29 avril 2014

La dimension de notre inconscience

Tableau : Bélugas, par Caroline Bochud, acrylique et gouache, 2006

Nous avons plein de raisons d’avoir honte de faire partie de l’espèce humaine, une espèce prédatrice hyper égoïste, dangereuse, voire psychotique…  
       Je pense notamment aux bélugas (en voie d’extinction) qu’on bombarde actuellement à coups de levées sismiques (détonations sous-marines). Ce qui, lorsqu’on connaît la sensibilité des cétacés à la pollution acoustique, est une forme d’extermination sans bains de sang. Dans le cadre du projet de pipeline Énergie Est, TransCanada aurait déjà obtenu l'autorisation de mener des travaux de forage en milieu marin. «Pour mener ses sondages géophysiques, l'entreprise projette dans le fleuve de multiples secousses, similaires à des coups de canon et atteignant les 230 décibels, dans un secteur déterminé».
http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/04/27/manif-a-cacouna-contre-un-port-petrolier-les-ecologistes-sur-place-dimanche_n_5221238.html?utm_hp_ref=environnement

Commentaire d’un internaute (Jean-Claude Vincent) : «Pour ceux qui croient que la dévastation de notre environnement est un prix bien léger à payer pour le Klondike économique que représente supposément l'exploitation des sables bitumineux je propose un article qu'ils ne liront probablement pas puisqu'il prouve le contraire! : http://quebec.huffingtonpost.ca/marcel-plamondon/sable-bitumineux-catastrophe-economique_b_3297978.html

Comme réflexion additionnelle au sujet de l’harnachement du fleuve et la destruction de la faune marine, quelques extraits tirés de Anthologie des dauphins et des baleines, par Christel Leca*; Delachaux et Niestlé SA, 2007.

Source : diaporama, photographe non identifié

Support mythique du monde? Pas seulement mythique, car la baleine à fanons est le prédateur d’un micro-organisme qui sans elle, se reproduirait dangereusement. 

    …Cœur gargantuesque, ciel de voûte universelle :
Car les baleines à fanons règnent sur la plus vaste biomasse de la terre,
Le plancton,
Source de presque tout l’oxygène du monde.
       Elles passent leur vie en sa compagnie,
Faisant valoir de vastes amoncellements, de lumineuses prairies de plancton
Atomes essentiels de la vie.
Créatures graves, s’acquittant d’une tâche grave
Immensités bleu ardoise, diversement marbrées;
Centrales chargées de la respiration du monde.
       Car sans leurs attentions
Si elles cessaient de pâturer
Le plancton générateur d’oxygène se reproduirait incoerciblement.
Ferait monter, par paliers, la température de l’océan
Surchaufferait leur habitat
Détruirait la climatisation parfaite de leur creuset sphérique,
Et mourrait…
Leur pâle lumière décroissant,
Emportant cette atmosphère, Comme un mourant, aspire pour la dernière fois l’air entre ses dents,
Laissant les dépressions océaniques pleines d’un épais brouet mort…
Étrange écho de l’ancienne croyance du Bahamut
Cette baleine fabuleuse sur laquelle
Reposait le monde tout entier.
       ~ Heatcote Williams, Des Baleines, Aubier, 1988.

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La pêche de la baleine est très abondante; mais c’est une propriété de la couronne, affermée à une compagnie de Lisbonne : cette compagnie a, sur cette côte, trois grands établissements dans lesquels on pêche chaque année environ quatre cents baleines, dont le produit, tant en huile qu’en «sperma-céti», est envoyé à Lisbonne par Rio-Janéïro. Les habitants ne sont que simples spectateurs de cette pêche, qui ne leur procure aucun profit. Si le gouvernement ne vient à leur secours, et ne leur accorde des franchises ou autre encouragements qui puissent y appeler le commerce, un des plus beaux pays de la terre languira éternellement, et ne sera d’aucune utilité à la métropole.
       ~ Jean-François de Galaup de La Pérousse (1741-1788); Voyage autour du monde (1785-1788), Paris, Lecointe, 1832.

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En 1861, Jules Michelet constate les dégâts et en appelle à un traité qui ne verra le jour qu’un siècle plus tard.

S’il était dans le monde un être qu’on dut ménager, c’était la baleine franche, admirable trésor où la Nature a entassé tant de richesses. Être des plus inoffensifs, qui ne fait la guerre à personne et ne se nourrit point d’espèces qui nous alimentent. (…)
       On ne peut se représenter ce que fut cette guerre, il y a cent ou deux cents ans, lorsque les baleines couvraient tous les rivages. On faisait des massacres immenses, des effusions de sang, telles qu’on en vit jamais dans les plus grandes baleines. On tuait en un jour quinze baleines et quinze cent éléphants marins! C’est-à-dire qu’on tuait pour tuer. Car comment profiter de cet abattis de colosses dont un seul a tant d’huile et tant de sang? Souiller la mer? On voulait le plaisir des bourreaux, des tyrans, de frapper, servir, jouir de sa force et de sa fureur, savourer la douleur, la mort.
       Souvent, on s’amusait à martyriser, désespérer, faire mourir lentement, des animaux trop lourds ou trop doux pour se revancher. (…) Ces carnages sont une école détestable de férocité qui déprave indignement l’homme. Les plus hideux instincts éclatent dans cette ivresse de bouchers. Honte de la nature. (…)
       À la haine de la nature qu’eut le Moyen Âge s’est ajoutée l’âpreté mercantile, industrielle, armée de machines terribles qui tuent de loin, tuent sans péril, tuent en masse. À chaque progrès dans l’art, progrès de barbarie féroce, progrès dans l’extermination.
Exemple : la harpon lancé par une machine foudroyante.
Exemple : la drague, le filet destructeur employé dès 1700, qui traîne immense et lourd, et moissonne jusqu’à l’espérance, a balayé le fond de l’océan. (…)
       Il faut un code des nations, applicable à toutes les mers, code qui régularise non seulement les rapports de l’homme à l’homme, mais également ceux de l’homme aux animaux.
       ~ Jules Michelet, La mer, 1861.

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Mise en place en 1948, la Commission baleinière visait surtout à reconstruire l’industrie baleinière, gravement touchée par la guerre. … D’abord aux mains des pays producteurs, elle fut peu à peu rejointe par des pays anti-chasse, sous l’impulsion des associations de protection, Greenpeace en tête, jusqu’à ce qu’un moratoire sur la chasse commerciale soit entériné en 1986. Pour en arriver là, des millions de signatures ont été recueillies par l’association, des expéditions on été menées face aux baleiniers, qui n’étaient pas des promenades de santé. … Mais la chasse à visée « scientifique » continue, et alimente les marchés japonais en dépit du moratoire.

(…) Pourquoi Tokyo s’obstine-t-il depuis vingt ans à faire lever l’interdiction de cette chasse, malgré l’opposition des associations de protection des animaux et aux dépens de sa réputation à l’étranger? Il s’agit davantage d’un problème politique que culturel ou économique. (…) Le Japon prétend pouvoir chasser la baleine de Minke de l’Antarctique, dont la population approche le million d’individus, à un niveau «scientifiquement durable». «Il est tout à fait possible d’utiliser ces ressources de manière durable. Nous n’avons pas beaucoup de terres, mais nous avons la mer.» (…)
       ~ Michel McCarthy, The Independant, traduit par Courrier International No 810, 11 mai 2006.

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… Le Japon fait aussi parler de lui pour s’attaquer aux petits cétacés, sans mesure, semble-t-il.

