31 décembre 2010

Intuition 1

Suite au billet «Intuition et créativité» :

Parfois nous sortons d’une épreuve dévastatrice. Parfois nous nous retrouvons à une croisée de chemin ou devant un cul-de-sac, et aucune des options qui s’offrent pour aller de l’avant  ne nous satisfait.

Le degré de tolérance ou de résilience vis-à-vis les désagréments ou les catastrophes varie passablement d’une personne à l’autre. Certains ont plus de facilité à encaisser les coups durs tandis que d’autres ne sont même pas capables de faire face aux irritants quotidiens. J’ai déjà vu quelqu’un devenir hystérique et quasi tomber en dépression parce que son chien avait fait ses besoins sur le tapis blanc du salon… Tout est relatif. Nos réactions dépendent de la valeur que nous attribuons à ce qui nous entoure.

Quoiqu’il en soit, lorsque plusieurs choix nous taraudent, il vaut mieux prendre le temps de réfléchir plutôt que se précipiter sur la première idée venue. Les suggestions que nous recevons de l’intuition, ou du soi authentique, peuvent parfois être irréalisables étant donné que le soi se situe hors du temps et de l’espace. C’est sans doute la raison pour laquelle nous sommes dotés d’un mental rationnel, que par ailleurs nous n’avons pas à dénigrer, puisque ce dernier peut nous aider à cliver et choisir des options en harmonie avec nos possibilités réelles.

Si vous êtes actuellement devant une situation à choix multiples, ces quelques extraits (en vrac) de l’ouvrage «L’intuition, la découvrir en soi, la comprendre, la mettre à profit» de Philip Goldberg pourraient vous être utiles (Les Éditions de l’Homme, 1986; 350 pages). Un ouvrage tripatif dirait probablement Jacques Languirand!

Photo : visoterra
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«L’âme de tout homme détient le pouvoir de connaître la vérité, et aussi l’instrument de sa contemplation. Tout comme il convient de faire volte-face pour que les yeux voient la lumière et non plus l’ombre, l’âme doit elle aussi se détourner du monde mouvant des formes pour que son œil soit en état de contempler le réel.» ~ Platon


Jusqu’à une époque récente, on a considéré l’intuition comme une servante en âge de prendre sa retraite, mais qui cependant n’interrompt pas ses activités tant elle a su se rendre indispensable. Une servante à propos de laquelle les opinions varient grandement : certains entendent l’ignorer purement et simplement; d’autres tiennent sa collaboration pour négligeable; d’autres encore, qui la portent aux nues en leur for intérieur, entourent de secret son existence. D’autres enfin, qui jadis n’étaient qu’une poignée, mais dont le nombre ne cesse de croître, se font aujourd’hui ouvertement les avocats de l’intuition, estimant qu’un capital de cette importance ne peut croître et embellir pour peu qu’on l’authentifie et l’encourage à fructifier.

… Depuis que cette question a émergé de l’ombre ces dernières années, l’intuition n’a cessé de s’imposer en tant que faculté mentale naturelle, faisant de plus en plus figure de facteur déterminant dans le domaine de la découverte, de la résolution des problèmes et de l’activité décisionnelle. De plus en plus on la considère désormais comme un générateur d’idées créatives, un instrument servant à prédire l’avenir, un révélateur de vérité. Composante majeure de ce qu’il est convenu d’appeler le génie, l’intuition joue aussi le rôle d’un guide subtil dans la vie de tous les jours. Nous connaissons tous des gens qui semblent se trouver immanquablement là où il faut; l’heure où il faut, et à qui la chance semble sourire avec une désarmante constance. Ce ne sont pas simplement d’éternels veinards. Disons plutôt qu’ils ont un sens intuitif des choix à faire et des modes d’action à adopter.

L’héritage du scientisme

C’est à dessein que j’use ici du mot scientisme et non pas du mot science, de sens fort différent; le premier désignant une attitude philosophique et idéologique, alors que le second se réfère à une application vérifiée par la pratique. Pour le scientiste, en effet, les seules lois qui régissent la connaissance procèdent d’un rigoureux interéchange de raison et d’expérience systématiquement acquise.

Pareille attitude philosophique résulte en fait d’une hybridation de rationalisme et d’empirisme. Au regard de l’empirisme, le seul fondement valable de la connaissance est représenté par l’expérience sensorielle. Alors que pour le rationalisme, c’est la raison seule qui conduit à la vérité. Dans le domaine scientifique, information empirique et raison sont censées œuvrer de conserve, chacune venant contrôler et compenser les défaillances de l’autre.

… Tour à tour, des philosophes – Platon dans l’antiquité puis, plus près de nous, Spinoza, Nietzsche, et aussi Henri Bergson au tournant du siècle – on fait observer que par par-delà la raisonnement logique et le témoignage des sens existaient sans doute des formes supérieures de la connaissance que seule peut expliquer l’intuition, rejoignant par là les mystiques, les romantiques, les poètes et les visionnaires, dont toute culture nous fournit maint exemples. L’histoire est là pour nous confirmer que partout ont existé des écoles «intuitives», tant en mathématique qu’en éthique et nombre de psychologues – Gordon Allport, Abraham Maslow, Carl Jung, Jerome Bruner – ont insisté sur le rôle joué par l’intuition dans les processus mentaux.

… Qu’il soit bien entendu que la cause de l’intuition, telle que plaidée dans ces pages, ne doit en rien être interprétée comme un réquisitoire contre la science ou la pensée rationnelle, lesquelles, en dépossédant de leur autorité des institutions religieuses sclérosées, nous ont libérés de la tyrannie des dogmes et des croyances arbitraires. En mettant l’accent sur l’évidence de la démonstration et la rigueur de la vérification expérimentale – le cœur et l’âme du scientisme – l’empiricorationnalisme nous aura collectivement permis, le temps passant, de départager le vrai du faux.

… De sorte qu’au fil du temps, nos institutions éducatives et sociales ont fait du scientisme la condition sine qua non du savoir, le modèle de tout processus de pensée. … La raison et le rationnel ont atteint à nos yeux un tel prestige que nous n’hésitons pas à user de l’adjectif raisonnable quand tel ou tel événement semble approprié, adéquat ou justifié.

