Faites-vous partie des optimistes indécrottables
qui ne croyaient pas que Donald Trump serait élu président? Faites-vous partie
des optimistes indécrottables qui croient qu’aucun bombardement atomique ne se
produira, ne serait-ce qu’accidentellement à cause du tempérament des leaders
concernés?
Cela laisse supposer que même si nous croyons être
une espèce supérieure, nous sommes incapables d’évaluer (ou d’imaginer) les
conséquences de nos choix et de nos actes ou de ceux de nos leaders. Je parierais
volontiers que certains animaux sont plus futés que nous... ils «sentent» les
choses, une faculté que nous avons perdue.
Plusieurs chefs d’État souffrent d'authentique
démence et manipulent les armes atomiques comme des fusils à l’eau. La
partie d’échecs finira mal, quel que soit le gagnant.
Donc, revoilà un message publié en février
dernier. Dans son livre-testament, Sable
Mouvant, l'écrivain, humaniste et grand penseur Henning Mankell (1948-2015)
exprime plusieurs fois sa crainte de voir l'instinct de destruction humain nous
conduire à l'anéantissement. «Si corruption et autres signes de cynisme ne
constituaient pas un obstacle, la folie, elle, était à craindre.» (Mankell, Une charogne sur le banc des accusés,
p. 327)
Chapitre
L'avenir dissimulé sous la terre (p. 30-32) :
C'est à bord du train entre Göteborg et Stockholm
que je tombe par hasard sur un article évoquant le projet d'ouvrir à la
dynamite, dans la roche mère de Finlande, des tunnels et salles souterraines
afin d'y entreposer les déchets du nucléaire pour une durée indéterminée. Qui
ne doit pas être inférieure à cent mille ans. Même si la radioactivité est la
plus intense (comprendre «mortelle») au cours des mille premières années, il
faut malgré tout pouvoir garantir un stockage hermétique sur une durée
équivalente au passage sur Terre de trois mille générations humaines.
J'ai
connu le nucléaire toute ma vie. De mon enfance, je garde le souvenir de
manifestations hostiles, et de la peur que nous inspiraient à la fois l'arme
atomique et la perspective d'une terrible guerre entre deux bêtes féroces,
l'Union soviétique et les États-Unis. La paix entre elles était toute relative,
fragile et précaire, et il fallait à tout prix empêcher leur affrontement.
Après cela, il y a eu les grandes catastrophes nucléaires – Three Mile Island,
Tchernobyl et la dernière en date : Fukushima. J'ai la conviction, bien
naturelle, que le compte à rebours nous séparant de la prochaine a déjà
commencé. Je suis un opposant à l'énergie nucléaire. Chaque accident avéré – et chaque incident où le pire a été
évité de justesse – renforce ma
défiance. Je savais que le temps nécessaire pour neutraliser la radioactivité
était long, et connaissais le danger de ces déchets avec lesquels il allait
falloir cohabiter pendant des millénaires. Mais c'est seulement ce jour-là, à
l'automne 2012, que j'en ai saisi les implications réelles.
L'article est relégué au bas d'une page intérieure.
D'autres informations ont une priorité bien supérieure : les amours d'une rock
star, les astuces pour payer moins d'impôts et pour maigrir de dix kilos en
quinze jours.
C'est
compréhensible. La vie, après tout, se déroule au présent.
Peu de gens
ont la capacité d'étendre leur curiosité au-delà des jours ou des mois à venir.
Au-delà du prochain tirage du Loto, disons, grâce auquel on espère se délivrer
de toute contrainte et partir s'installer aux Caraïbes.
Aujourd'hui, les habitants de notre partie du monde ne croient pas en
Dieu, mais ils croient au tirage et au grattage. Ils sont accros aux jeux de
hasard. Si on a la chance de gagner, c'est merveilleux : plus besoin de
travailler, plus besoin de se préoccuper de quoi que ce soit, dorénavant on
pourra considérer le reste de la société avec arrogance et mépris. La nouvelle
façon de désigner le gros lot l'indique on ne peut plus clairement :
«Vingt-cinq de salaire!» Exonéré d'impôts, bien entendu.
En bas de
la page du journal, donc, voilà cet article sur le projet de cachette géante
enfouie au coeur de la roche mère finlandaise afin d'y stocker jusqu'à la fin
des temps d'énormes quantités de déchets nucléaires.
[...] Comment est-il possible de garantir la conservation pendant
cent mille ans de déchets mortellement toxiques, alors qu'aucun des plus
anciens édifices humains que nous connaissons n'excède cinq ou six mille ans
d'âge?
Chapitre La
bulle dans la paroi du verre (p. 35) :
Le temps à venir se perd dans les mêmes brumes que
le temps révolu. Quel que soit le côté où nous nous tournons, nous sommes
enveloppés de brouillard, ou plutôt d’épaisses ténèbres. Nous pouvons envoyer
nos pensées aux quatre points cardinaux et dans toutes les directions
temporelles. Mais les réponses qui nous reviennent sont peu convaincantes. Nous
ne pouvons aller au-delà de ce que les auteurs de science-fiction eux-mêmes ont
du mal à appréhender.
