5 septembre 2018

Face à notre propre extinction

Tout a une date d’expiration, à commencer par le corps que nous occupons pour une brève période dans l’espace/temps terrestre. Mais je suppose que, globalement, l’espèce humaine a sa propre date d’extinction que nous aurons par ailleurs sans doute précipitée. La terre, même si elle très magannée, continuera de tourner après notre disparition, et sans doute mieux.

Les diverses façons de réagir à une éventuelle extinction de notre espèce me rappellent les étapes de deuil du Dr Elizabeth Kübler-Ross face à la mort d’un proche ou à sa propre mort (diagnostic de maladie terminale). Ces étapes incluent le choc/déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation – ou la résignation, l’acceptation fataliste. Ces étapes ne se succèdent pas forcément dans cet ordre. En outre, certains individus peuvent passer du choc/déni initial et sauter à l'étape d’acceptation. Le deuil a aussi le sens de «perte définitive». Lorsqu'un événement provoque une crise, un changement radical peut survenir.

Par analogie à notre situation précaire :
– Certains en sont à l’étape du choc/déni. Ils viennent subitement de comprendre que les changements climatiques pourraient avoir des effets négatifs sur leur propre existence et que l’humanité serait peut-être en phase terminale. Ils rejettent l’information.
– D’autres sont en colère parce que la réalité les a rattrapés. Ils vérifient les informations, se révoltent, se remettent en question et, réalisant qu’il est impossible de réparer les dommages, ils peuvent se sentir coupables.
– D’autres sont à l’étape du marchandage. Refusant la soumission, ils s’engagent individuellement dans un virage «vert» radical. Ils se bercent d’illusions.
– D’autres sombrent dans la dépression, la tristesse et le défaitisme.
– Y en a-t-il des individus qui sont à l’étape de l’acceptation? Quand on vit un grand sentiment d’impuissance, la première réaction est plutôt la résignation : «je ne peux absolument rien faire pour changer cette situation...» L’acceptation permet de réorganiser sa vie, de s’adapter malgré les changements non-désirés, dans la mesure de ses capacités.

Pour ma part, je suis comme un yoyo – parfois j’éprouve toutes les étapes de deuil en une seule journée, dépendant des nouvelles du jour...

Caricature : Serge Chapleau, La presse 01.09.2018

Il est dans l’intérêt des grandes entreprises et des systèmes politiques de nous endormir au gaz (ou au Fentanyl), ce qui accélérera notre extinction. Ce qui frappe dur dans la campagne électorale, c’est que les quatre principaux partis ne parlent aucunement de stopper l’exploitation pétrolière et gazière approuvée par l’actuel ministre libéral de l’Environnement (pardon, du Développement durable), Pierre Moreau. Les permis couvrent de larges portions de territoires de chaque côté du fleuve Saint-Laurent, dans les réserves fauniques, près des lacs et des rivières. Choquant.

Jour de la terre, 2035

J’ai choisi quelques extraits d’un article où l’auteur nous met en garde contre les vendeurs «d’illusion verte» qui, peut-être par naïveté ou ignorance, prônent un système de développement vert ou durable, copié sur celui de la société industrielle actuelle. Il critique assez vertement Cyril Dion (1), l’auteur du documentaire «Demain» largement encensé par la presse et le grand public, qui vient de publier un ouvrage intitulé Petit manuel de résistance contemporaine : Récits et stratégies pour transformer le monde. Je ne connais pas Cyril Dion. Je vous suggère de lire l'article de Nicolas Casaux, que je ne connais pas non plus, dans son intégralité (lien à la fin des extraits). Ses propos pourraient en choquer plusieurs, mais comme disait Lao Tseu : 
«Les paroles vraies ne sont pas agréables;
les paroles agréables ne sont pas vraies.
Un homme de bien n'est pas un discoureur;
un discoureur n'est pas un homme de bien.
L'intelligence n'est pas l'érudition;
L'érudition n'est pas l'intelligence.»

[Ndlr : les passages en bold sont de mon initiative] 

Cyril Dion, bonimenteur de l’écologisme médiatique et subventionné
Par Nicolas Casaux | Le Partage, août 2018

