Je ne peux pas continuer ainsi, mais d'ici à ce que les circonstances changent je vais probablement continuer. |
L’idée d’une série sur les religions m’est venue en revisitant une boîte de livres anciens à donner à la bouquinerie. Une étude a capté mon attention : L’Inquisition – Les temps, les causes, les faits; par Mgr M. Landrieux, Évêque de Dijon (publié en 1929). Le Nihil obstat n’est pas synonyme d’impartialité ou d’objectivité en matière d’histoire religieuse, mais plutôt une affirmation de Credo par des représentants du haut clergé.
Après avoir feuilleté l’ouvrage, je constatais à mon plus grand désarroi que les débats au sujet de l’état, de la religion et de la laïcité n’ont pas du tout évolué.
«Dieu», appelons-le plutôt «principe créateur universel», est trop vaste pour être claustré dans une quelconque religion de fabrication humaine même si les prémisses de celle-ci s’appuient sur une certaine dose de sagesse et d’amour.
Quelques extraits de l’étude – comme un miroir du présent.
Le droit chemin : l’Inquisition
«C’était la civilisation médiévale, l’ordre social chrétien du Moyen âge; c’était la Chrétienté!
L’Église qui laborieusement avait mis sur pied cette société, qui l’avait façonnée pièce à pièce, au jour le jour, en gardait tout naturellement la direction morale. Ce nouveau monde, créé par elle, qui lui devait tout, reposait tout entier sur elle. Le droit et la politique s’inspiraient de l’Évangile. La Religion était à la base et au faîte de l’édifice social, fondement et clef de voûte.
Les institutions et les lois, les populations et les gouvernements, tout était chrétien : et si les mœurs, sous la pesée des passions humaines, fléchissaient facilement, les faiblesses et les inconséquences des individus n’ébranlaient en rien l’esprit public profondément enraciné dans la foi; en sorte que les cadres, l’armature, valaient souvent mieux que les gens.
Dans chaque pays, l’Église et l’État étaient étroitement unis, sans se confondre, et les opérations distinctes ou conjointes des deux pouvoirs prenaient leur équilibre dans le principe supérieur de la Religion.
Les rois, maîtres chez eux, n’étaient pas les vassaux du Pape; ils ne tenaient pas leur pouvoir du Pape, mais en tant que chrétiens, ils étaient sujets de l’Église et relevaient du Pape, de telle façon que, sans que cela impliquât une ingérence directe dans les affaires de l’État, le Pape, avec son magistère spirituel et sa suprématie morale, était devenu, par la logique même des choses, la première des puissances, au sommet de la hiérarchie sociale.
Représentant de la Justice et du Droit, en dehors et au-dessus des nationalités, il jouait, dans toute la Chrétienté, un rôle de tuteur, de modérateur et d’arbitre. Il reprenait les rois injustes et scandaleux. Il jetait, dans les balances de la diplomatie médiévale, le poids très lourd de son autorité. (…)
Il y avait en dépit du morcellement féodal une vaste et large confédération des États-Unis de l’Europe catholique dont le Pape était le Président-né, et dans laquelle empereurs, rois, princes, ducs et seigneurs conservaient leur autonomie, sauf dans les cas où l’intérêt général exigeait une action commune, comme, par exemple, l’immense mobilisation de l’Occident chrétien contre les Turcs.
Dans un monde comme celui-là où l’unité de la foi était la meilleure garantie de l’unité politique, comment, toute considération théologique mise à part, comment tolérer l’hérétique!
N’était-ce pas sa cohésion religieuse qui faisait la force de la Chrétienté, sa sécurité par conséquent?
Toucher à la foi, c’était la pire des forfaitures. L’hérésie, c’était le suprême danger que les Princes comme les Papes devaient prévoir, conjurer, et, coûte que coûte, réprimer, puisque tous les coups portés à la religion ébranlaient l’ordre social.
Quoi d’étonnant que menacés ensemble l’Église et l’État se soient mis d’accord pour se défendre!
L’Église certes y était intéressée. C’est pour elle une question vitale que de sauvegarder l’intégrité du dogme et de réagir contre tout ce qui met en péril la foi, sans tolérer jamais qu’on y porte atteinte, puisqu’elle repose dessus et qu’elle en vit. C’est sacré, intangible!