Grâce à
des modèles mathématiques, les chercheurs sont capables de calculer beaucoup de
choses, depuis la création de l’univers jusqu’au jour où le soleil en expansion
finira par avaler notre planète, quand les mers se seront évaporées et que le
phénomène de la vie aura disparu depuis longtemps. Le soleil dispensateur de
vie causera à la fin notre perte. Tel un gigantesque dragon de feu, il dévorera
la Terre avant de mourir à son tour et de devenir une naine jaune morte et
froide parmi d’autres. Mais les modèles mathématiques ne rendent pas le temps
plus compréhensible pour nous.
[...]
L’histoire humaine, comme celle de tous les êtres
vivants, se réduit en dernier recours à des stratégies de survie. Rien d’autre
n’a d’importance. Cette capacité se traduit par le fait que nous nous
reproduisons, et que nous laissons aux générations suivantes le soin de se
confronter aux mêmes enjeux de survie.
Chapitre
Testament (p. 39/42) :
Les civilisations ne laissent pas de testament.
Seuls les individus le font. Rome, l'Égypte des pharaons, la civilisation inca
ou maya n'ont pas disparu à la suite d'un événement unique, comme un accident
ou une éruption volcanique. Le déclin s'est fait progressivement, et il a été
nié jusqu'au bout. Une civilisation aussi aboutie que la leur ne pouvait tout
simplement pas disparaître. Les dieux s'en portaient garants. [...]
C'est là
un dénominateur commun de toutes les grandes civilisations : le fait qu'elles
semblent avoir été immortelles aux yeux de leurs représentants.
[...]
Deux
notions résument tout ce qui a été, et sans doute aussi tout ce qui sera.
Survie et
disparition.
Un simple
regard en arrière nous permet d'anticiper se qui nous attend, nous aussi. Rien
ne se répète à l'identique. L'histoire n'est pas une suite d'imitations.
Mais en
ce qui nous concerne, on peut dire que nous avons d'ores et déjà décidé quel
sera le témoignage ultime de ce que nous fûmes.
Pas
Rubens, Rembrandt, Raphaël.
Pas
Shakespeare, Botticelli, Beethoven, Bach ou les Beatles.
Rien de
tout cela.
Quand
notre civilisation aura disparu, il restera deux choses. La sonde spatiale
Voyager lancée dans sa course à travers l'espace interstellaire. Et les déchets
nucléaires enfouis au coeur de la roche mère.
Chapitre La
décharge flottante (p. 88 - ) :
La vie des humains est lisible à travers leurs
déchets. Les décharges sont un miroir où se laissent déchiffrer des millénaires
de vie quotidienne.
[...]
Les
décharges de notre temps se présentent autrement et racontent d’autres
histoires.
Le plus
grand dépotoir du monde, à l’heure actuelle, n’est pas situé sur la terre ferme
mais dans l’océan Pacifique, entre la côte californienne et Hawaï. Des millions
de tonnes de détritus à la dérive. ... Les déchets se composent de plastique et
ont une demi-vie infiniment longue. ...
[...]
Bien
entendu, un grand nombre de personnes travaillent aujourd’hui à contrer
l’avancée de la montagne-poubelle. Nous avons une importante politique de tri
et de recyclage qui n’existait pas il y a vingt ans. ...
Mais ce
n’est pas assez, vu que les plus dangereux des déchets, à savoir le nucléaire à
l’échelle globale, ne dispose pas encore de solution viable pour son stockage
définitif. Les plus grands consommateurs de nucléaire, tels que la Chine et les
États-Unis, ont à peine commencé à construire des stations de stockage
provisoires, en attendant d’imaginer des méthodes de stockage définitif et de
les approuver politiquement. Ce qui a lieu, ou non, dans un pays comme la Corée
du Nord, je ne veux même pas y penser. J’y pense néanmoins.
Toutes
les civilisations ont laissé des déchets. Quand un empire tombe, son premier
souci n’est pas de faire le ménage. Mais l’Égypte des pharaons pas plus que la
Rome impériale n’ont laissé derrière elles de déchets mortifères.
Nous,
oui.
SABLE
MOUVANT Fragments de ma vie
Henning
Mankell
Traduit du suédois par Anna Gibson
Éditions du Seuil, septembre 2015
En attendant les erreurs de jugement qui
pourraient potentiellement nous annihiler, nous ne savons pas quoi faire des
déchets nucléaires – d'autant plus que nous n’arrêtons pas d’en produire.
Voici une proposition du groupe Vert’libéral au
Parlement suisse, qui rejoint les propos de Mankell...
Juin 2017 – Le groupe Vert’libéral a demandé par
voie de postulat d'étudier un plan B pour la gestion de nos déchets nucléaires
hautement toxiques. Mais voilà par 134 NON et 49 OUI, nous n'avons pas été
suivis et donc nous irons enterrer nos déchets tel le chat avec sa merde dans
sa caisse... Voilà le vote nominal pour ceux que cela intéresse: https://www.parlament.ch/…/Abstimm…/5...
D’autres pays ont balancé leurs déchets nucléaires à la mer et ne les ramassent pas...
La pollution suit le courant, selon le principe
des vases communicants :
Que trouve-t-on au fond de l’océan Arctique?
- des milliers de caissons métalliques,
- dix-neuf navires chargés de déchets radioactifs,
- quatorze réacteurs,
- trois sous-marins nucléaires...
Une bombe à retardement qui dort dans les eaux
russes
Arctique, cimetière atomique (ARTE) :
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