~ Mark Twain, 1835-1910, The Privilege of the Grave in
Who Is Mark Twain? (1)
Le journalisme d’enquête
relié à la corruption en milieux financiers et politiques risque de disparaître
avec la croissance des oligarchies dans le monde.
À peine élu à la
présidence des Philippines en mai 2016, Rodrigo Duterte avait délivré ce
message sibyllin à la presse de son pays : «Ce
n’est pas parce que vous êtes journalistes que vous serez préservés des assassinats
si vous êtes un fils de pute. La liberté d’expression ne pourra rien pour vous,
mes chers.»
Et son admirateur,
Donald Trump, a qualifié les journalistes d’ennemis
du peuple.
Le président de la
République tchèque, brandissant une kalachnikov, disait qu’il la réservait aux
journalistes. (RSF)
Selon Reporters sans
frontières (RSF), en 2017 :
65 journalistes ont été
tués pour avoir exercé leur mission d’information, dont 50 journalistes
professionnels, 7 journalistes-citoyens, et 8 collaborateurs des médias
39 assassinés ou
sciemment visés (60 %)
26 tués dans l’exercice de
leurs fonctions (40 %)
55 hommes (85 %)
10 femmes (15 %)
2 disparus
54 pris en otage
326 détenus
Par ailleurs la Fédération internationale
des journalistes (FIJ) dénombrait 81 journalistes ayant perdu la vie un peu
partout sur la planète – lors d’attaques ciblées, d’attentats à la voiture
piégée et d’échanges de tirs – et 250 journalistes emprisonnés.
En 2018, la liste des journalistes
assassinés s’allonge : Daphne Caruana Galizia, Jan Kuciak, Hector Gonzalez
Antonio, Shujaat Bukhari, Viktoria Marinova... Et peut-être Jamal Khashoggi?
«Et ça a été l'argent
qui fait l'argent; peu importe comment vous vous le procurez dès l'instant que
vous vous le procurez et que vous l'utilisez pour en gagner plus. […] Quand il
s'agit d'argent, les principes ordinaires de conduite prennent congé. L'argent
non seulement n'a pas de cœur, mais pas d'honneur ni de mémoire.» ~ John Steinbeck (L’Hiver de
notre Déplaisir)
Cette jeune journaliste bulgare
s’est malheureusement retrouvée à la une de tous les médias. On soupçonne
qu’elle a été assassinée par des tueurs à gage à la solde d’une organisation
criminelle d’envergure non identifiée. Le message des commanditaires est
clair : voilà ce qui vous arrivera si vous essayez de nous barrer le
chemin.
Il n’existe pas de mots
pour qualifier ces crimes.
Assassinat d'une journaliste enquêtant sur
la corruption en Bulgarie
Agence
France-Presse | Le 7 octobre 2018 à 17 h 58
Une
journaliste bulgare qui travaillait sur une affaire de corruption présumée a
été assassinée à Roussé, une ville située sur le Danube, ont annoncé dimanche
les autorités bulgares.
Le corps de Viktoria Marinova, 30 ans, responsable administrative et
présentatrice sur TVN Ruse, a été découvert samedi dans un parc de la ville, a
annoncé dimanche le procureur régional, Georgy Georgiev.
La jeune femme a été frappée à la tête et
étranglée, d’après le ministère de l'Intérieur, qui précise qu'elle avait aussi
été violée.
Les enquêteurs examinent toutes les pistes,
tant liées à la vie personnelle que professionnelle de la journaliste. Elle
animait une émission consacrée aux questions de société diffusée localement à
Roussé, grand port des bords du Danube, à la frontière avec la Roumanie. [...]
Dans le dernier numéro de cette émission, le
30 septembre, elle avait diffusé un entretien avec deux journalistes
d'investigation réputés, le Bulgare Dimitar Stoyanov et le Roumain Attila Biro,
qui enquêtent sur des soupçons de fraude aux subventions européennes qui
impliqueraient des hommes d'affaires et des élus. [...]
