29 août 2015

Ce piratage Wifi si répandu...

L’article qui suit a largement été relayé en octobre dernier, mais on dirait que personne n’a lu ou compris... L’expérience est pourtant concluante et devrait inciter les utilisateurs à redoubler de vigilance. (Voyez aussi «Surveillance intrusive») 

L’affaire Ashley Madison nous donne une autre bonne leçon. Le thème du site est sans importance – je ne parlerai pas des nonos qui se croyaient à l’abri alors que les gouvernements se font eux-mêmes pirater.

Le cybercrime est un business lucratif, et les pirates peuvent se servir à volonté au bar ouvert Wifi. Mais, il existe des «pirates éthiques» qui enseignent aux individus et aux entrepreneurs à se garer des intrusions. Comme le mentionne l’auteur de l'article, on ne le répétera jamais assez : ne vous branchez pas sur les réseaux Wifi des espaces publics sans protection adéquate.

Illustration : Kristina Collantes

Auteur : Maurits Martijn, De Correspondent; octobre 2014
Traduction néerlandais/anglais : Jona Meijers
 
(Traduction/adaptation maison)

Nous avons amené un pirate dans un café et, en 20 minutes, il savait où chaque client était né, quels collèges il avait fréquentés et les cinq dernières choses qu'il avait googlé.

Wouter Slotboom, 34 ans, transporte dans son sac-à-dos un appareil noir, à peine plus gros qu'un paquet de cigarettes, gréé d’une antenne. Je le rencontre dans un café au centre-ville d'Amsterdam. C'est une journée ensoleillée et presque toutes les tables sont occupées. Certaines personnes causent, d'autres travaillent sur leurs ordinateurs portables ou jouent avec leurs smartphones.

Wouter sort son ordinateur portable, place le dispositif noir sur la table et le camouffle sous un menu. Nous demandons à la serveuse deux cafés et le mot de passe de connexion Wifi. Entre-temps, Wouter branche le dispositif à son portable et lance certains programmes; bientôt l'écran commence à afficher des lignes de texte vertes. Il devient peu à peu évident que le dispositif de Wouter se connecte aux ordinateurs portables, smartphones et tablettes des clients du café.

Sur son écran, des expressions comme «iPhone Joris» et «Simone's MacBook» apparaissent. L'antenne du périphérique intercepte les signaux envoyés par les ordinateurs, smartphones et tablettes autour de nous.

Plus de texte commence à s’afficher sur l'écran. Nous pouvons voir à quels réseaux Wifi les périphériques avaient été précédemment connectés. Parfois, les noms de réseaux sont composés principalement de chiffres et de lettres aléatoires, ce qui rend difficile de les situer à un endroit précis, mais plus souvent qu'autrement, les réseaux Wifi divulguent leur localisation.

Nous apprenons que Joris est allé chez McDonald's auparavant, qu’il a probablement passé ses vacances en Espagne (beaucoup de noms de réseaux en espagnol), et qu’il a fait du kart-racing (il s’était connecté au réseau local du Kart-Racing Center bien connu). Martin, un autre client du café, s’était connecté au réseau de l'aéroport d'Heathrow et de la compagnie American Airline Southwest. À Amsterdam, il séjourne probablement à l’hôtel White Tulip. Il a également visité le café Bulldog.

Session 1 : Que chacun se connecte à notre réseau fictif!

Une fois connecté au Wifi du café, Slotboom peut fournir à tous les clients une connexion internet fictive et rediriger le trafic vers son petit appareil.

La plupart des smartphones, ordinateurs portables et tablettes cherchent automatiquement à se connecter aux réseaux Wifi. Ils sélectionnent préférablement un réseau où une connexion a déjà été établie. Si vous avez ouvert une session sur le réseau T-Mobile, dans un train par exemple, votre appareil recherchera un réseau T-Mobile dans la région.

L’appareil de Slotboom peut enregistrer ces recherches et prendre l’apparence d’un réseau Wifi fiable. Soudain je vois le nom de mon réseau domestique apparaître sur la liste de disponibilités de mon iPhone, incluant mon lieu de travail, une liste de cafés, de halls d'hôtel, de gares et d’autres lieux publics que j'ai visités. Mon téléphone se connecte à l'un de ces réseaux automatiquement redirigé vers le périphérique noir.

Slotboom peut également lancer un nom de réseau fictif pour faire croire aux utilisateurs qu'ils sont réellement connectés à celui du lieu qu'ils visitent. Si le réseau Wifi de l’endroit est composé de lettres et de chiffres aléatoires (Fritzbox Slotboom XYZ123) il peut changer le nom du réseau pour Starbucks par exemple. Les gens, dit-il, seront beaucoup plus enclins à s’y connecter.

Nous voyons de plus en plus de gens se connecter à notre réseau fictif. Le chant de la sirène du petit périphérique noir semble irrésistible. Déjà 20 smartphones et ordinateurs nous appartiennent. S'il le voulait, Slotboom pourrait maintenant ruiner totalement la vie des gens connectés : il peut récupérer leurs mots de passe, voler leur identité et piller leurs comptes bancaires. Plus tard aujourd'hui, il me montrera comment procéder. Je lui ai donné la permission de me pirater pour montrer ce dont il est capable, mais cela pourrait se faire à l’insu de n’importe quelle personne disposant d'un smartphone ou d’un ordinateur portable en quête d’une connexion Wifi.

Mis à part quelques rares exceptions, tout peut être craqué.

L'idée que les réseaux Wifi publics ne sont pas sécuritaires n'est pas nouvelle. Toutefois, c’est une chose qu’on ne répétera jamais assez. On estime qu’il a plus de 1,43 milliard d'utilisateurs de smartphones dans le monde entier, dont plus de 150 millions aux États-Unis; plus de 92 millions d’Américains ont une tablette et plus de 155 millions un ordinateur portable. La demande mondiale pour les ordinateurs portables et les tablettes augmente à chaque année. En 2013, 206 millions de tablettes et 180 millions d'ordinateurs ont été vendus dans le monde. Quiconque possède un appareil portatif s’est sans doute connecté au moins une fois à un réseau Wifi dans un café, un train ou un hôtel.

La bonne nouvelle est qu’il existe des réseaux mieux protégés que d'autres; certains services de courrier électronique et de médias sociaux utilisent des méthodes de cryptage plus sécuritaires que leurs concurrents. Mais, passez une journée en ville avec Wouter Slotboom et vous verrez que presque tout ce qui est connecté à un réseau Wifi peut être piraté. Une étude menée par l’agence de sécurité Risk Based Security estime que plus de 822 millions de données confidentielles ont été divulguées à travers le monde en 2013 : numéros de cartes de crédit, dates de naissance, renseignements médicaux, numéros de téléphone, numéros de sécurité sociale, adresses, noms d'utilisateurs, courriels, noms et mots de passe. Soixante-cinq pour cent de ces données provenait des États-Unis. Selon la société de sécurité informatique Kaspersky Lab, en 2013, 37,3 millions d'utilisateurs dans le monde et 4,5 millions d'Américains ont été victimes d’hameçonnage – ou de fraude – les détails de comptes bancaires ayant été saisis via des ordinateurs portables, des smartphones ou des sites web piratés.

