23 mars 2017

Sectes, religions et politique


«Une illusion de moins, c’est une vérité de plus.» ~ Alexandre Dumas

Voici un article publié initialement en 2014, très approprié en ce moment vu le retour en force de certaines valeurs religieuses nuisibles et destructrices.

Les sectes : mythes et réalité

Les sectes, c’est comme le sexe. Elles ne peuvent fonctionner qu’entre adultes consentants. La secte est-elle safe (sans danger)? Pas plus que le sexe. Sauf exception, les gens entrent dans une secte volontairement, avec ou sans condom, à leurs risques et périls. Néanmoins il  y a en effet des sectes qui ne sont pas safe, mais d’autres qui peuvent l'être.

Quelle différence y a-t-il entre une religion, une secte et un club social?
Je n’en vois aucune.

Personne ne conteste les religions traditionnelles, les confréries, les sociétés, les associations, les partis politique, les clubs sportifs, etc. Pourtant, tous les regroupements sont des contextes qui peuvent favoriser l’identification, la démarcation, l’exclusion, le sexisme, le sentiment de supériorité et les persécutions à petite et grande échelle. Ce sont parfois des foyers de propagation de l’intolérance, de frictions entre des gens de statuts différents, entre nations, cultures, castes, races, civilisations, religions, idéologies, croyances : «Nous ne faisons pas partie de ce groupe qui est différent (menaçant ou opposé à nous), donc inférieur.» C’est sécurisant de penser de la sorte. Voilà l’origine de l’intimidation (physique et virtuelle) si répandue en ce moment.

La force de cohésion d’un groupe lui permet d’exposer sans crainte ses préjugés, ses valeurs et ses revendications publiquement, car cette force fournit une sorte de sceau d’approbation; ce faisant, le groupe peut mesurer extérieurement sa valeur identitaire. Les campagnes idéologiques résultent fréquemment en éruptions émotionnelles et en agressions irrationnelles contre les membres d’autres groupes – politiques, religieux, sociaux ou sportifs. Les adeptes suivent généralement des règles strictes, un code d’éthique, et adoptent parfois une tenue vestimentaire spécifique. Certains membres sont même prêts à mourir pour protéger/défendre leur groupe!
       Combien d’actes de barbarie ont été perpétrés par des groupes, que peu d’individus auraient eu l’idée de commettre en solitaire. L’histoire de l’humanité en est farcie. Les Romains regardaient les chrétiens se faire massacrer au Colisée. Y a-t-il une différence entre regarder un martyr se faire dévorer par un lion et regarder dans un stadium des joueurs de hockey se brutaliser, ou visionner sur Internet un maniaque dépecer un être humain, ou des gens se faire violer et tuer parce qu’ils ne pratiquent pas «la bonne religion» ou ne parlent pas la même langue, ou… On justifie l’injustifiable pour gagner (prouver qu’on est le meilleur) ou prouver qu’on a raison et que l’autre a tort – à la vie à la mort!  
       D’un autre côté, dans tous les domaines de la société, des novateurs et des créateurs intelligents arrivent à créer des microsociétés qui pourraient être perçues comme des modèles en vue d’un meilleur mode vie (je pense aux vrais écolos). Or ceux qui exposent des idées originales déclenchent systématiquement dans leur entourage des réactions qui peuvent aller de la curiosité à l’inquiétude, et de l’agressivité à des formes de persécution plus ou moins subtiles. Ils se heurtent également aux intérêts, aux habitudes et à l’incompréhension des institutions établies. C’est ainsi qu’émergent des organismes et des courants fanatiques, spécialisés dans la «chasse aux sorcières». Donc, si vous êtes le moindrement marginal (simplement écolo et pas du tout membre d’une secte ou autre), attendez-vous à subir des représailles de la part de l’establishment ou des bien-pensants – les conformistes peuvent devenir de virulents fanatiques, car ils n’acceptent pas les différences. Ainsi, ils tenteront de freiner toute initiative contraire à leur perspective. De toute façon, quoique vous fassiez, vous aurez tort.

