans le même ordre d'idée : La Guerre par Louise Ackermann http://situationplanetaire.blogspot.ca/2011/12/assassin-quon-encense.html

18 mai 2014

La valse des sacs en plastique


Journées de grand vent la semaine dernière. Les sacs s’envolaient, s’accrochant aux arbres, bosquets et plates-bandes... sans parler des gobelets à café qui roulaient partout. J’ai de la difficulté à comprendre qu’en 2014 il y ait encore des gens qui balancent leurs déchets n’importe où. Il fut un temps où l’on donnait des contraventions aux automobilistes qui jetaient leurs ordures sur les autoroutes. On devrait y revenir…


Excursion de photo. Je n’ai vu qu’un couple de malards – généralement, il y en a au moins une douzaine. Est-ce à cause de l’hiver prolongé? Sais pas. Première fois que je voyais des poissons morts – ils avaient de bizarres protubérances (la photo n'est pas fameuse, mais ça donne une idée). Et bien sûr, beaucoup d’objets en plastique dans l’eau – bouteilles, jouets, boîtiers, ustensiles et autres gadgets non identifiables. Au lieu d’organiser des corvées de nettoyage des rives du Saint-Laurent par des bénévoles, on pourrait créer une multitude d’emplois bien rémunérés pour nettoyer le fleuve au grand complet; en bout de ligne, ça rapporterait plus à tous les niveaux que les emplois dans les secteurs pétroliers, miniers et forestiers. Mais bon, je rêve là…

«Symbole de la société de consommation, comme le fast-food l’est à la malbouffe, le sac plastique, ce pratique sachet de plastique et donc d'origine pétrolière, s’est progressivement substitué au cours des années 1960 aux paniers en osiers, sacs en papiers et cabas, pour se répandre partout où l’homme se trouve et même au-delà.» (Johann Lucas, Citoyen d’abord!)


Merci aux humains, le fond océanique est officiellement un dépotoir!  

(Source : Care2)

Au plus profond des océans on trouve du corail, du sable … et des vieilles canettes d’Heineken. Eh oui, nos détritus ont envahi de vastes territoires de la planète, selon l'une des plus vastes recherches scientifiques effectuée dans les fonds océaniques. Entre 1999 et 2011, les scientifiques ont analysé et filmé 32 sites situés dans l’océan Atlantique, l’océan Arctique et la mer Méditerranée. Ils ont trouvé de tout : des bouteilles et des sacs de plastique, des vêtements, et des filets de pêche (à plus de 1 200 milles au large des côtes et jusqu’à trois milles pieds de profondeur), rapporte le Guardian. Il n’y a pas un site qui ne contient pas de détritus. Cela signifie que nos déchets voyagent bien au-delà des zones littorales et qu'ils finissent par recouvrir les fonds océaniques – selon l'étude c’est l’endroit où s’accumulent le plus d’ordures.

Les déchets de plastique constituent 41% du dépotoir, et le matériel de pêche (c’est-à-dire filets et lignes) atteint 34%. On a également retrouvé du bois, de la poterie, du verre, du papier, du carton, et même des résidus de charbon provenant de bateaux à vapeur d’il y a plus de 100 ans.

«Cette recherche démontre que notre dépotoir est présent dans tous les habitats marins, des plages les moins fréquentées aux recoins les plus profonds des océans», a déclaré un des chercheurs. «Une grande part du fond marin n’avait pas encore été exploré par les humains et c’est pourquoi nous avons visité bon nombre de ces sites en premier; mais nous avons été choqués de découvrir que nos ordures nous avaient devancés.»

Smithsonian note qu’à chaque année, près de 14 milliards de livres d'ordures entrent dans les océans; certains animaux les mangent ou s’y empêtrent et en meurent souvent.