Des
sources policières ont déclaré à l'AFP douter du lien direct entre le meurtre
et la profession de la journaliste. (!!!)
«Son téléphone portable, ses clés de
voiture, ses lunettes et une partie de ses vêtements ont disparu», a précisé le
parquet local.
Selon RSF, les journalistes d'investigation
bulgares sont exposés à «de nombreuses formes de pression et d'intimidation» et
font face à des «oligarques exerçant un monopole médiatique et à des autorités
soupçonnées de corruption et de liens avec le crime organisé».
«Les valeurs humaines universelles sont celles
qu’on ne passe pas en contrebande de pays en pays, car elles ne rapportent
rien.» ~ Stanislaw
Jerzy Lec
Où est le journaliste Jamal Khashoggi?
Publié le
vendredi le 5 octobre 2018
Mardi
dernier, Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien, est entré au consulat de
l'Arabie saoudite à Istanbul en début d'après-midi. Il avait besoin de
documents prouvant son divorce pour se remarier à une citoyenne turque. Sa
fiancée, Hatice, l'attendait sur le trottoir. Trois jours plus tard, elle
attend toujours. Le Saoudien a disparu.
Jamal Khashoggi est un journaliste et commentateur
bien connu qui, au cours d’une longue carrière en Arabie saoudite, s’est montré
parfois critique du régime monarchique de son pays. Il a su naviguer habilement
dans un espace de liberté d’expression pour le moins exigu. Proche des
puissants cercles de la famille royale, il était aussi, pour le monde
extérieur, un fin décrypteur du fonctionnement et de la pensée du pouvoir en
Arabie saoudite.
Mais après l’arrivée sur le trône du roi
Salmane et la montée fulgurante de son fils, Mohammed ben Salmane, l’auteur
s’est retrouvé coincé. Après avoir écrit que la monarchie de l’Arabie saoudite
était inquiète de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, Jamal Khashoggi s’était
fait intimer de cesser d’écrire dans la presse et de publier sur Twitter. En
2017, il a choisi l’exil aux États-Unis. [...]
Jamal Khashoggi se croyait plus en sécurité
à l’extérieur de l’Arabie saoudite, libre de dénoncer les autorités de son
pays. S’il s’avère qu’il est retenu contre son gré au consulat saoudien ou
qu’il a déjà été rapatrié malgré lui en Arabie saoudite, ce sera le signe
inquiétant d’une monarchie qui ne recule devant rien, pas même ses frontières
ni le droit international pour faire taire ceux qui la critiquent. [...]
Couper la tête à tout le monde, ça dépeuple, c’est sûr.
~~~
(1) En
décembre 2008, le New York Times a publié The
Privilege of the Grave, extrait de l’ouvrage à paraître en 2009 : Who Is Mark Twain? – Twain avait exigé
que ce texte soit publié 100 ans après sa mort.
Dans ce texte de 1905, Mark Twain exprime
son point de vue sur la liberté d’expression, à savoir qu’en théorie nous avons
le droit de nous exprimer, mais qu’en pratique, la prudence et les conventions
sociales nous empêchent de l’exercer, sauf une fois dans la tombe alors que
nous ne faisons plus de cas de ce que pensent les autres. Il n’y a rien de mal
à s’imposer une certaine retenue, mais cela ne devrait pas étouffer la libre
expression et les débats. Mark Twain a peut-être choisi que certains de ses écrits
soient publiés seulement après sa mort, mais cela ne l’a pas empêché de dire
des vérités «provocantes» sur la politique et la société tout au long de sa
vie. S’il vivait aujourd’hui, ses commentaires rempliraient les banques de
données de surveillance de la NSA...
The
Privilege of the Grave
By Mark Twain
Illustration by Barry Blitt, New York Times
Its occupant has one privilege which is not exercised
by any living person: free speech. The living man is not really without this
privilege – strictly speaking – but as he possesses it merely as an empty
formality, and knows better than to make use of it, it cannot be seriously
regarded as an actual possession. As an
active privilege, it ranks with the privilege of committing murder: we may
exercise it if we are willing to take the consequences. Murder is forbidden
both in form and in fact; free speech is granted in form but forbidden in fact.