Déblayons le terrain

Nous n’avons jusqu’ici examiné l’aspect idéologique du scientisme que pour mieux faire comprendre pourquoi nous entourons l’intuition de tant de discrétion et pourquoi nous en faisons si peu pour la cultiver. La compréhension de cette attitude d’esprit est de première importance, étant donné que de là provient le peu de crédit que nous accordons à nos propres facultés intuitives. Car les préventions que nous nourrissons contre elle, c’est autant à nous-mêmes qu’aux autres que nous les devons, étant donné que nous intériorisons les convictions dominantes au point de nous contraindre à raisonner empiriquement et logiquement dans bien des cas où rien ne le commande. Cette autodiscipline ne fait qu’escamoter notre potentiel intuitif et nous vicier l’esprit, exactement comme nous nous exposerions à des aberrations fonctionnelles si, au lieu de nous mouvoir en appuyant au sol le plat du pied, nous avions appris à marcher sur les talons.

… On oublie fréquemment que la science a été conçue pour assurer notre domination sur le monde matériel, et que vouloir la transposer sur le plan matériel sans lui adjoindre une dimension supplémentaire – en l’occurrence une intuition aiguë – revient à peu près à parachuter à la tête d’une entreprise un vendeur d’élite ou un ingénieur, alors qu’ils n’ont pour remplir cette fonction aucune compétence particulière.

… Posez à ceux qui vous entourent certaines questions métaphysiques essentielles, à propos de l’identité de l’homme et de la nature du réel, et vous constaterez que les réponses formulées relèvent du pur matérialisme. Car nous en sommes venus à considérer l’ego comme un répertoire de trais de personnalité analysables, et le cosmos comme une collection d’objets totalement autonomes par rapport à l’ego. Cette vision lacunaire aura eu diverses conséquences, de l’inexploitation quasi-totale du potentiel humain à la mise au pillage de la nature. … Nous devons prendre en considération certains facteurs immensurables et pourtant essentiels, tels que les valeurs morales et la volition. … Nous cherchons à isoler des causes uniques, aisément identifiables, là où il conviendrait d’examiner une causalité d’ensemble englobant tous les niveaux, voire l’absence de toute causalité. Nous conjurons l’incertitude en daisant fi de l’imprévisible, en triturant des variables aux significations multiples et aux nuances subtiles, et en les compartimentant artificiellement au nom de la clarté.

… En tant qu’individus, nous ne devons donc guère nous attendre à affronter les décisions de la vie réelle – surtout quand ces décisions sont liées à des domaines où émotions et ambiguïtés sont mises en jeu – comme on traite un problème pendant le cours d’algèbre. Car trop d’inconnues entrent généralement dans l’équation.

… Que nous soyons plus souvent dans le vrai que dans le faux, voilà bien le miracle de l’intellect humain. Ce miracle tient pour une bonne part à ce qu’on appelle l’intuition. À partir du moment que nous cessons de lui faire confiance, où nous la laissons s’atrophier en nous obstinant à ne plus nous fier qu’à des schèmes de pensée relevant exclusivement du rationnel et de l’empirique, nous tentons de capter la stéréophonie de l’univers avec un appareil mono. Il est donc grand temps de reconnaître l’importance que prend l’intuition dans notre vie, d’en comprendre la nature et de nous donner les moyens de la faire fructifier. Sur le plan individuel, l’option intuitive est synonyme de meilleures décisions, d’idées plus créatives, de clairvoyance accrue, en même temps qu’elle raccourcit et facilite le pas qui sépare le désir de son accomplissement.

Mais cette option nous promet bien davantage que des bénéfices personnels; elle permet aussi à la société, au sens large, de répondre aux exigences d’un monde turbulent et imprévisible. Une défaillance de l’intuition chez les penseurs, chez ceux qui ont pour responsabilité de prendre les décisions, et aussi chez les simples citoyens, risquerait de nous être fatale.

Il a toujours existé des gens pour tenir en discrédit la science et la pensée analytique rigoureuse, qu’ils tiennent pour froides et impersonnelles. Parfois leur mode de perception du non-rationnel devient franchement irrationnel, et au pire sens du terme, au point de les faire renoncer à tout sens critique, de les amener à se fier exclusivement à leurs émotions et à confondre impulsivité et spontanéité intuitive. On croit parfois que l’intuition ne peut se développer qu’aux dépens du rationnel et que privilégier l’une, c’est nécessairement réduire l’autre. Certains cercles préconisent de «croire à ce qu’on sent». Pris au pied de la lettre, pareil principe risque fort d’exercer sur la pensée les mêmes effets que le précepte «faites-le si cela vous plaît» a entraînés sur les modes de conduite.

Une autre erreur serait de croire, comme le font certains, que tout ce qui dérive de l’intuition est nécessairement juste. Car s’il existe des gens qui n’acceptent rien de ce qui ne se démontre pas de façon rigoureuse, il en est d’autres qui font à leurs voix intérieures une confiance si entière qu’il en viennent à prendre pour de l’intuition ce qui en fait ne traduit que la peur ou l’espoir. La croyance à la spiritualité peut également aboutir au même résultat et amener l’individu à se comporter comme si ses états d’âme, ses rêves et ses perceptions physiques lui étaient nécessairement soufflés par l’Esprit suprême. Tout événement irrationnel est alors élevé à la dignité d’inspiration divine, et on aboutit aux mêmes outrances que dans les cas inverses d’hyperrationalisme, quand par exemple les visions mystiques authentiques sont assimilées à des phénomènes hallucinatoires ou névrotiques.

La créativité

Il existe une quasi-similitude entre création intuitive et découverte intuitive. Dans les deux cas, la dynamique est à peu près identique, au point même d’empêcher toute distinction entre ces deux modes d’intuition. Et si je les sépare ici l’une de l’autre, c’est qu’à mon sens quelque chose de particulier caractérise la fonction créative de l’intuition, à savoir qu’elle ne nous livre pas de vérités ou de faits contrôlables, pas d’informations aisément vérifiables, mais bien plutôt des possibilités ou des virtualités. Elle génère des idées qui ne sont pas nécessairement vraies ou fausses au sens propre du terme, mais plus ou moins appropriées à une situation déterminée. Il arrive qu’elle nous révèle de multiples voies, parmi lesquelles il en est de plus adéquates que les autres.

L’intuition créatrice peut être comparée à l’imagination, de laquelle elle ne se distingue que par la justesse du résultat. Un imaginatif n’est pas nécessairement un intuitif, mais plutôt un personnage apte à se livrer à des projections fantastiques, purement gratuites et dénuées d’applications pratiques ou de valeur esthétique. Alors que le créateur par intuition, lui, est également imaginatif, mais de façon directionnelle et circonstanciée. S’il cherche par exemple à résoudre un problème particulier, il imaginera à cette fin de multiples solutions hétérodoxes, qui pour la plupart aboutiront au résultat recherché. S’il s’agit d’un artiste, ce qu’il conçoit intuitivement «marchera» sur la toile, sur le papier ou sur la scène, et sera marqué de ce poinçon d’authenticité sans lequel l’art ne saurait se perpétuer.