L’un après l’autre, tous les rapports indiquent que le vol d'identité est un problème de plus en plus fréquent. Les pirates et les cybercriminels disposent actuellement de plusieurs outils différents. Mais la prévalence des réseaux Wifi ouverts et non sécuritaires leur rendent la tâche extrêmement facile. Les Centre national de cyber-sécurité des Pays-Bas, une division du ministère de la sécurité et de la justice, n'a pas diffusé cet avertissement en vain : «Il n'est pas recommandé d'utiliser les réseaux Wifi ouverts dans les lieux publics. Il vaut mieux éviter de les utiliser pour le travail ou les activités financières.»

Slotboom se voit comme un «pirate éthique», un bon gars, un mordu de technologie qui divulgue les dangers potentiels d'Internet et de la technologie. Il enseigne aux particuliers et aux entreprises comment mieux protéger leurs données. Comme avec moi aujourd’hui, il le fait habituellement en démontrant à quel point il est facile de causer des dommages. C'est en effet un jeu d'enfant : l'appareil n'est pas cher, le logiciel pour intercepter le trafic est très facile à télécharger et à utiliser. «Vous avez besoin de 70 euros, d'un QI moyen et d’un peu de patience, c’est tout», dit-il. Je m'abstiens d'élaborer sur certains aspects plus techniques, tels que l’équipement, les logiciels et les applications nécessaires pour pirater les gens.

Session 2 : Scanner le nom, les mots de passe et l'orientation sexuelle

Nous nous rendons à un café réputé pour la beauté de ses fleurs dessinées dans la mousse des lattes; un endroit très fréquenté par les pigistes qui travaillent avec des ordinateurs portables. L’endroit est bourré de clients concentrés sur leurs écrans.

Slotboom installe son équipement. Il refait les mêmes étapes et au bout de quelques minutes, une vingtaine de périphériques sont connectés au nôtre. Nous voyons à nouveau défiler des adresses MAC et des historiques de connexion, et dans certains cas des noms de propriétaires. À ma demande, nous passons à une autre étape.

Slotboom lance un autre programme (également facile à télécharger) qui lui permet d'extraire encore plus d'information sur les ordinateurs et les smartphones connectés. Nous pouvons voir les spécifications des modèles de téléphone mobile (Samsung Galaxy S4), les paramètres de langue des différents périphériques, et la version du système d'exploitation utilisée (iOS 7.0.5). Si le système d’exploitation du périphérique est obsolète par exemple, on sait qu’il y a des «bugs» ou des trous dans le système de sécurité facilement exploitables. Avec ce genre d'information, vous avez tout ce qu’il faut pour entrer dans le système d'exploitation et prendre les rênes de l'appareil. Un échantillonnage des clients du café révèle que personne n’a la dernière version du système d'exploitation. Tous ces systèmes ont donc un bug connu répertorié en ligne.

Nous pouvons maintenant voir le trafic Internet des gens qui nous entourent. Quelqu’un navigue avec un MacBook sur le site NU.nl. Plusieurs  périphériques envoient des documents par WeTransfer, certains utilisent à Dropbox et d’autres Tumblr. Nous voyons quelqu'un qui vient de se connecter à FourSquare. Le nom de cette personne est également indiqué, et après l’avoir googlé, nous reconnaissons la personne, assise à quelques mètres de nous.

L'information entre à flot, même sur les clients qui ne sont pas en train de travailler ou de fureter. Plusieurs applications et programmes de messagerie sont constamment en contact avec leurs serveurs – une activité nécessaire pour qu’un périphérique récupère les nouveaux courriels. Dans certains périphériques et programmes, nous pouvons voir l'information envoyée, et à quel serveur.

Et maintenant, ça devient vraiment personnel. Nous voyons l’application Gay Dating Grindr installée sur le smartphone d’un client. Ainsi que le nom et le type de smartphone qu'il utilise (iPhone 5S). Nous nous arrêtons là, mais ce serait un jeu d'enfant de savoir à qui appartient le téléphone. Nous voyons quelqu'un dont le téléphone tente de se connecter à un serveur en Russie, transmettant également le mot de passe du client que nous pourrions intercepter.

Alternative

Session 3 : Obtenir des informations sur l'occupation, les hobbies et les problèmes relationnels

Plusieurs applications, programmes, sites web, et certains types de logiciels utilisent des technologies de cryptage. On s’assure ainsi que les informations envoyées et reçues à partir d'un périphérique ne soient pas accessibles à des yeux non autorisés. Mais si l'utilisateur est connecté au réseau Wifi fictif de Slotboom, ces mesures de sécurité peuvent être contournées assez facilement à l'aide d’un logiciel de décryptage.

À notre grand étonnement, nous voyons une application envoyer des informations personnelles à une entreprise qui vend de la publicité en ligne. Entre autres choses, les données de localisation, de l'information technique sur le téléphone et le réseau Wifi. Nous voyons également l’identité (prénom et nom de famille) d'une femme utilisant le bookmarking social du site Delicious (qui permet aux utilisateurs de partager les signets qui les intéressent). En principe, les pages que les utilisateurs de Delicious partagent sont disponibles publiquement, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de nous sentir comme des voyeurs quand nous réalisons à quel point nous pouvons en apprendre sur cette femme sur la base de cette information.

Nous entrons d'abord son nom, ce qui nous permet de déterminer immédiatement à quoi elle ressemble et où elle est assise dans le café. Nous apprenons qu'elle est née dans un autre pays européen et qu’elle a déménagé récemment aux Pays-Bas. Par le biais de Delicious nous découvrons qu'elle a visité le site Web d'un cours de langue et mis un signet pour un site web offrant des cours d'intégration.

En moins de 20 minutes, voici ce que nous avons découvert sur cette femme assise à trois mètres de nous : son lieu de naissance, où elle a étudié, elle s’intéresse au yoga, elle a ajouté à ses favoris un site de mantras anti-ronflement, elle a récemment visité la Thaïlande et le Laos, et elle a un intérêt marqué pour les sites qui offrent des conseils pour sauver une relation.

Slotboom me montre quelques astuces supplémentaires de piratage. À l'aide d'une application sur son téléphone, il peut modifier des mots spécifiques sur n'importe quel site web. Par exemple, à chaque fois que le nom «Opstelten» (un politicien hollandais) est mentionné, il est remplacé par le nom «Dutroux» (un individu reconnu coupable de meurtres en série), et c’est ce que les visiteurs voient sur la page. Nous avons testé et ça fonctionne. Nous essayons un autre truc : quiconque télécharge un site Web qui inclut des photos voit une image sélectionnée par Slotboom. Tout cela peut paraître drôle quand on ne cherche pas à nuire, mais cela peut devenir dramatique si, par exemple, un pirate malicieux télécharge des images de pornographie juvénile sur le smartphone de quelqu'un d’autre – la possession de telles photos est une infraction criminelle.

Mot de passe intercepté

Nous visitons un autre café. Ma dernière requête : Slotboom me montrera ce qu’il ferait s'il voulait réellement me causer du tort. Il me demande d’ouvrir Live.com (site de messagerie Microsoft) et d’entrer un nom d'utilisateur et un mot de passe au hasard. Quelques secondes plus tard, l'information que je viens juste de taper apparaît sur son écran. «J'ai maintenant les détails de connexion de ton compte de messagerie», déclare Slotboom. «Je commencerais par changer le mot de passe de ton compte et je signalerais aux autres comptes que tu utilises que ‘j'ai oublié mon mot de passe’. La plupart des gens utilisent le même compte de messagerie pour tous leurs services. Ces nouveaux mots de passe seront ensuite envoyés à ta boîte de réception, ce qui signifie que je les aurai également à ma disposition.» Nous faisons la même chose avec Facebook : Slotboom peut intercepter le nom de connexion et le mot de passe que je viens d’enregistrer avec une relative facilité.

Un dernier truc : Slotboom détourne mon trafic Internet. Par exemple, si j'essaie d'accéder à la page web de ma banque, il demande à son programme de me réorienter vers une page qui lui appartient : un site cloné qui semble identique à Trusted Site, mais en réalité totalement contrôlé par Slotboom. Les pirates appellent ça usurpation DNS. L’information que j'ai entrée sur le site est a été stockée chez le serveur appartenant à Slotboom. En 20 minutes, il a obtenu les détails de connexion et les mots de passe de mes comptes Live.com, SNS Bank, Facebook et DigiD.

Je ne me connecterai plus jamais à un réseau Wifi non protégé sans prendre les précautions de sécurité nécessaires.

Cet article a paru initialement en néerlandais sur le site journalistique De Correspondent. Tous les noms sont fictifs, à l’exception de Wouter Slotboom. Nous avons traité les données interceptées avec le plus grand soin et elles ont été effacées immédiatement après notre dernière rencontre.

Source :
https://medium.com/matter/heres-why-public-wifi-is-a-public-health-hazard-dd5b8dcb55e6

Comment se protéger (en anglais) :
https://decorrespondent.nl/1103/How-to-safely-use-a-public-Wi-Fi-network/31096879-74f654ff

24 août 2015

Le joug boursier

Nous sommes les deux faces d’une pièce de monnaie, mais pas de la même devise...

Les tyrans financiers s’agitent et jouent au yo-yo au Casino de la Bourse – récession, dépression (crash), dégringolade du Dow Jones... à l’horizon?

Film Trading Places

Êtes-vous angoissé?

Première suggestion : voyez le vieux film Trading Places (1983), une parodie savoureuse et réaliste sur la façon dont fonctionnent les marchés boursiers (il n’a pas pris une ride). Fortement inspiré du conte The Million Pound Bank Note de Mark Twain.

Deuxième suggestion : lisez Le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie (1530-1563), ô combien pertinent! (d’après une adaptation de Claude Ovtcharenko – lien en fin de message). Le fait qu’il ait rédigé cet ouvrage à 18 ans peut donner des complexes aux écrivains et penseurs sérieux...

(Un condensé wikipedia en français contemporain, si vous n'avez pas la patience ou le temps de lire les extraits qui suivent 
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2011/12/domines-dominants.html )

Comme on dit, prenez le temps de réfléchir avant de vous jeter en bas du premier pont à cause des fluctuations boursières.

(Extraits)

Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner)! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes! Contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, divisés entre eux, ils ne peuvent pas toujours être les plus forts. Si donc une nation, enchaînée par la force des armes, est soumise au pouvoir d’un seul (comme la cité d’Athènes le fut à la domination des trente tyrans), il ne faut pas s’étonner qu’elle serve, mais bien déplorer sa servitude, ou plutôt ne s’en étonner, ni s’en plaindre; supporter le malheur avec résignation et se réserver pour une meilleure occasion à venir.
       ... Si donc les habitants d’un pays trouvent, parmi eux, un de ces hommes rares qui leur ait donné des preuves réitérées d’une grande prévoyance pour les garantir, d’une grande hardiesse pour les défendre, d’une grande prudence pour les gouverner ; s’ils s’habituent insensiblement à lui obéir ; si même ils se confient à lui jusqu’à lui accorder une certaine suprématie, je ne sais si c’est agir avec sagesse, que de l’ôter de là où il faisait bien, pour le placer où il pourra mal faire, cependant il semble très naturel et très raisonnable d’avoir de la bonté pour celui qui nous a procuré tant de biens et de ne pas craindre que le mal nous vienne de lui. 
       Mais ô grand Dieu! qu’est donc cela? Comment appellerons-nous ce vice, cet horrible vice? N’est-ce pas honteux, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais ramper, non pas être gouvernés, mais tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants, ni leur vie même qui soient à eux? Souffrir les rapines, les brigandages, les cruautés, non d’une armée, non d’une horde de barbares, contre lesquels chacun devrait défendre sa vie au prix de tout son sang, mais d’un seul. ... Appellerons-nous vils et couards les hommes soumis à un tel joug? Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul; c’est étrange, mais toutefois possible; peut-être avec raison, pourrait-on dire : c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille se laissent opprimer par un seul, dira-t-on encore que c’est de la couardise, qu’ils n’osent se prendre à lui, ou plutôt que, par mépris et dédain, ils ne veulent lui résister? Enfin, si l’on voit non pas cent, non pas mille, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes ne pas assaillir, ne pas écraser celui qui, sans ménagement aucun, les traite tous comme autant de serfs et d’esclaves : comment qualifierons-nous cela? Est-ce lâcheté? Mais pour tous les vices, il est des bornes qu’ils ne peuvent dépasser. Deux hommes et même dix peuvent bien en craindre un, mais que mille, un million, mille villes ne se défendent pas contre un seul homme! Oh! Ce n’est pas seulement couardise, elle ne va pas jusque-là; de même que la vaillance n’exige pas qu’un seul homme escalade une forteresse, attaque une armée, conquière un royaume! Quel monstrueux vice est donc celui-là que le mot de couardise ne peut rendre, pour lequel toute expression manque, que la nature désavoue et la langue refuse de nommer?…

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Ils sont vraiment miraculeux les récits de la vaillance que la liberté met dans le cœur de ceux qui la défendent! mais ce qui advient, partout et tous les jours, qu’un homme seul opprime cent mille villes (...). Et pourtant ce tyran, seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni même de s’en défendre; il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à la servitude. Il ne s’agit pas de lui rien arracher, mais seulement de ne lui rien donner. Qu’une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son bonheur, mais qu’elle ne travaille pas elle-même à sa ruine. Ce sont donc les peuples qui se laissent, ou plutôt se font garrotter, puisqu’en refusant seulement de servir, ils briseraient leurs liens. C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse. S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté je ne l’en presserais point : bien que rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête de redevenir homme, soit vraiment ce qu’il doive avoir le plus à cœur. (...) ...plus les tyrans pillent, plus ils exigent; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge; ils se fortifient d’autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits : semblables à cet arbre qui ne recevant plus de suc et d’aliment à sa racine, n’est bientôt qu’une branche sèche et morte.

Traders à la bourse de New York 2008; ne craignez rien, c’est juste un jeu vidéo...  

Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres! vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regardiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il les innombrables argus qui vous épient, si ce n’est de vos rangs? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les emprunte de vous? Les pieds dont il foule vos cités, ne sont-ils pas aussi les vôtres? A-t-il pouvoir sur vous, que par vous-mêmes? Comment oserait-il vous courir sus, s’il n’était d’intelligence avec vous? Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes? Vous semez vos champs, pour qu’il les dévaste; vous meublez et remplissez vos maisons afin qu’il puisse assouvir sa luxure; vous nourrissez vos enfants, pour qu’il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore!) pour qu’il les mène à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu’il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités ... vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser.

