19 octobre 2017

Dans une sexocratie près de chez vous

Notre sexocratie conditionne les gens, directement et indirectement, pour qu’ils pensent constamment au «sexe» quand ils se rencontrent. La télé, le cinéma, les livres, les magazines, la radio, Internet, bref, presque tous les médias incitent les gens à imaginer sans cesse toutes sortes de mises en scène sexuelles (peu importe qu’ils les manifestent physiquement ou non). La banalisation du sexe, c’est-à-dire l’habitude de considérer la compulsion et l’obsession sexuelles comme «normales», et de voir la vie uniquement sous cet angle, a pris l’ampleur d’une épidémie avec les années.
    La maîtrise mentale n’a rien à voir avec la morale ou un quelconque puritanisme mais avec le respect d’autrui; et ça s’apprend. Le corps n’est pas un objet ni un sac de viande dont les autres peuvent disposer à leur guise sans le consentement de son propriétaire. 
    Quant aux poursuites au civil ou au criminel, le présumé coupable étant innocent jusqu’à preuve du contraire, en l’absence de preuves bétonnées (témoins prêts à parler, photographies), c’est la parole de l’un contre l’autre (1).  Pour ajouter à l’injure, la procédure est généralement plus humiliante pour la victime que pour le présumé coupable, c’est le monde à l’envers.

Aux amateurs d’inconduite sexuelle : maîtrisez votre libido, gardez les mains dans vos poches, et vos génitaux dans le Ziplock (zipper bag). 

Selon M. Angelo Dos Santos Soares, professeur titulaire au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM et spécialiste des questions de violence et de harcèlement au travail, le milieu du cinéma est loin d’être le seul où le harcèlement a cours. «Malheureusement, c’est beaucoup plus répandu [que cela]», dit-il.
    Pour éviter que cela ne se produise, le professeur est d'avis que toutes les organisations devraient adopter des politiques pour chacune des formes de violence qui peuvent se manifester au travail, que ce soit la violence psychologique, l’intimidation, le harcèlement sexuel ou les agressions à proprement parler. «Il faut informer les gens pour qu’ils comprennent que ce genre de geste n’est pas acceptable. Il faut les informer dès qu’on a une politique pour qu’ils sachent qu’on ne va pas tolérer [ces comportements]», explique-t-il. (ICI Radio Canada Info)

Il faudra éduquer, jeunes et adultes, enseigner l’anatomie et les fonctions des organes pour les remettre à leur juste place, et ajouter un cœur entre les génitaux et le cerveau.


Caricature : Serge Chapleau; La Presse | 17 octobre 2017.

À la suite de l'affaire Weinstein, les allégations et les dénonciations tombent comme au jeu de dominos. Il est temps que le furoncle se vide, que les obscènes prédateurs sexuels et promoteurs de pornographie débarquent du podium. "Si le prêt d'argent est le plus vieux métier du monde et la prostitution le deuxième, alors la pornographie est le troisième." (Roger Jon Ellory, Les Anges de New York)

Deux articles extrêmement intéressants au sujet des impacts de la pornographie sur la société. David Simon, dans sa série The Deuce, s’attarde au profil américain, mais le pattern est planétaire.

David Simon: ‘If you’re not consuming porn, you’re still consuming its logic’
Alongside longtime collaborator George Pelecanos, The Wire’s creator talks about their new TV drama, The Deuce, which examines porn’s impact on US society

Simon is animated by the perpetual struggle between capital and labour and believes that, after the ravages of Ronald Reagan, Margaret Thatcher and globalisation, and the anti-establishment anger that produced Donald Trump and Brexit, the argument for unions and collective bargaining is as vital as ever. Which brought him to The Deuce, his ambitious new HBO series charting the rise of the porn industry in 1970s New York. [...]
    Simon continues: “There was always a market for prostitution, and even pornography existed below the counter in a brown paper bag, but there wasn’t an industry; that had yet to find its full breadth in terms of the American culture and economy, but we all know what was coming.
    “It’s now a multibillion dollar industry and it affects the way we sell everything from beer to cars to blue jeans. The vernacular of pornography is now embedded in our culture. Even if you’re not consuming pornography, you’re consuming its logic. Madison Avenue has seen to that.”
    “I think the culture’s changed because of the way women are depicted in popular culture. Pornography’s a big part of that. You can say nobody’s getting hurt, it’s just a masturbation fantasy and all that stuff, but these women are trafficked, man.” (George Pelecanos)

David Smith, Sunday 10 September 2017 | The Guardian

The new normal: why television has chosen to humanize sex workers
Shows about gigolos, high-class escorts and porn stars hint at a new wave of small-screen attempts to offer an introspective look at the sex industry

The proliferation of pornography in the modern age has normalized both the act of sex and the choice to make it one’s primary profession. Almost all but the most conservative would agree that there is no longer any shame in selling one’s body for money, presumably because there are more opportunities than ever to do so. Sex is a hot (pun unfortunately intended) commodity – a ceaseless supply must therefore exist in order to keep up with demand.

Megan Koester, Monday 14 November 2016 | The Guardian

Amnesty International   

Pour éclairer notre lanterne : quelques extraits tirés du livre Femmes sous emprise de la psychiatre Marie-France Hirigoyen.

La violence sexuelle

C’est la forme de violence dont les femmes ont le plus de mal à parler et pourtant elle est très souvent présente. La violence sexuelle comprend un spectre très large allant du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par le viol.
    Ce peut être obliger quelqu’un à des activités sexuelles dangereuses ou dégradantes, à des mises en scène déplaisantes, mais le plus souvent il s’agit simplement d’obliger une personne à une relation sexuelle non désirée, soit par la suggestion (tu es bien pudibonde!), soit par la menace. [...] Les violences sexuelles peuvent être à l’origine de traumatismes pelviens ou de transmission de maladies sexuellement transmissibles; dans un tel contexte, les femmes ne sont pas en position d’exiger un préservatif.
    Beaucoup de femmes acceptent des rapports sexuels qu’elles ne désirent pas, simplement pour cesser d’être harcelée.
    Il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui est un rapport sexuel consenti de ce qui est un rapport sexuel sous la contrainte. Combien de femmes disent : «J’ai fini par céder parce qu’il m’a d’abord suppliée, puis il s’est moqué, puis il m’a menacée!»

Photographe : Francesca Woodman (1979)

    La violence sexuelle a deux manières de se manifester, par l’humiliation et/ou la domination. Presque tous les hommes violents, dans leurs moments d’énervement, utilisent un vocabulaire grossier, des injures avilissantes, assimilant la femme à une prostituée : «Sale pute, tout juste bonne à sucer des b…!»
    Mais la violence sexuelle est avant tout un moyen de dominer l’autre. Cela n’a rien à voir avec le désir, c’est simplement, pour un homme, une façon de dire : «Tu m’appartiens». Il faut dire que beaucoup d’hommes alimentent leurs fantasmes sexuels de pratiques véhiculées par la pornographie, où la domination masculine est mise en scène de façon caricaturale.
    Toute violence sexuelle constitue un traumatisme majeur. Il peut se faire qu’une personne à qui l’on a imposé une violence sexuelle vive désormais avec la conviction qu’elle est méprisable … (p. 53/60)

