1 septembre 2018

«On n’imagine jamais que le pire peut nous arriver»

L’autre jour, j’écoutais un reportage sur le Venezuela. Horrifiant :
«Les Vénézuéliens fuient une situation épouvantable qui transforme des problèmes de santé pouvant être soignés en questions de vie ou de mort. Les services de santé élémentaires se sont effondrés et trouver des médicaments basiques est une lutte perpétuelle, ce qui a contraint des milliers de personnes à aller se faire soigner à l'étranger», a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d'Amnesty International. «L'inaction n'est pas la solution. La communauté internationale et l'État vénézuélien doivent entamer une coopération immédiate pour désamorcer cette crise explosive. Le gouvernement du Venezuela ne peut pas continuer de fermer les yeux sur cette situation désespérée. Cela condamnerait la région à connaître l'une des pires crises de réfugiés jamais recensées dans cette partie du globe.» 

La crise humanitaire au Venezuela en chiffres
5 min | Disponible du 18/05/2018 au 20/05/2038
Le Venezuela traverse l’une des pires crises économique, politique et humanitaire de son histoire. C’est sur ce dernier aspect qu’ARTE Info revient dans cette vidéo, traçant le portrait d’un pays rongé par l’hyperinflation, dont les habitants manquent de tout, et qui compte des centaines de milliers de déplacés.
À voir :

«C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches.» ~ Victor Hugo

«Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse.» 
~ Jean Giraudoux

Collage : Joe Webb http ://www.joewebbart.com/

On annonçait dernièrement que la Grèce était sortie de tutelle. Les Grecs ne sont pas du tout convaincus que cela les sortira de l’austérité (1). Beaucoup de gens n’ont toujours pas accès aux soins de santé.

Pour mieux comprendre cette crise à la fois financière et humanitaire, j’ai loué Combat au bout de la nuit de Sylvain L'Espérance (documentaire produit par Les Films du tricycle; 2016, 285 min, Québec) http://combat-nuit.com/synopsis.html
   Dans ce documentaire, le neurologue Makis Mantas, bénévole dans les cliniques de santé populaires d’Athènes, analyse l'effondrement du système de santé grec qui n'est pas sans rappeler le dépérissement de tous les systèmes de santé en Occident, minés par le clientélisme, la corruption, la pression des compagnies pharmaceutiques auprès des médecins, etc.
   Je le cite : «Hier, j’ai vu 30 patients qui disent souffrir de sénilité (d’après leurs médecins). J’en connaissais deux sur le lot qui en souffrait vraiment. Les 28 autres, non. Prescrire des médicaments dont les gens n’ont pas besoin, voilà le salaire du médecin. Avec le même argent on pourrait construire un système de santé viable. L’enjeu n’est pas combien d’argent va à la santé mais où va cet argent. Si on veut changer les choses, on se heurte aux plus haut placés. On se heurte aux grandes cliniques privées. On se heurte aux compagnies pharmaceutiques, et à leurs agents qui rendent des visites aux médecins.» http://combat-nuit.com/protagonistes.html

Un film à voir, non seulement pour la grande qualité du contenu et de la photographie, mais aussi pour son rythme à échelle «humaine» rien à voir avec les trépidants films «d’action» , on a le temps d’écouter, de se connecter à l’émotion vécue et d'apprécier la beauté des images. La vie est comme sur le mode «pause».On attend. On espère que les choses iront mieux. 'On n'imagine pas que le pire peut nous arriver', dit un protagoniste.

Source : Combat au bout de la nuit

Présentation du réalisateur (extrait)

Tourné sur une période de deux ans, Combat au bout de la nuit nous entraîne dans un grand voyage au cœur de la Grèce actuelle. C’est là, dans ce pays précipité dans la tourmente par la domination d’une économie totalitaire, qu’émerge aussi chaque jour un refus obstiné de cette violence. Propulsé par des énergies complémentaires et dissonantes, le film est irrigué par un désir de liberté et par la force rebelle de ceux qu’il fait se rencontrer. Qu’ils soient Athéniens ou réfugiés afghans, soudanais, syriens, femmes de ménage ou travailleurs du port licenciés, médecin bénévole ou sans-abri, tous ces hommes et ces femmes, par leur présence et leurs récits, se répondent et tissent entre eux des filiations inattendues. En accompagnant ceux qui, du lieu où ils luttent, forgent un autre avenir, Combat au bout de la nuit est traversé par l'intuition profonde que dans le chaos du présent, un monde commun aux contours encore indéfinis cherche à naître. [...]

