8 avril 2013

Défaut de civilisation


Peintre : Wendelin, Medicine Crow

Ce que vous appelez civilisation
Victor Hugo (1802-1885)
 
Ce que vous appelez dans votre obscur jargon :
Civilisation – du Gange à l’Orégon,
Des Andes au Thibet, du Nil aux Cordillères,
Comment l’entendez-vous, ô noires fourmilières?
De toute votre terre interrogez l’écho.
Voyez Lima, Cuba, Sydney, San-Francisco,
Melbourne. Vous croyez civiliser un monde
Lorsque vous l’enfiévrez de quelque fièvre immonde,
Quand vous troublez ses lacs, miroirs d’un dieu secret,
Quand vous violez sa vierge, la forêt;
Quand vous chassez du bois, de l’antre, du rivage
Votre frère naïf et sombre, le sauvage,
Cet enfant du soleil peint de mille couleurs,
Espèce d’insensé des branches et des fleurs,
Et quand, jetant dehors cet Adam inutile,
Vous peuplez le désert d’un homme plus reptile,
Vautré dans la matière et la cupidité,
Dur, cynique, étalant une autre nudité,
Idolâtre du dieu dollar, fou qui palpite,
Non plus pour un soleil, mais pour une pépite,
Qui se dit libre, et montre au monde épouvanté
L’esclavage étonné servant la liberté!
Oui, vous dites : – Voyez, nous remplaçons ces brutes;
Nos monceaux de palais chassent leurs tas de huttes;
Dans la pleine lumière humaine nous voguons;
Voyez nos docks, nos ports, nos steamers, nos wagons,
Nos théâtres, nos parcs, nos hôtels, nos carrosses! –
Et vous vous contentez d’être autrement féroces.
Vous criez : Contemplez le progrès! admirez!
Lorsque vous remplissez ces champs, ces monts sacrés,
Cette vieille nature âpre, hautaine, intègre,
D’âmes cherchant l’or, de chiens chassant au nègre,
Quand à l’homme lion succède l’homme ver,
Et quand le tomahawk fait place au revolver!
 
Toute la Lyre, III, XX
 
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Un brin d’histoire «en noir et sang»** 

Les Indiens surnommaient le général américain George Armstrong Custer (1839-1876) «Hard Backside’s» et «Long Hair Custer». Ses exploits au cours de la Guerre Civile et des Guerres indiennes sont légendaires. En 1873, il fut envoyé sur le territoire du Dakota pour protéger la construction d’une ligne de chemins de fer contre les Sioux. La Bataille de Little Big Horn (surnommée «Custer's Last Stand» - «l'ultime résistance de Custer») s'est déroulée le 25 juin 1876 à proximité de la rivière Little Bighorn (affluent de la rivière Yellowstone, au Montana). Cette bataille opposa les 647 hommes du 7e régiment de la cavalerie à une coalition de plusieurs milliers d'indiens Cheyennes et Sioux rassemblés par Sitting Bull. Le commandement des Indiens était assuré par Crazy Horse, le chef Sioux Gall et le chef Cheyenne Lame White Man. Le général Custer et 250 hommes du 7e régiment y trouvèrent la mort.
       «Hourra! camarades, nous les avons! Nous allons les finir, puis rentrer chez nous à la station.» Il s’agit apparemment des derniers mots de Custer avant d’être tué.

 Chef Red Cloud

«Je suis pauvre et nu, mais je suis le chef de la nation. Nous ne voulons pas de richesses, mais nous voulons certainement bien éduquer nos enfants. Les richesses ne nous feraient aucun bien. Nous ne pourrions pas les emporter avec nous dans l'autre monde. Nous ne voulons pas de richesses. Nous voulons la paix et l’amour.»
~ Chef Red Cloud

Triste et affligeant de voir les autochtones victimes d’une purge ethnique décrétée par les instances gouvernementales étasuniennes. Pour faciliter la chose, les bisons furent chassés presqu'à l'extinction; en 1880, il en restait seulement quelques centaines. L’armée chassait les bisons pour leurs peaux. On laissait les carcasses pourrir, puis on collectait les os qu’on envoyait vers l'Est pour en faire de l'engrais. Le gouvernement étasunien encourageait l'abattage des troupeaux pour diverses raisons, mais surtout pour affaiblir la population autochtone. En les privant de leur principale source de nourriture on les obligeait à se retrancher dans les réserves.