By the common estimate both are crimes, and are held in deep odium by all
civilized peoples. Murder is sometimes punished, free speech always – when
committed. Which is seldom. There are not fewer than five thousand murders
to one (unpopular) free utterance. There is justification for this reluctance
to utter unpopular opinions: the cost of utterance is too heavy; it can ruin a
man in his business, it can lose him his friends, it can subject him to public
insult and abuse, it can ostracize his unoffending family, and make his house a
despised and unvisited solitude. An unpopular opinion concerning politics or
religion lies concealed in the breast of every man; in many cases not only one
sample, but several. The more intelligent the man, the larger the freightage of
this kind of opinions he carries, and keeps to himself. There is not one
individual – including the reader and myself – who is not the possessor of dear
and cherished unpopular convictions which common wisdom forbids him to utter.
Sometimes we suppress an opinion for reasons that are a credit to us, not a
discredit, but oftenest we suppress an unpopular opinion because we cannot
afford the bitter cost of putting it forth. None of us likes to be hated, none
of us likes to be shunned.
A natural result of these conditions is, that we
consciously or unconsciously pay more attention to tuning our opinions to our
neighbor’s pitch and preserving his approval than we do to examining the
opinions searchingly and seeing to it that they are right and sound. This
custom naturally produces another result: public opinion being born and reared
on this plan, it is not opinion at all, it is merely policy; there is no
reflection back of it, no principle, and it is entitled to no respect.
When an entirely new and untried political project is
sprung upon the people, they are startled, anxious, timid, and for a time they
are mute, reserved, noncommittal. The great majority of them are not studying
the new doctrine and making up their minds about it, they are waiting to see
which is going to be the popular side. In the beginning of the anti-slavery
agitation three-quarters of a century ago, in the North, it found no sympathy
there. Press, pulpit and nearly everybody blew cold upon it. This was from
timidity, the fear of speaking out and becoming obnoxious, not from approval of
slavery or lack of pity for the slave; for all nations like the State of
Virginia and myself are not exceptions to this rule; we joined the Confederate
cause not because we wanted to, for we did not, but we wanted to be in the
swim. It is plainly a law of nature, and we obeyed it.
It is desire to be in the swim that makes successful
political parties. There is no higher motive involved – with the majority – unless
membership in a party because one’s father was a member of it is one. The
average citizen is not a student of party doctrines, and quite right: neither
he nor I would ever be able to understand them. If you should ask him to
explain – in intelligible detail – why he preferred one of the coin-standards
to the other, his attempt to do it would be disgraceful. The same with the
tariff. The same with any other large political doctrine; for all large
political doctrines are rich in difficult problems – problems that are quite
above the average citizen’s reach. And that is not strange, since they are also
above the reach of the ablest minds in the country; after all the fuss and all
the talk, not one of those doctrines has been conclusively proven to be the
right one and the best.
When a man has joined a party, he is likely to stay in
it. If he changes his opinion – his feeling, I mean, his sentiment – he is
likely to stay, anyway; his friends are of that party, and he will keep his
altered sentiment to himself, and talk the privately discarded one. On those
terms he can exercise his American privilege of free speech, but not on any
others. These unfortunates are in both parties, but in what proportions we
cannot guess. Therefore we never know which party was really in the majority at
an election.
Free
speech is the privilege of the dead, the monopoly of the dead. They can speak
their honest minds without offending. We have charity for what the dead say. We
may disapprove of what they say, but we do not insult them, we do not revile
them, as knowing they cannot now defend themselves. If they should speak, what
revelations there would be! For it would be found that in matters of opinion no
departed person was exactly what he had passed for in life; that out of fear,
or out of calculated wisdom, or out of reluctance to wound friends, he had long
kept to himself certain views not suspected by his little world, and had
carried them unuttered to the grave. And then the living would be brought by
this to a poignant and reproachful realization of the fact that they, too, were
tarred by that same brush. They would realize, deep down, that they, and whole
nations along with them, are not really what they seem to be – and never can
be.
