Mes cellules grises s’agitent quand j’entends «croissance
économique»; «créer de la richesse» (au bénéfice de qui?!); «fleuron de
l’économie»; «créer de la valeur» (pour les actionnaires); «création d’emplois»;
«retombées à long terme»; «nous allons consulter la population» (bien sûr,
bien sûr). (1)
À l’émission Plus on est de fous, plus on lit, Jean-Philippe Cipriani s’est attaqué à la langue de bois.
«Nous, on dit les vraies affaires», quand ce
cliché apparaît, c'est une certitude que les vraies affaires ne seront pas
dites», estime le journaliste et chroniqueur qui se fait un devoir de dénoncer
la langue de bois que pratiquent certains politiciens. Dans cette chronique, il
expose les pires clichés entendus dans les conférences de presse et dans les
annonces gouvernementales. Une orgie de clichés, de formules toutes faites, du
début à la fin.
Cassette
VHS
Jean-Philippe Cipriani a rebondi sur l’affaire
Mélanie Joly / Netflix, qui a généré beaucoup de réactions, principalement
négatives, cette semaine. «Je ne veux pas accabler Mélanie Joly [de reproches].
On a amplement parlé de sa cassette. Elle n’est que le produit d’un système
politique gangrené par les relations publiques.»
Vendre une
idée
Le journaliste croit que l’univers de la
publicité, du marketing et de la vente a contaminé le discours des politiciens.
«Quand un ministre fait une annonce, quand il présente un document, ce n’est
pas un vulgaire rapport. Il présente un plan,
une vision, une stratégie, une plateforme
et il aura une ligne directrice. Toutes sortes d’appellations
d’origine vraiment pas contrôlées qui sont censées donner une singularité à
l’affaire, alors que d’un document à l’autre, ça se vaut souvent»,
explique-t-il.
Des gens
sont payés très cher pour accoucher de phrases creuses, qui n’ont aucun sens et
ne veulent rien dire, mais qui viennent étoffer des mesures qui tiendraient en
quelques lignes.
Quelques exemples de phrases creuses :
– «Le
document traduit notre nouvelle vision». Traduit en quelle langue? On ne sait
pas trop.
– «Cette
approche mise sur nos succès». A-t-on déjà vu une approche qui mise sur les échecs? J’en doute, ironise le
journaliste. L’approche va toujours
être ambitieuse, moderne, prospective – «on va de l’avant avec confiance», «on
place la barre haute».
– «Nous
allons disposer d’outils stratégiques susceptibles d’appuyer nos
industries.»
– «Une
feuille de route pour négocier le virage
qui s’amorce et pour appréhender notre économie
créative selon une optique pangouvernementale.»
– «Garder le cap.»
– «Se
reconnecter avec les objectifs poursuivis.»
– «Oser
dire la vérité.»
Audiofil (très drôle) :
Ça me fait penser au jargon œnologique – la personnification
a bien meilleur goût. On attribue donc aux vins des traits de caractère tels
que aimable, généreux, nerveux, noble, vigoureux; et des défauts tels que
acerbe, fatigué, bourru. Quant aux arômes, les associations sont étonnantes :
une pointe de beurre frais, pierre à fusil (!), foin coupé, iode, tabac, etc. Le
vin goûte-t-il parfois le raisin?!
Revenons aux formules usinées des écuries de sport
parlementaire.
Une candidate à la mairie de la ville de Longueuil
: «Nous ne bloquerons pas de projets. C’est porteur
pour la population et ça va nous permettre d’avancer.»
Correction : «Le 6 novembre, moi je suis fonctionnelle, moi je
suis prête à travailler. Il n'y aura pas de retard, il n'y aura pas d'arrêt, il
n'y aura pas de ralentissement. C'est porteur pour la population, parce qu'on
va pouvoir avancer beaucoup plus vite.»
-- Sylvie Parent, chef d'Action Longueuil
et candidate à la mairie
Oui, téléportation
à la Star Trek garantie!