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Il y a trois sortes de tyrans. Je parle des mauvais Princes. Les uns possèdent le Royaume par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, et les autres par succession de race. Ceux qui l’ont acquis par le droit de la guerre, s’y comportent, on le sait trop bien et on le dit avec raison, comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, ne sont pas ordinairement meilleurs; nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait naturel du tyran, ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires; et, selon le penchant auquel ils sont le plus enclins, avares ou prodigues, ils usent du Royaume comme de leur propre héritage. Quant à celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable, et le serait je crois, si dès qu’il se voit élevé en si haut lieu, au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi, qu’on appelle grandeur, il ne prenait la ferme résolution de n’en plus descendre. Il considère presque toujours la puissance qui lui a été confiée par le peuple comme devant être transmise à ses enfants. Or, dès qu’eux et lui ont conçu cette funeste idée, il est vraiment étrange de voir de combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et même en cruautés, tous les autres tyrans. Ils ne trouvent pas de meilleur moyen pour consolider leur nouvelle tyrannie que d’accroître la servitude et d’écarter tellement les idées de liberté de l’esprit de leurs sujets, que, pour si récent qu’en soit le souvenir, bientôt il s’efface entièrement de leur mémoire. Ainsi, pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelque différence, mais pas un choix à faire : car s’ils arrivent au trône par des routes diverses, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Les élus du peuple, le traitent comme un taureau à dompter : les conquérants, comme une proie sur laquelle ils ont tous les droits : les successeurs, comme tout naturellement. 

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Mais [le tyran] ne voulant pas saccager une aussi belle ville, ni être toujours obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avise d’un expédient extraordinaire pour s’en assurer la possession : il établit des maisons de débauches et de prostitution, des tavernes et des jeux publics et rend une ordonnance qui engage les citoyens à se livrer à tous ces vices. Il se trouve si bien de cette espèce de garnison, que, par la suite, il n’est plus dans le cas de tirer l’épée... Ces misérables gens s’amusent à inventer toutes sortes de jeux. (...) À vrai dire, c’est assez le penchant naturel de la portion ignorante du peuple qui d’ordinaire est plus nombreuse dans les villes. Elle est soupçonneuse envers celui qui l’aime et se dévoue pour elle, tandis qu’elle est confiante envers celui qui la trompe et la trahit. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise, morde plus tôt et s’accroche plus vite à l’hameçon, que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher et conduire à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur débite ou qu’on leur fasse goûter. C’est vraiment chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèces étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie. Ce système, cette pratique, ces allèchements étaient les moyens qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets dans la servitude. Ainsi, les peuples abrutis, trouvant beau tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal encore que les petits enfants n’apprennent à lire avec des images enluminées. 
       Les tyrans romains renchérirent encore sur ces moyens, en festoyant souvent les hommes des décuries   en gorgeant ces gens abrutis et les flattant par où ils étaient plus faciles à prendre, le plaisir de la bouche. Aussi le plus instruit d’entre eux n’eût pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la république de Platon. Les tyrans faisaient ample largesse du quart de blé, du septier de vin, du sesterce; et alors c’était vraiment pitié d’entendre crier vive le roi! Les lourdauds ne s’apercevaient pas qu’en recevant toutes ces choses, ils ne faisaient que recouvrer une part de leur propre bien; et que cette portion même qu’ils en recouvraient, le tyran n’aurait pu la leur donner, si, auparavant, il ne l’eût enlevée à eux-mêmes. Tel ramassait aujourd’hui le sesterce, tel se gorgeait au festin public, en bénissant Tibère et Néron de leur libéralité qui, le lendemain, était contraint d’abandonner ses biens à l’avarice, ses enfants à la luxure, son rang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs, ne disait mot, pas plus qu’une pierre et ne se remuait pas plus qu’une souche. Le peuple ignorant et abruti a toujours été de même. Il est, au plaisir qu’il ne peut honnêtement recevoir, tout dispos et dissolu; au tort et à la douleur qu’il ne peut raisonnablement supporter, tout à fait insensible. Je ne vois personne maintenant qui, entendant parler seulement de Néron, ne tremble au seul nom de cet exécrable monstre, de cette vilaine et sale bête féroce, et cependant, il faut le dire, après sa mort, aussi dégoûtante que sa vie, ce fameux peuple romain en éprouva tant de déplaisir (se rappelant ses jeux et ses festins) qu’il fut sur le point d’en porter le deuil.

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Mais ils ne font guère mieux ceux d’aujourd’hui, qui avant de commettre leurs crimes, même les plus révoltants les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien général, l’ordre public et le soulagement des malheureux. Vous connaissez fort bien le formulaire dont ils ont fait si souvent et si perfidement usage. Et bien, dans certains d’entre eux, il n’y a même plus de place à la finesse tant et si grande est leur impudence. (...) Ainsi tant de nations, qui furent assez longtemps sous l’empire de ces rois mystérieux, s’habituèrent à les servir, et les servaient d’autant plus volontiers qu’ils ignoraient quel était leur maître, ou même s’ils en avaient un; de manière qu’ils vivaient ainsi dans la crainte d’un être que personne n’avait vu.

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J’arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les Hallebardes des gardes et l’établissement du guet garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent plutôt, je crois, par forme et pour épouvantail, qu’ils ne s’y fient. Les archers barrent bien l’entrée des palais aux moins habiles, à ceux qui n’ont aucun moyen de nuire ; mais non aux audacieux et bien armés qui peuvent tenter quelque entreprise. Certes, il est aisé de compter que, parmi les empereurs romains il en est bien moins de ceux qui échappèrent au danger par le secours de leurs archers, qu’il y en eût de tués par leurs propres gardes. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de gens à pied, en un mot ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais bien toujours (on aura quelque peine à le croire d’abord, quoique ce soit exactement vrai) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui assujettissent tout le pays. Il en a toujours été ainsi que cinq à six ont eu l’oreille du tyran et s’y sont approchés d’eux-mêmes ou bien y ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les complaisants de ses sales voluptés et les copartageants de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef, qu’il devient, envers la société, méchant, non seulement de ses propres méchancetés mais, encore des leurs. Ces six, en tiennent sous leur dépendance six mille qu’ils élèvent en dignité, auxquels ils font donner, ou le gouvernement des provinces, ou le maniement des deniers publics, afin qu’ils favorisent leur avarice ou leur cruauté, qu’ils les entretiennent ou les exécutent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal, qu’ils ne puisent se maintenir que par leur propre tutelle, ni d’exempter des lois et de leurs peines que par leur protection. 
       Grande est la série de ceux qui viennent après ceux-là. Et qui voudra en suivre la trace verra que non pas six mille, mais cent mille, des millions tiennent au tyran par cette filière et forment entre eux une chaîne non interrompue qui remonte jusqu’à lui. (...) De là venait l’accroissent du pouvoir du sénat sous Jules César; l’établissement de nouvelles fonctions, l’élection à des offices, non certes pour réorganiser la justice, mais bien pour donner de nouveaux soutiens à la tyrannie. En somme, par les gains et parts de gains que l’on fait avec les tyrans, on arrive à ce point qu’enfin il se trouve presque un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable, que de ceux auxquels la liberté serait utile. (...) Dès qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins perdus de réputation, qui ne peuvent faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ardente ambition et d’une notable avarice se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. Ainsi sont les grands voleurs et les fameux corsaires : les uns découvrent le pays, les autres pourchassent les voyageurs; les uns sont en embuscade, les autres au guet ; les uns massacrent, les autres dépouillent; et bien qu’il y ait entre eux des rangs et des prééminences et que les uns ne soient que les valets et les autres les chefs de la bande, à la fin il n’y en a pas un qui ne profite, si non du principal butin, du moins du résultat de la fouille. 
       C’est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres. Et toutefois, quand je pense à ces gens-là, qui flattent bassement le tyran pour exploiter en même temps et sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi surpris de leur stupidité que de leur méchanceté. Car, à vrai dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de la liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains la servitude? (...) Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie!! 
       Mais ils veulent servir pour amasser des biens : comme s’ils ne pouvaient rien gagner qui fut à eux, puisqu’ils ne peuvent pas dire qu’ils sont à eux-mêmes. Et, comme si quelqu’un pouvait avoir quelque chose à soi sous un tyran, ils veulent pouvoir se dire possesseurs de biens, et ils oublient que ce sont eux qui lui donnent la force de ravir tout à tous, et de ne laisser rien qu’on puisse dire être à personne. Ils savent pourtant que ce sont les biens qui rendent les hommes plus dépendants de sa cruauté; qu’il n’y a aucun crime envers lui et selon lui plus digne de mort, que l’indépendance, ou l’avoir de quoi; qu’il n’aime que les richesses et s’attaque de préférence aux riches, qui viennent cependant se présenter à lui, comme les moutons devant un boucher, pleins et bien repus, comme pour exciter se voracité. Ces favoris ne devraient pas tant se souvenir de ceux qui ont gagné beaucoup de biens autour des tyrans, que de ceux qui s’y étant gorgés d’or pendant quelque temps, y ont perdu peu après et les biens et la vie. Il ne leur devrait pas venir tant à l’esprit combien d’autres y ont acquis des richesses, mais plutôt, combien peu de ceux-là les ont gardées.