«En France, chaque année, 15 milliards de sacs de sortie de caisse sont distribués dans les magasins, soit environ 500 sacs par seconde et 83 000 tonnes de déchets à éliminer. 150 millions de ces sacs (soit un sac sur cent) finissent sur le littoral français et sont à l'origine de la mort de certains animaux qui s'étouffent en essayant de les manger, en particulier les tortues et les mammifères marins qui les confondent avec des méduses ou des céphalopodes (des calmars par exemple). À titre d'exemple, en 2002, l'autopsie par le GECC3 d'un petit rorqual trouvé échoué à Lestre a montré que son estomac contenait une vingtaine de sacs plastiques, soit une surface de 3,95 m2 une fois étalés au sol.»
(L'Homme et les mammifères marins : pour une cohabitation durable dans la mer de la Manche [archive] – Groupe d'étude des cétacés du Cotentin, GECC)

Note, 19 mai : je ne voudrais pas avoir l'air de blâmer les Français (j'ai trouvé cette statistique au hasard) car, en Amérique du Nord, je crois que nous battons tous les records en la matière :-(


Le sac en plastique : une invention dont nous aurions pu assurément nous passer – en tout cas il aurait fallu dès le départ limiter son usage au strict nécessaire. Toute bonne idée n’est pas nécessairement bonne à réaliser et à répandre. Mais personne ne se donne la peine d’imaginer des conséquences, du moment que ça rapporte de l’argent, aucun problème…

Le sac d’épicerie

L’inventeur du sac «sortie de caisse» est un petit épicier de Saint-Paul dans le Minnesota aux États-Unis : Walter H. Deubner. En 1912, Deubner remarqua que ses clients n’achetaient dans sa boutique que ce qu’il pouvaient facilement emporter. Il conçut donc un grand sac en papier qui, dit-on, pouvait contenir 30 kilos de marchandises. Deubner vendait ces sacs 5 cents la pièce, soit environ 70 centimes d’euro aujourd’hui.
       Une avance rapide de 40 années nous amène au début de la période étudiée par Heinz, c’est-à-dire à l’apparition du premier sac-cabas en plastique. Celui-ci était fabriqué par soudage et ne comportait pas de poignées. Il faudra attendre le début des années 1960 pour voir apparaître le sac plastique que nous connaissons aujourd’hui. Aux États-Unis, à la fin des années 1970, quatre sacs-cabas sur cinq sont en plastique. (L’affaire est dans le sac, federplast)

Le sac à ordures

Inventeurs : Harry Wasylyk, Larry Hanson, Frank Plomp

Autrefois, les jours de collecte des ordures, il fallait vider des millions de poubelles de métal et les remettre en place, ce qui produisait un horrible vacarme.
       Après la Seconde Guerre mondiale, l'inventeur Harry Wasylyk, de Winnipeg, a entrepris des expériences sur un nouveau matériau appelé polyéthylène. Il a fabriqué ses premiers sacs de plastique dans sa cuisine et les a remis à l'Hôpital général de Winnipeg afin qu'ils soient placés dans les poubelles. Harry a bientôt délaissé sa cuisine pour fabriquer les sacs en usine. Vers la même période, Larry Hanson, un employé de l'usine Union Carbide située à Lindsay, en Ontario, a commencé à fabriquer des sacs à ordures pour les utiliser à l'usine. L'Union Carbide savait reconnaître les bonnes idées : la compagnie a acheté l'entreprise de Wasylyk et a commencé à produire des sacs à ordures en se servant des surplus de polyéthylène qui s'entassaient à son usine de Montréal. Un autre Canadien, Frank Plomp, de Toronto, travaillait aussi sur le même concept dans les années 1950. Il vendait ses sacs à ordures à des hôpitaux et à des entreprises. Curieusement, trois inventeurs ont eu la même idée à peu près au même moment, et tous étaient canadiens!
       Les scientifiques et les consommateurs se préoccupent maintenant du fait que tous les sacs de plastique s'accumulent dans les sites d'enfouissement. Certains plastiques peuvent mettre plus de mille ans à se décomposer! Une autre invention canadienne offre une solution partielle à ce problème. En 1971, le chimiste James Guillet, de l'Université de Toronto, a mis au point un plastique qui se décompose lorsqu'il est directement exposé au soleil. Le plastique dégradable de James Guillet a obtenu le millionième brevet émis au Canada. Il reste maintenant à inventer un plastique qui se décompose une fois enfoui!

Références :
- Bowers, Vivien. Only in Canada!: from the Colossal to the Kooky, Toronto, Owl Books, 2002.
- Spencer, Bev. Made in Canada: 101 Amazing Achievements, Toronto, Scholastic Canada, 2003.