Les hommes violents

On peut se demander pourquoi les comportements violents sont incontestablement plus fréquents chez les hommes que chez les femmes. [...]
    Les premières études sur la violence domestique ont tenté d'établir un fondement neurologique aux comportements violents, et on cherché, en vain une localisation cérébrale spécifique de la violence. [...]
    Selon les tenants de la sociologie, la violence à l’égard des femmes ne serait qu’une stratégie de domination inscrite dans les gènes de l’homme, afin de lui garantir l’exclusivité des rapports sexuels et de la reproduction. Si l’on suit cette théorie farfelue, on ne comprend pas pourquoi tous les hommes ne sont pas violents.
    Les féministes se sont attachées à analyser le contexte social permettant la maltraitance des femmes. Selon elles, la société prépare les hommes à occuper un rôle dominant et, s’ils n’y parviennent pas naturellement, ils tendent à le faire par la force. La violence serait pour eux un moyen parmi d’autres de contrôler la femme. Au départ, le petit garçon n’est pas plus agressif qu’une petite fille, mais sa socialisation à l’école, dans les activités sportives, s’accompagnent d’une initiation à la violence. Tandis que la violence des garçons est acceptée et même valorisée : «Défends-toi si tu es un homme!», on apprend aux filles à l’éviter. Quand elles sont bagarreuses, on dit que ce sont des garçons manqués. La socialisation fondée sur l’apprentissage des rôles sexués octroie aux hommes une position de pouvoir et d’autorité. Aux femmes, on attribue des comportements typiquement «féminins», tels que la douceur, la passivité, l’abnégation, alors que les hommes seraient forts, dominateurs, et n’exprimeraient pas leurs émotions. Comme le montre Pierre Bourdieu, tout ce qui est valeureux, respectable, digne d’admiration est du domaine masculin, alors que ce qui est faible, méprisable ou indigne est du registre féminin.
    Cependant, l’explication sociologique n’est pas non plus suffisante car la majorité des hommes ne sont pas violents.
    Il apparaît en revanche, qu’un pourcentage important d’hommes poursuivis en justice pour violence à l’encontre de leur partenaire auraient souffert de maltraitance dans leur enfance. [...] Certains spécialistes associent d’ailleurs la personnalité borderline à la violence conjugale.
    À la naissance, le cerveau n’est pas construit une fois pour toutes. Des expériences traumatiques précoces peuvent altérer l’équilibre cérébral. C’est ainsi que les mauvais traitements et les abus subis dans l’enfance ou bien un choc intense ayant entraîné un stress post-traumatique peuvent modifier l’équilibre du système nerveux.
    On constate le même phénomène chez les femmes, mais beaucoup moins fréquemment que chez les hommes. Quand elles ont subi des mauvais traitements ou des abus sexuels dans l’enfance, il leur arrive d’avoir recours à la violence, mais le plus souvent, à la suite de tels traumatismes, elles ont perdu leurs limites et elles sont plus vulnérables face à une agression. On peut donc avancer que les traumatismes de l’enfance, en fragilisant la personne et en modifiant sa personnalité, entraînent une plus grande perméabilité à la pression sociale.
    Il ne faut pourtant pas en conclure trop vite que les hommes sont violents uniquement en réaction à une violence subie dans l’enfance, on doit se méfier d’une telle simplification; tous les hommes violents n’ont pas subi de traumatismes dans l’enfance. Lorsque c’est le cas, il est important de reconnaître chez eux les séquelles et les marques qu’a pu laisser une enfance douloureuse, mais cela ne les transforme pas ipso facto en malades ou en monstres et ne les dégage en rien de la responsabilité de leurs actes. Certes, une enfance difficile ou des manques affectifs sont souvent le lot des hommes violents; néanmoins, leur mal-être ne doit pas être une excuse pour détruire leur partenaire. 
    Un autre angle d’approche se fonde sur la théorie de l’apprentissage social. Selon cette théorie, les comportements violents s’acquièrent par l’observation des autres et se maintiennent s’ils sont valorisés socialement. Lorsqu’un homme a été élevé par un père violent, son organisation intrapsychique a été changée, jusqu’à ce que le recours à la violence fasse partie de son mode de fonctionnement. Il prendra l’habitude de réagir par la violence chaque fois qu’il aura besoin de soulager ses tensions internes ou de se valoriser. Par la suite, si ses actes violents ne sont pas sanctionnés, il n’y a pas de raison qu’ils ne se reproduisent pas et c’est naturellement ce qui arrive. Il suffit de laisser faire une fois pour que l’habitude se maintienne.
    Si on suit ce modèle, on ne peut que s’inquiéter de l’importance de la pornographie dans l’éducation des jeunes. La pornographie pousse à l’extrême les rôles masculins et féminins. L’homme y est nécessairement agressif, la femme passive et soumise, et on y banalise l’agression sexuelle et le viol. Le sexe y est sexisme. Or, une enquête récente a montré qu’une grande majorité de jeunes garçons faisaient leur apprentissage sexuel à travers les films pornographiques.
    Il m’apparaît que ces différentes approches ne sont pas antagonistes, mais complémentaires, et toutes sont à prendre en compte.
    Aucun facteur pris isolément ne suffit à expliquer pourquoi un individu est violent. Un traumatisme de l’enfance peut certes créer, par le biais du stress post-traumatique, une prédisposition à la violence, qui sera ou non renforcée par le contexte social et culturel de la personne.
    De façon générale, en dehors même des traumatismes, la personnalité d’un individu est influencée par son éducation et son environnement social. C’est ainsi qu’actuellement, dans notre société occidentale, nous rencontrons peu de pathologies névrotiques et beaucoup de pathologies narcissiques [...]. (p. 144/148)