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N’ayez crainte, je ne vous laisserai pas sur votre soif avec cet apéro «tolérance 0,05» – suite au prochain billet.

Intuition 2

L’évaluation

On affirme souvent que l’intuition est incapable d’évaluer ou de décider, et que c’est le rôle de l’analyse rationnelle, celui de l’intuition se bornant à fournir les éléments de jugement adéquats. Mais cette division du travail fait bon marché et de la nature de l’intuition et de celle du raisonnement logique. C’est en effet bien souvent l’inverse qui se produit. J’en veux pour preuve cette réflexion d’un spécialiste de la planification financière, Tom Duffy : «J’ai beau faire appel à l’analyse formelle et aux données techniques pour établir telle ou telle stratégie prévisionnelle, déclare-t-il, la décision finale – celle qui consiste à s’engager ou non dans une opération financière, ou encore à s’en retirer – reste une question de moment opportun, et pour cela je me fie à mon flair.»

… L’évaluation rationnelle et quantitative nous laisse souvent une impression d’incertitude, d’ambiguïté. Elle nous aide bien rarement à prendre une décision qui semble aller de soi. Sa logique, certes, peut faciliter les choses, en ce sens qu’elle nous permet de mieux cerner nos choix et de prendre en considération des faits et des données quantitatives bien établis, mais c’est la plupart du temps vers notre intuition que nous nous tournons en dernier ressort pour nous décider.


L’évaluation intuitive est assimilable à une sorte de fonction binaire qui nous incite à passer ou à rester sur place, un peu à la façon du vert et du rouge d’un feu de signalisation. Comme d’autres types d’intuition, elle peut nous prodiguer clarté ou imprécision, détermination ou hésitation, conviction ou irrésolution. Nous avons tous connu ce sentiment soudain qui nous pousse à faire telle ou telle chose, même si sur le moment nous n’en avons pas tenu compte. Combien de fois ne nous est-il pas arrivé de nous attirer des ennuis et de nous dire après coup : «Pourtant je savais que je n’aurais pas dû le faire. Quelque chose me criait casse-cou. La prochaine fois, j’en tiendrai compte.» Il nous arrive aussi d’éprouver de fortes préventions contre un phénomène quelconque, mais l’imprécision de cette répugnance intuitive nous retient de la faire partager aux autres.

Il arrive que l’évaluation intuitive se fonde directement sur des alternatives qui se présentent de l’extérieur. … Dans bien des cas, nous ne nous posons même pas de questions, tant notre intuition est programmée par nos désirs, nos exigences et nos ambitions. Parfois nous entendons une voix impérieuse nous souffler inlassablement à l’oreille : «Non!»

Cette fonction d’évaluation affecte également les autres manifestations de l’intuition, faisant alors intervenir un second élément : la discrimination. … Pour prendre l’ultime décision – aller de l’avant ou battre en retraite – c’est le baromètre intérieur qu’on doit consulter. …

Écrivains et artistes ont constamment besoin de faire appel à l’évaluation intuitive, étant donné qu’ils ne disposent d’aucun moyen objectif et rationnel de juger de la valeur de leurs œuvres, sinon en les élaborant selon des normes techniques telles que les règles syntaxiques et grammaticales. À cet égard, Saul Bellow parle de commutateur intérieur pour désigner ce processus par lequel l’œuvre est dirigée : «Je crois, écrit-il, qu’un écrivain est sur la bonne voie à partir du moment où s’ouvre la porte de ses intuitions profondes et innées. On peut bien sûr écrire une phrase qui ne vient pas de cette veine et ensuite la développer… mais alors quelque chose sonne faux dans toute la page. Une sorte de gyroscope enfoui en vous-même est là pour vous dire si oui ou non ce que vous faites est bon ou mauvais.»

C’est cette fonction intuitive de discrimination qui nous donne soudain la certitude qu’une proposition, peu importe d’où elle nous vient, est nécessairement la bonne. Mais encore convient-il, et ce n’est pas toujours facile, de ne pas confondre ce genre de perception avec d’autres manifestations affectives ordinaires. Car on peut fort bien éprouver du goût ou du dégoût, de l’attirance ou de la répulsion, sans qu’il s’agisse à proprement parler d’intuition, mais plutôt d’un sentiment né de l’espoir ou de la crainte. À cet égard, la distinction est parfois très subtile, et seul un examen attentif de ce que nous éprouvons nous permet de trancher avec discernement, encore que certains types d’activités favorisent davantage la confusion que d’autres. … Bien souvent les sentiments s’embrouillent avec les désirs et les exigences.

La perspicacité

… La perspicacité intuitive est une manifestation subtile et parfois inquiétante de l’intuition, c’est elle qui nous incite à faire ceci plutôt que cela, tantôt en malmenant s’il le faut notre entourage, tantôt en y mettant les formes. C’est elle qui nous meut sans que nous sachions pourquoi, voire même totalement à notre insu. Davantage comparable à un sens inexplicable de l’orientation qu’à l’objectivité d’une carte, elle peut tout aussi bien se révéler passablement confuse que totalement explicite; tout aussi bien intervenir dans des contextes mineurs et ponctuels, pour nous engager dans des situations plus générales, quand par exemple nous nous sentons «appelés» avec une absolue certitude à nous conformer à une vocation particulière ou à accomplir une importante mission. La force contraignante des appels de ce genre a probablement dans certains cas une justification parfaitement logique, mais il n’empêche que c’est bien rarement la logique qui nous pousse à y répondre. Il semble au contraire que nous nous comportions alors comme des particules de fer irrésistiblement attirées par un aimant.

Cette perspicacité propre à l’intuition n’est pas sans rappeler la fonction d’évaluation intuitive, étant donné qu’ici encore toute se passe comme si nous étions mis en demeure de choisir entre deux voies opposées. Avec cette différence cependant que dans le second cas – cela va sans dire – il y a bien sûr quelque chose à évaluer.

La  perspicacité intuitive est sans doute responsable de ce qui semble bien souvent résulter de la bonne fortune, et ces gens qui apparemment se trouvent là où il faut, quand il faut, ou qui encore semblent avoir une prescience infaillible des catastrophes, sont peut-être tout simplement dotés d’une sorte de radar auquel ils ont le bon sens de se fier. Ces dispositions expliqueraient en partie ce que Carl Jung appelait la «synchronicité», cette étrange correspondance qui se produit chez certains sujets entre événements intérieurs et extérieurs, correspondance que ne semble expliquer aucun lien de relation causale, mais dont l’impact est pourtant significatif et déterminant.

