http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/04/detecter-les-pervers.html
Dans son ouvrage, Le harcèlement moral; la violence perverse au quotidien, Marie-France Hirigoyen, traite du problème au plan des relations personnelles; mais le parallèle avec les techniques de communication politico-économique est criant. Un ouvrage à lire car il aide en effet à comprendre le jeu de l’intimidation si omniprésent en ce moment.
L’ignorance infantilise et victimise, la connaissance responsabilise et permet de choisir.
Extraits du chapitre La communication perverse
[Note : dans le chapitre précédent, l’auteur décrit les méthodes qu’utilisent les pervers pour assurer leur emprise sur leurs victimes.]
La mise en place de l’emprise utilise des procédés qui donnent l’illusion de la communication – une communication particulière, non pas faite pour relier, mais pour éloigner et empêcher l’échange. Cette distorsion de la communication a pour but d’utiliser l’autre. Pour qu’il continue à ne rien comprendre au processus en cours et le rendre confus, il faut le manipuler verbalement. Le black-out sur les informations réelles est essentiel pour réduire la victime à l’impuissance.
Même verbale, même cachée, étouffée, la violence transpire à travers les non-dits, les sous-entendus, les réticences, et, par là même, elle est vecteur d’angoisse.
Refuser la communication directe
Il n’y a jamais de communication directe car «on ne discute pas avec les choses».
[Note : pour le pervers, la victime est une chose.]
Quand une question directe est posée, les pervers éludent. Comme ils ne parlent pas, on leur prête grandeur et sagesse. On entre dans un monde dans lequel il y a peu de communication verbale, juste des remarques à petites touches déstabilisantes. Rien n’est nommé, tout est sous-entendu. Il suffit d’un haussement d’épaules, d’un soupir. La victime essaie de comprendre : «Qu’est-ce que je lui ai fait? Qu’est-ce qu’il a à me reprocher?» Comme rien n’est dit, tout peut être reproché.
Le déni du reproche ou du conflit par l’agresseur paralyse la victime qui ne peut se défendre. L’agression est perpétrée par le refus de nommer ce qui se passe, de discuter, de trouver ensemble des solutions. S’il s’agissait d’un conflit ouvert, la discussion serait possible et une solution pourrait être trouvée. Mais dans le registre de la communication perverse, il faut avant tout empêcher l’autre de penser, de comprendre, de réagir. Se soustraire au dialogue est une façon habile d’aggraver le conflit, tout en l’imputant à l’autre. Le droit d’être entendu est refusé à la victime. Sa version des faits n’intéresse pas le pervers, qui refuse de l’écouter.
Le refus de dialogue est une façon de dire, sans l’exprimer directement avec des mots, que l’autre ne vous intéresse pas ou même qu’il n’existe pas. Avec n’importe quel autre interlocuteur, si on ne comprend pas, on peut poser des questions. Avec les pervers, le discours est tortueux, sans explication, et conduit à une aliénation mutuelle. On est toujours à la limite de l’interprétation. […]
La non-communication se retrouve à tous les niveaux d’expression. […]
Déformer le langage
[…]
Le message d’un pervers est délibérément flou et imprécis, entretenant la confusion. […] En utilisant des allusions, il fait passer des messages sans se compromettre. Offrant des propos sans lien logique, il entretient la coexistence de différents discours contradictoires. […] Il envoie des messages obscurs et refuse de les expliciter. […]
Les allusions déstabilisantes n’apparaissent pas de façon évidente. […]
Un autre procédé verbal habituel des pervers est d’utiliser un langage technique, abstrait, dogmatique, pour entraîner l’autre dans des considérations auxquelles il ne comprend rien, et pour lesquelles il n’ose pas demander d’explications de peur de passer pour un imbécile.
Ce discours froid, purement théorique, a pour effet d’empêcher celui qui écoute de penser et donc de réagir. Le pervers, en parlant d’un ton très docte, donne l’impression de savoir, même s’il dit n’importe quoi. […]
Mentir
Plus souvent qu’un mensonge direct, le pervers utilise d’abord un assemblage de sous-entendus, de non-dits, destiné à créer un malentendu pour ensuite l’exploiter à son avantage.
Dans son traité L’Art de la guerre, rédigé vers le Ve siècle avant J.-C., le Chinois Sun Tse enseignait : «L’art de la guerre est l’art de duper, et en donnant toujours l’apparence contraire de ce que l’on est, on augmente les chances de victoire.»