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Citation du jour :

Plus nous consommons, moins nous ressentons de sollicitude… peut-être que notre inutile hyperconsommation étouffe notre sensibilité. Cela pourrait également résulter du bombardement constant par la publicité et le marketing. On cherche à substituer l’attachement aux personnes par l’attachement aux objets. Plus nous sommes riches, plus nous consommons, et plus nous avons tendance à devenir égocentriques et insouciants vis-à-vis des autres, semble-t-il. … Même si l’on met de côté les impacts physiques directs de la hausse de la consommation, il est difficile de comprendre comment quiconque pourrait imaginer que la croissance économique est une formule destinée à protéger la planète. Une étincelle de préoccupation s’allume pourtant lors d'une catastrophe, mais les gens retombent immanquablement dans l’apathie. C’est une conséquence quasi inévitable dans une société structurée autour du shopping, de la mode, des célébrités et de l'obsession de l'argent.

~ George Monbiot (The Guardian, le 9 mai 2014)

15 mai 2014

Démesure en transport ferroviaire

Mégantic

Avant 

Après 

Toujours plus, toujours plus vite 

Bien sûr, personne ne peut contester l’utilité du transport ferroviaire pour les voyageurs et les marchandises non dangereuses. Par contre, on entend multiplier les convois de carburant fossile dont le contenu est majoritairement destiné à d’autres pays (même chose pour les pipelines).
       Or les déversements sont de plus en plus fréquents et se produisent souvent à proximité de l’eau, avec les conséquences environnementales qu’on ne connaît que trop bien. Les convois de matières dangereuses devraient au moins rouler sur des voies de contournement distinctes, non pas au beau milieu des agglomérations urbaines, et comme le souligne Rémy de Gourmont : «puisque l’on veut aller de plus en plus vite, il faut prendre la ligne droite». 

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Un point de vue très lucide sur les chemins de fer.   
(J’ai marqué en gras quelques extraits d’actualité)

Chemins de fer (1907)
Par Rémy de Gourmont

Un ingénieur, à propos des récents accidents de chemin de fer, a émis cette appréciation qui n'est peut-être paradoxale qu'en apparence : «C'est la faute des voyageurs.» Un journal, du moins, a relevé ce propos dans les papiers de l'agence Fournier. Ce logicien énigmatique, qui n'est autre que M. Fontaneilles, ingénieur en chef des ponts et chaussées, se serait exprimé en ces termes : «Nous trouvons la principale cause des accidents de chemin de fer, dans les besoins, que dis-je, dans les exigences des voyageurs. On veut aller vite et on veut être confortablement installé. Il en résulte que les wagons sont plus lourds, les machines plus puissantes, et que les trains, dont le poids a presque doublé, sont lancés à une extrême vitesse. Comment voulez-vous qu'à l'heure actuelle les mécaniciens soient instantanément maîtres des convois?»

Concédons-lui ce premier point. La puissance des freins en usage n'est plus en rapport avec le poids et la vitesse des trains rapides. Mais n'appartient-il pas aux ingénieurs précisément, de perfectionner les moyens d'arrêt comme ils ont perfectionné les moyens de course. M. Fontaneilles continue en faisant remarquer que tous les voyageurs veulent partir le matin, à neuf heures. «Consultez, dit-il, les indicateurs : vous verrez le nombre considérable de trains mis en route à cette heure, et vous serez étonnés de la pénurie des départs dans le cours de la journée.» Cela encore est assez exact, mais le public ne demande à partir à certaines heures qu'afin d'arriver à destination à des heures possibles. Il n'est pas très agréable de débarquer à trois heures du matin, fût-ce dans une grande ville, fût-ce à Paris même. Or, il se trouve que les plus longs parcours, au départ de Paris, étant d'environ quinze heures, le voyageur qui se met en route le matin arrive n'importe où à une heure raisonnable. Il faut en passer par là et organiser la sécurité en conséquence.