On discute des opinions, des systèmes philosophiques : on ne discute pas le Credo. Toutes les religions positives, à doctrines précises, sont nécessairement intolérantes. Elles ne peuvent pas se laisser entamer en supportant les novateurs ou en transigeant avec eux : car la tolérance implique toujours une concession, un accommodement avec l’erreur au détriment de la Vérité; et tout amoindrissement de la vérité dogmatique est aussi fatal à l’Église qu’une voie d’eau à un navire.
Toute société qui veut vivre, met à la base de sa constitution quelques principes fondamentaux qu’elle déclare intangibles : la famille, la propriété, la patrie!
Libre à quiconque d’avoir, dans son for intérieur, des préférences pour le collectivisme, la polygamie, l’internationale! Mais s’il fait école, s’il passe à l’action, s’il s’insurge contre l’ordre établi, il est anarchiste.
L’État ne s’inquiète pas des rêveurs, mais il musèle le propagandiste; il réduit par la force l’anarchie, parce que la tolérance du Pouvoir serait une trahison, une abdication.
Or, au Moyen âge, la religion était une de ces colonnes fondamentales, la colonne maîtresse de l’édifice et l’hérétique d’Église était un anarchiste d’État. Le peuple, là-dessus, pensait comme les Papes et comme les Princes. Il n’y avait pas de dissidents. Le suffrage universel et tous les referendums auraient ratifié cette alliance étroite des deux pouvoirs, cette identification de la paix politique avec la paix religieuse et l’assimilation, qui en découle, de l’hérésie à un crime de droit commun, passible des pénalités civiles. (…)
Aujourd’hui la rupture entre la religion et la politique est plus accentuée encore dans les esprits que la séparation de l’Église et de l’État dans les lois (…), des capitulations de conscience qui se cachent sous les mots de libéralisme, de tolérance et de neutralité.
Nos pères avaient plus de tempérament. Leurs convictions avaient une autre vigueur. Leur foi robuste s’affirmait partout. Ils en étaient fiers et ils entendaient qu’elle fût respectée. C’est donc sur ce terrain et dans cette atmosphère que surgit l’hérésie au XIe siècle, et quelle hérésie!»
Et là, l’auteur s’en prend vigoureusement aux hérétiques Cathares en démolissant à bras raccourcis leur éthique spirituelle et leur mode de vie :
«… un culte lugubre, extrêmement simplifié : plus de sacrements, plus de messe, plus de croix, plus de purgatoire; des réunions dans des salles nues, avec un prêche, des prières qui se réduisent au Pater. Le salut par la seule Église Cathare! On y entre par des initiations, après avoir abjuré le baptême catholique. (…) Ils affectaient une grande austérité de vie, toute pharisaïque, en façade, comme les Manichéens leurs pères. Il est incontestable que soutenus par ce fanatisme exalté qui aspirait à libérer l’âme de l’emprise du corps, les Cathares se sont montrés souvent intrépides en face de la mort. La secte prêchait, avec le refus des impôts et l’interdiction du serment, la communauté des biens, en évoquant les mœurs de la primitive église. Elle niait la Patrie et proscrivait la guerre.»
L’auteur dit plus loin :
«…C’était une question qui intéressait directement l’ordre public, dès lors que ces lois n’étaient ni injustes en principe, ni excessives en droit strict – et elles ne l’étaient pas, car de simples malfaiteurs intimement moins dangereux que les Cathares, comme les incendiaires et les faux monnayeurs, étaient punis de la même peine – l’Église fut obligée de s’incliner devant le fait accompli. Elle n’était plus libre. D’ailleurs, il y allait de l’existence même de la société chrétienne. Il fallait supprimer les criminels, pour protéger les honnêtes gens; tuer les loups, pour sauvegarder le troupeau! car le salut de la collectivité est intimement lié au châtiment des anarchistes : on ampute au malade un membre gangrené, pour lui sauver la vie.
