7 octobre 2017

Les mots pour ne pas dire

Un recueil de toutes les phrases insignifiantes de nos politiciens serait probablement aussi épais que le Petit Robert de la langue française.

Mes cellules grises s’agitent quand j’entends «croissance économique»; «créer de la richesse» (au bénéfice de qui?!); «fleuron de l’économie»; «créer de la valeur» (pour les actionnaires); «création d’emplois»; «retombées à long terme»; «nous allons consulter la population» (bien sûr, bien sûr). (1)   


À l’émission Plus on est de fous, plus on lit, Jean-Philippe Cipriani s’est attaqué à la langue de bois.

«Nous, on dit les vraies affaires», quand ce cliché apparaît, c'est une certitude que les vraies affaires ne seront pas dites», estime le journaliste et chroniqueur qui se fait un devoir de dénoncer la langue de bois que pratiquent certains politiciens. Dans cette chronique, il expose les pires clichés entendus dans les conférences de presse et dans les annonces gouvernementales. Une orgie de clichés, de formules toutes faites, du début à la fin.

Cassette VHS
Jean-Philippe Cipriani a rebondi sur l’affaire Mélanie Joly / Netflix, qui a généré beaucoup de réactions, principalement négatives, cette semaine. «Je ne veux pas accabler Mélanie Joly [de reproches]. On a amplement parlé de sa cassette. Elle n’est que le produit d’un système politique gangrené par les relations publiques.»

Vendre une idée
Le journaliste croit que l’univers de la publicité, du marketing et de la vente a contaminé le discours des politiciens. «Quand un ministre fait une annonce, quand il présente un document, ce n’est pas un vulgaire rapport. Il présente un plan, une vision, une stratégie, une plateforme et il aura une ligne directrice. Toutes sortes d’appellations d’origine vraiment pas contrôlées qui sont censées donner une singularité à l’affaire, alors que d’un document à l’autre, ça se vaut souvent», explique-t-il.
   Des gens sont payés très cher pour accoucher de phrases creuses, qui n’ont aucun sens et ne veulent rien dire, mais qui viennent étoffer des mesures qui tiendraient en quelques lignes.

Quelques exemples de phrases creuses :
«Le document traduit notre nouvelle vision». Traduit en quelle langue? On ne sait pas trop.
«Cette approche mise sur nos succès». A-t-on déjà vu une approche qui mise sur les échecs? J’en doute, ironise le journaliste. L’approche va toujours être ambitieuse, moderne, prospective  «on va de l’avant avec confiance», «on place la barre haute».
«Nous allons disposer d’outils stratégiques susceptibles d’appuyer nos industries.»
«Une feuille de route pour négocier le virage qui s’amorce et pour appréhender notre économie créative selon une optique pangouvernementale
«Garder le cap.»  
«Se reconnecter avec les objectifs poursuivis.»
«Oser dire la vérité.»

Audiofil (très drôle) :

Ça me fait penser au jargon œnologique la personnification a bien meilleur goût. On attribue donc aux vins des traits de caractère tels que aimable, généreux, nerveux, noble, vigoureux; et des défauts tels que acerbe, fatigué, bourru. Quant aux arômes, les associations sont étonnantes : une pointe de beurre frais, pierre à fusil (!), foin coupé, iode, tabac, etc. Le vin goûte-t-il parfois le raisin?!
                                                            
Revenons aux formules usinées des écuries de sport parlementaire.

Une candidate à la mairie de la ville de Longueuil : «Nous ne bloquerons pas de projets. C’est porteur pour la population et ça va nous permettre d’avancer.»
Correction : «Le 6 novembre, moi je suis fonctionnelle, moi je suis prête à travailler. Il n'y aura pas de retard, il n'y aura pas d'arrêt, il n'y aura pas de ralentissement. C'est porteur pour la population, parce qu'on va pouvoir avancer beaucoup plus vite.» 
-- Sylvie Parent, chef d'Action Longueuil et candidate à la mairie 
   Oui, téléportation à la Star Trek garantie!

Quelques citations mémorables de Justin Trudeau :

«Le Canada fait dur en ce moment parce que c’est des Albertains qui contrôlent notre agenda communautaire et socio-démocratique.» (Novembre 2010) 
   Il a chaussé ses bottes de cowboy peu après son élection.

«Le registre des armes d’épaule tel qu’il était fut un échec, et je n’ai pas l’intention de le ressusciter. Je n’ai pas l’impression qu’il y a une contradiction entre le fait de garder nos villes sécuritaires tout en permettant cette facette importante de l’identité canadienne qu’est la possession d’une arme à feu.» (Décembre 2012)
   Tout comme il n’y a pas de contradiction entre augmenter la production de pétrole de schiste et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Tout le monde sait ça, voyons.

«J'ai un certain niveau d'admiration pour la Chine, parce que leur dictature leur permet de faire un virage économique soudain.» (Novembre 2013)
   Sortons nos baguettes et notre bol de riz au formaldéhyde.  

«Mes amis, nous avons battu la peur avec l’espoir. Nous avons battu le cynisme avec le travail acharné. Nous avons battu la politique négative avec une vision rassembleuse et positive.» (Discours de la victoire, 2015)

Un western de troisième ordre

L’ouest à la conquête de l’est : scénario inversé.

Le premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall a démissionné en août 2017. Mais ce virulent climatosceptique défend toujours agressivement l’exploitation les merdiques sables bitumineux. Retour au «Quebec bashing», à la péréquation, et au blâme contre les Québécois qui se sont opposés au projet Énergie Est de TransCanada.
   Même après le déversement de 250 000 litres de pétrole (Husky Oil) dans la rivière Saskatchewan (Prince Albert) en juillet 2016, il prétendait qu'un oléoduc serait sans risque pour le fleuve Saint-Laurent. Dans un tweet, il avait aussi déjà invité les Québécois à rembourser poliment leur part des 10 milliards de dollars en péréquation qu'ils reçoivent des provinces de l'Ouest. Il avait déclaré sur Facebook que c’était une «journée triste» quand une province, qui profite de sa position au pays, se montre aussi «bornée» en rejetant un projet avantageux pour l'ensemble du Canada.
   Le pétrole des sables bitumineux de l'Alberta est l'un des plus polluants au monde, selon un classement de l'Institut de recherche ARC Energy, de Calgary. «Certaines sortes de pétrole peuvent produire quatre fois plus de gaz à effet de serre que d’autres sortes», a déclaré Jackie Forrest, directrice de recherche à l’Institut. Le document précise que sur 75 sources de pétrole dans le monde, celui extrait des sables bitumineux albertains arrive en troisième position des plus polluants. (Octobre 2017)  
  
La question à plusieurs millions de dollars : que feront les Albertains et les Saskatchewannais quand ils n’auront plus d’eau potable à la suite de désastres environnementaux dus à l’exploitation du pétrole de schiste? Le Québec leur fournira-t-il de l’eau potable «en vertu de la péréquation»? L’arroseur arrosé...


Pipeline Énergie Est : la logique d'affaires l'emporte
Alexandre Shields | Le Devoir, 6 octobre 2017

La décision d’abandonner le pipeline Énergie Est a été motivée essentiellement par l’inutilité du projet, et non en raison de l’opposition de plus en plus vive à TransCanada ou des nouvelles règles imposées pour l’évaluation environnementale fédérale. Cette situation ne change d’ailleurs rien au fait que la production de pétrole des sables bitumineux continuera de croître au cours des prochaines années.
   «Ce projet de pipeline n’était plus nécessaire, résume Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. L’abandon du projet n’est pas une victoire du mouvement écologiste. Et ce n’est pas non plus en raison des exigences de l’évaluation environnementale de l’Office national de l’énergie, même si c’est ce que dit TransCanada.»
   Concrètement, le projet Énergie Est a été développé en prévision d’une croissance de la production des sables bitumineux «trop optimiste» qui n’est tout simplement plus au rendez-vous, explique M. Pineau.  [...]

