7 octobre 2011

Plus ça change…

L’esprit d’Alphonse Karr  
Pensées extraites de ses œuvres complètes; 1877 

(Fragments)

L’espérance et le souvenir ont le même prisme : l’éloignement. – Devant ou derrière nous, – nous appelons le bonheur ce qui est hors de notre portée, ce que nous n’avons pas encore ou ce que nous n’avons plus.

Il y a un instinct dans le cœur de l’homme qui le fait s’effrayer d’un bonheur sans nuage. Il lui semble qu’il doit au malheur la dîme de sa vie, et que ce qu’il ne paie pas porte intérêt, s’amasse, et grossit énormément une dette qu’il lui faudra acquitter tôt ou tard.

De malheurs évités le bonheur se compose!

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Notre génération s’est perdue par les besoins nouveaux. «Le pain quotidien» s’est tellement compliqué de fricots divers, d’assaisonnements variés, de condiments ruineux; il se mange dans de telles assiettes, sur de telles tables, dans de tels logis, qu’on ne les conquiert, les uns par un travail de galérien, et les autres que par la servilité et par le crime; si bien que ce «pain quotidien», ce n’est plus à Dieu, mais au diable qu’il faut le demander chaque matin.  

La civilisation, qui a commencé par nous faciliter la satisfaction de trois ou quatre besoins que nous tenons de la nature, y a rajouté une trentaine d’autres besoins, et la sottise de centaines; de ces besoins viennent la dépendance, les tyrannies, la nécessité du travail incessant, la pauvreté du plus grand nombre.

[On peut s’imaginer ce qu’il dirait de Steve Jobs… Un gars génial :
«achetez mes gadgets et jetez-les 3 mois plus tard, j’ai plus performant à vous offrir!»]


***
Ce ne sont pas les pauvres qui souffrent le plus de la cherté, me disait un riche; non. Qu’est-ce que ça leur fait, aux pauvres, eux qui n’achètent presque rien? Mais ceux qu’il faut plaindre, ce sont les pauvres riches qui achètent beaucoup… Voilà ceux à qui la cherté est ruineuse!

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Ce serait une épouvantable chose que l’avarice, si les avares vivaient toujours. Mais ils font dans la société l’office des citernes qui tiennent enfermée l’eau rassemblée par les gouttières de la maison.

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On est riche en n’ayant de désir
Que pour ce qui nous fait réellement plaisir.

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La crédulité publique est le patrimoine, le champ d’un plus grand nombre de gens qu’on ne l’a jamais vu. Ce champ, on le cultive avec soin, avec ardeur, avec sollicitude; on y sème des mensonges que l’on arrose d’hypocrisie, et l’on récolte la fortune, la renommée, et même la considération.

***  
Qu’est-ce que l’honnêteté? Pour le plus grand nombre, un soin de ne rien faire de criminel dont on puisse vous donner des preuves.

***
Il est utile que les médiocres soient à la tête de certaines choses; car ils sont bien forcés d’employer les hommes supérieurs, - et, à leur place, les hommes supérieurs n’emploient pas les médiocres.

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Peut-être serons-nous sauvés d’un nouveau déluge, faute de pouvoir trouver la famille des justes que Dieu épargna, - quatre justes dont un gredin.

[Ouch…]

***
La vie a pour tous le même courant, les mêmes rives, les mêmes écueils, le même port. Quoi que nous fassions, il nous faut passer par où les autres sont passés; et le plus prudent serait de se laisser aller à vallon, comme disent les bateliers, sans se donner un mouvement inutile dans un courant invincible et invariable. Nous rions des ridicules et de la bicoque gothique de notre père; nous habiterons la bicoque, et nous aurons les mêmes ridicules; et cette maison, nous l’aimerons, et ces ridicules, nous les caresserons. Nous croirons avoir un palais et des vertus!

Alphonse Karr, écrivain et journaliste français, 1808-1890

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COMMENTAIRE

On voit bien que le synopsis de la superproduction humaine ne change pas, si ce n’est les comédiens, les objets et les décors.

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