Quelques citations mémorables de Justin
Trudeau :
«Le Canada fait dur en ce moment parce que c’est
des Albertains qui contrôlent notre agenda communautaire et
socio-démocratique.» (Novembre 2010)
Il a chaussé
ses bottes de cowboy peu après son élection.
«Le registre des armes d’épaule tel qu’il était
fut un échec, et je n’ai pas l’intention de le ressusciter. Je n’ai pas
l’impression qu’il y a une contradiction entre le fait de garder nos villes sécuritaires
tout en permettant cette facette importante de l’identité canadienne qu’est la
possession d’une arme à feu.» (Décembre 2012)
Tout
comme il n’y a pas de contradiction entre augmenter la production de pétrole de
schiste et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Tout le monde sait
ça, voyons.
«J'ai un certain niveau d'admiration pour la
Chine, parce que leur dictature leur permet de faire un virage économique
soudain.» (Novembre 2013)
Sortons
nos baguettes et notre bol de riz au formaldéhyde.
«Mes amis, nous avons battu la peur avec l’espoir.
Nous avons battu le cynisme avec le travail acharné. Nous avons battu la
politique négative avec une vision
rassembleuse et positive.» (Discours de la victoire, 2015)
Un western
de troisième ordre
L’ouest à la conquête de l’est : scénario
inversé.
Le premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall a
démissionné en août 2017. Mais ce virulent climatosceptique défend toujours agressivement
l’exploitation les merdiques sables bitumineux. Retour au «Quebec bashing», à la
péréquation, et au blâme contre les Québécois qui se sont opposés au projet
Énergie Est de TransCanada.
Même
après le déversement de 250 000 litres de pétrole (Husky Oil) dans la rivière
Saskatchewan (Prince Albert) en juillet 2016, il prétendait qu'un oléoduc
serait sans risque pour le fleuve
Saint-Laurent. Dans un tweet, il avait aussi déjà invité les Québécois à
rembourser poliment leur part des 10 milliards de dollars en péréquation qu'ils
reçoivent des provinces de l'Ouest. Il avait déclaré sur Facebook que c’était une
«journée triste» quand une province, qui profite de sa position au pays, se
montre aussi «bornée» en rejetant un projet avantageux pour l'ensemble du
Canada.
Le
pétrole des sables bitumineux de l'Alberta est l'un des plus polluants au
monde, selon un classement de l'Institut de recherche ARC Energy, de Calgary. «Certaines
sortes de pétrole peuvent produire quatre fois plus de gaz à effet de serre que
d’autres sortes», a déclaré Jackie Forrest, directrice de recherche à
l’Institut. Le document précise que sur 75 sources de pétrole dans le monde,
celui extrait des sables bitumineux albertains arrive en troisième position des
plus polluants. (Octobre 2017)
La question à plusieurs millions de dollars : que feront les Albertains et les Saskatchewannais quand ils n’auront plus d’eau potable à la suite de désastres environnementaux dus à l’exploitation du pétrole de schiste? Le Québec leur fournira-t-il de l’eau potable «en vertu de la péréquation»? L’arroseur arrosé...
Pipeline Énergie Est : la logique d'affaires l'emporte
Alexandre Shields | Le Devoir, 6 octobre 2017
La décision d’abandonner le pipeline Énergie Est a
été motivée essentiellement par l’inutilité du projet, et non en raison de
l’opposition de plus en plus vive à TransCanada ou des nouvelles règles
imposées pour l’évaluation environnementale fédérale. Cette situation ne change
d’ailleurs rien au fait que la production de pétrole des sables bitumineux
continuera de croître au cours des prochaines années.
«Ce
projet de pipeline n’était plus nécessaire, résume Pierre-Olivier Pineau,
titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.
L’abandon du projet n’est pas une victoire du mouvement écologiste. Et ce n’est
pas non plus en raison des exigences de l’évaluation environnementale de
l’Office national de l’énergie, même si c’est ce que dit TransCanada.»
Concrètement,
le projet Énergie Est a été développé en prévision d’une croissance de la production
des sables bitumineux «trop optimiste» qui n’est tout simplement plus au
rendez-vous, explique M. Pineau. [...]
