31 octobre 2017

Le Catch 22 hispano-catalan

J’ai visité l’Espagne (en long et en large) une première fois dans les années 70, alors que le Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios achevait son règne. Mon compagnon et moi quittions la France, de sorte que nous avons d’abord visité la Catalogne et le Pays Basque. Nous trouvions les gens particulièrement accueillants, chaleureux, ouverts et joyeux. Par la suite, plus nous avancions au cœur du pays, plus nous remarquions les différences de mentalité et d’attitudes. Dans une petite ville du centre, une femme a tiré sur ma jupe en disant «Mala! Mala!» une jupe réglementaire aux genoux car on m’avait avertie que les Espagnols étaient des catholiques très puritains. Un catholicisme peut-être hypocrite car j’ai dû donner nombre de coups de coude aux machos qui me harcelaient dans le métro de Madrid – j’avais eu la mauvaise idée d’aller magasiner sans mon ami. Dans les années 80 je me suis limitée à mes deux coups de cœur : Catalogne et Pays Basque. Voilà pour ma petite histoire subjective.
   J’aimerais aussi mentionner qu’en 2011, la Catalogne a interdit la corrida. Avec celles et ceux qui ont un cœur au lieu d’une roche dans la poitrine, je me réjouissais de l’abolition des spectacles de tauromachie. «Vous, les hommes, vous avez un problème avec la testostérone. Un peu moins de sensibilité avec les choses. C’est une victoire de Barcelone, de la Catalogne, de l’Europe. Chaque fois que l’humanité change en mieux, c’est une victoire du monde», disait à l’époque Mme Pilar Rohola, chroniqueuse et passionaria de la lutte contre la tauromachie. Minuscule victoire, certes, puisque les taureaux allaient affronter picadors et toreros ailleurs dans la péninsule ou dans les arènes françaises. Je fus stupéfaite le jour où j’appris que la corrida était sur la liste du Patrimoine Immatériel Français de la Culture – la cruauté et la barbarie promues au rang de patrimoine culturel! À ceux qui considèrent qu’il faut d’abord s’occuper des humains, considérons que l’un n’empêche pas l’autre et que les deux réalités se recoupent étrangement en matière de cruauté subie.

Photo via le site de Radio-Canada Info 

Bref, loin de moi l’intention d’analyser le conflit hispano-catalan; c’est hors de mes compétences. Cependant, je ne peux m’empêcher de déplorer les sinistres décisions dictatoriales du gouvernement espagnol.
   J’ai trouvé notre presse officielle (locale) vraiment stupide d’oser demander pourquoi le président catalan s’était rendu à Bruxelles. Par sagesse et mesure de prévention à la fois pour sa personne et la population catalane. Dites-moi, qui voudrait être emprisonné pour 15-30 ans (peut-être même assassiné) par un copié/collé de régime franquiste (1)? Le gouvernement central espagnol a catégoriquement refusé toute négociation et traité la question comme s’il s’agissait d’un putsch!
   J’ai le plus grand des respects envers le peuple et le gouvernement actuel de la Catalogne, d’une dignité incomparable. Il suffit de regarder les vidéos montrant les actes violents de la Garde civile lors du vote le 1er octobre pour comprendre ce que signifie répression dans la tête du président espagnol. Un horrible présage de ce qui pourrait se produire si le conflit ne se résout de manière intelligente et pacifique.
   Les événements ont pris la tournure d’un Catch 22 (perdant-perdant). En outre, mis à part la Belgique, je trouve l’attitude des chefs d’états occidentaux d’une lâcheté inouïe face aux décrets tyranniques du pouvoir espagnol.

Il faut beaucoup d’intelligence pour répondre à un sot avec des mots qu’il puisse comprendre.

«Carles Puigdemont, qui se considère toujours comme le «président légitime» de la Catalogne, a par ailleurs déclaré que les accusations de sédition, de rébellion et de malversation [et de prévarication] que Madrid entend porter contre lui et les membres de son cabinet sont infondées et animées par des motifs politiques.
   Le leader indépendantiste se défend d'être venu en Belgique pour demander l'asile, disant y être davantage pour des questions de sécurité et de liberté. Il se dit d'ailleurs prêt à retourner en Catalogne s'il obtient des garanties sur ces aspects. Carles Puigdemont, qui a été destitué avec tout son gouvernement le week-end dernier par Madrid. Ces accusations pourraient valoir des années d’emprisonnement à Carles Puigdemont et ses ministres.
   La justice espagnole a également convoqué la présidente destituée du Parlement catalan, Carme Forcadell, devant la Cour suprême espagnole pour être inculpée après la déclaration d'indépendance de vendredi dernier. Cinq autres membres du bureau des présidents du Parlement catalan ont aussi été convoqués par la justice. Ils seront entendus les 2 et 3 novembre, en présence de leurs avocats.
   Pendant ce temps, en Catalogne, la Garde civile espagnole a perquisitionné au siège de la police catalane dans le cadre d'une enquête sur le référendum d'autodétermination du 1er octobre. Le plébiscite, qui avait été interdit par la justice espagnole, a eu lieu malgré tout et a donné lieu à des violences policières envers des électeurs qui désiraient exprimer leur droit de vote.» Source : Radio-Canada Info, 31 octobre 2017