Mise en contexte
La Grèce est aujourd'hui le laboratoire d’un capitalisme sauvage. Celui qui dévaste un pays entier, plonge sa population dans un état de pauvreté jusqu'alors inédit et transforme cette région en zone sinistrée. Ce qui se met en place dans ce pays s'impose comme un modèle qui tend à se répandre partout au sud de l’Europe. Mais le procédé risque ultimement d'être appliqué à tout le monde occidental, comme on commence déjà à le percevoir ici même au Québec.
   Au cœur de ce film, la ville d'Athènes qui accueille toutes les luttes ayant cours en Méditerranée. Celles des Grecs eux-mêmes, qui refusent de se laisser vaincre par le pouvoir d'un État prédateur et se regroupent pour faire face à la destruction de toutes les structures sociales. Puis celle des migrants et des réfugiés fuyant la guerre qui dévaste leurs pays, tout en étant traités comme des «clandestins», contraints de vivre cachés pour échapper aux forces policières qui n'ont cessé de les traquer depuis les années 2000. Il aura fallu qu’ils soient des centaines de milliers à fuir leur pays, comme on l’a vu en 2015 avec les Syriens et les Afghans gagnant depuis la Turquie les côtés des îles grecques, pour que la force du nombre les fasse enfin considérer pour ce qu’ils sont : des réfugiés.
   Chômeurs, sans-abri, réfugiés se retrouvent ainsi à partager le temps du film un même espace que le cinéma permet de saisir. Ce que Combat au bout de la nuit met en relation en faisant se croiser la présence et la voix de ces hommes et ces femmes, c’est diverses formes de lutte contre la marginalisation. Une question au cœur du film : comment inventer des formes de mise en commun qui puissent assurer la survie, mais surtout dégager un horizon différent? C'est ce que les Grecs tentent de faire de multiples manières à travers tout un réseau de groupes de solidarité dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement, etc. Ce film met en lumière leur combat.

Rappel historique
La Grèce est rentrée dans la zone euro suite à une manipulation des chiffres réels de son économie. Manipulation qui a fini par éclater au grand jour avec la crise de 2008, obligeant le pays à recourir, au printemps 2010, à l'aide financière de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international. Une promesse de prêt de 110 milliards d'euros est alors consentie aux conditions suivantes : hausser la TVA à 23 %, diminuer les pensions, faire passer l'âge de la retraite des femmes de 60 à 65 ans, supprimer les indemnités salariales dans la fonction publique, libéraliser et privatiser les entreprises publiques de communication, de transport et d'énergie, réformer le marché du travail et faciliter les licenciements. Or, ces mesures drastiques ont affaibli l'économie grecque et, en février 2012, un second prêt de 130 milliards est accordé par la Troïka (formée par la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne). Le gouvernement grec est contraint par ses créanciers de promettre de nouvelles restrictions budgétaires, qui deviennent la seule forme de gouvernement possible : fermeture d’hôpitaux et de la télévision nationale, mise à pied massive des employés de l'État, abaissement du salaire minimum, coupes dans les retraites, privatisation des sociétés d'État, vente du port d'Athènes, de terres agricoles et de biens collectifs à des intérêts étrangers, etc. Ce sont ces principes et ses effets dévastateurs que l’élection de Syriza en janvier 2015 visait à contrer en proposant de fonder une véritable solidarité européenne. Mais celle-ci a plutôt permis aux représentants du capitalisme financier de démontrer qu’il n’y a aucune alternative aux règles qu’ils imposent unilatéralement, jusqu’à mettre tout un peuple à genou, comme on a pu le voir à l’issu des (non)négociations ayant eu lieu entre février et juillet 2015. La capitulation du gouvernement Tsipras, à la suite du référendum qu'il avait pourtant gagné contre les politiques de la Troïka, a mené à l’application d'un troisième mémorandum avec des mesures encore plus dures que les précédentes.

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Dans la dernière partie du documentaire, ce texte est récité par une femme tandis qu’à l’écran on voit des représentants de la Commission Européenne (images solarisées et au ralenti, on dirait des fantômes en effet).