La véritable cause des fâcheux tamponnements n'est pas là. Je pense que M. Fontaneilles la connaît, mais comme il n'a pas osé la dire, je vais suppléer à son silence : elle est dans l'insuffisance des voies. Les grandes lignes actuelles ont été construites il y a cinquante ou soixante ans pour assurer la circulation facile d'un nombre de trains quatre fois moindre que le nombre actuel et, pour la plupart, d'une allure extrêmement modérée. Il y a quelque vingt ans, il ne circulait pas un seul express entre Paris et Granville : aujourd'hui, il y en a, pendant l'été, neuf ou dix. Et, comme sur près de la moitié du parcours, la ligne est à voie unique, cette intense circulation n'est obtenue que par un miracle d'équilibre. Joignez à cela les trains dédoublés, les trains de plaisir, les trains de marchandises, et vous arriverez très vite à concevoir la plus grande admiration pour les ingénieurs de précision, qui font marcher sans encombre une machine aussi délicate. Seulement, qu'un grain de sable se loge dans les rouages, et tout se détraque et la capilotade est possible. On se plaint des retards sur de pareilles lignes, mais comment n'y en aurait-il pas, puisque les rails reçoivent en un temps donné deux fois plus de trains que n'exigerait une exploitation normale. En dix ou quinze ans, le nombre des convois de tout genre a doublé sur la ligne de Cherbourg, et l'on a vu que, la semaine passée, on dut encore trouver le moyen d'intercaler entre les trains normaux quatre trains transatlantiques à marche rapide! Ces trains, où les Américains s'entassent, sèment, tout le long de leurs parcours, un danger permanent. Ils sont la terreur des chefs de gare. Je me trouvais dans ce même express qui heurta un des transatlantiques sous le tunnel de Bréval. Son service fait à la gare de Bayeux, au lieu de continuer sa route, nous le sentîmes reculer. Il allait se ranger sur une voie de garage. Il s'y logea lentement, méthodiquement, et les voyageurs croyaient qu'il allait ou s'accrocher quelque wagon supplémentaire ou embarquer de l'eau, du charbon, mais la manœuvre était à peine achevée que nous comprîmes : une trombe passait en sifflant ; c'était le train transatlantique. Ces facéties tragiques se renouvellent huit ou dix fois par mois à différentes gares du parcours et, comme il n'est jamais rien arrivé de très grave, je pense qu'il faut admirer, en tremblant un peu, la sûreté de ce mécanicien qui s'appelle le chemin de fer.

Cependant, avec un tel système, nous sommes toujours sous la menace d'une catastrophe. Elle fut ébauchée à Bréval; elle s'accomplira quelque jour, très probablement. Il n'y a qu'un remède, et on ne l'appliquera pas d'ici bien longtemps, parce qu'il coûterait plusieurs centaines de millions, c'est le doublement et, sur certains parcours, le triplement, de la plupart des grandes voies existantes. Les express et les rapides devraient presque partout circuler sur des rails distincts, et ces rails ne devraient jamais traverser les gares où ces sortes de trains ne s'arrêtent pas. On songe à cela en Angleterre. C'est seulement alors que l'on pourra concilier l'extrême rapidité avec l'extrême sécurité. Cela sera-t-il jamais possible? C'est là que l'on déplore l'imprévoyance des constructeurs. Si seulement, sans l'utiliser tout d'abord, ils avaient acquis une double bande de terrain? Cela ne leur aurait pas coûté beaucoup plus cher, le dommage aux riverains ayant été mesuré sur le fait même plutôt que sur l'étendue de la propriété écornée. Il y aurait peut-être un moyen, cependant, d'arriver à ce doublement sans trop de frais. On pourrait essayer d'intéresser les riverains, communes et particuliers, à l'établissement des nouvelles voies, en y ménageant des trains-tramways à fréquents arrêts. Les villages n'auraient plus la rancœur de voir passer sous leur nez les rails inaccessibles, de folles locomotives qui semblent leur faire la nique. Mais je n'insiste pas autrement sur cette idée. Elle m'a séduit, mais je crains que cela ne soit qu'une chimère.