Des associations se mobilisent pour faire cesser le carnage qui ne ralentit pas. Le Japon dévore toujours ses dauphins. Un mets de substitution à la baleine.
       …Les Japonais mangent du dauphin, confirme Takaya Watanabe, fonctionnaire à l’Agence des pêches. Une «tradition». Comme la baleine. (…) …Le dauphin alimenterait le marché de la viande de baleine comme « produit de substitution ». En clair, des Japonais, croyant se mettre sous la dent un bon steak de baleine, avaleraient du dauphin. Les autorités nippones ont été mises en garde sur les risques que comporte la consommation de la viande de dauphin, paraît-il très toxique. Entre mars 2001 et janvier 2004, l’EIA a effectué au Japon des analyses sur 72 produits de dauphins et petits cétacés… Résultat : la quantité de mercure par unité mesurée atteindrait 1,88 ppm (parties pour million), cinq fois le niveau autorisé au Japon. Un scientifique japonais, Tetsuya Endo, indique, quant à lui, que «les niveaux de mercure et de polluants contaminés contenus dans la viande de dauphin peuvent suffire à empoisonner».
       ~ Michel Temman, Libération, 20 décembre 2005

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… La chasse traditionnelle au Groenland ou en Alaska, parfois millénaire, est en perte de vitesse, comme beaucoup de traditions, et il n’est pas besoin d’être grand prophète pour estimer qu’elle disparaîtra ou ne représentera plus une menace pour la survie des espèces d’ici une dizaine d’années. Les associations pensent qu’il sera trop tard, car les cétacés subissent d’autres menaces :
- la pollution des eaux marines (manger du dauphin, comme les Japonais, est en cela peu recommandé, leur viande renfermant des métaux lourds),
- les changements climatiques, qui bouleversent les équilibres, notamment océaniques,
- les prises accidentelles lors de la pêche ou  les filets dérivants,
- la pollution sonore des océans, qui désoriente leur système complexe de navigation, et le trafic maritime responsable de nombreuses collisions

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Les utilisations militaires des dauphins – des Tursiops truncatus ou grands dauphins en général – ne sont pas que science fiction. Elles ont été menées, en Union Soviétique, aux États-Unis, et sont encore d’actualité chez Oncle Sam.

… Âgé de 72 ans, Leo Sheridan, enquêteur de renom spécialisé dans les accidents qui a travaillé pour le gouvernement et la secteur privé, assure que des sources proches des autorités de surveillance des pêches lui auraient confirmé la disparition des dauphins. «Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ont été dressés pour tirer sur les plongeurs en combinaison qui simulaient des terroristes lors d’exercices. Si des plongeurs ou des véliplanchistes sont pris pour des espions ou des kamikazes, et si les dauphins disposent de leurs harnais spéciaux équipés de fléchettes toxiques, ils pourraient tirer, dit-il. Les fléchettes sont conçues pour endormir la cible afin de pouvoir l’interroger plus tard. Masi que se passerait-il si on ne retrouvait pas la victime avant des heures?»
       ~ Courrier International, «Flippant, le dauphin!», 6 octobre 2005

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Dans les années 80, lors d’une interview au Times rapportée par Patrice Van Eersel (op.cit.), Miles Davis révélait qu’il trouvait dans le chant des baleines à bosse, qu’il passait des heures à écouter, «mieux qu’une inspiration, une immense connivence». 

La meilleure façon de manifester notre reconnaissance aux dauphins serait de les laisser en paix. Il est indiscutable que ces animaux sont, sur bien des points, nos supérieurs car ils ne demandent absolument rien. Ils n’ont besoin de rien. Et en quoi auraient-ils besoin de l’homme si ce n’est pour être sauvés de la pollution dont le responsable est justement l’homme? C’est l’homme qui a besoin du dauphin et non vice versa.

Homo delphinus : un homme qui aura compris qu’il n’est pas «étranger» à la nature, à l’océan qu’il respectera comme sa propre mère, à l’univers entier qu’il reflète en lui, comme le microcosme reflète la macrocosme.
       Un homme qui saura que dans cet univers, de l’atome à la Galaxie, du microbe à la Baleine, tout se tient. Rien, personne ne lui est inférieur ou supérieur. Il saura qu’entre lui et cet univers infini, incommensurable et intemporel n’existe aucune cloison étanche, pas plus qu’entre son propre soma et sa psyché.
       ~ Jacques Mayol, Homo delphinus, 1983.

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* Christel Leca côtoie dauphins et baleines sur le voilier d’une association qui se bat pour leur protection, de la Méditerranée au Spizberg. … Elle écrit aussi des ouvrages et des articles pour plusieurs magazines spécialisés et grand public.
http://www.participefutur.org/
http://christelleca.wordpress.com/

26 avril 2014

Suicide ÉCO-nomique?

Photo : Street Art Banksy – Shop till you drop

La chute est inévitable si nous suivons le guide d’accélération économique actuel…Hé, on veut juste être des humains, pas des machines-à-sous. Possible ça?   

Alternative :
Jour de la Terre : une économie pour les gens et la planète
Par Helena Norberg-Hodge

Photo : Lilly Rothrock / cc / Flickr

Beaucoup de choses ont changé depuis le premier Jour de la Terre en 1970. Nos crises écologiques ont été mises en évidence, et il est également devenu clair que nous devons non seulement sauver la terre mais aussi les gens des griffes d'une économie devenue aberrante. De plus en plus de gens partout sur la planète reconnaissent que cette économie doit subir de toute urgence des changements fondamentaux si nous voulons résoudre nos problèmes les plus pressants – écologiques, socioéconomiques et même spirituels. Au lieu d'essayer de s'attaquer à une interminable liste de problèmes distincts, des changements stratégiques dans la politique économique nous mettraient sur une voie qui serait bénéfique à la fois pour les gens et la planète.

Au cours des dernières décennies, la mondialisation, ou la poursuite de la déréglementation du commerce et des finances, a créé un monde dominé par de gigantesques banques et sociétés. Étant donné que presque tous les gouvernements ont acquiescé à leurs demandes, nous sommes maintenant confrontés non seulement au réchauffement climatique, à l’extinction des espèces et à une hausse spectaculaire de la pollution, mais également à l'instabilité financière, au chômage endémique, à l’accroissement des conflits, à des épidémies de maladies, et à la dépression.

Nous devons aller exactement en sens contraire – loin de la mondialisation économique et plutôt vers le local. Cela ne veut pas dire éliminer tout commerce ou adopter une attitude isolationniste. Cela signifie simplement raccourcir les distances entre les consommateurs et les producteurs le plus possible.

C'est une caractéristique inhérente de l'économie mondiale que d’augmenter sans cesse les distances, avec des intermédiaires de plus en plus nombreux qui se positionnent entre les consommateurs et leurs besoins. Un exemple évident est le kilométrage alimentaire global – avec l’accroissement des émissions de carbone, des faillites agricoles, de l’utilisation de pesticides, des OGM et autres dommages agro-technologiques, de l’érosion des sols, ainsi que des profits des géants agroalimentaires. En revanche, lorsque les systèmes agroalimentaires sont locaux, les émissions de CO2 sont réduites, les agriculteurs obtiennent de meilleurs prix pour leurs produits, la production devient de plus en plus respectueuse de l'environnement, les économies et les communautés locales sont renforcées, et à la fin, les consommateurs obtiennent des aliments plus frais et plus sains.

L’approvisionnement local est l’aspect le plus efficace et le plus concret qui émerge du mouvement de localisation qui supporte les mêmes principes dans les autres aspects de l'économie. Partout dans le monde des initiatives sont en cours pour localiser les techniques de construction, la santé publique, la production d'énergie, le transport, l'éducation, le système bancaire, et plus. Pour que ce mouvement populaire se propage il faut un changement politique fondamental aux niveaux national et international, et c’est urgent. Comment, par exemple, de petits agriculteurs et propriétaires de boutiques locaux peuvent-ils prospérer si les gouvernements continuent d’encourager le «libre-échange» et de subventionner des sociétés multinationales?  Comment de petits projets d'énergie renouvelable peuvent-ils concurrencer avec des subventions massives octroyées à d’énormes barrages, à la production de combustibles fossiles et aux centrales nucléaires? Comment la démocratie participative peut-elle se renforcer si les sociétés sont autorisées à déterminer les politiques gouvernementales et à manipuler l'opinion publique? 