Quel que soit le vrai motif du désistement de TransCanada, l’industrie pétrolière a de nombreux projets en réserve. Il faudra continuer de protester, notamment contre la Loi 106 sur les hydrocarbures, adoptée en décembre en 2016 – le gouvernement Couillard avait imposé le bâillon pour forcer l’adoption du volumineux projet de loi de quelques centaines d’articles. La porte est grande ouverte au forage sous les rivières, les lacs, le fleuve Saint-Laurent, et l’on n’écarte pas l’utilisation de fracturation hydraulique avec des produits chimiques.

Aucune retombée économique ne peut compenser le saccage d’une province. Nous avons le droit de refuser de cochonner le pays davantage.


«La seule manière de m'en tirer vis-à-vis de l'industriel c'est de lui brandir la bannière étoilée du scandale. On a les humbles avec du fric, les bourgeois avec des honneurs, les riches avec des menaces de déshonneur.» ~ Frédéric Dard / San Antonio

Dans la veine pétrolière :
Fort McMoney : suite/conclusion 
Le Québec à vau-pétrole

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(1) Le pétrole souffre, le marché est déçu : pourrions-nous appeler ça de l’économorphisme?

L’économiste Ianik Marcil a consacré un ouvrage entier au jargon économique et politique contemporain qui sert à masquer la réalité et la complexité des phénomènes sociaux.
   «‘Assurer une plus grande transparence de sa gestion’. Que signifie ce terme, réellement? Strictement rien. Il s’agit d’un terme autoréférentiel qui tourne à vide.  Il est probablement le degré ultime de l’enfumage politico-économique.» (p. 125)  
   «Qui à part les économistes patentés, comprend une telle phrase : ‘les gaz à effet de serre produisent des externalités négatives qu’on peut diminuer par un arrangement institutionnel de mise aux enchères de droits de polluer’?» (p. 8)
   «Jadis citoyennes et citoyens, ou tout simplement humains, la femme et l’homme contemporains occupent des rôles compartimentés qui entrent souvent en conflit entre eux, limitant ainsi l’emprise que nous devrions avoir sur notre destinée. On leu accole une étiquette selon le rôle fonctionnel et utilitaire qu’ils peuvent avoir en société, éclatant ainsi l’unicité de leur humanité.
   Graduellement, le citoyen est devenu un contribuable, ou un payeur de taxes dans son appellation la moins jolie mais la plus parlante. Nous payons, donc nous sommes en droit de recevoir des services en échange, comme dans tout échange marchand. Nous ne participons plus, à l’aide de nos taxes et de nos impôts, mais nous sommes transformés par ce discours en clients. De la même manière, il n’y a plus de malades ni même de patientes et de patients dans les hôpitaux, mais des clients voire des consommateurs. [...] Sont considérés sur le même plan les étudiants et quiconque utilise un service de l’État. L’essentiel n’est pas de déterminer à quel point ces relations sont marchandisées, mais plutôt de montrer que le discours invoque un vocabulaire marchand. [...] Ce vocabulaire redéfinit en profondeur les relations sociales et même la perception que nous avons de notre rôle dans la société. Si je me considère comme un payeur de taxes et comme un client de l’État, je ne perçois plus ce dernier comme une institution collective visant à défendre le bien commun, la solidarité et l’universalité, mais comme une banale organisation fournissant des services à l’instar d’une entreprise privée. [...] Les médecins, qui ont des siècles durant développé leur art en entretenant une relation humaine avec leurs patients de manière autonome, sont maintenant des entrepreneurs en concurrence les uns avec les autres, dont la profession est dès lors enchâssée dans un système technocratique et marchand. Le citoyen réduit à la fonction d’utilisateur-payeur s’exclut du social et du corps politique.» (p. 75-76)

Sites de l’auteur :

Quelques extraits du livre Les passagers clandestins, Métaphores et trompe-l’œil de l’économie; Ianik Marcil; Éditions Somme toute, 2016 :


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