Big Foot, massacre de Wounded Knee
 
En février 1890, le gouvernement étasunien rompait son traité avec les Lakota en subdivisant la grande réserve indienne Sioux du Dakota du Sud (la plus grande partie de l'État) en cinq réserves, tout en réduisant l’étendue de leur territoire. On voulait satisfaire les intérêts des propriétaires de l'Est et se conformer à la politique gouvernementale voulant  «rompre les relations tribales» et obliger «les Indiens à se conformer au mode de vie de l'homme blanc, pacifiquement si possible, sinon par la force».
 
Une fois les réserves subdivisées, les tribus furent réparties en unités familiales sur des parcelles de terrain de 320 acres, soit 130 hectares. En raison de la sécheresse, les récoltes de 1890 furent insuffisantes pour assurer l’alimentation des Sioux. Et puis, jugeant les Indiens «paresseux», le gouvernement réduisit les rations de moitié. Comme les bisons avaient été pratiquement exterminés de la plaine quelques années plus tôt, les Sioux se retrouvèrent en situation de famine.
 
Le massacre de Wounded Knee s'est déroulé le 29 décembre 1890. L'armée étasunienne, équipée de quatre mitrailleuses Hotchkiss, encercla un campement d'Indiens Lakota avec l'ordre de les convoyer en train vers Omaha dans le Nebraska. Le commandant du 7e régiment avait reçu l'ordre de procéder à un désarmement préalable.
 
Les historiens s’accordent sur le fait que les tirs ont commencé pendant le désarmement des Indiens. Un coup de fusil a retenti et les Indiens, désarmés et encerclés, ont été mitraillés. Au total 26 soldats et 153 Indiens de la tribu Lakota Miniconjou furent tués, dont 62 femmes et enfants. Les cadavres indiens furent enterrés dans une fosse commune sur le lieu du massacre. D'autres Sioux sont morts de leurs blessures ultérieurement ainsi qu'un lieutenant de la cavalerie.
 
Wounded Knee est généralement considéré comme l'évènement qui mit fin à 400 ans de guerres indiennes. À strictement parler pourtant, le massacre n'est pas le dernier conflit entre les Amérindiens et l'armée étasunienne. Plus de quatre-vingts ans après le massacre, le 27 février 1973, Wounded Knee fut le théâtre d'un affrontement entre les autorités fédérales et les militants de l'American Indian Movement. Ce jour-là, près de 300 Sioux Oglala ainsi que des sympathisants occupèrent le village de Wounded Knee pour exiger qu'on reconnaisse leurs droits et leur terre.

Floyd Westerman

«Je voudrais citer une doctrine très préjudiciable transmise par la Cour suprême en 1823. On déclarait que les Nations indiennes n'avaient aucun droit de propriété sur leurs terres parce qu'ils n'étaient pas chrétiens; que les premiers chrétiens à découvrir une région païenne du pays en acquéraient le droit de propriété absolu. Cette théorie devrait être retirée et abolie pour établir une nouvelle base relationnelle entre les autochtones et les autres peuples du monde.»
~ Floyd Westerman (1936-2007); Première Nation Lakota 
 
Sources : http://pinterest.com/aprilw4243/sioux-native-americans/ et Wikipédia
 
COMMENTAIRE
 
J’ai choisi ces épisodes des guerres indiennes parce que la réhabilitation des droits des autochtones est à l’ordre du jour au pays.
 
Le texte de Victor Hugo résume toutes les formes de conquêtes menées par différentes nations au cours de l’histoire. Autrefois, en effet, les conquérants s’attaquaient aux indigènes sous le prétexte de les civiliser.  Paradoxalement, ils utilisaient les mêmes méthodes de massacre que celles des prétendus barbares qui s’entretuaient entre tribus.
 
Mais au fond, ce que les colonisateurs voulaient vraiment, c’était s’approprier les ressources naturelles des régions conquises : «si je ne peux pas t’acheter, ni te faire esclave, je te bute». Aujourd’hui, le prétexte s’appelle «croissance économique». Et certains entrepreneurs cupides n’hésiteront jamais à affamer des populations entières pour les ôter de leur chemin. En fait, seules les tactiques et les armes changent. C’est toujours le même problème : l’appropriation, l’empiètement. Ça se pratique aussi entre voisins…
 
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** L’expression en noir et sang est tirée du roman Une femme aimée, d’Andreï Makine :  
la vie est «…un dessin animé en noir et sang. L’histoire constitue une farce sanglante aux infinis rebondissements. Tout le monde comprend la folie de cette façon d’exister et pourtant à chaque génération, ça recommence. Oleg fait quelques pas, inspire à pleins poumons et regarde le ciel : le ciel, un vide sans la moindre compassion pour ce qui se passe sous sa voûte.»

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