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Certainement le tyran n’aime jamais et jamais n’est aimé. L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne peut exister qu’entre gens de bien, elle naît d’une mutuelle estime... Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. ... Il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société. Ils ne s’entretiennent pas, mais s’entrecraignent. Ils ne sont pas amis, mais complices.
       Or, quand bien même cet empêchement n’existerait pas, il serait difficile de trouver en un tyran une amitié solide, parce qu’étant au-dessus de tous et n’ayant point de pair, il se trouve déjà au-delà des bornes de l’amitié, dont le siège n’est que dans la plus parfaite équité, dont la marche est toujours égale et où rien ne cloche. Voilà pourquoi il y a bien, dit-on, une espèce de bonne foi parmi les voleurs lors du partage du butin, parce qu’ils sont tous pairs et compagnons, et s’ils ne s’aiment, du moins, ils se craignent entre eux et ne veulent pas, en se désunissant, amoindrir leur force. Mais les favoris d’un tyran ne peuvent jamais se garantir de son oppression parce qu’ils lui ont eux-mêmes appris qu’il peut tout, qu’il n’y a, ni droit, ni devoir qui l’oblige, qu’il est habitué de n’avoir pour raison que sa volonté, qu’il n’a point d’égal et qu’il est maître de tous. 
       Ces misérables voient reluire les trésors du tyran; ils admirent tout étonnés l’éclat de sa magnificence, et, alléchés par cette splendeur, ils s’approchent, sans s’apercevoir qu’ils se jettent dans la flamme, qui ne peut manquer de les dévorer. (...) Comment se peut-il donc qu’il se trouve quelqu’un qui, à l’aspect de si grands dangers et avec si peu de garantie, veuille prendre une position si difficile, si malheureuse et servir avec tant de périls un si dangereux maître? Quelle peine, quel martyre, est-ce grand Dieu! d’être nuit et jour occupé de plaire à un homme, et néanmoins se méfier de lui plus que de tout autre au monde : avoir toujours l’œil au guet, l’oreille aux écoutes, pour épier d’où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour éventer la mine de ses concurrents, pour dénoncer qui trahit le maître; rire à chacun, d’entre craindre toujours, n’avoir ni ennemi reconnu, ni ami assuré; montrer toujours un visage riant et avoir le cœur transi : ne pouvoir être joyeux et ne pas oser être triste.

http://classiques.uqac.ca/classiques/la_boetie_etienne_de/discours_de_la_servitude/discours_servitude.html

Plusieurs ouvrages d’intérêt (souvent oubliés!) : http://classiques.uqac.ca/ 

22 août 2015

Des candidats à des années-lumière

Puisque les États-Unis sont nos voisins immédiats, la brigade des candidats démocrates et républicains briguant la présidence en 2016 attire notre attention.

J’ai retenu quelques propos significatifs au sujet de deux candidats diamétralement opposés, Bernie Sanders et Donald Trump, puisque le restant de la cohorte c’est du déjà vu... (1). J’ai aussi écouté l’interview d’Ezra Klein avec Sanders, tel que suggéré par David Seaton qui écrit : «...je me suis mis à penser que je n’avais jamais entendu de toute ma vie un politicien s’exprimer de manière aussi lucide, sensée.» (Lien ci-après).

Nos politiciens pourraient s’inspirer à profit de cet homme intelligent et réaliste – nous avons désespérément besoin de substance... Je me permets de rêver mais pas de m’illusionner... Les Américains, tout comme les Canadiens, ont une peur atavique du socialisme qu’ils confondent encore avec communisme. Le socialisme est un système démocratique plus équilibré et respectueux de l’ensemble de la société, tandis que le capitalisme et le communisme sont des systèmes autarciques où une minorité d’individus domine la majorité. Simpliste, mais c’est ça.

23.08.2015 -- Gros effet beurk : Sanders approuve la possession d'armes à feu individuelles. Ce qui, dans mon échelle d'appréciation, le fait passablement dégringoler. Dommage. Comment peut-on rêver de paix sociale quand tout le monde est armé jusqu'aux dents?!

Les passages en bold sont de mon initiative. Si vous avez besoin de traduction, essayez : http://www.freetranslation.com/  

BERNIE SANDERS

Sweet 2016 - Sanders + Warren? We can dream!
David Seaton, American journalist who lives in Europe 

http://seaton-newslinks.blogspot.ca/2015/08/sweet-2016-sanders-warren-we-can-dream.html

I wonder if America deserves such a good POTUS as Bernie Sanders would make. Watching his thorough, at length, interview with Ezra Klein, I found myself thinking that I had never heard such a lucid, sensible politician speaking in my entire life.

Truth to tell, I can't remember ever finding myself in such total agreement with an American (or any other nationality) politician before... and I go back quite a bit by now. I kept thinking as I listened to him talk, "Bernie, where have you been all my life?"

Please take the trouble to watch this video with complete attention and mentally compare it with the steady, endless, diet of bullshit that you are normally being fed.
(...)

Bernie Sanders: The Vox conversation (Posted July 28 2015)
https://www.youtube.com/watch?v=S5vOKKMipSA#t=82

Vox: In a wide-ranging discussion, Bernie Sanders discusses his views on socialism, single payer, open borders, Zionism, and more with Vox Editor-in-chief Ezra Klein. Table of contents:
0:00 – Socialism
3:20 – Universal health care
5:50 – Global poverty & open borders
9:29 – Unions
11:31 – Grassroots organizing
16:04 – Race
17:56 – Oligarchy and campaign finance
21:14 – Foreign policy
23:10 – Iran
25:12 – Rwanda
26:04 – Zionism & Israel
27:24 – Climate change
31:33 – China
34:04 – Greece
35:24 – Universal basic income


On the Issues
https://berniesanders.com/issues/

The American people must make a fundamental decision. Do we continue the 40-year decline of our middle class and the growing gap between the very rich and everyone else, or do we fight for a progressive economic agenda that creates jobs, raises wages, protects the environment and provides health care for all? Are we prepared to take on the enormous economic and political power of the billionaire class, or do we continue to slide into economic and political oligarchy? These are the most important questions of our time, and how we answer them will determine the future of our country.

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Sanders Versus Trump Would Be Fun
Chris Weigant, political writer and blogger
Huffington Post US

[Excerpts] 

Bernie Sanders is closer to the idea of a party purist, since on pretty much every single issue, he's been out there fighting for years for things that other Democrats have just recently gotten on board with (such as gay rights or reining in Wall Street, to give just two examples). While Trump is mostly all about style, Sanders is mostly all about substance. 
   If there was no safe choice (sorry, Jeb; sorry, Hillary) for the voters, then they'd have to weigh the populism of the right (which is now almost entirely nativist and xenophobic, thanks to Trump) with the populism of the left (which Bernie Sanders would define as "Democratic socialism," of course). 
   Hey, welcome to the world of the true believers, where every four years the choice is to hold your nose and vote for someone who you know is going to disappoint you -- or watch the other team win. Especially with Trump as a major party nominee, a whole lot of people would just throw up their hands and say "this is ridiculous, the choice is between a socialist and a carnival barker." But I also wonder if the opposite might happen. If "the other guy" is seen as so apocalyptically catastrophic that America would be downright unlivable if he won, then a lot of centrists might vote out of sheer terror of the other guy winning. This could actually drive voter turnout to new highs. A vote cast in fear counts exactly the same as a vote cast with rampant enthusiasm, after all. And both Trump and Sanders would certainly give rise to an enormous amount of fear from their opponents.
   Again, this is just a lazy thought exercise for an August afternoon. I make absolutely no claim that this is likely to happen. But it has now entered the realm of possibility, and it certainly is fun to think about. For once, the fervent base of both parties might get to pick their favorite candidate. For once, the RINOs and DINOs and the party bigwigs would be stymied. If it happened on an equal basis ("Sanders versus Bush" or "Trump versus Clinton" would be an entirely different situation), then we might get the most entertaining and interesting presidential race in a long, long time.

http://www.huffingtonpost.com/chris-weigant/sanders-versus-trump-woul_b_8012570.html  

Le bruit ne prouve rien. Souvent lorsqu’une poule vient juste de pondre un œuf elle caquète comme si elle avait pondu un astéroïde. ~ Mark Twain

Je ne serais pas étonnée d’apprendre que Trump ait été payé par le parti républicain pour créer une diversion – ce qui permet de rabaisser au niveau de la dérision les graves problèmes socioéconomiques et géopolitiques auxquels les Américains font face. May God bless them all... 
   Le milliardaire propose de déporter les 11 millions d’illégaux (par avion, par bus ou par trains menant directement vers des crématoires? s’interrogent certains journalistes), et de construire un mur à la frontière du Mexique, semblable à celui érigé par Israël en Cisjordanie. 


   Qu’est-ce qui nous fait croire que nous sommes supérieurs? Notre fortune, nos châteaux-forts, les tours de béton de nos mégapoles? Notre capacité de forer le monde entier, d’éliminer tout ce qui barre notre route, sur terre, sur mer et dans les airs? J’ai l’impression que notre indécrottable complexe de supériorité ne disparaîtra qu’avec notre propre extinction. 
    Enfin, pas besoin d’être féministe pour être répugnée par les propos de Trump... quelle femme sensée voterait pour pareil goujat misogyne?!

DONALD TRUMP

On publicity
“Publicity is important because it creates interest in my hotels, residential buildings, and other projects. But sometimes it gets out of hand, and my every move is scrutinized by the press to the point of absurdity... The Trump Organization is in some ways like the Disney Company: Image means a great deal to me. If people don’t associate my name with quality and success, I’ve got serious problems.” (Surviving at the Top, Donald Trump with Charles Leerhsen, 1990)

Bad press doesn't matter as long as you have a sexy girlfriend:
“You know, it really doesn’t matter what they write as long as you’ve got a young and beautiful piece of ass.” (TrumpNation)

En tout cas, on peut dire que Trump ne manque pas de toupet (facile celle-là, je sais). Mais le plus ironique est que le monsieur a la mèche courte!

His “tremendous fear of baldness”:
“For Donald, image and reality were always in conflict. The Windsor knot in his tie was always pulled tight to his throat. At the same time, he let his sand-colored hair dip down to his eyes and curl over his ears and collar, and he plastered it on the sides with a greasy gel that he believed fostered hair growth. He had a tremendous fear of baldness. He swept his hair across the front of his head like a man trying to hide a thinning patch. He once observed to Mark that he considered baldness a sign of weakness. He gave a tube of the gel he used to Mark, warning him, 'The worst thing a man can do is go bald. Never let yourself go bald,’ as if nature could be circumvented through sheer force of will.” (O'Donnell, writing in Trumped!)

On beauty pageants
"Nobody cares about the talent. There’s only one talent you care about, and that’s the look talent. You don’t give a shit if a girl can play a violin like the greatest violinist in the world. You want to know what does she look like.” (TrumpNation)

Women are essentially aesthetically-pleasing objects
A woman MUST be hot in order to be a journalist:
"I mean, we could say politically correct that look doesn't matter, but the look obviously matters," Trump said to a female reporter in a clip featured on "Last Week Tonight." "Like you wouldn't have your job if you weren't beautiful."

"I think that putting a wife to work is a very dangerous thing. There was a great softness to Ivana, and she still has that softness, but during this period of time, she became an executive, not a wife... You know, I don’t want to sound too much like a chauvinist, but when I come home and dinner’s not ready, I’ll go through the roof, okay?" (TrumpNation)

Sexual assault in the military is totally expected
Because what else could possibly happen when you put men and women together:
“26,000 unreported sexual assaults in the military-only 238 convictions. What did these geniuses expect when they put men & women together?” (Trump’s Twitter page)

[En particulier pour les militaires de la même trempe que Trump...]

http://www.huffingtonpost.com/news/donald-trump/

Ce personnage extrêmement stéréotypé promeut haine, violence, suprématie, ségrégationnisme, misogynie, etc.

Alors, en guise de conclusion : 

The Hidden Brain: How Ocean Currents Explain Our Unconscious Social Biases
By Maria Popova

“Those who travel with the current will always feel they are good swimmers; those who swim against the current may never realize they are better swimmers than they imagine.”

Biases often work in surreptitious ways – they sneak in through the backdoor of our conscience, our good-personhood, and our highest rational convictions, and lodge themselves between us and the world, between our imperfect humanity and our aspirational selves, between who we believe we are and how we behave. Those stealthy inner workings of bias are precisely what NPR science correspondent Shankar Vedantam explores in The Hidden Brain: How Our Unconscious Minds Elect Presidents, Control Markets, Wage Wars, and Save Our Lives (public library) – a sweeping, eye-opening, uncomfortable yet necessary account of how our imperceptible prejudices sneak past our conscious selves and produce “subtle cognitive errors that lay beneath the rim of awareness,” making our actions stand at odds with our intentions and resulting in everything from financial errors based on misjudging risk to voter manipulation to protracted conflicts between people, nations, and groups.

In the introduction, Vedantam contextualizes why this phenomenon isn’t new but bears greater urgency than ever: 
   “Unconscious biases have always dogged us, but multiple factors made them especially dangerous today. Globalization and technology, and the intersecting faultlines of religious extremism, economic upheaval, demographic change, and mass migration have amplified the effects of hidden biases. Our mental errors once affected only ourselves and those in our vicinity. Today, they affect people in distant lands and generations yet unborn. The flapping butterfly that caused a hurricane halfway around the world was a theoretical construct; today, subtle biases in faraway minds produce real storms in our lives.”

Underpinning his exploration isn’t a pointed finger but a compassionate understanding that our flaws make us not bad but human – and give us the opportunity to be better humans. Vedantam puts it beautifully:
   “Good people are not those who lack flaws, the brave are not those who feel no fear, and the generous are not those who never feel selfish. Extraordinary people are not extraordinary because they are invulnerable to unconscious biases. They are extraordinary because they choose to do something about it.”

One of the most pernicious and prevalent unconscious biases Vedantam explores has to do with gender. Some may roll their eyes and consider the plight for gender equality dated or irrelevant or solved — but, of course, one quick glance at our alive-and-well cultural gender bias renders such eye-rolling the worst kind of apathy.

The Hidden Brain is an altogether spectacular read, the kind that gives the best possible hope for changing our minds in the most necessary direction there is — toward more fairness, greater self-awareness, and a vital integration of our intentions and our actions.
[...]  

Article intégral :
http://www.brainpickings.org/2014/04/09/the-hidden-brain-shankar-vedantam/ 

Page Facebook de Shankar Vedantam
https://www.facebook.com/HiddenBrain

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(1) Plus ça change plus c’est pareil!
Artiste inconnu; qu’on aime ou non le couple, voilà un coup de génie d'humour graphique. 

15 août 2015

Hérésie verte

Alberta : 30 grands hérons trouvés morts au nord de Fort McMurray.
Crédit photo : USF&G

Drapeaux rouges

8 août 2015
   1. Le gouvernement albertain lance une enquête après la mort de 30 grands hérons près d'un site d'extraction de sables bitumineux de l'entreprise Syncrude, dans le nord de la province. Un porte-parole du Régulateur de l'énergie affirme que du bitume a été trouvé dans des étangs à proximité des oiseaux, mais l'enquête doit déterminer la cause exacte de leur mort. [Est-ce surprenant?!]
   2. Un déversement d'hydrocarbures s'est produit hier au sud-est du Yukon, à 240 km à l'est de Watson Lake, indique le ministère de l'Environnement. La fuite provient d'une usine de traitement de gaz EFLO Energy Yukon qui n'est pas en service, dans un secteur qui n'est pas accessible par la route. L'entreprise a jusqu'à dimanche midi selon la loi pour contenir le déversement.

14 août 2015 
Imaginons ce scénario sous l’Île d’Orléans par exemple : 
   «Explosion d’un pipeline à Moscou – Ces images impressionnantes proviennent d'un secteur où passe un oléoduc. Trois personnes ont été blessées et souffrent de brûlures, dont un enfant. Le feu a rapidement été éteint. La compagnie propriétaire du pipeline nie toute implication, disant avoir fait une inspection de ses installations et n'avoir trouvé aucun dommage.» [Bien sûr. Bien sûr. Y’a jamais de problèmes ni de coupables.] 
https://www.youtube.com/watch?v=AjKqQGjjQeU

Le site suivant répertorie les principaux déversements et fuites de pétrole/gaz (plutôt ahurissant) :
http://meteopolitique.com/Fiches/petrole/deversements-de-petrole/2015/Deversements-de-petrole-en-2015.htm

La chasse aux hérétiques verts

«...Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et d'autres agences gouvernementales considèrent toute opposition à l'industrie pétrolière comme une ‘menace à la sécurité nationale’
   L'adoption récente par le gouvernement conservateur d'une nouvelle loi antiterroriste («C-51») n'a rien fait pour rassurer les groupes de défense des libertés individuelles, qui s'inquiétaient déjà de la surveillance dont feraient l'objet des militants écologistes ou autochtones opposés aux oléoducs, notamment. 
   Dans sa plainte, l'Association des droits civils de Colombie-Britannique suggère que le SCRS a partagé avec l'Office national de l'énergie (ONÉ) des renseignements concernant des groupes environnementaux dits «radicalisés» qui souhaitaient participer aux audiences publiques de l'ONÉ sur un projet d'oléoduc d'Enbridge.» (La Presse, 12 août 2015)

Autrement dit, les écolos sont des hérétiques terroristes.

Les humains s’espionnent et s’entretuent depuis l’aube des temps, soit pour s’emparer des biens d’autrui soit pour protéger leurs propres biens contre des envahisseurs. Rien de nouveau.

J’ai revisité un vieux bouquin – L’Inquisition, les temps, les causes, les faits (P. Lethielleux, Librairie-Éditeur, avril 1911) : 
   «...Peu à peu, dans tous les pays contaminés, une législation s’était formée, si bien que partout les lois civiles punissaient de mort le crime d’hérésie, ou plus exactement, les hérétiques en tant qu’anarchistes. ... La préoccupation de barrer la route aux impénitents de l’hérésie détermina le pape à juxtaposer un tribunal spécial qui provoquerait et dirigerait les recherches – d’où le nom d’Inquisition – et statuerait après examen. Quand le Pouvoir civil recevait des mains du juge ecclésiastique, un hérétique avéré et obstiné, il le traitait en criminel de droit commun parce qu’il était révolté contre l’État, et lui appliquait le Code pénal de l’État comportant la peine de mort.» (...)

Adaptation contemporaine :
Hérésie : refus d’adorer le dieu pétrole
Église : industrie pétrochimique
État/pouvoir civil : SCRS
Hérétiques/anarchistes : militants écologistes

Alors, les sympathisants de la cause environnementale (membres ou non de groupes écolos) sont-ils espionnés et seront-ils soumis à la Question? (Voyez l’article «Surveillance intrusive»)

Pourtant ce n’est pas une lutte à finir entre Terroristes Verts et Terroristes Bruns... le but des revendications écologiques est simplement d’éviter l’hécatombe, le suicide collectif, toutes espèces confondues.

La Terre vit à crédit depuis jeudi

Nous avons consommé en moins de huit mois toutes les ressources renouvelables que la planète peut produire en un an, selon l'ONG Global Footprint Network. Et les choses empirent d'année en année. 
   Le «jour du dépassement» tombe le 13 août cette année. Il s'agit de la date symbolique à laquelle notre consommation de ressources excède la capacité annuelle de la planète à les renouveler. En 1990, c'était le 13 octobre, mais en 1971, ce n'était que le 23 décembre. 
   L'empreinte écologique est un outil créé par Global Footprint Network en 1970 pour mesurer l'impact des humains sur la nature. Pour faire ses calculs, l'ONG compare la demande humaine en ressources naturelles avec la capacité de la nature à reconstituer ses ressources et à absorber ses déchets, dont les émissions de gaz carbonique (CO2). 
   Le jour de l’année lors duquel la Terre a dépassé ses limites arrive de plus en plus tôt! 
   Voyez les graphiques de consommation par pays :
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2015/08/14/002-ressources-planete-consommation-empreinte-ecologique.shtml

La nature, le nouvel Eldorado de la finance

Autre sujet de désolation faisant partie de l’éco-suicide, si outrageant et révoltant que ça dépasse la capacité de l’admettre. Comme lorsqu’on voit des scènes d’horreur et qu’on détourne le regard parce que c’est humainement insupportable. 
   Ces mêmes financiers qui ont détruit la nature sur tous les continents offrent le peu qui reste à la spéculation boursière, prétendument pour la sauver. Qui sont les acheteurs? Je vous le donne en mille (1). 
   Le documentaire La nature, le nouvel Eldorado de la finance raconte l’histoire de la main mise bancaire et financière planétaire sur les ressources vivantes. Animaux et végétaux sont désormais transformés en produits bancaires et cotés en bourse. Un nouveau marché se développe : les espèces vivantes disparaissent, elles prennent donc de la valeur. L’environnement devient un capital spéculatif. Quel en sera le prix pour la nature et les hommes? 
    Un film de Sandrine Feydel et Denis Delestrac; production ARTE France et Via Découvertes www.viadecouvertes.fr 
   Si vous avez accès à la zone :
http://ici.tou.tv/nature-le-nouvel-eldorado-de-la-finance
   Sinon, des segments sur ce lien : 
https://www.youtube.com/watch?v=SDQtqo8RU9I


Les rapports s’empilent, les scientifiques s’alarment, la situation de la nature ne fait qu’empirer. «Et si les marchés économiques et financiers parvenaient à sauver la planète»? Les financiers, dont Pavan Sukhdev qui a longtemps dirigé la Deutsche Bank à Bombay,  les dirigeants des multinationales, les politiques, l’ONU, l’Europe, les grandes ONG ont déjà la réponse. Selon eux, il faut rendre la nature «visible» pour la respecter. Comment? En donnant une valeur monétaire aux différents «services» qu’elle procure à l’homme, et en la gérant comme une entreprise. Ce néo-libéralisme étendu à la planète terre atteint certains écologistes dont Pascal Canfin. «Dans le système actuel,  ce qui n’est pas compté ne compte pas (...) connaître le prix de la nature c’est aussi lui reconnaître de la valeur» argue-t-il dans le documentaire, tout en se méfiant des financiers. Or justement, l’engouement des plus grandes banques de la planète en faveur de ce nouveau marché est plus que jamais d’actualité. D’ailleurs, Michael Jenkins, qui dirige la plateforme d’information financière «Ecosystem Marketplace» siégeant à Washington, prédit que «la nouvelle vague des profits viendra de ces marchés environnementaux». 
   En réalité, ce sont les multinationales et les banques qui tirent le maximum de profit de ce jeu financier au détriment des populations et de la nature. En témoigne le marché du carbone (antérieur au marché de la nature) qui applique lui aussi le système de compensation. Le lien entre les deux marchés (carbone et nature) a des effets redoutables. Le documentaire montre les ravages provoqués au Brésil par l’entreprise minière et sidérurgique Vale. (...) 
   ...Mais la recherche des profits ne s’arrête pas là et dans le domaine de la finance l’imagination n’a aucune limite. Des produits financiers ont ainsi été créés sur les espèces végétales ou animales en danger (...). Doit-on soumettre la protection des espèces aux lois du marché? Si Pablo Solon prédit qu’«il y aura des espèces plus lucratives que d’autres», ce n’est pas le problème des marchés financiers. Pour ces derniers, les espèces en danger présentent un double intérêt, car à la rareté s’ajoute le risque de disparition. Or le risque permet de jouer comme les assurances en cotant en bourse l’espèce en question, ce qui permet de multiplier les profits. (...)
(Extraits : mediapart.fr) 

Citations de l’ancien ambassadeur de l’ONU Pablo Solon : 
   «Considérer la nature comme un capital est une absurdité car cela signifie utiliser la nature comme on utilise une technologie pour investir et obtenir plus de bénéfices. C’est ça l’idée qu’ils proposent. Ils sont fous. Cette idée est façonnée depuis une cinquantaine d’années. L’on joue sur la perte d’emplois causée par la protection environnementale, à la Ronald Reagan.» 
   Au sujet de la compensation : 
   «C’est une logique vraiment perverse car celui qui a de l’argent peut acheter ses certificats et détruire la nature. Les certificats de biodiversité sont en réalité des permis de polluer, des permis de détruire la nature. Et c’est la raison pour laquelle ces mécanismes sont pervers. Au lieu de préserver la nature cela fait exactement le contraire. Car celui qui a de l’argent n’a aucun problème. Il achète ses certificats et de cette manière il justifie la destruction de la nature.»

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(1) Il est facile d’imaginer le sort de la Grèce. Des scénarios similaires se sont produits dans quantité de pays du Tiers Monde, qu’on appelle aujourd’hui pays émergeants. Maintenant, ce sont les pays qui ont perdu au change avec le libre-échange de la mondialisation qui sont sommés de payer. 

«Les financiers [de la mondialisation] ne voient pas le monde comme étant constitué de démocraties individuelles et de pays distincts. Ils ne connaissent pas les frontières. Les lois ne les préoccupent pas parce qu’ils font la loi. Ils possèdent le monde parce qu’ils contrôlent l’argent, qui mène le monde. 
   Les banquiers affirment prêter de l’argent à ces pays dans un effort pour les mettre à niveau, pour les relever économiquement. Dans la plupart des pays, les gens aspirent à la démocratie. ... Ils sont mûrs pour la révolution. C’est alors que les insurgés entrent en scène. Les banquiers concoctent aussitôt un gouvernement militaire et vous obtenez ainsi les polarités nécessaires. Dès lors, vous avez un motif pour développer ce pays : appuyer ces gens qui réclament la démocratie. Bien sûr, le gouvernement militaire n’est là que temporairement. Sa raison d’être est d’alimenter et même d’intensifier le désir de liberté. Comprenez-vous le procédé? Les vendeurs d’armes font beaucoup d’argent. Les munitions arrivent de divers pays, de partout dans le monde. Bien entendu, tout cela est fait pour appuyer les combattants de la démocratie! ... 
   Et de quoi a besoin le jeune pays qui fait ses premiers pas? De prêts substantiels pour se développer. ... Dès que les insurgés quittent la scène, les banquiers s’amènent, trop heureux de distribuer des milliards. Ils prêtent des milliards, sachant très bien que ces merveilleux dirigeants catapultés à la tête de ce nouveau gouvernement démocratique, dilapideront cet argent et que le petit pays sera incapable de rembourser sa dette. 
   Alors, les banques demandent le remboursement du prêt. Le leader du pays plaide sa cause : ‘Mais nous n’avons tout simplement plus suffisamment d’argent pour vous rembourser.’ Le représentant de la banque sourit et dit : ‘Monsieur, ne vous en faites pas. Vous savez, je suis certain que nous pourrons arriver à nous entendre. Nous allons échanger votre dette substantielle contre les droits miniers de votre pays ainsi que le pétrole trouvé sur le littoral côtier et à l’intérieur de votre pays. Nous prendrons cela en échange.’ Le dirigeant du pays est alors si content qu’il s’exclame : ‘Quelle aubaine!’ Aussitôt dit, aussitôt fait. Et le petit pays cesse d’être un pays, il est absorbé par l’organisation sans frontière qui grandit sans cesse aujourd’hui. ... 
   Vous seriez médusé de voir avec quelle rapidité ils prennent les affaires en mains. L’industrie s’installe. Les fiers indigènes du pays sont évincés de leurs terres et parqués comme un troupeau dans les villes. Ça n’a pas d’importance si les fermiers ne cultivent plus dorénavant. Ça n’a pas d’importance si la forêt vierge est transformée en copeaux. Ça n’a aucune importance. Car les promoteurs arrivent et rasent les forêts, financés par les grandes banques, tout cela au nom de ce que vous appelez le progrès.» 

Source : The Last Waltz of The Tyrans, The Prophecy, Judi Pope Koteen; Beyond Words Publishing Inc. 1989. (Prophétique en effet!)