Dans les médias grand public on a tendance à blâmer la cupidité humaine innée pour nos problèmes. En fait, les marqueteurs dépensent des milliards de dollars pour cibler les enfants dès l'âge de deux ans, avec comme but de semer l'insécurité et la conviction que les possessions matérielles leur assureront l'amour et l’appréciation auxquels ils aspirent. De cette façon, le besoin fondamental humain d'amour se transforme en cupidité insatiable. Des messages similaires bombardent maintenant des populations entières de l'hémisphère Sud, minant diverses traditions culturelles, et entraînant des milliards de gens supplémentaires dans cette culture de consommation insoutenable et psychologiquement dommageable. Il en résulte un épuisement des ressources encore plus rapide, une aggravation de la pollution et une intensification de la concurrence et des conflits.

Reconnaitre que le problème fondamental vient des choix politiques plutôt que de la tendance innée à la cupidité est profondément réhabilitant (empowering) – et même davantage lorsqu'on reconnaît que les changements politiques nécessaires pour faire face aux changements climatiques, aux inégalités de richesse et à la détérioration sociale, sont les mêmes que ceux qui accroîtront notre sentiment de bienêtre et notre bonheur.

Le mouvement en faveur de l’approvisionnement local commence à combler les fossés entre les groupes qui travaillent à créer un monde meilleur : militants environnementaux, propriétaires de petites entreprises, dirigeants communautaires, promoteurs de justice sociale, agriculteurs, militants en faveur des droits des travailleurs, groupes religieux et spirituels. En une seule génération, une passionnante coalition est en train d'émerger : une coalition qui offre un réel espoir de renouveau, vaste et durable.


Helena Norberg-Hodge a fondé et dirige Local Futures (société internationale pour l'écologie et la culture). Pionnière du mouvement «nouvelle économie», elle promeut depuis plus de trente ans l’économie personnelle, sociale et écologique du bienêtre. Elle a produit et coréalisé le documentaire primé Economics of Happiness (L'économie du bonheur) et est l'auteur de Ancient Futures: Learning from Ladakh. Elle a reçu le prix Right Livelihood Award pour son travail novateur dans Ladakh, et en 2012 le Goi Peace Prize pour sa contribution à «la revitalisation de la diversité culturelle et biologique, et le renforcement des communautés et des économies locales à travers le monde». (Site : http://www.localfutures.org/ )

Source : https://www.commondreams.org/view/2014/04/22-1 

23 avril 2014

La normalité


Mais c’est quoi être «normal» : tromper ses partenaires, sa famille et ses amis, démolir ses collègues, voler ses clients, mentir aux citoyens (en politique), etc.?

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En cette journée de composition du conseil des ministres :

The No Bull Prize
An award given each year to a courageous individual who tells the truth in a political system where lie-abilities are an asset.
~ Swami Beyondananda

(Swami's dictionary, Daily Laughsitive, April 22, 2014) 
 
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La vraie nature de l’homme
V.-R. Dhiravamsa

Tous les êtres humains possèdent la même nature fondamentale. Il n’empêche cependant que chacun de nous ne comprend le monde et lui-même que dans la perspective de son propre développement. Dans notre pratique du bouddhisme, il nous faut tenir compte de cela, ne pas commettre l’erreur de la fonder sur des connaissances théoriques. Cette précaution est fondamentale car, sans l’expérience directe par l’observation, elles encombrent inutilement l’esprit. Elles nous dissipent et, pendant ce temps, nous n’observons pas ce qui est vraiment.
       Dans le monde moderne, les connaissances se sont multipliées et propagées à une allure prodigieuse, bouleversant l’homme à tous les plans de son existence terrestre. Seulement, les informations venant du dehors ne peuvent ni lui donner la connaissance de lui-même, ni la sagesse. C’est pourquoi, tout le pouvoir qu’elles lui ont conféré, il l’exerce sur le monde avec tant d’imprudence. De toute évidence, l’homme savant n’est pas obligatoirement un sage.
       De même, le sage n’est pas forcément un savant. Par contre, il possède la compréhension. Et vivant en accord avec elle, on ne retrouve pas chez lui le fossé séparant la connaissance et l’action, si évident dans le monde. (…) Il nous faut trouver le moyen juste qui intégrera la connaissance à l’être, ce qui implique de partir de là où nous sommes.
       Beaucoup d’entre nous reprochent à leurs aînés d’avoir créé un monde chaotique, dans lequel ils sont contraints de vivre. Mais nous-mêmes le modifions jour après jour par notre comportement et nos actes. C’est pourquoi, remarquons également cette incidence. Voyons les choses telles qu’elles sont, sans pour cela nous blâmer ou nous glorifier. Pour changer le monde, il convient d’abord de nous changer nous-mêmes, de découvrir ce que le bouddhisme appelle la vraie nature de l’homme. Et cela suppose que nous ayons une vision juste de notre être.
       Nous nous identifions constamment à un moi, un centre, qui nous gouverne et nous enchaîne. Observons ce fait attentivement, avec une attention claire et soutenue. Essayons de comprendre nos relations intimes, celles que nous entretenons avec nos pensées, nos sensations, nos sentiments, nos attitudes et nos penchants. Car, quand dans la vie des situations nous confrontent, notre relation avec elles dépend de celles que nous avons avec le monde intérieur. Ce sont elles qui déterminent notre comportement. Comment réagissons-nous à la vie? Explorons cette question avec soin. C’est en observant avec une attention claire et fluide que nous parvenons à maîtriser notre comportement et les conditions qui le sous-tendent. C’est la vision des choses telles qu’elles sont et leur compréhension qui suscitent la maîtrise et, par-là, l’action juste et libre.
       N’essayons pas d’obtenir la maîtrise par la contrainte, extérieure ou intérieure. Nous ne ferions qu’opposer deux forces contraires, lesquelles s’équilibreraient dans la fixité et le statisme. Quand on fait appel à la contrainte, on ne peut voir les situations de la vie dans tous leurs aspects, en sorte que l’action qui en résulte n’est pas libre. Ainsi, quand devant une situation une réaction émotive se lève, l’attitude coercitive réprime les faits qui, dès lors, vont se loger dans l’inconscient. Or, une fois dans l’inconscient, ils ne sont plus contrôlables, le contrôle de l’inconscient n’étant que vœu de la pensée. Cela explique pourquoi la pratique répressive, à laquelle on donne à tort le nom de contrôle de soi, agit en sens opposé de la vraie maîtrise.
       Tout comportement coercitif fait appel à la répression et, en cela, provoque l’anxiété et l’état de tension. Il s’ensuit une attitude de fuite à l’égard de tout élément négatif de la psyché, c’est-à-dire la dissipation. Ce mécanisme est de nos jours très répandu. Il constitue du reste une des causes majeures des dépressions nerveuses. Cependant, que ceux qui veulent aider les personnes ayant de tels problèmes prennent la précaution de ne pas forcer le processus de confrontation avec les tendances réprimées. Ils risqueraient de renforcer le «moi» à un plan très subtil. Il s’agit de permettre aux patients d’observer leur vie intérieure avec constance et patience, en marge de tout critère de rapidité de résultats.
       L’état de pleine attention est exempt de toute angoisse et de tout désir de maîtrise. Il n’est qu’un mécanisme observant un autre mécanisme. Nous ne sommes pas des entités séparées du monde, mais un mécanisme tant conditionné que conditionnant. Il nous faut comprendre cette situation, sans quoi, ne voyant pas que nos limitations ont leur origine en nous, nous persisterons à les fuir et à chercher la liberté dans le monde des apparences.
       Étant assujettis à la loi de causalité, c’est-à-dire existant dans et par les conditions, peut-être nous demandons-nous comment, dans ce cas, la pleine liberté est réalisable? Elle l’est, à condition que nous apprenions à comprendre qui nous sommes, la structure du moi et les conditions qui la déterminent. La compréhension change radicalement notre vision de la vie. Avec elle, on ne se soumet pas simplement aux conditions, on les vit pleinement, sans cultiver de résistances. Les conditions étant, à l’exemple de toute existence phénoménale, sujettes à l’impermanence, elles finiront par disparaître ou par se transformer. (…) La convoitise et la fuite suscitent pareillement la souffrance. (…)
       L’homme suivant son comportement peut être classé comme méchant ou bon. Mais, étant donné la loi d’alternance gouvernant l’ordre phénoménal, il n’est jamais complètement l’un, ou complètement l’autre. C’est du reste cette loi qui confère la potentialité de libération. Car, si les lois régissant l’homme étaient absolues, il resterait pétrifié à jamais. C’est notre esprit qui aime à concevoir des absolus, dans lesquels il s’enferme inutilement. Des formes extrêmes de cette tendance sont décelables dans certaines psychoses, où l’esprit adhère si étroitement à des idées que toute digression provoque une anxiété insoutenable, voire de violentes réactions physiques. (…)
       Le bouddhisme considère la pensée comme secondaire, voire un obstacle majeur à la vision des choses telles qu’elles sont, en ce qu’elle dévie l’énergie de la vision éclairée et de l’intuition vers le canal des conjectures et des fantasmes. Il est donc en franche contradiction avec la manie de l’homme de tout conceptualiser et de procéder sans cesse par associations d’idées.
       Quiconque déchire le voile des illusions mentales, perçoit aussitôt sa vraie nature. Il comprend tout, mais n’éprouve plus le besoin d’accumuler des connaissances. Sa vision de la réalité n’est distraite par aucune pensée ni aucun sentiment. Il s’est affranchi de la peur et vit dans le présent illimité, dans un climat d’équilibre et de vraie sécurité. Chaque situation lui apparaît comme un intéressant défi, comme une occasion d’élargir le champ de sa compréhension. En vertu de quoi, il ne leur oppose plus aucune étiquette. Un tel homme a réalisé sa vraie nature.