Faute de ce doublement des voies, il n'est pas moins évident que le développement du chemin de fer en France est entravé. Il semble avoir atteint, sur certains parcours, sa limite. Les grandes vitesses, que la traction électrique fait prévoir, lui sont interdites, et il continuera d'être pour nos ingénieurs un tragique casse-tête, pour les voyageurs un motif d'énervement sinon une menace. Renoncer aux wagons confortables, renoncer à la vitesse, renoncer aux heures commodes de départ, M. Fontaneilles n'y pense pas sérieusement! Alors, c'est d'un autre côté qu'il faut se tourner. À un point de vue strictement raisonnable, il me paraît certain que les lignes actuelles ne répondent que pour moitié à ce que nous sommes en droit, vu les progrès de la mécanique, d'attendre d'un chemin de fer. Laissons-le tel qu'il est, notre réseau actuel et commençons, dès aujourd'hui, à imaginer le plan d'un réseau nouveau, uniquement destiné aux trains qui ne doivent s'arrêter que dans les stations principales. Cela permettrait d'abord de raccourcir bien des distances, car nos grandes lignes ont été construites en un temps où l'on redoutait également les pentes, les courbes et les tunnels. Considérez les trajets d'Orange à Marseille, de Bordeaux à Bayonne et cent autres, et surtout celui de Paris au Havre. Ils sont absurdes, à une époque où l'on murit de percer le Gothard, où l'on songe à s'enfoncer sous le Mont-Blanc. Puisque l'on veut aller de plus en plus vite, il faut prendre la ligne droite. C'est un moyen de défendre la question des chemins de fer, qui vaut bien celui qu'a insinué M. Fontaneilles, et qui est le dressage du public. Qui sait d'ailleurs si l'État ne se sentira pas le droit, un jour prochain, de dire aux compagnies : «Vous faites circuler sur vos voies plus d'express et de rapides qu'elles n'en peuvent contenir. Le trafic l'exige? Tant mieux pour vous. Mais doublez vos rails et il augmentera encore. Un peu d'audace. M. Thiers croyait que le chemin de fer ne serait jamais qu'une sorte de toboggan où s'amuseraient les badauds. Vous voyez la distance parcourue et vous n'êtes peut-être qu'à moitié chemin.»

[Texte communiqué par Mikaël Lugan]

Source :
http://www.remydegourmont.org/de_rg/autres_ecrits/revues/depechedetoulouse/notice.htm

13 mai 2014

Buffet «bonheur à volonté»

Un article rapportait que le mot «bonheur» avait récemment atteint 75 millions de clics sur Google, et qu’il y avait quelque 40 000 ouvrages sur ce thème chez Amazon.

Taper bonheur dans les moteurs de recherche peut-il nous aider à devenir plus heureux? Éternelle quête de l’insaisissable bonheur? Le cherchons-nous au bon endroit? Le vieil aphorisme «le bonheur vient de l’intérieur» serait-il vrai?

Photo : Ryan Yoon Studio  

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L’injonction du bonheur – Dans l’ère de la séduction obligatoire, ce qui fait exister, c’est aussi le regard de l’autre. (…) Que ce soit pour chercher un emploi ou pour chercher l’âme sœur, il faut veiller à son image. Il faut être beau, en forme, souriant, détendu, heureux… Ou, à défaut d’être heureux, il faut en donner l’apparence, sous peine de passer pour un médiocre et un laissé-pour-compte. Le bonheur est devenu une injonction de notre époque, comme si ne pas être heureux était l’indice d’une maladie suspecte, et que le malheur, quelle qu’en soit l’origine, correspondait à un échec personnel.
       Réussir sa vie professionnelle avec le risque de perdre son emploi, réussir son couple avec les ruptures qui vont immanquablement advenir, élever correctement des enfants qui n’en font qu’à leur tête, tout cela est source de doute, d’inquiétude, qu’il ne faut surtout pas montrer. Mais comment trouver un emploi quand on n’a pas l’air suffisamment battant, comment rencontrer un partenaire si on a l’air déprimé? Il faut feindre, se montrer accueillant quand on est fatigué, sourire quand on a envie de râler. On développe ainsi un «faux self» adaptatif, qui amène les personnes à perdre contact avec leurs véritables sentiments intérieurs et à vivre une existence dépourvue d’authenticité. (…)
       Les injonctions de notre époque – soyez beaux, riches et performants – ont rendu insupportable l’échec et la privation. (…)
       Pour faire face à ces contraintes et rester dans la compétition, beaucoup recourent aux produits psychoactifs. Certains prennent des cocktails vitaminés au réveil ou, si la journée s’annonce difficile, des excitants de plus longue durée; puis, en rentrant le soir, quelque chose pour se détendre, et enfin un somnifère pour dormir. On peut de cette façon s’installer dans la dépendance : l’addiction est un moyen de lutter contre la dépression, mais elle permet aussi d’éviter les conflits et de les remplacer par des comportements compulsifs. On voit aussi fleurir les pathologies addictives, qui amènent à rechercher des sensations fortes à traves l’alcool, le jeu, les drogues, le sexe ou certains modes pervers de relations amoureuses. (…) Et à la moindre défaillance, on a recours aux anxiolytiques ou aux antidépresseurs.
(Pp. 153/156)