Les découvertes et les idées créatrices sont bien souvent précédées par ce que Graham Wallas appelle une «intimation». Entendons par là ce sentiment vague et fuyant qui fait pressentir que quelque chose est sur le point de se produire. Jung avait lui aussi constaté qu’une sorte d’aura émotionnelle accompagnait les événements survenant de façon synchrone. Il s’agit peut-être là d’une forme particulière de perspicacité intuitive, grâce à laquelle l’attention est attirée dans la bonne direction, l’esprit étant alors tendu vers le jaillissement de quelque pensée imminente ou vers un événement tout près de se manifester dans l’environnement extérieur.

… Si parfois la perspicacité intuitive déroute, c’est qu’elle nous presse de nous engager dans une direction qui nous semble incertaine, ou bien nous pousse à commettre des actes qui nous semblent dénués de toute logique apparente, voire quelque peu extravagants, au point de nous demander quelle mouche a bien pu nous piquer. Et si nous lui opposons une certaine résistance, c’est sans doute parce que ce qu’elle nous presse de faire semble aller à l’encontre même de nos propres intérêts.

Bien souvent nous obéissons à des tiraillements irrationnels dont certains ne mènent nulle part en effet. D’autres nous créent bien des ennuis… ou pour le moins semblent nous en créer. Mais qui peut dire ce qu’il serait advenu si nous nous étions refusés à suivre ces impulsions? D’ordinaire, nous résistons aux sollicitations intuitives qui nous semblent dépourvues de sens. Qui sait si nous ne ferions pas mieux de ne pas les contrecarrer si obstinément?

La prédiction

De pas sa nature, la prédiction opère sur l’inconnu, et nous ne pouvons calculer et mesurer que le connu. L’analyse des tendances enregistrées dans le passé peut par exemple servir de point de départ à une extrapolation probabiliste dans le futur, mais on ne peut jamais tenir pour absolument certain que le futur reproduira d’une façon quelconque les événements du passé, moins encore quand il s’agit de prévoir des situations humaines dans une ère aussi turbulente que la nôtre. La fonction de prédiction peut être tout aussi bien explicite qu’implicite.

Les changements de direction subits, apparemment sans motif tangible et qui nous évitent des incidents tragiques, laissent croire que l’intuition peut jouer le rôle d’un excellent dispositif d’alerte. Pourtant, toutes les prédictions intuitives ne sont pas assimilables à des signaux d’alarme. Il nous arrive aussi de ressentir fortement que telle ou telle personne que nous venons tout juste de rencontrer va exercer une influence bénéfique sur notre existence, ou encore de pressentir qu’il serait plus avisé d’attendre encore une semaine avant d’investir, du fait que les cours risquent de baisser. Plus la prédiction intuitive est adéquate, et plus nos actes s’accordent à nos désirs.

Le destin est un jeu de devinettes. On qualifie d’intuitifs ceux qui devinent juste. Les intuitifs, eux, n’ont pas l’impression d’être des devins.

Faites le point

Essayez de vous rappeler vos révélations intuitives les plus marquantes, puis répondez à chacune des questions suivantes :

- D’une façon générale, ces intuitions vous sont-elles venues alors même que votre esprit se concentrait sur ce qui plus tard a fait l’objet d’une révélation, ou au contraire à un moment où une autre activité accaparait votre attention?

- S’agissait-il d’un moment de repos et de détente?

- Le déclic s’est-il opéré spontanément dans votre esprit, comme si on vous soufflait ce que jusque-là vous ignoriez?

- Ce qui vous était révélé vous a-t-il surpris par son contenu, sa forme, son à-propos?

- Vous êtes vous jamais efforcé d’être intuitif? Et dans l’affirmative, qu’est-il advenu?

- Vos intuitions consistent-elles le plus souvent en un éclair de compréhension soudaine, ou plutôt en un épisode de clairvoyance relativement prolongé, un peu comme dans la rêverie?

- Vous fournissent-elles des détails précis, ou bien en retirez-vous une perception globale?

- Pensez-vous ordinairement en mots ou en images? En va-t-il de même de vos intuitions?

- Vous semble-t-il après coup que des sensations physiques ou des émotions aient été associées à vos intuitions?

L’intuition  
La découvrir en soi, la comprendre, la mettre à profit
Philip Goldberg
Les Éditions de l’Homme, 1986


Suite au prochain billet...

Intuition 3

Qui est intuitif?

À cette question, chacun sera tenté de répondre : «Tout le monde, bien sûr!» Car le fait est que nous sommes tous doués d’intuition. Mais il n’empêche qu’à cet égard certains sont mieux nantis que d’autres, et semblent posséder la faculté de voir juste à tout coup, de prendre pour ainsi dire d’instinct les bonnes décisions et résoudre les problèmes les plus ardus. Donc, si l’intuition est la chose du monde la mieux partagée, convenons par ailleurs que dans le partage il en est de plus avantagés que d’autres et qu’en la matière certains individus méritent la mention «très intuitifs», voire exceptionnellement intuitifs».

«Qui est intuitif?» Intéressante question, susceptible de faire naître des controverses ou de soulever en chaînes bien d’autres questions. Les intuitifs de nature font plutôt figure d’oiseaux rares et providentiels.

Tout laisse à penser que vous avez d’ores et déjà tenté de déterminer si vous étiez vous-même intuitif. Il n’est pas toujours facile de poser un diagnostic catégorique d’intuition. Et cela pour l’excellente raison que les opinions personnelles et les apparences sont souvent trompeuses.

Un autre facteur vient parfois dénaturer le tableau : c’est l’ancrage des convictions personnelles. La question se pose alors de savoir si le milieu social retentit sur la conception globale de l’intuition. Dans certains cercles en effet il n’est pas de bon ton de se déclarer intuitif, alors que dans d’autres l’intuition serait plutôt considérée comme une marque de distinction.

Le contexte à l’intérieur duquel s’exerce le phénomène intuitif joue lui aussi un rôle non négligeable. Car l’intuition peut fort bien s’exercer dans tel domaine particulier et pas dans tel autre. Les médiums eux-mêmes, qui comme chacun sait «marchent» essentiellement «à l’intuition», exercent leurs talents dans des domaines bien limités : diagnostic à distance, prédiction de l’avenir, reviviscence du passé, et ainsi de suite.

Ces variations individuelles et circonstancielles s’expliquent en partie par l’expérience acquise. Nous en venons à maîtriser parfaitement tel ou tel domaine dont certaines activités ont fini par nous imprégner, au point que nous en avons intériorisé tous les automatismes.