Les messages incomplets, paradoxaux, correspondent à une peur de la réaction de l’autre. On dit sans dire, espérant que l’autre aura compris le message sans que les choses aient besoin d’être nommées. Ces messages ne peuvent pas être décodés la plupart du temps qu’a posteriori.
Dire sans dire est une façon habile de faire face à toute situation. […]
Un autre type de mensonge indirect consiste à répondre de façon imprécise ou à côté, ou par une attaque qui fait diversion. […]
Quoi que l’on dise, les pervers trouvent toujours moyen d’avoir raison, d’autant que la victime est déjà déstabilisée et n’éprouve, au contraire de son agresseur, aucun plaisir à la polémique. Le trouble induit chez la victime est la conséquence de la confusion permanente entre la vérité et le mensonge. […]
Vérité ou mensonge, cela importe peu pour les pervers : ce qui est vrai est ce qu’ils disent dans l’instant. Ces falsifications de la vérité sont parfois très proches d’une construction délirante. Tout message qui n’est pas formulé explicitement, même s’il transparaît, ne doit pas être pris en compte par l’interlocuteur. Le mensonge correspond simplement à un besoin d’ignorer ce qui va à l’encontre de son intérêt narcissique.
C’est ainsi que l’on voit des pervers entourer leur histoire d’un grand mystère qui induit une croyance chez l’autre sans que rien n’ai été dit : cacher pour montrer sans dire.
Manier le sarcasme, la dérision, le mépris
Vis-à-vis du monde extérieur, ce qui domine est le mépris, la dérision. Le mépris est l’arme du faible; il est une protection contre des sentiments indésirables. On se cache derrière un masque d’ironie ou de plaisanterie. Les méchancetés (vérités qui font mal) ou les calomnies (mensonges) naissent souvent de l’envie. […] Le discours du pervers narcissique trouve des auditeurs qu’il arrive à séduire et qui sont insensibles à l’humiliation subie par la victime.
User du paradoxe
Sun Tse enseignait également que, pour gagner une guerre, il faut diviser l’armée ennemie avant même de commencer la bataille : «Sans donner de batailles, tâchez d’être victorieux […]. Avant de combattre, ils [les anciens] tentaient d’affaiblir la confiance de l’ennemi en l’humiliant, en le mortifiant, en soumettant ses forces à rude épreuves […]. Corrompez tout ce qu’il y a de mieux chez lui par des offres, des présents, des promesses, altérez la confiance en poussant les meilleurs de ses lieutenants à des actions honteuses et viles et ne manquez pas de les divulguer.»
Dans une agression perverse, on assiste à une tentative d’ébranler l’autre, de le faire douter de ses pensées, de ses affects. La victime y perd le sentiment de son identité. Elle ne peut penser, comprendre. Le but est de la nier tout en la paralysant, de façon à éviter l’émergence d’un conflit. On peut l’attaquer sans la perdre. Elle reste à disposition.
Cela se fait dans la double contrainte : quelque chose est dit au niveau verbal et le contraire est exprimé au niveau non verbal. Le discours paradoxal est composé d’un message explicite et d’un sous-entendu, dont l’agresseur nie l’existence. C’est un moyen très efficace pour déstabiliser l’autre. […]
Une forme de message paradoxal consiste à semer le doute sur des faits plus ou moins anodins de la vie quotidienne. […] Il suffit de dire par exemple qu’on est d’accord sur une proposition de l’autre tout en montrant, par des mimiques, que ce n’est qu’un accord de façade. […]
Le paradoxe consiste également à faire ressentir à l’autre de la tension et de l’hostilité sans que rien ne soit exprimé à son égard. Ce sont des agressions indirectes […].
Les messages paradoxaux ne sont pas faciles à repérer. Leur but est de déstabiliser l’autre en le rendant confus de façon à garder le contrôle, en l’engluant dans des sentiments contradictoires. On le met en porte à faux et on s’assure de pouvoir lui donner tort. On l’a dit, la finalité de tout cela est de contrôler les sentiments et les comportements de l’autre et même de faire en sorte qu’il finisse par approuver et se disqualifier lui-même, dans le but de récupérer une position dominante. […]
Disqualifier
Il s’agit de retirer à quelqu’un toute qualité, de lui dire et de lui répéter qu’il ne vaut rien, jusqu’à l’amener à le penser. […] La disqualification à travers l’usage du paradoxe, du mensonge et d’autres procédés s’étend de la cible désignée à son entourage, sa famille, ses amis, ses connaissances : «Il/elle ne connaît que des cons!» […] Toutes ces stratégies sont destinées à enfoncer l’autre pour mieux se rehausser.