Quel que soit le vrai motif du désistement de TransCanada, l’industrie pétrolière a
de nombreux projets en réserve. Il faudra continuer de protester, notamment contre
la Loi 106 sur les hydrocarbures, adoptée en décembre en 2016 – le
gouvernement Couillard avait imposé le bâillon pour forcer l’adoption du
volumineux projet de loi de quelques centaines d’articles. La porte est grande ouverte au forage sous les rivières, les lacs, le fleuve
Saint-Laurent, et l’on n’écarte pas l’utilisation de fracturation hydraulique
avec des produits chimiques.
Aucune
retombée économique ne peut compenser le saccage d’une province. Nous avons le droit de refuser de cochonner
le pays davantage.
«La seule manière de m'en tirer vis-à-vis de l'industriel c'est de lui brandir la bannière étoilée du scandale. On a les humbles avec du fric, les bourgeois avec des honneurs, les riches avec des menaces de déshonneur.» ~ Frédéric Dard / San Antonio
Dans la veine
pétrolière :
Fort McMoney :
suite/conclusion
Le Québec à vau-pétrole
~~~
(1) Le pétrole souffre, le
marché est déçu : pourrions-nous appeler ça de l’économorphisme?
L’économiste Ianik
Marcil a consacré un ouvrage entier au
jargon économique et politique contemporain qui sert à masquer la réalité et la
complexité des phénomènes sociaux.
«‘Assurer
une plus grande transparence de sa gestion’. Que signifie ce terme, réellement? Strictement rien. Il s’agit d’un
terme autoréférentiel qui tourne à vide. Il est probablement le degré ultime de
l’enfumage politico-économique.» (p. 125)
«Qui à
part les économistes patentés, comprend une telle phrase : ‘les gaz à
effet de serre produisent des externalités négatives qu’on peut
diminuer par un arrangement institutionnel de mise aux enchères de droits de
polluer’?» (p. 8)
«Jadis
citoyennes et citoyens, ou tout simplement humains, la femme et l’homme contemporains
occupent des rôles compartimentés qui entrent souvent en conflit entre eux,
limitant ainsi l’emprise que nous devrions avoir sur notre destinée. On leu
accole une étiquette selon le rôle fonctionnel et utilitaire qu’ils peuvent
avoir en société, éclatant ainsi l’unicité de leur humanité.
Graduellement, le citoyen est devenu un contribuable, ou un payeur
de taxes dans son appellation la moins jolie mais la plus parlante.
Nous payons, donc nous sommes en droit de recevoir des services en échange,
comme dans tout échange marchand. Nous ne participons plus, à l’aide de nos
taxes et de nos impôts, mais nous sommes transformés par ce discours en clients.
De la même manière, il n’y a plus de malades ni même de patientes et de
patients dans les hôpitaux, mais des clients voire des consommateurs. [...] Sont considérés sur le même plan les étudiants et quiconque
utilise un service de l’État. L’essentiel n’est pas de déterminer à quel point
ces relations sont marchandisées, mais plutôt de montrer que le discours
invoque un vocabulaire marchand. [...] Ce vocabulaire redéfinit en
profondeur les relations sociales et même la perception que nous avons de notre
rôle dans la société. Si je me considère comme un payeur de taxes et comme un
client de l’État, je ne perçois plus ce dernier comme une institution collective
visant à défendre le bien commun, la solidarité et l’universalité, mais comme
une banale organisation fournissant des services à l’instar d’une entreprise
privée. [...] Les médecins, qui ont des siècles
durant développé leur art en entretenant une relation humaine avec leurs
patients de manière autonome, sont maintenant des entrepreneurs en concurrence
les uns avec les autres, dont la profession est dès lors enchâssée dans un
système technocratique et marchand. Le citoyen réduit à la fonction d’utilisateur-payeur
s’exclut du social et du corps politique.» (p. 75-76)
Sites de l’auteur :
Quelques extraits du livre Les passagers clandestins, Métaphores et trompe-l’œil de l’économie;
Ianik Marcil; Éditions Somme toute, 2016 :
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