Extraits de : La voie du non-attachement, Pratique de la méditation profonde
Éditions Dangles; 1979

22 avril 2014

Les "autorités"


«En colonisant les gouvernements, les grandes entreprises fabriquent un monde de conformité et de consumérisme.
       Comment fabriquez-vous un monde édulcoré, dépolitisé, un consensus construit autour de la consommation et de la croissance infinie, un monde  de rêve basé sur le matérialisme, la dette et l'atomisation où toutes les relations peuvent être préfixées d’un signe de dollar, où nous cessons de lutter pour le changement? Vous déléguez vos pouvoirs à des compagnies dont les profits dépendent de ce modèle.
       Le pouvoir est transféré vers des milieux où nous n'avons ni voix ni vote. Les politiques internes sont forgées par des conseillers spécialisés en marketing politique (spin doctors), par des groupes et des comités consultatifs farcis de lobbyistes. L’état en tire son propre pouvoir de réglementer et de diriger. Simultanément le vide démocratique au coeur même de la gouvernance mondiale se remplit (sans l’ombre d’un consentement) de bureaucrates internationaux et de cadres d'entreprises. Les ONG autorisées à se joindre à eux ne représentent intelligiblement ni la société civile ni les électorats. (Et je vous en prie, épargnez-moi le bêtisier sur la démocratie des consommateurs ou des actionnaires : dans les deux cas, certaines personnes obtiennent plus de votes que d’autres, et ceux qui en obtiennent le plus sont ceux qui sont les moins enclins à pousser en faveur du changement).»
~ George Monbiot  
Article complet : http://www.monbiot.com/2014/04/08/loved-to-death/  

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L’autorité

V.-R. Dhiravamsa*
La voie du non-attachement
Pratique de la méditation profonde
Éditions Dangles; 1979

Un esprit en état de révolution radicale vit constamment dans un processus de libre investigation. Ne cultivant aucune idée établie, il perçoit dans l’instant ce qui est neuf, c’est-à-dire la vérité elle-même.

Quel est l’empêchement majeur à la révolution radicale? Il n’est pas question ici de révolution politique, sociale ou économique, mais d’une révolution spirituelle, à travers laquelle l’esprit  se libère du connu et découvre peu à peu ce qui est neuf. L’existence d’une telle révolution changerait tout de suite la face du monde, seulement pour la réaliser il nous faut songer avant tout à nous changer nous-mêmes et, pour commencer, cesser de nous soumettre à des idéaux politiques, religieux, sociaux ou spirituels. Car, dans le monde de la conformité, aucun changement réel, aucune découverte fondamentale, n’est possible. On y fait des découvertes, certes, mais sujettes aux conditions et issues de l’esprit du passé. Cela équivaut à orner les murs d’une cellule de prison, alors qu’on a envie de liberté. L’aspiration est là. Pourquoi, dans ce cas, ne la réalisons-nous pas?

Pour rapporter à un seul mot la nature d’un empêchement majeur, j’emploierai le terme d’autorité. Nous avons l’intime conviction que, sans l’autorité, le monde, ainsi que nous-mêmes, sombrerions dans le chaos. Il n’est que d’observer la société contemporaine avec ses innombrables sources d’autorité pour constater que notre crainte s’exercice à mauvais escient. L’ordre et l’harmonie règnent-ils en nous, ou bien notre esprit est-il agité? Les autorités sont-elles un remède à notre agitation? Et, d’abord, qui sont les vraies autorités? Les règles morales, les lois, les croyances religieuses, les réalisations individuelles? Au plan social, ce sont les lois et l’ordre public. Quand on les transgresse, on est puni.

La question de l’autorité, il nous faut l’examiner avec soin et, pour cela, d’abord observer notre attitude à son égard. Comment envisageons-nous l’autorité? Est-elle pour nous une force compulsive, un but, un idéal? Obéir à une autorité, cela signifie domination et soumission, conformité à la traduction et à l’opinion publique, à des instructeurs, à des textes et au savoir en général. Quand, par exemple, vous entretenez des croyances, votre vision des choses se conforme à elles; vous comprenez tout en fonction d’elles et, par-là, ne pouvez être réceptifs à la vérité. Dans ce cas, on stagne.

Le Bouddha était-il contre l’autorité? Lui-même ne s’est jamais posé en autorité, même si, à nos yeux, son enseignement nous apparaît comme tel. Il avait coutume de dire : «Mettez en question les mots mêmes du Tathagata. Ne les acceptez ni ne les refusez avant de les avoir examinés.» Le Bouddha était un homme pleinement réceptif à la vie et son enseignement se fondait sur l’auto-détermination. Si vous en voulez la preuve, elle se trouve dans le Kalama Sutta, dans lequel il recommande de ne pas se fier aux textes, aux traditions ou aux ouï-dire; au raisonnement logique, aux apparences ou aux conjectures; de ne pas se laisser emporter par les opinions spéculatives et de ne pas considérer la vérité comme ne pouvant sortir que de la bouche des instructeurs.

L’autorité constitue un frein à l’investigation spirituelle.  Vous voudriez sans doute penser librement, mais ne pouvez pas le faire parce que cela contredit vos convictions actuelles. Certains vont jusqu’à penser qu’il est mal de mettre en question l’enseignement du Bouddha. Cela est inexact et ne procède que d’un conditionnement à l’autorité. L’acceptation aveugle de la tradition alourdit notre sommeil psychologique. Avec elle, nous végétons comme des grenouilles dans une mare qui, n’ayant jamais vu l’océan, la croient immense. Les limitations de l’autorité créent la mare dont les eaux, à force de stagner, croupissent. Sans le renouvellement, la pureté ne peut être.

Nous ne pouvons certes pas nous libérer de l’ensemble de nos croyances d’un seul coup. Mais, il n’est pas impossible de prendre conscience des limitations qu’elles imposent à l’esprit, puis d’élargir peut à peu son champ de vision.

Dans la pratique de la méditation, cela équivaut à librement explorer tout ce qui se lève dans le champ de l’attention. L’observation stabilise l’esprit qui, ainsi, peut percevoir la vérité dans les choses observées. Car, quand l’esprit est immobile, la sagesse intuitive et la vision éclairée sont à l’œuvre. Ce qui empêche leur action, c’est la présence d’émotions et de pensées dans la psyché.