On nous demande souvent pourquoi nous critiquons les Colibris, Pierre Rabhi, Cyril Dion & cie. J’y vois un malentendu important. Pour tenter de le dissiper, revenons sur le dernier livre de Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, récemment publié par la maison d’édition de notre chère ministre de la Culture, Françoise Nyssen.
   Bien qu’il reconnaisse à peu près les ravages écologiques engendrés par la civilisation industrielle, son examen du désastre social est presque inexistant. Cyril Dion ne propose aucune analyse des nombreuses oppressions systémiques qui caractérisent la civilisation industrielle (racisme, sexisme, etc.), des problèmes indissociables de l’existence du pouvoir – autrement dit de l’accumulation de puissance par un nombre restreint d’individus dans une société donnée –, de la relation entre la taille d’une société et le degré de démocratie qu’elle peut incorporer, des liens entre les différents types de technologie que l’on peut distinguer et les structures sociales dont ils émergent et qu’ils renforcent, etc.
   Cela explique sûrement pourquoi il a la naïveté d’affirmer que le changement dont nous avons besoin repose nécessairement sur une «coopération entre élus, entrepreneurs et citoyens» et pourquoi le type de société idéal qu’il imagine ressemble à s’y méprendre à la société industrielle actuelle.
   Compter sur les dirigeants et les entrepreneurs pour sauver la situation, c’est ne rien comprendre aux intérêts divergents des différentes classes sociales, et ignorer l’histoire des luttes sociales; c’est croire au père Noël. Les quelques avancées sociales des dernières décennies – si l’on peut qualifier ainsi l’agrémentation des conditions de la servitude moderne et généralisée qu’implique la civilisation – ont toujours été le fruit de conflits entre, d’une part, le peuple et, d’autre part, les élites au pouvoir. [...]
   Et quel est donc l’objectif de Cyril Dion? C’est une question qui n’a probablement pas de réponse étant donné que lui-même ne semble pas savoir. D’un côté, il reconnaît que «les tenants de la ‘croissance verte’, du ‘développement durable’ à la sauce RSE […] se contentent bien souvent d’aménager l’existant : recycler un peu plus, faire baisser les dépenses d’énergie, améliorer les processus de fabrication pour limiter l’impact sur l’environnement, sans remettre en question le cœur du modèle capitaliste-consumériste», mais de l’autre, c’est précisément ce qu’il prône.
   ... Une société industrielle écologique, c’est un oxymore. Au même titre qu’une société de masse démocratique. [...]
   Ainsi que l’écrit Peter Dauvergne dans son livre Environmentalism of the rich (L’écologisme des riches) :
«Il est facile de se laisser happer par l’écologisme des riches. Il suinte l’optimisme et se prétend pragmatique et réaliste, en faisant appel à la volonté compréhensible de dépasser le pessimisme et le cynisme – dont est souvent taxé l’activisme écologique de la ‘vieille école’. Les solutions qu’il propose sont le fruit de l’innovation et du business, de la création de richesse, des nouvelles technologies, des éco-marchés, du libre-échange, des investissements étrangers, d’un développement plus poussé, et non pas de nouvelles législations pour contenir les excès et transformer les modes de vie. Tout ce qui est nécessaire, ce sont de petites étapes et de petits changements, permettant de faire croire aux gens qu’ils progressent en direction de la soutenabilité sans avoir à sacrifier quoi que ce soit.» [...]
    Cyril Dion est un marchand d’illusions. Il réconforte les angoissés qui craignent de perdre leur mode de vie confortable et le mal nommé progrès parce qu’ils sont aussi aveugles que lui quant à leurs réalités, et déculpabilise à bon compte tous ceux qui vivent un peu mal le fait qu’elle détruise la planète en leur assurant que la société technologique moderne peut tout à fait devenir écolobio. Il le dit très bien lui-même. Son principal souci consiste à «conserver le meilleur de la civilisation» et non pas à défendre le monde naturel contre les innombrables destructions qu’impliquent la civilisation industrielle et son inexorable expansion. Le monde naturel, la planète, est secondaire, il s’agit de la préserver «au mieux». Ce qui est littéralement cinglé. La santé de la biosphère devrait évidemment être primordiale. D’autant que, répétons-le, le meilleur de la civilisation n’est que nuisances.
   Son discours peut se résumer en une phrase : mais si, croyez-moi, il est possible d’avoir une civilisation industrielle écologique et démocratique, d’avoir des zavions écolos, des zautomobiles écolos, des routes écolos, etc. Un conte pour enfant immature et une utopie indésirable, que la moindre analyse des systèmes de pouvoirs qui caractérisent la civilisation, des implications des technologies complexes et des industries dont il souhaite la continuation, dissiperait instantanément.
   Il ne faut pas confondre les riches qui cherchent à préserver leur mode de vie de riche avec l’écologie. Ce sont deux choses très différentes.
   L’écologie, c’est Jairo Sandoval Mora, tué le 31 mai 2013 alors qu’il protégeait les nids des tortues marines sur la plage de Moin à Limon, sur la côte caraïbe du Costa Rica. C’est Berta Caceres, assassinée le 2 mars 2016 au Honduras parce qu’elle luttait contre la construction d’un barrage hydroélectrique, ces mégamachines qui tuent les fleuves et les rivières mais dont les gouvernements, les multinationales et les médias grand public disent qu’elles produisent une énergie «verte», ces énergies que les Cyril Dion du monde promeuvent. L’écologie, ce sont tous ceux que l’on assassine chaque année, en Afrique, parce qu’ils s’opposent au braconnage d’animaux sauvages ou aux trafics de bois précieux, et ceux qui sont menacés de mort ou que l’on jette en prison pour ces mêmes raisons, comme Clovis Razafimalala, à Madagascar. L’écologie, c’est Isidro Baldenegro López, assassiné le 15 janvier 2017 à Coloradas de la Virgen, au Mexique, parce qu’il luttait pour préserver les forêts de la Sierra Madre. L’écologie c’est Rémi Fraisse. L’écologie, ce sont les zadistes qui luttent pour préserver la vie sauvage à Notre-Dame-des-Landes et ailleurs. Et tous les autres qui, partout sur Terre, cherchent à défendre le monde naturel, les biomes et leurs communautés biotiques, par amour et parce qu’ils savent que sans eux, ils ne seraient pas.

***

Tandis que l’on s’enfonce collectivement dans une dystopie digne de 1984 et du Meilleur des mondes, où l’appareil de surveillance étatique ne cesse de se perfectionner et d’être toujours plus envahissant, où l’individu, toujours plus dépossédé, au point de n’avoir plus aucune influence sur le développement de la société dont il participe, subit, impuissant, les décisions prises par les élites au pouvoir, tandis que toutes les tendances indiquent clairement que la situation écologique ne fait et ne va faire qu’empirer au cours des prochaines décennies (triplement de la surface mondiale urbanisée, croissance frénétique de la production mondiale de déchets et des extractions minières, réchauffement climatique qui ira en s’aggravant étant donné que les émissions de GES ne cessent d’augmenter, etc.), les discours absurdes des Cyril Dion et autres Isabelle Delannoy ne nous sont d’aucune aide. Bien au contraire. [...]

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(1) Cyril Dion est écrivain, réalisateur et militant écologiste.

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