Banalisation de la perversion et fragilité narcissique – …Dans un monde d’apparence, ce qui importe, ce n’est pas ce que l’on est, mais ce qu’on donne à voir, ce ne sont pas les conséquences lointaines de nos actes, mais les résultats immédiats et apparents. C’est la raison majeure qui explique la banalisation de la perversion : dans tous les domaines s’affirme la tendance à traiter l’autre comme un objet dont on se sert tant qu’il est utile, et que l’on jette dès qu’il ne convient plus.
       De fait, nous assistons actuellement à une nette augmentation des pathologies narcissiques, car ce type de personnalité est hyperadapté au monde moderne. Ces changements de l’individu moyen sont le reflet des mutations induites par la vie des entreprises et la guerre économique : conditionné par le mythe de l’Homo oeconomicus engagé dans la «lutte pour la vie» contre les autres, il tend à être compulsif, toujours dans l’agir; il manque d’intériorité et reste dans des relations ludiques, superficielles. Ces individus cultivent cette superficialité qui les protège dans les relations affectives et évitent tout engagement intime, ce qui les maintient dans une insécurité affective dont ils se plaignent. Ils cherchent un sens à leur vie et tentent à tout prix, même aux dépens de l’autre, à combler leur vide intérieur. (…)
       Nos patients ne viennent donc plus avec des symptômes directement repérables, mais plutôt pour se plaindre de la dureté du monde extérieur. Au lieu d’exprimer une vraie interrogation sur l’origine de leur souffrance, ils nous demandent plutôt de «réparer leur machine», afin qu’elle fonctionne mieux. Sur le plan psychique, ils sont devenus insensibles, parlent d’un sentiment persistant de vide qu’ils ne cherchent pas à analyser : ils attendent simplement que nous trouvions des solutions à ce malaise – comme on demande à son médecin de prescrire les médicaments stabilisateurs du diabète ou de l’hypertension.
       C’est la fin de l’épaisseur, de la profondeur des sentiments. Tout est superficiel, à fleur de peau. La moindre remarque entraîne des réactions épidermiques. L’importance donnée à sa propre image entraîne une fragilité narcissique qui amène certains à s’écrouler à la moindre critique d’un supérieur hiérarchique ou d’un ami. De plus en plus de personnes se sentent mal comprises, rejetées, et toute critique est vécue comme une agression. Ce sentiment de persécution reflète bien la porosité des enveloppes corporelles et psychiques de ces personnes : il témoigne qu’elles n’ont pas pu établir dans leur enfance des barrières de protection leur garantissant un moi autonome : il leur faut donc se protéger de toute intrusion du dehors et se différencier des autres.
       C’est sa fragilité narcissique qui empêche un individu pervers de voir l’autre comme un sujet et de compatir à sa souffrance. Et c’est aussi ce qui le pousse à s’affirmer en harcelant les autres ou en leur pourrissant la vie. Même si tous les individus narcissiques ne sont pas pervers, on constate bien une banalisation des comportements pervers : on attache de moins de moins d’importance à l’autre et on se déresponsabilise. En cas de problème, on ne se remet pas en question, on en attribue la responsabilité à un tiers.
(…)
       … Selon certains spécialistes, ce mode de fonctionnement serait la conséquence d’expériences traumatiques, fruit non pas d’événements graves, mais plutôt de traumas dans l’infraordinaire, le banal, le quotidien.
       Y contribuent sans doute les frustrations éprouvées par celles et ceux qui avaient cru aux promesses des politiques, des médias ou de la publicité, donnant à croire qu’ils pourraient satisfaire l’ensemble de leurs désirs. Ces frustré(e)s qui n’ont pas compris que, pour grandir et devenir autonome, il fallait renoncer à la satisfaction de tous leurs désirs, se poseront ensuite en victimes, et certain(e)s réclameront même en justice des compensations financières pour réparation du dommage de n’avoir pas été comblé.