C’est en effet l’expérience acquise qui bien souvent est mise en avant pour rendre compte de l’intuition. Mais cela n’explique pas pourquoi deux individus de même expérience et de même formation diffèrent radicalement l’un de l’autre par la qualité de leur intuition et par leur propension plus ou moins prononcée à en faire usage.

En fait l’expérience acquise peut scléroser le libre exercice de l’intuition, en ce sens qu’elle finit par nous emprisonner dans un cadre de référence immuable, ou nous rigidifier dans certains tics. Aussi l’ingénuité et l’inexpérience se révèlent-elles parfois des qualités plus innovatrices, étant donné qu’alors l’esprit n’a pas encore appris à craindre de remettre en question les principes établis ou de formuler des hypothèses risquant de passer pour ridicules. Il semble que notre intuition s’exerce plus pleinement quand nous sommes fortement motivés, pleins de confiance en nous, et quand nous nous absorbons dans une tâche déterminée qui nous tient à cœur.

La personnalité intuitive

De tous les théoriciens dont les idées ont influencé la psychologie moderne, Carl Jung semble bien être celui qui aura le plus attaché d’importance à l’intuition, qu’il ne considérait «ni comme une perception sensorielle, ni comme une sensation, ni comme une inférence intellectuelle, bien qu’elle se manifeste parfois sous l’une ou l’autre de ces formes. Dans l’intuition, écrivait-il, le contenu se présente comme un tout, sans que nous soyons capables d’expliquer ou de découvrir comment ce contenu a pris corps. L’intuition est une sorte de saisie instinctive, quelle que soit la nature de son contenu.»

Selon la typologie de Jung, personnalité et comportement doivent être interprétés en tenant compte de quatre fonctions mentales distinctes : l’intellection, l’émotion, la sensation et l’intuition. Il est rare que chez un individu ces quatre fonctions soient réparties proportionnellement.

… Comme toutes les échelles de mesures psychologiques, les tests jungiens doivent être interprétés avec une certaine prudence et demeurer essentiellement des instruments d’évaluation révélateurs de nos tendances et de nos conduites individuelles. Il ne faut pas négliger le fait qu’en répondant aux questions, certains sujets se révèlent intuitifs ou émotifs parce que pour eux la question posée est entourée d’une certaine aura de romantisme, alors que d’autres se déclarent sensitifs ou intellectuels parce que la même question évoque en leur esprit des qualités de compétence et de maîtrise.

Utilisés avec précaution, les différents tests inspirés du modèle jungien n’en demeurent pas moins des instruments utiles à la compréhension de la personnalité humaine. En outre, ils se prêtent aisément aux applications les plus diverses et sont susceptibles d’aider n’importe qui à se mieux connaître. Ainsi, il arrive souvent que grâce à l’un de ces tests un individu se découvre une tendance très nette à procéder par intuition et comprendre du même coup que toute sa vie durant il a réfréné en lui cette tendance uniquement pour donner de lui-même une image qu’il estimait plus flatteuse, ou encore parce que son entourage professionnel l’a amené à s’autocensurer.

Le test de Westcott

C’est à Malcom Westcott (professeur à l’université York de Toronto) que nous devons les recherches les plus exhaustives qui aient été réalisées sur l’intuition. Ses travaux consistent en une série d’études échelonnées sur une décennie depuis la fin des années cinquante. Partant du présupposé que l’intuition pouvait jouer un rôle de phénomène d’induction, Westcott s’est appliqué à définir la personnalité intuitive non seulement en étudiant les attitudes comportementales de ses sujets, mais aussi en enregistrant les résultats concrètement obtenus par ces derniers. C’est donc à des tests de personnalité standard qu’il a fait appel pour essayer de dégager les principaux traits communs aux intuitifs.

S’appuyant sur ces divers tests, Westcott et ses collaborateurs ont observé que la personnalité intuitive répondait aux caractéristiques suivantes :

- Le non-conformisme et le sentiment d’être à l’aise en ne se pliant pas aux normes établies.

- La confiance en soi (les sujets de ce type se montraient beaucoup plus assurés dans leurs réponses que ceux qu’il fallait orienter vers la bonne solution).

- L’autonomie (l’identité n’est pas modelée par l’appartenance à un groupe social précis).

- La mobilisation affective pour des sujets de préoccupation abstraits. Cet engagement peut tout aussi bien mettre en jeu l’intellection que l’affectivité.

- La volonté d’éclairer les incertitudes, de dissiper les questions ambiguës, et cela sans craindre les éventuelles conséquences de leur démarche.

- La volonté délibérée de s’exposer aux éventuelles critiques et de relever les défis.

- La capacité d’accepter ou de rejeter la critique si nécessaire.

- La volonté de changer les choses pour les rendre conformes à un idéal.

- La résistance opposée au contrôle et aux directives provenant des autres.

- L’indépendance.

- La perspicacité.

- La spontanéité.

On voit tout de suite ce qui sépare les véritables intuitifs de ceux qui tentent de deviner au petit bonheur, même si les uns comme les autres donnent l’impression, de par le peu d’information qui leur est nécessaire pour émettre un jugement, de se fier principalement à leur intuition. Avec cette différence cependant, selon Westcott, que les seconds – ceux qui se révèlent incapables de résoudre des problèmes posés – affichent davantage de complaisance pour eux-mêmes, du cynisme, et témoignent de désordres physiques et émotionnels relativement intenses. Même distinction très nette entre les intuitifs, toujours prompts à fournir la bonne réponse, et ceux qui doivent longuement réfléchir et disposer d’une profusion de données avant de fournir le même résultat. Ces derniers se caractérisent essentiellement par leur sens de l’ordre, de la hiérarchie, leur attirance pour ce qui est prouvé et leur respect de l’autorité. D’esprit conservateur, c’est dans les situations où ils peuvent clairement définir leurs attentes qu’ils se sentent le plus à l’aise. En somme, ces distinctions ne font que confirmer ce que nous savons des modes de pensée intuitif et rationnel.

Gardons-nous cependant de tirer des conclusions générales des résultats obtenus par Westcott … mais il reste que les portraits caractérologiques d’intuitifs qui se dégagent de ses travaux correspondent en tout point à la typologie de l’intuition telle que définie par Jung et concordent parfaitement avec les données plus récentes que nous possédons sur les caractéristiques associées à la personnalité intuitive : créativité, originalité et indépendance de jugement, confiance en soi, assurance, non-conformisme, passion pour ce qui excite l’esprit, prédilection pour l’ambigu, le mouvant et l’incertain, acceptation délibérée du risque de passer pour farfelu ou de courir à un échec monumental.