Now there is hardly one of us but would dearly like to
reveal these secrets of ours; we know we cannot do it in life, then why not do
it from the grave, and have the satisfaction of it? Why not put these things
into our diaries, instead of so discreetly leaving them out? Why not put them
in, and leave the diaries behind, for our friends to read? For free speech is a
desirable thing. I felt it in London, five years ago, when Boer sympathizers – respectable
men, taxpayers, good citizens, and as much entitled to their opinions as were
any other citizens – were mobbed at their meetings, and their speakers
maltreated and driven from the platform by other citizens who differed from
them in opinion. I have felt it in America when we have mobbed meetings and
battered the speakers. And most particularly I feel it every week or two when I
want to print something that a fine discretion tells me I mustn’t. Sometimes my
feelings are so hot that I have to take to the pen and pour them out on paper
to keep them from setting me afire inside; then all that ink and labor are
wasted, because I can’t print the result. I have just finished an article of
this kind, and it satisfies me entirely. It does my weather-beaten soul good to
read it, and admire the trouble it would make for me and the family. I will
leave it behind, and utter it from the grave. There is free speech there, and
no harm to the family.
TWAIN PAPERS
Who Is Mark Twain?
By Mark Twain
Published April 21st 2009 by Harper
“You had better shove this in the stove,” Mark Twain
said at the top of an 1865 letter to his brother, “for I don't want any absurd
‘literary remains’ and ‘unpublished letters of Mark Twain’ published after I am
planted.” He was joking, of course. But when Mark Twain died in 1910, he left
behind the largest collection of personal papers created by any
nineteenth-century American author.
Here, for the
first time in book form, are twenty-four remarkable pieces by the American
master – pieces that have been handpicked by Robert Hirst, general editor of
the Mark Twain Project at the University of California, Berkeley. [...]
Wickedly
funny and disarmingly relevant, Who Is
Mark Twain? shines a new light on one
of America's most beloved literary icons – a man who was well ahead of his
time.
En complément
HUGO
PAPERS
«La presse a succédé au catéchisme dans le gouvernement du monde. Après le pape, le papier.» ~ Victor Hugo
Hugo journaliste; Articles et chroniques
Victor
Hugo (éd. prés. par Marieke Stein)
Éditeur :
GF Flammarion 2014
Résumé :
Figure
tutélaire et conscience éclairée de son temps, Victor Hugo fut de toutes les luttes.
La première d'entre elles? La liberté de la presse. Dès 1819, il fonde Le
Conservateur littéraire, qu'il rédige avec ses frères et plusieurs jeunes
écrivains romantiques. Il y critique les dernières parutions ou y éreinte de
mauvais dramaturges. Sa plume est allègre et audacieuse : il va jusqu'à encourager
un Lamartine de douze ans son aîné! Ses convictions, il les exprima d'abord
dans la presse. Devenu républicain, il stimulera sans relâche la création de
nouvelles feuilles et soutiendra les journalistes opprimés.
La présente anthologie entend mettre à
l'honneur l'œuvre de Hugo journaliste. Celle-ci est marquée par d'importants
combats – pour la justice, contre la peine de mort... –, et par d'autres qui
montrent parfois un grand homme soucieux de l'image qu'il destine à la
postérité. Si Hugo prit quelquefois ses distances avec le journalisme, qu'il
estime trop rivé aux faits, il comprit très vite l'importance du phénomène
journalistique, qu'il a vu naître et s'amplifier. Pour lui, la mission de la
presse n'est rien de moins qu'une mission civilisatrice. Contre l'anecdotique,
il veut restaurer la primauté de l'Idée. Une leçon de journalisme.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire