6 août 2017

Pétrole, lithium, tomates : les jaunes l’emportent

En passant, j’ai apprécié l’entrevue de Michel Lacombe avec Alexandre Trudeau au sujet de son livre sur la Chine (émission Le 21e)  


En 1989, Alexandre Trudeau accompagne son père lors d’une rencontre diplomatique en Chine. Le jeune homme de 16 ans est charmé par ce pays qui sort tout juste de la tourmente des événements de la place Tiananmen. Il se jure alors d’y revenir pour découvrir le pays dans ce qu’il appelle de «meilleures conditions».
   Il y retourne au début des années 2000 avec l’objectif de mieux comprendre le géant chinois. «Il y a 20 ans, le modèle de réussite [dans le monde] était basé sur les États-Unis, explique-t-il. La Chine est quant à elle arrivée avec un modèle d’autocratie.»
   Il en tire l’ouvrage Un barbare en Chine nouvelle dont le titre est un clin d’œil à Deux innocents en Chine rouge, coécrit par Pierre Elliott Trudeau et Jacques Hébert à la fin des années 1960.
   La sortie de son livre coïncidait avec la mission économique de Justin Trudeau en Chine. «J’ai envoyé mon livre à mon frère six mois avant son voyage. Il m’a dit qu’il l’avait lu.» Que ce soit pour la Chine ou la délicate question des droits et libertés, Alexandre Trudeau n’hésite pas à aller à contre-courant des idées de son frère aîné.

Audiofil

Parlant de la Chine. Les Chinois comptent désormais parmi les grands prédateurs de la planète. Diable qu’on s’est moqué des futuristes qui craignaient un «péril jaune», non pas militaire tel qu’on le voyait au début du 20e siècle, mais économique. L’intrusion se fait en pantoufles à coûts d’investissements dans les industries, de partenariats majoritaires, d’achats de terres arables, de spéculations immobilières (allez faire un tour à Vancouver), etc.
   Pourquoi pensez-vous que l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau offre des vols sans escale Montréal-Pékin? Montréal deuxième Vancouver? Pourquoi Min Ying Holdings voulait-il établir son méga centre commercial en banlieue de Montréal? Pourquoi nos banques ont-elles servi de prête-noms aux Chinois pour l’achat de terres agricoles? Etc. La Chine est devenue au cours des dernières années le 2e partenaire économique du Québec après les États-Unis.
   Quand t’as épuisé tes propres ressources, tu vas en chercher ailleurs. Les investisseurs chinois grafignent  pour s’approprier les mines de métaux rares du Québec. Ces derniers servent à la fabrication de nombreux biens de consommation : téléphones cellulaires, baladeurs, processeurs, pièces informatiques; écrans de téléviseurs et d’ordinateurs; véhicules hybrides et véhicules électriques; superconducteurs; aimants permanents (moteurs électriques); alliages et superalliages (aéronautique); instruments chirurgicaux et implants; optique filtres pour rayons X, lasers; raffinage du pétrole, additifs et catalyseurs; verres et céramiques; batteries rechargeables et accumulateurs; éoliennes; cellules photovoltaïques; ampoules lumineuses ultra-efficaces; systèmes de radar et équipements militaires; convertisseurs catalytiques; industrie chimique et industrie nucléaire; produits de polissage.  
   Plus de six mois après la vente de la mine Québec Lithium à la compagnie chinoise Jien International, des actionnaires sont toujours dans l'incertitude. L'entreprise de RB Energy, qui possédait la mine Québec Lithium avant d'avoir des problèmes financiers, n'a toujours pas déclaré faillite, mais n'a plus aucun actif depuis la vente. Les actionnaires n'ont pas été consultés lors de la transaction qui a fait passer la mine aux mains de la compagnie chinoise.

Certains crient holà! mais les gouvernements les ignorent. Attendez de voir ce qui se passera avec les producteurs de fromages québécois...

Malheureusement, les Chinois ne respectent ni les humains, ni les animaux, ni la nature, ni le vivant, ni l’inerte. Leur contribution à la disparition de grandes espèces comme les éléphants pour leurs ridicules sculptures en ivoire, n’est que la pointe de l’iceberg. Ils n’ont aucun scrupule à maquiller des produits impropres à la consommation.
   En raison d’une législation laxiste en matière de sécurité sanitaire des aliments et des médicaments, nombre de consommateurs de produits chinois s’exposent à des risques de maladies ou d’empoisonnement. Ce risque est présent tant à l’achat d’une denrée aussi banale que de l’huile de cuisson, que lors de la vaccination des enfants.
   En Chine, de nombreux restaurateurs et industriels de l’agro-alimentaire badigeonnent et trempent leurs aliments dans des produits chimiques dangereux. Ces professionnels utilisent du formol ou du formaldéhyde cancérigène pour embellir leurs fruits de mer, ainsi que des opiacés mélangés aux nouilles. En matière de trafic de stupéfiants, ils n’ont rien à envier à la mafia internationale. La Chine aura beau couvrir ses pratiques de panneaux solaires et se draper de conscience environnementale, ce n’est qu’un masque.

Voyez : Aliments à la Frankenstein 

En tout cas, je salue bien bas le courageux auteur de L’empire de l’or rouge, Enquête mondiale sur la tomate d’industrie (Fayard, Paris 2017; 288 pages)  

Photo site de Jean-Baptiste Malet : https://twitter.com/jbaptistemalet?lang=fr

L'or rouge ou les dessous de l'industrie de la tomate
La tomate est un fruit, celui de la convoitise, estime Jean-Baptiste Malet

Le Devoir 22 juillet 2017   
Par Fabien Deglise


La tomate permet de comprendre un peu mieux le monde dans lequel on vit et de saisir les paradoxes et les incohérences de l’économie mondialisée, résume l’essayiste.

La sauce à «spag’» de matante Lucille, la pizza «toute garnie» du resto du coin ou la boisson aux légumes pour se donner bonne conscience risquent de ne plus avoir le même goût après la lecture de L’Empire de l’or rouge (Fayard), essai étonnant qui a conduit pendant deux ans son auteur, le journaliste français Jean-Baptiste Malet, aux quatre coins du globe, dans les coulisses d’une industrie pour le moins singulière : celle de la tomate.
   Fruit pour les botanistes, légume pour le commun des mortels, la tomate est devenue au fil des ans et sous l’effet de la mondialisation bien plus que cela : c’est désormais une matière première industrialisée et convoitée qui circule en baril, comme le pétrole, qui ment aux consommateurs sur sa véritable nature, qui abuse de leur pauvreté, de leur apathie, qui engraisse les multinationales et la mafia italienne. Pis, lorsqu’on analyse ses flux commerciaux, la tomate permet de comprendre un peu mieux le monde dans lequel on vit et de saisir les paradoxes et les incohérences de l’économie mondialisée, résume l’essayiste. Rien de moins.
   «Nous sommes entrés dans la civilisation de la tomate, la marchandise la plus accessible de l’ère capitaliste», résume à l’autre bout du fil le jeune auteur joint cette semaine par Le Devoir à Paris.

Marché globalisé

En 2013, le journaliste qui écrit entre autres pour Rue89, L’Humanité et Le Monde diplomatique s’était fait remarquer pour avoir infiltré Amazon afin de poser un regard critique nourri de l’intérieur sur les conditions de travail redoutables imposées par la multinationale américaine de la vente en ligne.
   «Tous les êtres humains mangent de la tomate dans tous les pays du monde à raison de 5 kg par an et par personne. Elle représente un marché de 10 milliards de dollars, mais aussi un marché globalisé qui en dit beaucoup sur l’économie néolibérale et sur cette idéologie qui en dicte les règles», souvent au mépris des humains qui s’en nourrissent, poursuit-il.
   Il suffit d’aller en Chine, d’ailleurs, pour en prendre conscience. Ce qu’il a fait en partant à la rencontre de Chalkis, l’entreprise militaro-agricole de l’empire du Milieu qui s’est imposée depuis le début du siècle comme l’un des grands exportateurs mondiaux de concentré de tomates, mis en baril, puis envoyé en Italie, aux États-Unis, dans le sud de la France où, après reconditionnement, il devient sauce tomate se drapant dans l’identité de son pays d’adoption, souvent avec l’exploitation d’un drapeau italien sur l’étiquette, d’une iconographie évoquant la Provence et de l’imagerie de tomates bien rondes et bien mûres dont ce concentré chinois n’est certainement pas issu.
   La tomate d’industrie, les agronomes «l’appellent pour plaisanter la tomate de combat», écrit Jean-Baptiste Malet dans son livre. «Elle est à la tomate fraîche ce qu’une pomme est à une poire. C’est un autre fruit, une autre géopolitique, un autre business. La tomate d’industrie est un fruit artificiellement créé par des généticiens, dont les caractéristiques ont été pensées pour être parfaitement adaptées à sa transformation industrielle. […] Cette tomate d’industrie n’est pas ronde : elle est oblongue. Elle est aussi plus lourde, plus dense qu’une tomate fraîche, car elle contient beaucoup moins d’eau.»