(…)
       Partout on parle d’estime de soi. (…) … Un vrai travail thérapeutique devrait nous amener à nous accepter simplement comme des humains imparfaits et fragiles, à admettre que nous ne sommes pas des surhommes. …Il faut du courage pour oser accepter ses vulnérabilités, ses fragilités – et ne pas avoir peur de la dépression éventuelle, pour mieux rebondir ensuite. Il faut accepter que nous ne sommes que des individus «moyens» et que l’important est d’abord de travailler à devenir quelqu’un de «bien». (…)
       Dans notre époque de certitudes, les médias font souvent croire que la vie pourrait être facile et sans souffrance. Mais il est impossible d’avoir une vie sans anicroches ni difficultés. À rechercher en permanence le bonheur perpétuel, sans aucune souffrance, on risque de se priver également de toute joie réelle. (…)
       Le fait de douter et de se remettre en question, qui devrait être le signe d’une bonne santé psychique, est de moins en moins considéré comme une valeur positive. Est-ce à dire que toute interrogation propice à la réflexion et à la création, éventuellement douloureuse, devrait être proscrite? On voit que le discours dominant laisse aussi peu de place à la solitude choisie.
       Dans la même ligne d’efficacité à moindre effort, les manuels de «développement personnel» multiplient les conseils pour gérer ses émotions, pour améliorer sa relation à autrui et «développer ses potentiels». Les sectes profitent d’ailleurs de ce besoin de guide pour proposer toute une floraison de stages de «reconstruction personnelle» ou de formation en pseudo-psychothérapie. L’absence de repères rend en effet certains individus extrêmement manipulables : leur identité est flottante et ces personnes fragiles sont en demande d’assistance. Elles ont besoin d’être rassurées par une vérité absolue, ce qui peut les amener à devenir la proie d’un groupe sectaire.
       Mais ce narcissisme de l’inquiétude, loin d’être joyeux ou libérateur, est souvent synonyme d’un repli sur soi face à la peur du monde : peur de l’autre, peur du chômage, peur des agressions, peur de la maladie, peur de la vieillesse, mais surtout peur de ne pas être «conforme». Lorsque l’estime de soi dépend d’abord de l’admiration que l’on inspire à autrui, l’échec ou le vieillissement entraînent tristesse et solitude. La tentation est grande de se replier sur soi-même ou de chercher des compensations amoureuses. Dans cette dernière voie, les sites de rencontres sur Internet, dont j’ai déjà évoqué le caractère illusoire (1), sont devenus un recours presque obligé, dont le succès mérite le détour.
(Pp. 156/163)

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(1) Les chimères du virtuel – La communication virtuelle nous éloigne encore plus de la possibilité d’une rencontre qui impliquerait d’oser aller vers l’autre. Chercher un autre sur Internet, c’est le narcissisme absolu, on reste face à soi. Désormais, si un individu est trop insatisfait de sa vie, il peut s’inventer une vie idéale totalement virtuelle, où il ne serait pas harcelé par son patron, où il serait toujours beau et en bonne santé, bref, où il serait enfin ce qu’on lui demande idéalement d’être. (Pp. 137/138)

Marie-France Hirigoyen*  
Les nouvelles solitudes. Le paradoxe de la communication moderne
Poche Marabout, 2008

* Marie-France Hirigoyen est psychiatre, psychanalyste et victimologue. Elle s’est spécialisée dans l’étude de toutes les formes de violence : familiale, perverse et sexuelle. Elle est notamment l’auteur du best-seller Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien (1998), de Malaise dans le travail. Harcèlement moral, démêler le vrai du faux (2001), et de Femmes sous emprise. Les ressorts de la violence dans le couple (2005).