L’Église a connu ces heures tragiques. Elle a sévi dans l’intérêt supérieur de la Religion, pour défendre la foi, pour se défendre elle-même; elle a sévi, dans l’intérêt de la république chrétienne du Moyen âge, pour la protéger; elle a sévi, dans l’intérêt des égarés, pour les amender et sauver ceux qui pouvaient être sauvés; elle a sévi, pour ne pas trahir sa mission, pour ne point pactiser avec le mal. (…) L’Église, en toute rigueur de justice, a rempli sa tâche : elle a fait son devoir! (…) Serrés de très près, traqués de toutes parts, les Nihilistes doctrinaires du Moyen âge, Cathares et autres, finirent par être domptés. Ils furent emprisonnés ou bannis, on supprima les obstinés, les irréductibles; les autres rentrèrent sous terre, dans le mystère de leurs Loges plus secrètes que jamais. L’Inquisition avait fini sa tâche.»
[Pathétique, des heures tragiques pour l’Église… et pour les Cathares alors? En fouillant Internet, j’ai remarqué que certains espèrent le retour de la Sainte Inquisition. ]
En résumé, d’un côté il déplore les œuvres de l’Inquisition, mais de l’autre il approuve et se réjouit car selon lui l’Église n’avait pas d’autre choix : «L’Inquisition était un instrument nécessaire de défense religieuse et sociale.»
«Tu aimeras ton prochain comme toi-même», disait Jésus-Christ…
Une dernière citation :
«Chaque siècle a trop à faire de panser ses plaies pour gémir indéfiniment sur les misères du passé. Où en serions-nous si chaque goutte de sang versé, dans les luttes d’autrefois, engendrait ces haines implacables que le temps n’apaise pas et que rien n’assouvit jamais!»
Alors là, je suis d’accord.
Mais pour ce faire, il faudrait cesser de répéter jusqu’à la nausée de tels chefs-d’œuvre de barbarie! L’on retrouve ces luttes de pouvoir entre opposants qui se prennent mutuellement pour des suppôts de Satan, tant dans le domaine religieux que politique… et dans toutes les cultures et civilisations proches ou lointaines de l’histoire humaine.
Pour terminer, quelques accusations inquisitoriales et tourments infligés.
Accusations
- avoir renoncé au Christ et/ou à l’Église
- avoir proféré des propos blasphématoires ou injurieux vis-à-vis des sacrements de l'Église, en particulier du sacrement du corps du Christ
- avoir cessé de célébrer la messe ou d’y assister
- avoir pratiqué l’homosexualité
Etc.
Tourments
De belles heures pour s’adonner à la dénonciation, la calomnie et au sadisme : effusions de sang, exécutions sans preuves et suicides pour échapper à la torture – à profusion!
Pour extorquer des confessions on avait recours à la torture. On commençait par effrayer l'accusé en lui expliquant le maniement des différents instruments de torture, puis on le fouettait.
Parmi les méthodes les plus usitées : la chaise à clous, l’enchaînement aux murs, l'élongation, la dislocation des articulations, les mutilations, l'estrapade, les garrots, l'immersion, les fers brûlants, les rouleaux à épines, les tourniquets, les brodequins, le plomb fondu et l'eau bouillante, sans oublier l’arrachage des chairs avec des pinces rougies.
De nos jours, les États ont pris la relève, et seuls les instruments «technologiques» de torture ont changé… On sait pourtant que sous la torture quelqu’un avouera n’importe quoi, même si c’est faux, juste pour faire cesser le supplice.
***
«Je souris devant les peintures naïves de l’Enfer que l’on voit dans les temples des diverses religions. Comme elles sont enfantines, en dessous de la réalité! Sans passer en aucun ‘autre monde’ on voit bien mieux en fait de torture tout autour de soi!» ~ Alexandra David-Néel, Correspondance)
«L’enfer, c’est les autres, disait Sartre. Je suis intimement convaincu du contraire. L’enfer, c’est soi-même coupé des autres.» ~ Abbé Pierre
“We have just enough religion to make us hate, but not enough to make us love, one another.” ~ Jonathan Swift
[Nous avons juste assez de religion pour haïr, mais pas suffisamment pour nous aimer les uns les autres.]
“In religion and politics, people’s beliefs and convictions are in almost every case gotten at second hand, and without examination.” ~ Mark Twain
[En religion comme en politique, la plupart du temps les gens s’approprient des croyances et des convictions de seconde main, et sans examen.]
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