Des racines ontariennes

Soupe, sauce, pizza, condiment, boisson… La tomate d’industrie, cultivée en Chine, mais aussi en Italie, au Mexique ou en Californie, est désormais partout. La faute revient d’ailleurs à un Ontarien, découvre-t-on dans ce livre, qui dans les années 1950 a inventé le baril aseptique en s’inspirant de ceux utilisés par les compagnies pharmaceutiques pour le transport de leurs matières médicamenteuses, afin de conditionner de manière optimale la tomate et de permettre son déplacement par bateau à travers le monde.   
   L’homme travaillait dans l’usine de la Heinz Company à Leamington en Ontario, l’un des fleurons de cette compagnie spécialisée dans la tomate. Ironiquement, l’usine, qui carburait aux tomates canadiennes y compris celles du Québec , a fermé ses portes en 2014, frappée de plein fouet par la tomate chinoise et par les coûts d’une main-d’oeuvre chinoise que les travailleurs canadiens ne pouvaient pas concurrencer.
   «La mondialisation de la tomate, c’est aussi absurde que ça, dit Jean-Baptiste Malet. Le Canada pourrait être autosuffisant en matière de tomate, mais comme pour d’autres pays, les règles du commerce mondial érodent l’agriculture locale, tuent les industries qui y étaient liées et le font dans une opacité entretenue par les grands acteurs de ce milieu parce qu’elle leur permet de générer des mégaprofits.»
   En 2015, le Canada a importé pour plus de 800 millions de dollars de tomates fraîches, en conserve, en concentré ou en jus, avec les histoires sombres qui viennent parfois avec, indiquent les chiffres du ministère fédéral du Développement économique.

Mafia et additifs

En Chine, le journaliste a découvert que les concentrés de tomate pure ne l’étaient pas toujours. On y ajoute de la fibre de soya, de l’amidon, du dextrose, du colorant pour en influencer la texture, l’apparence, mais surtout pour les rendre plus profitables, particulièrement sur les marchés africains, où ces concentrés de tomate de très mauvaise qualité sont déversés par les Chinois, les Européens, les Américains sans vergogne, mais aussi sans que les étiquettes fassent mention de ces ajouts.
   En Italie, il a arpenté les territoires agro-industriels mafieux, qui génèrent une économie parallèle de 15 milliards dans la nourriture uniquement et par la tomate en particulier. Là-bas, on peut faire «cadeau» d’une usine de transformation de la tomate à un Chinois, pour «service rendu».
   En Californie, il a vu les dégâts sur l’environnement induits par des productions intensives qui se foutent des lendemains, guidées par la doctrine libertarienne, avec leur hyper individualisme érigé en outil de destruction sociale, politique et environnementale.
   En Chine, il a parlé pesticides interdits, et a compris aussi que les prisonniers, les minorités et les migrants sont exploités pour alimenter ce commerce de la tomate mondialisée.
   «Les industriels disent qu’il n’y a pas de problème, c’est faux. Il y en a plusieurs que l’on ne voit pas et qui, dans des démocraties comme les nôtres, devraient faire l’objet de débat. Et pour cela, le consommateur a besoin de savoir ce qu’il mange vraiment.»
   Dans son livre, il écrit : «Puisque l’industrie est un pouvoir, pourquoi l’industrie ne serait-elle pas contrôlée par des contre-pouvoirs démocratiques? Pendant combien de temps encore faudrait-il accepter de consommer des produits opaques?»
   Au téléphone, il ajoute : «Nos sociétés sont organisées selon des règles idéologiques qui se font au détriment du bon sens. Il faut réguler à nouveau plusieurs industries, plusieurs commerces, forcer, dans le cas de la tomate, la traçabilité de cette matière première, mais aussi de tous les ingrédients qui entrent dans la composition d’un produit alimentaire, afin de donner aux consommateurs l’information sur sa provenance, sur ce qu’il est vraiment, sur ce qu’il représente. Et on doit passer par la case politique pour ça», plutôt que par cette autorégulation, promue par le courant néolibéral depuis des lunes et qui, par la tomate, comme d’autres matières à importation d’ailleurs, démontre depuis longtemps son inefficacité, selon l’essayiste.
   Son livre va faire l’objet d’un documentaire qui devrait être diffusé sur les ondes de TV5 dans le courant de l’automne.
   Pour lui, la tomate est devenue «une caricature des excès du capitalisme». Excès qui, forcément, lorsqu’il est question de la table, peuvent facilement tomber sur l’estomac.


Résumé de l’éditeur

Que mange-t-on quand on ouvre une boîte de concentré, verse du ketchup dans son assiette ou entame une pizza? Des tomates d’industrie. Transformées en usine, conditionnées en barils de concentré, elles circulent d’un continent à l’autre. Toute l’humanité en consomme, pourtant personne n’en a vu.
   Où, comment et par qui ces tomates sont-elles cultivées et récoltées  ?
   Durant deux ans, des confins de la Chine à l’Italie, de la Californie au Ghana, Jean-Baptiste Malet a mené une enquête inédite et originale. Il a rencontré traders, cueilleurs, entrepreneurs, paysans, généticiens, fabricants de machine, et même un «  général  »  chinois.
   Des ghettos où la main-d’œuvre des récoltes est engagée parmi les migrants aux conserveries qui coupent du concentré incomestible avec des additifs suspects, il a remonté une filière opaque et très lucrative, qui attise les convoitises : les mafias s’intéressent aussi à la sauce tomate.
   L’Empire de l’or rouge nous raconte le capitalisme mondialisé. Il est le roman d’une marchandise universelle.

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Clin d’œil au procureur Robert Mueller chargé d’enquêter sur les liens entre le clan Trump et la Russie :

Vous ne pouvez pas être «moitié-moitié». Vous êtes soit «coupable» ou «non-coupable».

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