Il peut être tentant pour quiconque souhaite développer son intuition de cultiver en lui les attributs et la forme d’esprit propres à la personnalité intuitive. Mais là encore, certaines précautions s’imposent, et il serait dangereux de s’imaginer que l’adoption des signes extérieurs de l’intuition suffit en soi à modifier en profondeur une attitude d’esprit. S’efforcer d’être ce qu’on n’est pas n’aboutit bien souvent qu’à dresser sur la route des barrières encore plus difficiles à franchir. Mais il reste pourtant, que tout un chacun peut se doter de certains traits et en adopter la forme d’esprit sans pour autant brusquer sa nature ni être mis en demeure de sacrifier ses dispositions naturelles. L’essor que prend alors l’intuition est souvent décisif.

L’intuition  
La découvrir en soi, la comprendre, la mettre à profit
Philip Goldberg
Les Éditions de l’Homme, 1986


Prochain billet : test et exercice.

Intuition 4

Test «Êtes-vous intuitif?»

Étant donné que cette question fait directement référence à la qualité même de l’intuition, vous ne pourrez donc guère y répondre valablement sans passer attentivement en revue vos propres expériences. La tenue d’un journal vous faciliterait amplement cet examen systématique.

En attendant nous vous proposons ici de répondre à un questionnaire qui vous permettra de cerner le mode d’approche des problèmes et le type d’activité décisionnelle qui sont les vôtres. Selon la réponse choisie, attribuez-vous la note A ou B. Le résultat final obtenu grâce à ce système de notation vous donnera d’ores et déjà un aperçu du degré de corrélation qui existe entre votre mode d’intuition et la qualité de votre sens intuitif.

1. Quand je ne trouve pas tout de suite la bonne réponse :
A. je m’arme de patience
B. je m’énerve

2. Quand je suis aux prises avec une incertitude, je me sens d’ordinaire :
A. désorienté
B. très à l’aise

3. Quand une situation me stimule, je me sens fortement motivé et je m’engage à fond. C’est l’attitude que j’adopte :
A. la plupart du temps
B. de temps en temps

4. Si mon intuition contredit les faits, en règle générale :
A. je me fie à ce que je sens
B. c’est la logique des faits qui me guide

5. Quand je dois résoudre un problème ardu, j’ai tendance :
A. à me concentrer sur la solution à découvrir
B. à jouer mentalement avec différentes possibilités

6. Si je ne suis pas d’accord avec les autres :
A. je m’efforce de faire prévaloir mon point de vue
B. je garde pour moi les raisons de mon désaccord

7. D’une façon générale :
A. je préfère savoir où je mets les pieds
B. j’aime prendre des risques

8. Quand je cherche à résoudre un problème, je change de stratégie :
A. mais rarement
B. la plupart du temps

9. Je préfère qu’on m’explique
A. pas à pas la marche à suivre
B. uniquement ce qu’on attend de moi, sans entrer dans les détails

10. Si les choses se compliquent excessivement :
A. j’exulte
B. j’éprouve un sentiment de malaise et d’anxiété

11. Quand une difficulté surgit :
A. j’élabore un plan d’action ou les grandes lignes d’une tactique avant d’intervenir
B. j’attaque de front

12. Dans la plupart des cas :
A. le changement m’indispose
B. je suis ravi quand un changement se produit

13. Mes lectures consistent :
A. en livres les plus divers, œuvres d’imagination comprises
B. en ouvrages techniques se rapportant à mon métier

14. Quand je ne partage pas le point de vue des spécialistes, j’ai pour habitude :
A. de m’accrocher à mes convictions
B. de m’en remettre à l’arbitrage d’une personne faisant autorité en la matière

15. Si je dois m’acquitter de plusieurs tâches :
A. je les attaque toutes à la fois
B. je procède méthodiquement, une tâche après l’autre

16. Quand j’apprends quelque chose de nouveau pour moi :
A. je commence par assimiler les règles et les procédures de base
B. je plonge tout de suite dans le vif du sujet; la théorie vient plus tard, en cours de route

17. Quand je travaille, je préfère :
A. me conformer à un emploi du temps préétabli
B. organiser moi-même mon emploi du temps

18. À l’école, ce qui me plaisait le plus, c’était :
A. les dissertations
B. les questions qui exigent une réponse brève

19. Je suis avant tout :
A. idéaliste
B. réaliste

20. Chaque fois que je commets une erreur :
A. je la rabâche dans ma tête
B. je tire un trait et je vais de l’avant

21. Je pourrais me décrire de la façon suivante :
A. comme quelqu’un qui peut expliquer très exactement pourquoi il sait telle ou telle chose
B. comme quelqu’un qui bien souvent est incapable de dire d’où lui vient une idée

22. En matière de description ou d’explication, je me fie davantage :
A. aux analogies et aux anecdotes
B. aux faits et aux chiffres

23. Ce qui d’habitude emporte ma conviction, c’est :
A. ce qui parle à ma raison
B. ce qui fait appel à mes émotions

24. Si j’ai tort :
A. j’en conviens immédiatement
B. je cherche à justifier mon point de vue

25. Je me considère volontiers comme :
A. un imaginatif
B. un individu doué d’un esprit pratique

26. Aux prises avec un problème difficile, j’ai plutôt tendance à :
A. demander conseil
B. me débrouiller tout seul

27. Les gens fantasques et imprévisibles :
A. m’ennuient
B. me plaisent

28. Quand je prends rendez-vous avec quelqu’un pour la semaine suivante, j’incline généralement à ajouter :
A. «fixons dès maintenant l’heure du rendez-vous»
B. «rappelez-moi la veille pour confirmer»

29. Quand quelque chose vient déranger mes projets :
A. je m’énerve
B. je garde mon calme et je reconsidère les choses

30. Quand brusquement une idée me vient à l’esprit :
A. je réagis avec enthousiasme
B. je la considère avec une certaine circonspection

31. La plupart de mes amis et collègues de travail :
A. croient fermement à l’intuition
B. entourent l’intuition de scepticisme

32. J’ai la réputation d’être :
A. un individu bourré d’idées
B. un minutieux

Notation
Si vous avez choisi la réponse A aux questions 1, 3, 4, 6, 10, 13, 14, 15, 18, 19, 22, 24, 25, 30, 31 et 32, ou la réponse B aux questions 2, 5, 7, 8, 9, 11, 12, 16, 17, 20, 21, 23, 26, 27, 28 et 29, attribuez-vous un point.