La compréhension intellectuelle et la compréhension intuitive sont cependant liées l’une à l’autre, au sens où la compréhension intuitive renferme en elle la possibilité d’interprétation, laquelle est exercée par l’intellect. Ainsi, quand nous pressentons quelque chose de transcendant, il n’y a pas rationalisation immédiate. Elle se fait après coup, lorsque l’intellect qui, dans un éclair, a pressenti la vérité à travers la vision éclairée, commencera à la formuler dans son propre langage. La rationalisation n’est cependant pas obligatoire.

La compréhension intellectuelle n’est en quelque sorte qu’un fragment de compréhension intuitive. D’où l’impossibilité pour l’intellect de comprendre la vérité, qui est totalité. Seulement, pour réaliser la connaissance et l’être parfaits, il faut les développer de concert. Dans cet état, il n’y a ni attachement aux connaissances, ni même de séparation entre l’être et la connaissance, les deux se confondant.

Il n’est, bien sûr, pas question de connaître un tel état quand on dépend d’une autorité, quelle qu’elle soit. Soyons, par conséquent, vigilants. Révoltons-nous contre les idées établies, examinons-les, observons-les et voyons-les selon leur réalité. Cette investigation enlève de notre esprit toute trace de confusion et de contradiction. Le conformiste crée un conflit chaque fois qu’il se trouve en présence de quelque chose qui choque ses croyances et ses pratiques. Il cultive la réticence et le doute. Libérez-vous, ne serait-ce qu’un seul instant, de toute autorité et voyez ce qui se passe. La liberté d’être étant le point central de toute vie. Quand vous êtes libres de l’autorité, vous êtes en contact avec votre vraie nature, complètement seuls avec vous-mêmes. Est-ce la solitude qui vous effraie? Quand vous l’aurez connue, vous apprécierez son aspect merveilleux. C’est avec elle qu’on découvre le «trésor», abolissant toute séparation entre l’intérieur et l’extérieur. Seul l’esprit discriminatoire, créateur de la dichotomie, se complaît dans les séparations. Étant dans la dichotomie, il crée la confusion et les contradictions. Et un tel esprit ne peut connaître le vrai bonheur.

Pour être fondamentalement révolutionnaires, il nous faut donc être pleinement attentifs à chaque instant, à nos actes, paroles et pensées. Le moi n’étant alors pas à l’œuvre, il y a en nous totale vacuité, c’est-à-dire absence de toute fragmentation mais aussi parfaite intégration et totale liberté. La liberté n’est pas simplement un mot ou une mode. C’est avant tout une réalité vécue dans le présent, intemporel et illimité.

Ne remettons jamais les choses en nous disant «J’y songerai plus tard». La remise à plus tard est un obstacle à la libre investigation et à la réalisation de la vérité. Faisons les choses dans l’ici-et-maintenant, sans conditionner notre esprit. Permettons à la compréhension immédiate et intuitive de naître et de s’épanouir. Travailler dans ce sens, c’est travailler à l’élimination de tous nos problèmes.

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* L’auteur : V.-R. Dhiravamsa est né en 1934 à Yasothorn, en Thaïlande. Il fut formé à la vie monastique bouddhiste et étudia la philosophie, les sciences de l’éducation et les religions comparées. Il a répandu le Vipassana et le bouddhisme Theravada en Europe et aux États-Unis, et écrit de nombreux ouvrages. Il vit maintenant à Gran Canaria.

13 avril 2014

Le sofa

Photos prises au dépotoir Shamattawa (Manitoba, Canada).

 
«Diable! Où est le zapper?»

Humour noir, sur le chemin de l’extinction. Il n’y aura pas de zapper pour modifier le paysage.

Ces photos me faisaient penser à cet étrange roman de science-fiction, Les fils de l’homme. J’avais pris des notes.

Children of Men; Faber and Faber; 1992
Les fils de l’homme; Fayard, 1993
P.D. James

Résumé :
       Dans cet étonnant roman, P.D. James imagine une Angleterre du futur gagnée par un fléau : la stérilité humaine. En l’an 2021, cela fait un quart de siècle qu’aucun bébé n’a vu le jour. Les vieillards sont acculés au désespoir et au suicide, et l’ultime génération de jeunes est belle, mais violente et cruelle. Le reste de la population s’accroche à une forme de normalité sous l’autorité d’un dictateur charismatique et gouverneur de l’Angleterre.
       Dans cette atmosphère sinistre, Theo Faron, historien à l’université d’Oxford et cousin du gouverneur, mène une vie solitaire, centré sur lui-même. Un soir, il rencontre par hasard au collège Magdalen une jeune femme, Julian, membre d’un groupuscule clandestin qui s’est donné pour but de défier le pouvoir du gouverneur. La vie de Theo bascule dans le drame, et il se voit confronté à des scènes d’horreurs presque inimaginables. C’est alors que Julian lui annonce une nouvelle stupéfiante…

Notes de lecture

Si nous sommes révoltés et abattus, c’est moins par la fin imminente de notre espèce, mois même par notre incapacité de l’empêcher, que par notre échec à en découvrir la cause. La science occidentale, la médecine occidentale, ne nous ont pas préparés à l’ampleur et à l’humiliation de cet ultime échec. Il s’est vu bien des maladies difficiles à diagnostiquer, dont l’une a presque dépeuplé deux continents avant de s’épuiser. Mais en dernier ressort nous avons toujours su expliquer pourquoi. (…) La science occidentale a été notre dieu.

Je suis tout aussi soucieux de rester en vie que n’importe qui, tout aussi obsédé par le fonctionnement de mon corps.
       L’origine de tout cela me paraît remonter au début des années 1990 : quête d’une médecine alternative, huiles parfumées, massages, caresses et onctions, port de cristaux bienfaisants, sexe et pénétration. La pornographie, la violence sexuelle au cinéma, à la télévision et dans la vie avaient pris une ampleur devenue manifeste, mais l’Occident faisait de moins en moins l’amour, de moins en moins d’enfants. À l’époque, dans un monde que polluait gravement la surpopulation, cette évolution semblait pour le mieux. En tant qu’historien, j’y vois le début de la fin.

Mais le monde ne perdit espoir que lorsque la génération née en 1995 atteignit la maturité sexuelle. Quand, les tests achevés, il s’avéra qu’aucun de ses représentants ne produisait un sperme fécond, nous sûmes qu’il s’agissait en fait de la fin de l’homo sapiens. Et c’est cette année-là, en 2008, que le taux des suicides augmenta. Pas tellement parmi les vieux, mais parmi ceux de ma génération, les gens d’âge mûr, ceux qui devraient porter le poids des besoins humiliants mais pressants d’une société vieillissante et décadente. (…) Mes les vivants s’abandonnèrent à un négativisme quasi universel, ce que les Français appellent l’ennui universel. Il fondit sur nous comme une maladie insidieuse : et c’était bel et bien une maladie, avec ses symptômes bientôt familiers de lassitude, de dépression, de malaise indéterminé, une promptitude à céder aux moindres infections, un perpétuel mal de tête rendant tout effort impossible. J’ai combattu le mal, comme beaucoup d’entre nous. Mais certains, comme Xan, n’en ont jamais souffert, protégés peut-être par un manque d’imagination, ou, dans son cas, par un égoïsme si puissant qu’aucune catastrophe extérieur ne peut l’entamer. Il m’arrive encore occasionnellement de devoir le combattre, mais je le redoute moins. Les armes de ma lutte sont aussi mes consolations : les livres, la musique, la nourriture, la boisson, la nature.

Après tout, sur les quatre milliards de formes de vie qui ont existé sur cette planète, trois milliards neuf cent soixante millions sont maintenant disparues. Sans qu’on sache pourquoi. Certaines se sont éteintes comme par caprice, d’autres détruites par des catastrophes naturelles, par des météorites, par des astéroïdes. À la lumière de ces disparitions massives, il paraît tout à fait déraisonnable de supposer que l’homo sapiens fasse exception. La vie de notre espèce aura été l’une des plus courtes : un clin d’œil au regard du temps.

Et de toute manière, cette planète est condamnée. Le soleil finira par exploser, ou refroidir, et une particule négligeable de l’univers va disparaître sans plus qu’un frémissement. Si l’homme est voué à périr, je ne vois pas de moyen moins douloureux que la stérilité universelle. Et puis, il y a des compensations personnelles, après tout. Pendant soixante ans, nous nous sommes pliés aux exigences du groupe le plus ignorant, le plus criminel et le plus égoïste de la société. Maintenant, pour le temps qui nous reste à vivre, nous n’aurons plus à subir l’importune barbarie des jeunes, leur boucan, le martèlement répétitif de leur pseudo-musique sortie d’ordinateurs, leur violence, leur égoïsme camouflé en idéalisme. Bon Dieu, nous allons peut-être même réussir à nous débarrasser de Noël, cette célébration annuelle de la culpabilité parentale et de l’avidité juvénile. J’entends que ma vie soit agréable, et quand elle le sera plus, eh bien, j’avalerai ma pilule finale avec une bouteille de bordeaux.

Si le vieillissement est inévitable, il n’est pas uniforme. Il existe des paliers où, pendant des années, le visage de nos amis, de nos connaissances, demeure pratiquement inchangé. Puis le temps accélère son mouvement, et, en l’espace d’une semaine, c’est la métamorphose. Aujourd’hui, il m’a semblé que Jasper avait pris dix ans en six semaines.

Jasper a demandé : «Tu as entendu parler de Quietus, j’imagine – le suicide collectif des vieillards?»
-- Vaguement. Par ce que j’en ai lu et dans les journaux ou vu à la télévision.»
Une image m’est revenue, la seule, je pense, qu’on ait jamais montrée à la télévision : des vieux vêtus de blanc poussés en chaise roulante ou soutenus pour monter à bord d’une espèce de barge, leurs voix chevrotantes entonnant un chant, le bateau s’éloignant lentement dans le crépuscule – une scène d’une sérénité enchanteresse, éclairée et filmée avec art.
J’ai dit : «La mort en troupeau ne m’attire pas. Le suicide devrait être une affaire privée, comme le sexe. Si l’on veut se tuer, les moyens ne manquent pas, alors pourquoi ne pas le faire confortablement dans son lit? Pour ma part, je préférerais même une alène.» 

… Ce qu’il faudrait là-bas, c’est un Quietus à la bombe. Curieux non? Presque toute la recherche médicale s’occupe de prolonger la vie et d’améliorer la santé chez les vieux, et c’est la sénilité qui progresse. À quoi bon prolonger la vie? On les bourre de médicaments pour lutter contre l’amnésie, l’abattement, l’anorexie. La seule chose dont ils n’aient pas besoin, c’est de somnifères : on dirait qu’ils ne savent que dormir. Je me demande ce qui se passe dans leur tête durant ces longues périodes à demi-conscientes. Ils ressassent des souvenirs, j’imagine, des prières.

Dans quinze ans – et c’est bien peu de temps – 90 pour 100 de la population de la Grande-Bretagne aura plus de quatre-vingts ans. Il n’y aura plus d’énergie, alors ni pour le mal ni pour le bien. Imaginez à quoi ressemblera ce pays. Les maisons vides, les routes à l’abandon, la nature reprenant partout le pouvoir, les derniers d’entre nous vivant accrochés les uns aux autres pour lutter contre le désespoir et la peur, la fin de toutes les facilités qu’assure la civilisation. Plus d’eau courante, plus d’électricité, le retour aux bougies, l’ultime bougie finissant par s’éteindre.

«Si vous croyez que Dieu existe, dit-il, vous devez croire qu’Il vous a donné votre esprit, votre intelligence pour vous en servir. Alors servez-vous-en.» (Theo Faron)

8 avril 2014

Avenir prometteur

Photo d'archives 1950  

Les gouvernements ne veulent pas de gens bien informés, bien éduqués,
capables de pensée critique.

Ils veulent des travailleurs obéissants, des gens juste assez intelligents
pour s’occuper des machines et de la paperasse.

Et juste assez stupides pour accepter passivement.

~ George Carlin

6 avril 2014

Hésitez-vous encore?

Voici une option de dernier recours :


La vente d'alcool est le seul business, à l’échelle planétaire, dont la croissance est pérenne.
Que font les gens quand ils sont désespérés, déprimés et croulent sous les dettes?
Ils boivent pour oublier.

Donc, investissez dans des entreprises de bières, vins et spiritueux; achetez des parts, des actions, n’importe quoi, ou devenez importateur, négociant, fabricant.

Résultats financiers 2013 de la Société des Alcools du Québec (SAQ) (en dollars) :
Ventes au 4/5 janvier 2014 : 2 368 733 $
Bénéfices 4/5 janvier 2014 : 1 251 057 $

Il s’agit d’une société d’État, alors, imaginez les bénéfices en entreprises privées.

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Si le résultat du scrutin vous a extrêmement déçu, essayez le Yoga for Wine Lovers – ça calme les nerfs.  Pourquoi s’en faire? Dans deux ou quatre ans on changera de parti. C’est une manie.



Anything is Possible


 

4 avril 2014

Lutte politique pré-préhistorique

 Photo : Michael Shainblum, cinéaste/photographe

Campagne «Québecgate» :  
- On dirait des diables qui se débattent dans l’eau bénite – analogie que les Québécois de plus de 50 ans comprendront J  
- Que d’arrogance, de dureté, de déni, de psychologie dysfonctionnelle (consultez le DSM-5).
- Sagesse et conscience quasi inexistantes.
- Seul Québec solidaire n'est pas entré dans ce jeu de désespérés visant le pouvoir à tout prix.

Nos institutions fonctionnent de façon préhistorique. Ainsi avons-nous des systèmes de sécurité nationale qui s’adonnent allègrement à la tuerie, des ministères de la santé qui ont à peu près tout recommandé comme régime alimentaire (sauf l’huile à moteur polyinsaturée – mais ça s’en vient), et des systèmes politiques qui tentent de nous persuader que la Vie est une nuisance pour l’économie. Nos gouvernements, nos entreprises et notre société commettent des atrocités ahurissantes au nom du gain financier. Continuer de raser des écosystèmes entiers pour en extraire des carburants fossiles en est un exemple.
       Même si certains actes sont considérés comme illégaux par nos lois, la fraude devient un problème seulement quand les escrocs se font pincer. Autrement, ce ne sont que pures transactions d’affaires, des astuces, concoctées pas des cerveaux dits «brillants» – le mot «brillant» étant associé à une intelligence douée pour l’escroquerie et la corruption. Nous aurions intérêt à corriger notre définition de l’intelligence… Le modèle humain de pensée rationnelle, qui passe pour de la santé mentale, fait frémir d’horreur.
       Le répugnant mouvement de va-et-vient (vécu dans toutes les civilisations humaines) dépend du fait que les idéologies, les systèmes politiques et les structures sociales sont toujours érigées sur la peur et le déni. C’est l’unique raison de l’effondrement des civilisations. L’histoire ne se répète pas, elle trébuche sur ce problème que nous refusons de résoudre. De sorte que l’esclavage humain se perpétue d’une civilisation à l’autre, assurant l’ultime effondrement de chacune d’entre elles.

Bref, si vous votez lundi, n’oubliez pas cette citation-repère :
CE QUE QU’ILS FONT PARLE PLUS FORT QUE CE QU’ILS DISENT.  
(Albert Schweitzer)

Hier, je lisais dans Ecobuddhism un article où l’on a demandé à Joanna Macy* ce qu’elle pensait de la Sixième extinction.