Revenons aux sectes. Le principal grief contre les sectes est que les individus abandonnent leur propre pouvoir au profit du «gourou» ou du groupe lui-même. La plupart du temps, l’uniformisation, le contrôle et la répression, la suppression même de l’affirmation identitaire (comme dans l’armée!) font partie de l’endoctrinement. Notons que le phénomène peut se produire dans une famille ou une relation de couple (par dépendance affective).

Test : êtes-vous un bon candidat pour les religions et les cultes à la carte? 

- Vous sentez-vous toujours coupable à propos de tout et de rien, inférieur ou indigne?
- Vous haïssez-vous?
- Croyez-vous en Dieu, et si oui, croyez-vous qu’il n’est présent que chez les gens «évolués» ou «illuminés»?
- Croyez-vous qu’il existe une recette pour l’illumination?
- Êtes-vous combustible?

Si vous avez répondu oui à ces questions, on peut facilement trouver un culte qui vous conviendra.
       Vous passerez des petites vacances dans un endroit isolé, entouré de personnes comme vous qui veulent changer. Vous apprendrez ce qu’est une discipline de vie. Vous étudierez de l’aube au crépuscule et découvrirez (sans vous en rendre compte) les techniques du lavage de cerveau. Vous bénéficierez des avantages de la sous-alimentation et du jeûne prolongé (excellent pour la ligne!).
       Vous aurez aussi l’opportunité d’apprendre la menuiserie en réparant la maison du leader (n’est-ce pas merveilleux?). Et puis, après une journée de tâches communautaires, vous pourrez peut-être, en prime, avoir des rapports sexuels avec le leader (ces rapports ont la réputation de faciliter l’illumination).
       Vous donnerez tout votre argent au culte et il ne vous sera jamais remboursé. Mais après tout, vous êtes là pour apprendre le détachement, entre autres. En compensation, vous recevrez un beau médaillon gravé aux armoiries du culte, et si vous êtes vraiment gentil et docile, peut-être une toge blanche.
       Enfin, si vous n’êtes pas satisfait et vous montrez récalcitrant, il se peut que vous serviez de torche vivante au leader – histoire d’éclairer les pauvres malheureux qui restent. Si ce n’est pas le leader, devenu complètement fou, qui vous fait le coup, ce sera une agence de sécurité gouvernementale, locale ou internationale, chargée de prouver que l’ésotérisme représente une menace pour la paix et la sécurité sociale, qui le fera. Seules les forces armées ont le droit légitime de le faire cependant.

Bon, c’est une parodie, mais pas si éloignée de certaines réalités sectaires; les groupes et les sectes sont propices à ce genre de dynamique. Et il faut bien le dire, il y a parmi ces expériences, des extrêmes qui heurtent vraiment tout bon sens. Que peuvent retirer les personnes qui ont survécu à des crises identitaires dramatiques, une fois le bilan déposé, une fois l’odieux et la honte digérés? Je crois qu’elles diraient : soyez vigilants, faites preuve de discernement. Si vous avez absolument besoin d’un groupe pour vous exprimer et être écouté, soyez sélectif, et sachez que personne ne peut vous obliger à devenir membre d’une secte. Et pourquoi ne pas consulter un psychologue compétent?

Mon conseil : soyez fidèle à votre propre identité; à nulle autre.   

Pense-bête

Quelles sont les proies idéales pour le recrutement? 
- les personnes dysfonctionnelles en manque d’amour, de compréhension, d’écoute
- les personnes désabusées ne croyant plus à rien (en rébellion contre la société)
- les personnes en démarche spirituelle et curieuses

Comment se fait le recrutement?
- via des conférences sur la philosophie, la spiritualité, l’ésotérisme; les ateliers de croissance personnelle, etc. 

Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à entrer dans une secte?
- un sentiment d’impuissance (manque de confiance et d'estime de soi)  
- un profond désir de changer (sentiment d’indignité et de culpabilité)
- un besoin de salut par procuration
- un besoin d’amour
- un besoin de valorisation (complexe des élus)

Caractéristiques des leaders :
- charisme
- intelligence, érudition
- simulacre d’authenticité
- simulacre de chaleur humaine et d’amour pour exploiter la crédulité
- professent des vérités dogmatiques universelles pour inspirer confiance
- promettent la rédemption et le bonheur

Dans la même veine : visitez le libellé «Religions»

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Le monde n'est si meurtrier que parce qu'il est aux mains de gens qui ont commencé par se tuer eux-mêmes, par étrangler en eux toute confiance instinctive, toute liberté donnée de soi à soi. Je suis toujours étonné de voir le peu de liberté que chacun s'autorise, cette manière de coller sa respiration à la vitre des conventions, et la buée que cela donne, l'empêchement de vivre, d'aimer. ~ Christian Bobin (La plus que vive)

«Quiconque n’est pas maître de soi, est fait pour être esclave des autres.» ~ Robespierre

«Apprendre, c’est se ressouvenir. Deviens qui tu es.» ~ Platon

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Éclairage d’appoint à saveur politique 

Citations extraites d'ouvrages de Howard Bloom.
Les dynamiques décrites ci-après existent à échelle réduite, bien sûr.

Le principe de Lucifer : une expédition scientifique dans les forces de l'histoire
Trad. Aude Flouriot, éd. Le jardin des livres (2001)  

Porté par des hommes et des femmes charismatiques, le message du superorganisme a le même impératif : «Rassemble un groupe et réveille-le par mes mots. Prends tous ceux qui se trouvent dans l'état que je décris et assemble-les en une force puissante qui imposera sa domination sur une grande partie du monde.» (p. 244)
       Le but de la politique, selon Morgenthau, n'est pas de rendre les gens meilleurs ou d'alléger leurs souffrances : c'est d'accroître le pouvoir d'un homme ou d'un groupe d'hommes au détriment du pouvoir d'un autre homme ou groupe d'hommes. (p. 245)
       L'Hindouisme est apparu comme une vision spirituelle du monde qui rejette le matérialisme. En réalité, elle a été l'outil grâce auquel un groupe conquérant a réussi à légitimer son vol du pouvoir, du prestige et des biens d'un superorganisme rival. (...) Aux alentours de 1500 avant J.-C., un groupe d'Aryens venus d'Iran attaquèrent et soumirent violemment la population indienne. Cette tribu conquérante fut à l'origine du système indien des castes. Les trois premières castes étaient exclusivement réservées aux Iraniens «deux fois nés» : les Kshatriyas composaient les guerriers et aristocrates; les Brahmanes regroupaient les prêtres iraniens; et les Vaishyas rassemblaient les propriétaires et les marchands. (...) Dans le système hindou, les descendants iraniens étaient nés avec tous les privilèges dont les Nazis d'Hitler rêvaient. (p. 279 à 281)
       Les aristocrates de nombreuses civilisations sont les fossiles d'anciennes hordes conquérantes. Leur position au sommet de la société est le résidu de vols : en Angleterre, les classes titrées sont les descendants des soldats saxons, vikings et normands qui ont pillé, massacré et violé en des vagues successives de 470 à 1066 après J.-C. Au Japon, l'aristocratie en place depuis 1800 ans, est le reste d'une population de cavaliers mongols nomades qui traversèrent la mer depuis la Corée au premier siècle après Jésus-Christ... La seule vertu qui distingue les familles d'aristocrates des nôtres est une plus grande volonté de la part de leurs ancêtres à faire usage de la violence. Au Japon et en Angleterre, tout comme en Inde, la religion, la philosophie, la poésie et l'idéologie ont toutes été utilisées pour maintenir les peuples conquis à leur misérable place. (p. 283)
       Une chose étrange se produit parfois parmi les nations qui sont à l'apogée de l'ordre de préséance. Le superorganisme tombe avec suffisance dans un piège fatal, pensant que sa position supérieure est un don de Dieu, que son sort heureux est éternel, que son statut imposant est gravé dans la pierre. (...) Rome ne fut pas la première superpuissance à être renversée par les rebuts du tiers monde. Le pouvoir politique de l'Égypte des pharaons a été stable pendant 1300 ans avant que les Hyksôs ne les écrasent; ces derniers étaient d'excellents cavaliers qui se délectaient de la violence et avaient un don pour l'invention d'équipements militaires. (p. 287)
       Les membres de la troupe vaincue «luttent moins fréquemment entre eux. Mais à l'intérieur du groupe dominant, qui est en passe d'acquérir de nouveaux espaces, les interactions agressives augmentent». Ceci s'explique par le simple fait que les niveaux de testostérone augmentent chez les vainqueurs et baissent chez les perdants. (...) Selon Edward Osborne Wilson, même les «poulets qui reçoivent de faibles doses de testostérone deviennent plus agressifs et gravissent les échelons dans la hiérarchie de domination du groupe». (p. 344)
       Plus de deux cent milliards de globules rouges meurent quotidiennement dans le but de vous garder en vie. Vous inquiétez-vous de leur mort? Comme ces globules rouges, vous et moi sommes des cellules dans un superorganisme social. (p. 425)
       En employant la force, parfois de manière sadique, Rome réunit une masse stupéfiante de cités et de tribus. Elle permit ainsi un échange d'idées et de biens qui accéléra radicalement le rythme du progrès. Au cours des trois cents ans entre Auguste et Constantin, elle introduisit le pluralisme qui permit à des cultures extrêmement diversifiées de vivre pacifiquement. (...) Lors de la chute de Rome, la moitié de la population du continent européen mourut au cours des deux cents ans qui suivirent. Car Rome était un oppresseur mais aussi la source de la nourriture et de la paix. (p. 426) 

Le principe de Lucifer : Le cerveau global (2003) :  

Howard Bloom démontre que l'évolution repose fondamentalement sur la notion de partage de l'information. Il explique que nous sommes tous intégralement constitués de bouts d'informations et que c'est notre capacité même à les partager qui nous confère l'intelligence. Tout être humain refusant d'être informé ou de partager l'information, que ce soit sur le plan personnel ou sur celui du bureau, prend le risque d'être éliminé par la société dans laquelle il évolue. (...) Howard Bloom montre que ce sont les systèmes d'information qui effectuent la sélection individuelle et qui créent les «chefs». (Résumé)
       Bien plus que les autres animaux, notre espèce vit selon la règle du donner pour recevoir. (p. 180)  
       Les mongols s'emparèrent de la Chine en 1215 et tuèrent un tiers de sa population. Puis, ils développèrent l'utilisation du papier monnaie, encouragèrent les entreprises privées et ouvrirent tous les réseaux routiers de l'empire à la libre circulation. (p. 190)  
       La stratégie athénienne grimpe au sommet lorsque les choses se passent bien. Mais la mentalité spartiate s'empare du trône lorsque le monde tourne mal. (p. 306)

Le génie de la bête : une révision radicale du capitalisme (2010) :

Entre 1929 et 1933, deux banques américaines sur cinq firent banqueroute – 10 763 banques sur 24 970 disparurent. Seules les banques d'une nation européenne survécurent intactes au crash du Creditanstalt. Cette nation était l'Italie, dirigée par le dictateur fasciste Benito Mussolini. Il donna l'impression que ses institutions financières étaient fortes et sans crainte de la crise. Il travailla sur l'émotion et la perception, comme clés de la croissance et de la récession (...) Le résultat? Si vous retiriez votre épargne dans la banque d'une nation tremblant de panique, telle que l'Autriche, l'Allemagne, l'Angleterre ou les États-Unis, vers quelle nation auriez-vous envoyé votre argent à l'abri? L'Italie.

D’autres citations de Howard Bloom :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2010/08/cruel-destin.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/12/retour-dascenseur.html

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