Nous avons vécu longtemps
dans la compagnie des fantômes
et peut-être, par malheur pour nous,
sommes-nous les seuls à pouvoir les décrire.
Il aura fallu six mois pour comprendre
que les fantômes ne négocient jamais
mais attendent plus immobiles
et plus silencieux qu’un sphinx,
que les enfants soient épuisés.
Les fantômes ne connaissent pas la faim, ni la soif.
Ils ne connaissent pas la colère ni l’amour.
S’ils ne dorment pas,
ils ne connaissent pas l’insomnie.
Ils sont sans enfance, sans passé,
sans parents et sans avenir.
Ils ne crient pas
et ne clignent pas des yeux.
Ils sont sans rêves et leur cruauté même
n’est pas de leur fait,
elle est inscrite dans les choses,
dans le métal des monnaies,
dans les longues séries de chiffres
des titres de la dette,
sur les écrans des Bourses,
dans les fuseaux horaires.
Ils parlent peu
et se contentent le plus souvent
de serrer la main
de leur vis-à-vis en souriant.
Les fantômes gouvernent en souriant.
On sait que le sourire de ceux
qui ont perpétuellement peur
a toujours quelque chose de comique.
Mais de quoi ont-ils peur les fantômes?
De nous.
De la peur.
De la poussière et de la crasse.
De l’angoisse, des hommes
et des tourments qu’ils leur infligent. 
Ils ont peur d’eux-mêmes
car ils ne peuvent nommer ce qu’ils font.
Ils ne peuvent pas dire :
nous vous prendrons l’air.
Ils ne peuvent pas dire :
nous vous prendrons l’eau.
Ils ne peuvent pas dire :
nous vous empêcherons de respirer
jusqu’à ce que
vous imploriez notre aide.
Ils ne peuvent pas dire du réel.

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(1) Des scénarios similaires se produisent dans quantité de vieux pays et de pays émergeants.On peut aussi penser à Haïti, ça ne va pas bien du tout.

Les grands financiers qui contrôlent l’économie mondiale ne voient pas le monde comme étant constitué de démocraties autonomes et de pays distincts. Ils ne connaissent pas les frontières. Les lois ne les préoccupent pas puisqu’ils font la loi. Ils possèdent le monde entier parce qu’ils contrôlent la circulation et la non-circulation de l’argent [notamment quand celui-ci disparaît par magie dans les paradis fiscaux]. Ils ont le pouvoir de provoquer des crises boursières et de réduire les états – capitalistes, socialistes et communistes – à la faillite, et même de créer une crise mondiale absolue.
   Les grandes banques prêtent de l’argent de façon magnanime. Pourquoi prêtent-elles aux pays pauvres? Les banquiers affirment qu’ils prêtent pour mettre les pays à niveau, pour les relever économiquement. Partout, les peuples aspirent à la richesse, à la liberté et à la démocratie. Quand ils n’y ont pas accès et s’ils crèvent de faim, ils sont mûrs pour une révolution. Les insurgés entrent alors en scène. Les banquiers établissent aussitôt un gouvernement militaire. Les polarités nécessaires sont en place. Désormais, les financiers ont un motif pour développer le pays. Bien sûr, le gouvernement militaire n’est là que temporairement; sa raison d’être est d’alimenter et même d’intensifier le désir de liberté. Les vendeurs d’armes font beaucoup d’argent; les munitions arrivent de divers pays, elles sont envoyées de partout dans le monde. Évidemment, le prétexte officiel est d’aider ceux qui militent pour la démocratie...  
   Et de quoi un pays vulnérable a-t-il besoin? De prêts substantiels pour se développer et faire croître l’économie. Dès que les insurgés quittent la scène, les banquiers s’amènent, heureux de distribuer des milliards de dollars. Ils prêtent des milliards, sachant très bien que les dirigeants catapultés à la tête du nouveau gouvernement démocratique, dilapideront cet argent et que le pays sera incapable de rembourser sa dette.
   Or un beau jour, les banques réclament le remboursement du prêt. Le leader du pays plaide alors sa cause : «Mais nous n’avons plus suffisamment d’argent pour vous rembourser.» Le représentant de la banque sourit et dit : «Monsieur, ne vous en faites pas. Vous savez, je suis certain que nous pourrons arriver à nous entendre. Nous allons échanger votre dette substantielle contre les droits miniers de votre pays ainsi que le pétrole trouvé sur votre littoral côtier et à l’intérieur de votre pays. Nous prendrons cela en échange.» Le dirigeant du pays est alors si content qu’il s’exclame : «Quelle aubaine!» Aussitôt dit, aussitôt fait. Et le pays a cessé d’être un pays, il a été absorbé par l’organisation sans frontière qui grandit sans cesse dans le monde.
   Et, il faut voir avec quelle rapidité ils prennent les affaires en mains. L’industrie s’installe. Les fiers paysans sont évincés de leurs terres et parqués comme un troupeau dans les villes.

Collage : Joe Webb http ://www.joewebbart.com/

Ça n’a pas d’importance si les fermiers ne cultivent plus dorénavant. Ça n’a pas d’importance si la forêt est transformée en copeaux. Ça n’a aucune importance, car les promoteurs arrivent et rasent, financés par les grandes banques, tout cela au nom du progrès. Cela fait partie de l’aventure appelée import/export ou libre-échange non équitable.

(Adaptation/compilation de citations tirées de The Last Waltz of The Tyrans; Beyond Words Publishing, 1987)

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