2 novembre 2011

Une autre grande âme



Condensé d’entrevue réalisée par John Vidal qui demandait à Satish Kumar si la spiritualité avait un rôle à jouer dans le débat environnemental (publié dans Society Guardian).

Traduction libre

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Kumar fait partie des premiers activistes verts de l’époque «hippy» qui, avec le philosophe Bertrand Russell, ont commencé à protester contre l’armement nucléaire au début des années 60. Il n’a aucun doute quant à l’origine des problèmes qui affectent l’humanité, c’est-à-dire, l’absence de révérence et de compassion envers la nature. Cet élément important, qui a déjà été crucial dans le débat environnemental, semble avoir été remplacé par une seule préoccupation : les menaçantes émissions de carbone.

Les hippies aimaient parler de Gaia, de la Terre Mère, en tant qu’organisme vivant. Mais le débat environnemental ayant été récupéré par les politiciens et les scientifiques, on a écarté le discours spirituel pour se concentrer uniquement sur l’analyse rationnelle et scientifique des changements climatiques.

Beaucoup de mises en garde à propos de catastrophes imminentes, de même que des objectifs concoctés selon les vœux des grandes multinationales, mais personne ne semble vouloir aborder l’indispensable respect de la nature émanant des qualités intérieures de l'humain, difficilement quantifiables mais combien plus pertinentes dans ce débat.

Les mots "révérence envers la nature" et "spiritualité" semblent inappropriés, voire offensants, aux pragmatiques. La science matérialiste limite la nature à des données quantifiables, et le réalisme économique l’emporte sur toute notion de connexion spirituelle à la planète.

Kumar (contrarié par ce concept) : Regardez ce que les matérialistes nous ont fait. Ils nous ont menés à la guerre et au changement climatique, à une pauvreté d’une ampleur inimaginable, et à une magistrale destruction écologique. Je dis aux gens qui me qualifient «d’irréaliste» : montrez-moi ce que le réalisme a fait. Le réalisme est un concept périmé, révolu, totalement exagéré.

Vidal : Le refus de reconnaître l’aspect spirituel du débat, parce qu'il semble nébuleux au plan purement scientifique, nous fait considérer la nature selon la vision des industriels du 19e siècle, c'est-à-dire comme quelque chose qui doit être contrôlé et dominé. Maintenant que le savoir scientifique nous a fait comprendre que c’est une tâche impossible, nous avons peur de ce que cette force incontrôlable pourrait nous faire.

Kumar : Le problème est que nous sommes envahis par la peur et l'anxiété et que nous prenons des décisions basées sur la panique, par exemple opter pour le nucléaire. À l’heure actuelle, notre culture nous pousse à la violence envers la nature, les animaux, les gens et nous-mêmes. Nous ne protégeons pas la nature, nous la gérons sans la connaître. Si vous voulez la protéger, allez vous y promener.

Vidal : Kumar a passé 35 ans à son collège Schumacher, dans le Devon, enseignant à des penseurs de toutes origines l’importance des valeurs écologiques et spirituelles. Mais si l’on veut que cette vision spirituelle devienne chose commune et que le débat environnemental démarre sur cette note positive de connexion avec la nature et le respect, la science elle-même devra reconnaître le savoir des gens qui sont constamment dans la nature. C’est-à-dire que la relation entre l’humanité et le monde naturel revêt un aspect qui ne peut pas être quantifié, mais qui est crucial pour notre espèce; il faut cesser de prioriser l’économie aux dépens de l’amour et la compassion.

Kumar : L’économie doit être remise à sa place, l’imagination devrait être au premier plan. Alors, si nous voulons créer un monde meilleur, cesserons-nous d’avoir peur de la nature et accepterons-nous que la spiritualité est d’une importance cruciale dans la façon de gérer la destruction environnementale, la guerre et la violence? Ou laisserons-nous les gouvernements et les scientifiques débiter leurs statistiques et leurs objectifs tout en continuant d’ignorer l’aspect spirituel de la vie elle-même? Le choix vous appartient, comme on dit.

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Citations

- La Nature est réaliste, et je dirais que l’homme est la seule créature qui ne l’est pas. Qui d’autre va au lit affamé? Ni le serpent ni le tigre ou autres créatures. La Nature n’a pas besoin de Tescos ou de Monsantos «réalistes» pour se nourrir. Notre système d’économie «réaliste» a complètement échoué.

- Notre mouvement environnementaliste est très logique et analytique. Mais il est basé sur la peur des catastrophes et des désastres.

- Les gens voient la Nature d’un point de vue très utilitaire, n’y cherchent que leur intérêts et veulent la gérer au lieu de la protéger. Je veux les guider vers une philosophie plus expérimentale du monde naturel. De cette façon, on peurra la protéger. Je ne vois pas pourquoi les gouvernements et les autorités ne pourraient pas être amenés à révérer la Nature au lieu de la violenter.

- Lorsque vous marchez, vous êtes en contact avec la nature, avec les abeilles, avec les insectes, avec tout. À bord d'une voiture, d'un train ou d'un avion, vous êtes déconnecté. Vous marchez pour vous connecter à vous-même. J’ai marché pendant 40 ans dans le Devon. Je suis toujours surpris d’y découvrir quelque chose de nouveau. Vous n’avez pas besoin de grimper l’Himalaya ou d’aller au lac Baikal. Les endroits les plus extraordinaires sont à votre porte. L’ordinaire est extraordinaire.

- Le déséquilibre entre l’écologie et l’économie laisse les gens désemparés et malheureux. Les gens les plus heureux que j’ai rencontrés sont ceux qui vivent près de la Nature et qui utilisent leurs mains – les artisans. Ils contribuent à changer le monde, partout.

- La devise française «liberté, égalité, fraternité» convenait à la révolution française, mais elle est maintenant dépassée parce qu’elle n’inclut aucune dimension écologique. Et la devise nouvel-âge «pensée, corps, esprit» est trop nombriliste. Nous cherchons maintenant une nouvelle trilogie philosophique : «sol, âme, société» - sol pour environnement, âme pour dimension spirituelle, et société pour justice sociale (essentielle).

Information et articles inspirants (en anglais seulement) :
Resurgence at the heart of earth, art and spirit – site de Satish Kumar
http://www.resurgence.org/

Plusieurs vidéos sont disponibles sur YouTube, certaines incluant un sous-titrage en français.

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COMMENTAIRE

D'après le peu que j'ai lu de ses écrits je ne crois pas que Satish Kumar entende "religion" quand il parle de "spiritualité". Il s'agirait plutôt d'un code d'éthique qui respecte la valeur intrinsèque du "VIVANT", quel qu'il soit.

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