[Quelques extraits]  

Joanna Macy : C'est en train d’arriver. Une combinaison de beaucoup de choses annonce l’effondrement. Par où commencer pour éliminer le plastique des océans qui couvre des zones de la taille des pays? Quels sont les effets des téléphones cellulaires et des micro-ondes sur nos rythmes biologiques? Qu’y a-t-il exactement dans nos aliments? Comment devons-nous composer avec les cultures génétiquement modifiées? Nous sommes extrêmement dépendants de tout cela, à tous les niveaux. Par quoi commencer pour freiner la machine?
       Le premier niveau de crise porte sur les capacités de la terre. Plusieurs civilisations avant le nôtre, à commencer par la Mésopotamie, en sont arrivées à ne plus suffirent à leurs besoins parce qu'elles avaient épuisé leurs ressources naturelles. La capacité de la terre de nous supporter est le sujet dont les gens parlent le plus. C'est en lien direct avec la crise climatique. Comment allons-nous cultiver la nourriture dont nous avons besoin étant donné les variations extrêmes de température? Comment allons-nous gérer les catastrophes naturelles et les famines qui résulteront de ce climat chaotique?
       Le deuxième niveau de crise, très grave, porte sur les conséquences qui s'étendront bien au-delà de l'effondrement de cette civilisation. Nous sommes en train de créer un manque de possibilités pour les générations et les civilisations futures car nous utilisons les ressources minières et pétrolières sans réfléchir. Lorsque cette civilisation s'effondrera, les possibilités futures seront largement de type Âge de pierre.
       Le troisième niveau de crise porte sur l'énorme augmentation des extinctions – le tissu même de la vie est déchiqueté. Cette perte de biodiversité est si extrême que nous pouvons entrevoir l’extinction des formes de vie complexes. Il faut plusieurs systèmes très différenciés et intégrés pour produire des formes de vie suffisamment complexes pour accueillir la conscience.
       Le quatrième niveau de crise porterait sur la destruction de tout ce qui est plus complexe que les formes de vie anaérobique en raison de la perte de production d'oxygène dans les océans et sur les terres.
       De toute façon je prends toutes ces crises au sérieux, et je n’entends pas les contester. En même temps, je consacre ma vie et mon souffle à ouvrir nos esprits, à changer notre coeur-esprit. (...)

Il faut dire la vérité à propos de ce qui nous attend. Je pense que c’est difficile de faire quelque chose tout seul, ce travail exige que nous nous regroupions. Il doit se faire en groupes de sorte que nous puissions nous écouter et nous entendre les uns avec les autres. Ce faisant, nous éliminons l'isolement auquel on nous a conditionnés au cours des siècles derniers, en particulier dans notre société de consommation hyper-individualiste. Les gens peuvent sortir de l'isolement quand ils prennent conscience de leur interdépendance avec tout.
       Oui, l’avenir semble lugubre. Mais vous êtes encore vivants aujourd'hui. Vous êtes vivant en ce moment, ainsi que tous les autres. La vérité fait partie du travail, et elle déverrouille le coeur. Et l’on découvre un réel sentiment d'expérience et d'aventure. C'est comme si un clairon nous invitait à une grande aventure. Dans toutes les grandes aventures, il arrive un moment où la petite bande de héros se sent totalement dépassée et démoralisée, comme Frodo dans le Seigneur des Anneaux ou Pilgrim dans Pilgrim’s Progress. Vous apprenez à dire «C'est vraiment lugubre. Que c’est sombre!»   
       Nos petits cerveaux pensent qu'il n’y a plus rien à faire. Mais le simple fait de le constater peut revitaliser. Et puis nous savons que nous ne pouvons pas voir l’ensemble étant donné que nous ne sommes qu’une petite partie d'un immense ensemble interdépendant – une cellule dans un organisme plus vaste. Alors, ne prenons pas nos perceptions pour des vérités ultimes. Ma vision du monde a été intimement tissée d’enseignement bouddhique et de science contemporaine, qui s’imbriquent étonnamment bien.
       «Les êtres humains sont innombrables; je promets de les libérer tous.» Ce sera peut être le dernier souffle de vie sur terre, mais quel grand souffle, si nous réalisons que nous nous sommes aimés les uns les autres. Si vous vivez pleinement dans la réalité du moment, vous ne pourrez pas dire : «Oh, je ne veux pas vivre cette expérience parce qu'elle ne durera pas éternellement!» Ce moment vous appartient. Il est vra, maintenant. Nous pouvons avoir raison de nous inquiéter de ce qu’il y a au bout du chemin, mais nous ne sommes pas obligés de nous accrocher à ce que nous aurons à subir éventuellement.

Ecobuddhism : Si nous continuons de la même façon, les océans s’acidifieront et augmenteront le réchauffement climatique, une extinction massive se produira et un nouveau cycle géologique émergera. Quelques climatologues considèrent que nous sommes peut-être déjà engagés dans un mouvement irréversible. (…) Nous avons affaire à une «psychopathie corporative» dotée d’un immense pouvoir provenant des carburants fossiles – devenu le business le plus rentable de toute l'histoire humaine. Et, même si nous savons que cela peut être potentiellement fatal pour notre espèce, nous ne voulons pas le savoir. Les médias américains sont minutieusement contrôlés par les grandes entreprises ou les revenus publicitaires.

Joanna Macy : Les médias ont réduit la population à un état de stupidité déplorable. Je ne regarde même pas la télévision. Je suppose que je devrais, ne serait-ce que pour voir ce qui se passe dans mon propre pays. C'est une terrible dégénérescence, une nausée culturelle. Même la radio payée par les auditeurs, qui fournit un peu d'oxygène, est prise d’assaut. (...)

À travers mon enseignement et mon travail expérimental, je constate que j’aide les gens à faire la paix avec l’incertitude, et à l’utiliser pour se revitaliser. Car la vie n’offre jamais de garantie, à aucun moment. Peut-être que ce besoin de tout savoir, ce besoin de certitude, de contrôle, d’être toujours optimiste, souriant, sociable est plus ancré chez le citoyen américain. Mais ce moule culturel a un énorme pouvoir : celui de nous engourdir, de nous rendre apathiques. Le but central de ma vie et de mon travail est de faire la paix avec notre désespoir, de faire la paix avec notre souffrance vis-à-vis du monde; et conséquemment de dignifier et de respecter ce monde. C’est très libérateur.

Source : http://www.ecobuddhism.org/wisdom/interviews/jmacy

* Joanna Macy (née en 1929) est éco-philosophe, et experte en bouddhisme et en théorie générale des systèmes. Très impliquée dans les mouvements pour la paix, la justice et l'écologie, elle met ses connaissances au service d'un activisme pour le changement personnel et social depuis 40 ans. Elle a publié 10 livres explorant ces thèmes. Elle donne des conférences et des ateliers à travers le monde (Amériques, Asie, Europe, Australie). Elle vit à Berkeley, en Californie. www.joannamacy.net 

À lire :
Écopsychologie pratique et rituels pour la Terre
Retrouver le lien vivant avec la nature
Auteurs : Joanna Macy, Molly Young Brown, Sandrine Priou
Traducteur : Marc Zischka
Résumé :
Beaucoup d'humains portent une souffrance profonde face aux graves atteintes faites à la nature et à notre Terre Mère. Or, dans l'impuissance où nous sommes souvent, cette affliction, qu'elle soit consciente ou non, génère souvent de la culpabilité ou du déni, et donc de la fermeture d'esprit. Les auteurs apportent ici de vraies réponses à ce défi! Puisant dans le bouddhisme et l'approche systémique, elles proposent un positionnement et des exercices puissants; c'est un vrai message d'espoir, dans plusieurs directions : une contribution majeure pour se reconnecter et se réconcilier avec la Terre Gaïa en découvrant son identité écologique. Comment faire face à l'apathie, à l'impuissance, comment passer du mental au ressenti, pour prendre une part active à la guérison de notre monde dans l'interdépendance. Retrouver notre pouvoir au service de la Vie, par un travail de groupe sur des valeurs telles que la gratitude, la souffrance, le désespoir, notre relation au temps. Retrouver le courage, l'implication et la solidarité nécessaires pour changer nos vies et entrer en action pour prendre soin de la planète. Opérer un changement de cap, par un engagement volontariste pour la Vie; poser des actions de résistance.