Si votre score total est égal ou supérieur à 24, vous pouvez considérer qu’en général c’est de façon intuitive que vous prenez vos décisions ou résolvez vos problèmes. Il est donc fort probable que vous faites dans toute la mesure du possible confiance à votre intuition, et que vous avez eu plus d’une fois l’occasion de vérifier qu’elle ne vous trompait pas.

Si votre score est compris entre 16 et 23, vous mélangez les types d’idéation, avec cependant une tendance nette à privilégier l’intuition par rapport à la démarche analytique ou systématique. Votre sens intuitif est probablement juste dans une majorité de cas.

Vous totalisez entre 8 et 15 points. Mode d’idéation mixte, mais vous vous fiez davantage à votre esprit d’analyse et à votre logique qu’à votre intuition, laquelle vous joue parfois des tours.

Vous obtenez moins de 8 points. Vous êtes doué d’un esprit éminemment systématique et logique, et c’est à lui que vous vous en remettez pour résoudre un problème ou prendre une décision. Vous ne faites guère confiance à votre intuition, sans doute parce que dans le passé vous avez rarement eu à vous féliciter de l’avoir aveuglément suivie.

L’examen des résultats obtenus ne doit pas vous faire considérer ce test comme un instrument permettant d’effectuer une mesure définitive de vos capacités intuitives. D’abord, parce qu’il n’existe pas de barème universel venant justifier pareil verdict, pas plus qu’il n’existe de moyen de déterminer à coup sûr si les facultés intuitives ou la forme prise par l’intuition sont le fruit d’une longue pratique. Ensuite, souvenons-nous que : tout porte à croire que votre sens intuitif est plus aigu et que vous vous fiez davantage à votre intuition dans certaines circonstances que dans d’autres. D’une façon générale, un score élevé témoigne d’une prédisposition nette à adopter l’attitude d’esprit propre à développer l’intuition. Considéré sous cet angle, le précédent questionnaire peut donc également faire office d’instrument d’introspection et de dépassement de soi.

La réceptivité intuitive
Commençons par bien poser les problèmes… en les formulant par écrit


Chaque fois qu’un problème semble quelque peu difficile à cerner ou à maîtriser, on aura tout avantage à coucher sur le papier toutes les idées que la situation considérée fait venir à l’esprit. Cette façon de procéder, en dépit de ce qu’elle comporte d’incohérence, de contingence et d’entorses à la grammaire, a généralement pour effet de libérer l’intuition. Les idées qui se présenteront à vous dans les cas semblables pourront vous sembler hors du sujet ou ridicules, mais il n’empêche qu’en les formulant par écrit, sans porter sur elles de jugements de valeur (nul autre que vous n’en prendra connaissance), l’un des trois effets suivants peut en résulter : une réponse intuitive venant dénouer une situation en apparence insoluble; une révélation sur la véritable nature de vos sentiments face à la situation considérée; une compréhension nouvelle vous permettant de circonscrire le problème tel qu’il est et, dans un second temps, de l’analyser sans plus vous perdre dans les détails.

À titre d’exemple, je donne ci-après deux procédures susceptibles d’aider le lecteur à sortir de l’impasse s’il éprouve quelque difficulté à rédiger spontanément. Dans le premier cas, il lui suffira de compléter les phrases suivantes en ajoutant à chacune ce qu’il lui vient à l’esprit, puis de continuer sur sa lancée.

- Ce que je sais de la situation, c’est…
- Ce que j’en ignore, c’est…
- Ce qui me préoccupe, c’est…
- Un certain nombre d’éléments m’échappent, par exemple…
- Plusieurs choses peuvent se produire, à savoir…
- Si j’en avais les moyens, je…
- Ceux qui sont dans la même situation pensent que…
- En aucun cas je ne veux…
- J’ai l’impression que…
- Il suffirait qu’on m’y pousse pour que…

Un autre moyen pratique conduit au même résultat. Il s’agit d’une variante* de la méthode proposée par Gabriele Lusser Rico, auteur d’une procédure associative «en grappe», dans laquelle un mot-clé est utilisé pour induire des associations d’idées. «Au fur et à mesure que des mots et des phrases apparemment évoqués au hasard viennent se regrouper autour de ce noyau, écrit Roco, on découvre avec surprise que des ensembles cohérents se mettent en place jusqu’au moment où soudain l’esprit dispose de toutes les données nécessaires à la rédaction d’un texte cohérent.» Appliquée à des problèmes décisionnels concrets, cette méthode débouche bien souvent sur une mise en ordre précise des pensées, voire sur une compréhension exhaustive de la situation.

On peut pousser plus loin l’idée d’exprimer les pensées et les sentiments procédant d’une situation déterminée. Étant donné que le langage n’est qu’un mode de communication linéaire, il arrive qu’un message purement verbal ne suffise pas à stimuler l’ensemble des facultés qui nourrissent le sens intuitif. Par ailleurs, les modes d’expression non verbaux ont parfois le pouvoir de libérer le contenu de certaines émotions que les exigences logiques du langage sont impuissantes à révéler, ce qui facilite l’émergence d’impressions normalement inexprimables. D’autres ensembles de sensations et de pensées peuvent encore être mis en jeu quand les problèmes, les tâches à remplir et les objectifs recherchés sont exprimés selon différentes modalités. Nous allons donner quelques directives à ce sujet.

- Essayez de dessiner ou de peindre la situation qui vous préoccupe, de préférence en couleurs, et de la représenter de façon à la fois abstraite et figurative.
- Interprétez-la en jouant sur un instrument quelconque ou en chantant.
- Exprimez-la physiquement, par la danse ou le mime.
- Sculptez-la dans le bois ou modelez-la en argile.
- Inventez-lui un symbole.

Confronté à un problème grave ou à une importante décision, diversifiez le plus possible vos moyens d’expression, en n’attachant d’importance ni à leur qualité ni à leur forme, et sans les censurer ni les juger. Le but recherché consiste essentiellement à éveiller et stimuler votre intuition et non pas à faire étalage de vos dispositions artistiques. Et surtout, ne vous attendez pas dès à présent à une révélation subite ou à un éclair de compréhension. Rien de semblable ne peut se produire au cours du processus lui-même, lequel n’a pour vocation que de fournir de la matière première et des modèles d’organisation à cette usine à distiller qu’est votre intuition. Seul le produit final risque de vous surprendre à l’improviste.


L’intuition 
La découvrir en soi, la comprendre, la mettre à profit
Philip Goldberg
Les Éditions de l’Homme, 1986


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* Équivalent : mindmapping.