La fragilité des hommes

    La déresponsabilisation
    Tous les hommes violents ont tendance à minimiser leurs gestes, à se trouver des causes externes [...].
    Les causes extérieures qu’ils invoquent sont très stéréotypées. Ce peut être le stress, une provocation [...]. Une excuse invoquée peut être le respect de règles religieuses ou d’habitudes culturelles : l’homme est le chef et la femme doit obéir. Une autre excuse enfin, fréquemment mise en avant par les hommes, mais également par les intervenants extérieurs, est l’alcool. Certes, les conduites agressives liées à l’alcool sont très courantes puisque, dans la population générale, les actes violents commis sous l’emprise de l’alcool concernent la moitié des homicides. Les qualités désinhibitrices de l’alcool ont fait dire à des psychanalystes que «le surmoi était soluble dans l’alcool». Or ce n’est pas l’alcool qui provoque directement la violence, il permet seulement la libéralisation de la tension interne jusque-là contenue, en créant un sentiment de toute-puissance. L’alcoolisation ne doit pas être synonyme de déresponsabilisation. Il faut d’ailleurs préciser que tous les alcooliques ne sont pas violents et que des alcooliques sevrés peuvent le rester.
    Tous ces hommes qui justifient leur comportement par une perte de contrôle savent le modérer en société ou sur leur lieu de travail. [...]
    La société continue à attendre des hommes qu’ils occupent un rôle dominant, or, s’ils se sentent incompétents ou impuissants, ils peuvent chercher à compenser cette faiblesse qu’ils ressentent en eux par des comportements tyranniques, manipulateurs et violents en privé. Bien évidemment, ils ne l’avoueront pas ouvertement; le déni est pour eux un moyen d’échapper à la honte et à la culpabilité, mais c’est aussi un moyen de ne pas voir leur fragilité interne. Il leur faut se maintenir dans la toute-puissance, au besoin par la manipulation et le mensonge. Comme ils ne veulent pas être responsables, c’est forcément la faute d’un autre; ils se tirent d’affaire et retournent le problème en se posant en victimes. À défaut d’excuses extérieures crédibles, ils savent alors apitoyer l’autre en racontant leur enfance malheureuse, comme on l’a vu.
    Cette déresponsabilisation est mal acceptée par les femmes, car dénier leur souffrance à elles constitue une attaque supplémentaire.

    Des hommes fragiles psychologiquement
    Ce sont leurs failles narcissiques (une faible estime d’eux-mêmes) qui constituent le soubassement du comportement des hommes violents. Ce sont leur fragilité et leur sentiment d’impuissance intérieure qui les ramènent à vouloir contrôler et dominer. ... Le contrôle sur l’autre, à l’extérieur, vient suppléer leur manque de contrôle interne.
    La violence est pour ces hommes un palliatif pour échapper à l’angoisse, ainsi qu’à leur peur, peur d’affronter les affects de l’autre, peur d’affronter les leurs. (p. 148/151)

Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple; MARIE-FRANCE HIRIGOYEN; Pocket; Coll. «Oh! Éditions», 2005
Parmi ses ouvrages :
Le harcèlement moral, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle

(1) «Ce que je pense, c’est que tout le monde peut être mauvais. [...] Peut-être les gens sont-ils naturellement destructeurs, et peut-être que certains ont la capacité de se maîtriser et d’autres pas. Je crois que la psychiatrie et la psychologie ne sont guère plus que des conjectures. Je crois qu’elles estompent les frontières. Merde, avant, c’était facile de faire la différence entre les criminels et les victimes. Et puis ces gens, ces gens qui sont censés être des autorités sur le sujet, débarquent et commencent à nous raconter que ces connards sont eux aussi des victimes. Victimes de la société, victimes de violence parentale, victimes de négligence. Bon Dieu! si toutes les personnes qui ont subi des mauvais traitements pendant leur enfance devenaient des tueurs en série, alors il n’y aurait plus un pékin sur terre. Alors d’après moi, ces autorités ont réussi une chose. Elles nous ont convaincus que les connards qui font chier les autres ne le font pas parce que ce sont des connards, mais à cause des saloperies qu’on leur a fait subir pendant leur enfance. Elles nous disent que ce n’est pas de leur faute, qu’ils sont un produit de la société que nous avons créée. Et tous les avocats suivent le mouvement. Les procureurs deviennent des avocats de la défense. Les experts ajustent leurs conclusions pour faire plaisir à celui qui rédige le plus gros chèque. Ils vont même contredire leurs propres témoignages en invoquant de nouvelles recherches, et vous découvrirez que c’est uniquement parce que les avocats de la défense ont ajouté un zéro à leur chèque. Au bout du compte, il n’est plus question que d’argent. Il ne s’agit plus de culpabilité ou d’innocence, il s’agit uniquement du talent qu’ont les avocats pour manipuler les jurys. [...] C’est une bataille perdue d’avance. Plus nous nous escrimons à ramener la justice à la loi, plus la loi s’échine à placer la vraie justice hors de portée de la plupart des gens.
    Il y a des fois où on connaît la vérité mais où on ne peut rien faire. Les charges sont abandonnées, les coupables concluent des accords avec le bureau du procureur, des enquêtes capotent à cause de vices de procédure, des criminels sont remis en liberté et peuvent remettre ça.» (Les Anges de New York; ROGER JON ELLORY; Sonatines Éditions, 2012)

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