2 avril 2014

Causes et effets


À la lumière de ce qui suit, pourquoi ne pas risquer un changement d’orientation politique? La souveraineté ne devrait même pas entrer en ligne de compte puisque nous serons toujours libres de répondre oui ou non à un référendum sur la question.

Conscience environnementale de nos formations politiques
Source : Ici Radio Canada, Grands titres
[Extraits]

Des groupes environnementaux, dont Nature Québec et la Fondation David Suzuki, ont fait passer un questionnaire sur la lutte contre les changements climatiques aux partis politiques qui souhaitent prendre le pouvoir lors du prochain scrutin au Québec. Résultat : selon leurs critères, la moitié des formations n'obtient pas la note de passage.
       À la lumière des réponses aux 17 questions posées aux partis, si les environnementalistes observent qu'il existe un certain consensus sur les cibles de réduction des gaz à effet de serre, ils notent un clivage entre les partis sur la question de l'exploitation et de la consommation pétrolières dans la province.

Les notes obtenues par les partis :
Québec solidaire : 98 %
Parti vert du Québec : 96 %
Option nationale : 75 %
Parti québécois : 46 %
Parti libéral du Québec : 32 %
Coalition avenir Québec : 28 %
(...)
«… il existe des différences significatives entre les partis quant à la compréhension du problème et l'urgence pour le Québec de contribuer à sa solution et à prendre le virage qui s'impose», estime Marie-Claude Lemieux, directrice du Fonds mondial pour la nature au Québec.
       Les groupes, qui soulignent que ces notes sont dévoilées au lendemain de la publication d'un rapport alarmant du GIEC sur les changements climatiques, déplorent le peu d'importance accordée à cet enjeu au cours de la présente campagne électorale.
Pour Patrick Bonin, de Greenpeace, si les partis émettent de bonnes intentions, il importe qu'ils «passent de la parole aux actes». Il souligne que si plusieurs partis proposent des objectifs de réduction, ils n'avancent que peu de moyens concrets pour les atteindre : «Il est ahurissant que si peu d'importance ait été accordée à la question climatique dans la présente campagne électorale, en particulier chez les partis qui mènent dans les sondages. Nous espérons que le récent rapport du GIEC réveillera les partis qui ont échoué le test et qui manquent d'ambition pour briser notre dépendance au pétrole.»
       Les groupes environnementaux constatent un «clivage net» entre les partis qui s'opposent à l'exploitation du pétrole de schiste d'Anticosti (Québec solidaire, Parti vert du Québec, Option nationale) et ceux qui souhaitent «à la fois réduire la consommation de pétrole et foncer sans débat dans l'aventure pétrolière d'Anticosti», position qu'ils associent au PQ et à la CAQ. Quant au PLQ, les groupes affirment que la formation «n'a pas d'objectif de réduction de consommation du pétrole».
       Pour Christian Simard, de Nature Québec, «il est pourtant de première importance que la classe politique québécoise résiste aux chants des sirènes des marchands de pétrole et concentre sa lutte aux changements climatiques sur ce qui fait sa force, soit l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables». (…)

 
L’article suivant démontre clairement que l’enjeu majeur reste le respect et la protection de l’environnement – c’est une question de survie! Québec solidaire ne nous «sauverait» peut-être pas, mais au moins travaillerait-il en sens contraire des prédictions de cette étude. 

L’humanité risque l’effondrement d’ici quelques décennies
Source : Le Devoir Avec Le Monde; 20 mars 2014
Par Alexandre Shields

Notre civilisation risque l’effondrement d’ici à peine quelques décennies en raison de la surexploitation chronique des ressources de la terre et de l’accroissement des inégalités. C’est ce que conclut une nouvelle étude de trois chercheurs universitaires, Safa Motesharrei et Eugenia Kalnay de l'Université du Maryland et Jorge Rivas de l'Université du Minnesota.
       Cette étude – dont la publication vient d’être acceptée par le Elsevier Journal Ecological Economics – se base sur la dynamique historique qu’entretiennent les civilisations par rapport à la nature, mais aussi à l’intérieur même de leurs structures sociales. Le modèle de recherche est donc multidisciplinaire.
       Les chercheurs ont ainsi mis en évidence les raisons qui ont contribué à la chute des civilisations au cours des derniers millénaires. Selon leurs travaux, une série de facteurs liés entre eux sont à prendre en compte, parmi lesquels le climat, la population, l’eau, l’agriculture et l’énergie.
       Ces facteurs peuvent mener à un effondrement de la civilisation s’ils convergent vers une «rareté des ressources provoquée par une trop grande pression exercée sur les capacités de la nature » et une «stratification économique entre riches et pauvres». Ces phénomènes combinés «ont toujours joué un rôle central dans le processus d’effondrement. Du moins au cours des cinq mille dernières années», concluent-ils.

«Déficit écologique»

Le fait que l’humanité surexploite la majorité des ressources terrestres vitales pour sa survie fait de moins en moins de doute. À preuve, le «déficit écologique» annuel de l’humanité survient de plus en plus tôt chaque année, selon le Global Footprint Network, qui regroupe des scientifiques, des universitaires, des municipalités et des entreprises de partout dans le monde.
       L’an dernier, le jour du dépassement est survenu le 20 août. En 1993, il y a donc à peine 20 ans, il est survenu le 21 octobre. Ce point de dépassement le moment, dans l’année, où la population mondiale a consommé l’ensemble des ressources que la planète était en mesure de produire pour l’année en cours.
       Au rythme actuel, le Global Footprint Network évalue que «la demande de l’humanité en ressources et services écologiques exigerait une fois et demie la capacité de la Terre pour être satisfaite». Selon ces mêmes calculs, «nous aurons besoin de deux planètes d’ici 2050 si les tendances actuelles persistent». Si tous les Terriens consommaient comme les Canadiens, il nous faudrait l’équivalent de trois planètes et demie pour assurer notre subsistance.
       Les pêcheries mondiales constituent un bon exemple de la surexploitation des ressources mondiales. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, il pourrait être impossible d’exploiter commercialement les poissons des océans d’ici 2050.
       Qui plus est, les bouleversements climatiques provoqués par l’activité humaine risquent d’aggraver les choses. Selon la Banque mondiale, de graves pénuries alimentaires sont ainsi à prévoir si le réchauffement planétaire poursuit sur sa lancée actuelle. Cela risque d’aggraver le problème de la faim dans le monde. Déjà, malgré une croissance marquée de la production agricole et une kyrielle d’engagements politiques, la faim dans le monde n’a pratiquement pas reculé, selon le rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter. Les stratégies censées permettre de lutter contre ce fléau ont lamentablement échoué, en plus de nuire à l’environnement.
       Les scientifiques prédisent aussi un accroissement du niveau des océans qui affectera de plus en plus de populations côtières, des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents ainsi que des effets irréversibles sur la biodiversité mondiale.

Les élites et le statu quo

Dans une telle dynamique, les citoyens les plus privilégiés sont toutefois prompts à refuser tout changement, soulignent les chercheurs qui ont mené l’étude. Ils sont en effet moins affectés que les plus démunis par «les effets de la détérioration de l’environnement». Ils peuvent donc se contenter du statu quo beaucoup plus longtemps avant d’être forcés d’agir.
       L’étude souligne par ailleurs que le développement technologique n’est absolument pas en mesure de permettre à l’humanité d’éviter le pire. «Les changements technologiques augmentent l’efficacité des ressources, mais aussi la surconsommation», peut-on lire dans le document.
       Si l’effondrement paraît, en l’état actuel des choses, «difficile à éviter», les scientifiques mettent en avant la nécessité urgente de «réduire les inégalités économiques afin d’assurer une distribution plus juste des ressources, et de réduire considérablement la consommation de ressources en s’appuyant sur des ressources renouvelables moins intensives et sur une croissance moindre de la population».