Intuition 5

Conclusion à la série intuition

Photo intitulée Apologies par SHAUN GLADWELL
Un roadkill que le photographe commente ainsi :  
There is a moment
Of darkness before we see
Another highway, another death
It is a moment of ending,
An apology

Préparons le terrain
(Rappelons que l’ouvrage a été publié en 1986…)

Jamais encore au cours de notre histoire le besoin de sagesse intuitive n’aura été si criant qu’aujourd’hui. Le drame, c’est que ni les institutions scolaires qui nous ont modelé l’esprit, ni les milieux socioprofessionnels dans lesquels nous déployons nos activités mentales n’ont été conçues pour nourrir l’intuition. Il est grand temps de changer notre fusil d’épaule et de nous assigner pour objectif prioritaire de mieux comprendre comment opère notre esprit intuitif, étant donné que l’enjeu d’une telle entreprise va bien au-delà de la réussite et du bonheur individuels. Car en favorisant l’épanouissement d’une génération d’hommes instruits dont les facultés intuitives rivaliseront en précision et fiabilité avec nos méthodes objectives, nous nous donnerons les moyens d’exploiter un gisement d’importance vitale pour le genre humain.

Si les opinions de nos experts sont si partagées, c’est que les décennies à venir menacent d’être plus complexes et plus imprévisibles que toutes les époques qui les ont précédées. C’est aussi que les informations que nous serons appelés à traiter menacent d’être innombrables et bien souvent explosives. Dans un tel contexte, bien des décisions devront être prises à la hâte, à partir de données lacunaires, et tout laisse à penser que le risque d’erreur sera plus élevé, en même temps que les erreurs commises seront en elles-mêmes plus catastrophiques, surtout si elles sont le fait de ceux qui détiennent le pouvoir. ...

Bien sûr, l’informatique va nous rendre d’inestimables services, mais c’est à l’intuition de l’homme qu’il appartient de guider ses applications et de fournir aux machines logiques les éléments qu’elles sont incapables de générer seules. Plus que jamais nos sphères de décision, publiques et privées, ressentiront le besoin de faire appel à des penseurs qui ne soient point paralysés par la «psychosclérose», à des dirigeants d’esprit vif, animés d’un vaste idéal et ouverts à l’intelligence cosmique. C’est ce que voulait exprimer Platon lorsqu’il proposait de donner pleins pouvoirs aux «philosophes», à une époque où ce mot n’avait pas encore le sens qu’il a pris de nos jours, puisqu’il désignait alors «ceux qui sont capables d’approcher ce qui est éternel et immuable… de fixer leur regard sur la vérité absolue et, sans jamais déroger de cet idéal ni se distraire de sa contemplation, de s’inspirer de lui pour établir aussi dans le monde les lois de la beauté, de la justice et de la magnanimité».

Mais ce n’est pas seulement parmi les puissants qu’il est urgent d’épanouir la clairvoyance intuitive. Nous oublions trop souvent que chacun de nous est une cellule participant d’un gigantesque cerveau collectif. Notre monde de pensée et la nature de nos connaissances façonnent notre comportement. Que celui-ci soit vil ou noble, son impact sur le corps social a des retentissements considérables. Nous ne devons pas nous contenter d’exhorter les individus à se conformer aux règles sociales, économiques ou écologiques qui sont les nôtres. Pareille exhortation est toujours demeurée lettre morte, fût-elle assortie d’une menace de damnation éternelle.

Pourtant, il est encourageant de constater qu’on assiste de nos jours à un apparent glissement de nos valeurs, à la faveur duquel l’intuition est peu à peu réhabilitée. Depuis une vingtaine d’années, de vastes secteurs de notre société se détournent d’un matérialisme devenu synonyme de qualité de vie pour donner à cette vie une signification et une raison d’être plus élevées. Plus récemment, bien des gens qui s’étaient donné pour but l’accomplissement de la personnalité ont découvert que ce but n’était nullement incompatible avec l’exercice de leurs responsabilités sociales et planétaires, et que l’épanouissement individuel authentique ne peut résulter que d’une synergie harmonieuse associant en un même tout l’Ego, les êtres et les objets qui composent l’environnement. La conscience de cette complémentarité, des priorités collectives et individuelles (contemporaines des années soixante et soixante-dix) reflète la mutation qui s’est opérée dans notre conception du monde, laquelle se détourne de ses postulats mécanistes et matérialistes pour faire une place – encore bien modeste, il est vrai – aux valeurs organiques et spirituelles de l’Orient.

Nous découvrons aussi peu à peu que nous entretenons des relations de symbiose avec la nature et avec nos semblables, et il nous faut bien admettre l’absolue vérité d’un adage millénaire qui veut qu’on ne récolte que ce qu’on a semé. Est-ce faire preuve d’un optimisme déraisonnable que de prêter aux nouveaux systèmes de croyance qui se dessinent le pouvoir de nous inculquer des conduites plus pertinentes, plus harmonieuses, et de nous convaincre qu’il est grand temps de nous comporter comme des citoyens soucieux des intérêts bien compris de leur planète? Bien des signes témoignent d’une évolution en ce sens. Mais la bonne volonté n’est pas tout. Sinon, voilà des siècles que nous nous conduirions tous en bons chrétiens, en bons juifs ou en bons musulmans. Il ne suffit pas de pressentir que des liens indissolubles nous raccordent à la nature, que notre être participe d’un principe universel de spiritualité, ou encore que toutes les créatures n’en font qu’une et que chacun de nos actes retentit sur le tout. Encore faut-il que nos pressentiments consolident nos croyances et que la conscience de notre responsabilité inspire nos actes.

Seule une connaissance authentique, une appréhension intuitive directe de nos concepts abstraits peut se  commuer en une certaine qualité d’expérience capable de transformer nos conduites. Nous privilégions et nourrissons ce que nous percevons comme une partie de nous-mêmes, mais il est indispensable aussi que nous sentions profondément – concevoir intellectuellement ne suffit pas – ce qui nous unit à nos semblables et à la nature. Et si, en outre, nos convictions peuvent fortifier en nous la volonté d’assumer nos responsabilités, elles ne nous apprennent en rien comment nous y prendre, pas plus qu’elle ne nous éclairent sur les conséquences de nos engagements. C’est en cela que l’intuition nous est indispensable.

L’intuition 
La découvrir en soi, la comprendre, la mettre à profit
Philip Goldberg
Les Éditions de l’Homme, 1986

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COMMENTAIRE 

Eh bien, voilà le billet idéal pour dire bye-bye à 2010.

Un souhait pour 2011?
Un renversement complet du taux vibratoire de la planète (ce qu’elle est en train d’accomplir apparemment), et que ses parasites (toutes catégories) soient capables de la suivre!

Bonne année 2011 à tous!