Diviser pour mieux régner
Sun Tse dit encore : «Troublez le gouvernement adverse, semez la dissension chez les chefs en excitant la jalousie ou la méfiance, provoquez l’indiscipline, fournissez des causes de mécontentement […]. La division de mort est celle par laquelle nous tentons, par des bruits tendancieux, de jeter le discrédit ou la suspicion jusqu’à la cour du Souverain ennemi sur les généraux qu’il emploie.»
Là où le pervers narcissique excelle, c’est dans l’art de monter les gens les uns contre les autres, de provoquer des rivalités, des jalousies. Cela peut se faire par allusions, en insinuant le doute […].
La jouissance suprême pour un pervers est de faire accomplir la destruction d’un individu par un autre et d’assister à ce combat d’où les deux sortiront affaiblis, ce qui renforcera sa toute-puissance personnelle. […]
Imposer son pouvoir
[…] Le pervers «sait», il a raison, et essaie d’entraîner l’autre sur son terrain en l’amenant à accepter son discours. […]
[Le] discours autosuffisant [du pervers] où tout est joué d’avance n’est pas loin du processus de mise en place du délire interprétatif paranoïaque. […]
Un processus de domination s’instaure : la victime se soumet, elle est subjuguée, contrôlée, déformée. Si elle se rebelle, on pointera son agressivité et sa malignité. De toute façon, il se met en place un fonctionnement totalitaire, fondé sur la peur, et qui vise à obtenir une obéissance passive : l’autre doit agir comme le pervers l’entend, doit penser selon ses normes. […]
La violence perverse est à distinguer de l’abus de pouvoir direct ou de la tyrannie. La tyrannie est une façon d’obtenir le pouvoir par la force. L’oppression y est apparente. L’un se soumet parce que l’autre a ouvertement le pouvoir. Dans l’abus de pouvoir, le but est simplement de dominer. […]
Chez un pervers, la domination est sournoise et niée. La soumission de l’autre ne suffit pas, il faut s’approprier sa substance. […] Il n’y a jamais de conflit franc.
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Au chapitre 5, l’auteur aborde la violence perverse :
«Résister à l’emprise, c’est s’exposer à la haine. À ce stade, l’autre, qui n’existait que comme un objet utile, devient un objet dangereux dont il faut se débarrasser par n’importe quel moyen. La stratégie perverse se dévoile au grand jour. La haine est montrée, la haine est agie.»
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Dans le même ordre d’idée :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/11/de-gentils-manipulateurs-1.html
Sujet préoccupant! Marie-France Hirigoyen a cerné cette stratégie de façon magistrale au vu de l'excellent extrait que vous nous en donnez ici!
RépondreEffacerDans un ordre d'idées similaires, j'aime bien cet article:
http://www.intelligences-croisees.com/strategies-dinfluences/
A+++ :)
Intéressant cet article en effet. Merci.
EffacerTrès clair cet extrait :
"Dans le passé, les canons établissaient le classement des nations. Les stratégies d’influence accompagnaient seulement de manière périphérique les mouvements essentiels parcourant l’échiquier militaire. A notre époque, la situation s’est totalement inversée : les stratégies d’influence expriment et structurent les affrontements d’acteurs dans l’ensemble des sphères de compétition entre les collectivités humaines, les modèles culturels et les organisations privées. Il ne s’agit plus vraiment de terrasser le rival de manière agressive, mais de le priver en douceur (en avançant masqué ou en affichant une parfaite hypocrisie) de sa liberté de mouvement, de contraindre ses choix, de limiter ses possibilités et ses perspectives de gains en aménageant l’environnement global dans lequel il évolue, ceci afin d’assurer son déclin progressif et sa propre suprématie."
René Girard, dans "La Violence et le Sacré", disait :
"Dans les société primitives, les rivalités dans les groupes humains produisaient des situations de violence indifférenciée qui se propageaient par mimétisme, et ne trouvaient d'issue que dans une crise sacrificielle amenant l'exclusion (voire la mise à mort), d'un homme, ou d'un groupe d'hommes, désigné comme responsable de la violence. La mort du bouc émissaire entraînait avec elle l'évacuation de la violence et la sacralisation de la victime. À notre époque, les victimes ne sont plus sacralisées mais, à défaut de passer pour innocentes, elles doivent passer pour faibles."
Spécial...!!
A+ :)