«[La mémoire humaine] n’est pas qu’une somme de données, immédiatement accessibles ou immédiatement effaçables. Cette capacité a une dimension qualitative, verticale, ontologique. D’abord elle constitue et définit sans cesse notre identité d’homme. En elle, nous faisons l’épreuve de notre singularité. Nos actes et nos manières d’être passés sont intégrés – jamais réduits à néant. Ils passent dans le tissu de ce que nous sommes, identité mobile, présente et passée, identité d’un corps et d’une personne prise dans l’être et ce qui a été. [...] La mémoire humaine n’est pas toute-puissante. Sa fragilité est en même temps force de l’imaginaire et de la libre création. Les régimes totalitaires l’ont compris : détruire l’homme, c’est d’abord et continuellement détruire la mémoire en lui, la mémoire d’être soi et la mémoire de faire partie du genre humain. Voilà qu’elle se transforme en espace neutre et malléable, impersonnel, condamnée pour «trahison» : la mémoire devient coupable d’une faute incorrigible, avoir été, avoir été la trace autonome et fière de la subjectivité. Par conséquent, un seul mot d’ordre : tuer l’autre en soi, tous les autres, tout ce que nous sommes parce qu’un jour, nous l’avons été, cet être humain. Négation de l’histoire personnelle qui donne naissance à toutes les négations
~ Marie-Noëlle Agniau (Méditations du temps présent, La poubelle de l’instant, p. 38; L’Harmattan 2008)

Une fois de plus, je recommande vivement le film Le peuple interdit (1 et 2), du peintre et documentariste Alexandre Chartrand (sur tou.tv, pas encore cadenassé dans l’Extra).
   En 2014, un vote portant sur l’indépendance de la Catalogne a été déclaré nul par le Tribunal constitutionnel de l’Espagne. Ce documentaire nous transporte au cœur des plus grandes manifestations d’Europe et des activités de militants engagés défiant les interdictions pour exiger une démarche démocratique digne de leurs aspirations : la création d'un nouvel état européen. Date de diffusion : 22 septembre 2017 Production : Le Grand Imagier Inc. Réalisateur : Alexandre Chartrand

L’auteur suit le processus d’autodétermination catalan depuis 2006. C’est un documentaire de grande beauté, sobre, humain, émouvant. On «ressent» l’amour qu’il éprouve envers les Catalans. Lors des manifestations, ces derniers expriment leurs espoirs avec enthousiasme, mais sans hystérie ni débordement de colère, c’est plutôt joyeux. Les célébrations de la «Diada» des dernières années, sous la bannière de l’indépendance, ont parfois compté plus d’un million de personnes, et à ma connaissance, aucun incident violent n’a eu lieu.

AIDE-MÉMOIRE

Catalogne 1930-2017 : le long chemin
La Catalogne a déclaré son indépendance vendredi, mais ce n'est pas une première. C'est en fait la troisième fois en moins d'une centaine d'années qu'est proclamée la République de la Catalogne. Le gouvernement espagnol ne l'a cependant jamais entendu ainsi. Résumé, en une trentaine de dates, de la quête parsemée d'embûches des nationalistes catalans.
Publié le vendredi 27 octobre 2017, mis à jour le 28 octobre 2017 

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(1) La guerre civile espagnole : récit d’un conflit sanglant De 1936 à 1939, l'Espagne s'est entre-déchirée dans une guerre opposant les nationalistes de Franco et les républicains. En 1939, Barcelone et Madrid sont conquises par les troupes franquistes, soutenues par Hitler et Mussolini. C'est le début de la longue dictature du général Franco.

Le coup d'État des nationalistes La guerre civile commence le 17 juillet 1936, lorsque des militaires dirigés par le général Franco mènent un coup d'État contre le gouvernement républicain du Front populaire. Élu démocratiquement en février 1936, le Front populaire est formé d'une coalition de partis de gauche, appuyée notamment par les nationalistes catalans et la Confédération nationale du travail (CNT), un syndicat anarchiste.

Une guerre violente, prélude à la Seconde Guerre mondiale Dans un premier temps, le coup d'État est un échec complet. L'intelligentsia et les ouvriers refusent de se laisser diriger par le gouvernement de droite de Franco. De violents affrontements, des assassinats et des exécutions ont lieu. En 1937, les nationalistes bombardent la ville basque de Guernica, aidés par les avions nazis. Ce raid aérien entraîne la mort de centaines de civils. La guerre sert de banc d'essai à Hitler et à Mussolini, en préparation à la Seconde Guerre mondiale.

Des camps de réfugiés en France À la fin de la guerre, des dizaines de milliers de réfugiés républicains, des civils et des soldats, traversent la frontière française pour échapper à l'emprisonnement ou à l'exécution. Les autorités françaises créent pour eux des camps de réfugiés. Lorsque la guerre se termine, le Canada et la plupart des pays occidentaux se réjouissent que le sang cesse de couler en Espagne. Mais, sous le régime de Franco, la répression perdure jusque dans les années 1970.

Aujourd’hui l’histoire | ICI Radio-Canada Première  

110 000 personnes chantent Els Segadors (19 octobre 2014)

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