17 avril 2011

Plus ça change…

Extraits du recueil «L’esprit d’Alphonse Karr»
(Écrivain et journaliste français, 1808-1890)

Pour un convalescent, vivre est un bonheur qui n’en laisse désirer aucun autre; on borne tous ses désirs à respirer, à sentir la douce influence du soleil, à s’enivrer du parfum des fleurs, à écouter le vent dans les arbres, à contempler les longues prairies étendues sur le sol comme un immense tapis de velours vert. Il semble que l’on naît à tout cela; c’est une naissance, mais avec la conscience de la vie et des sensations.

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L’orgueil, cette force par laquelle on veut faire le bien et on s’efforce vers le beau, parce qu’on a besoin de l’estime de soi-même et de celle des gens que l’on aime et que l’on estime.

Laissons donc les grenouilles coasser dans leur fange; cela accompagne bien la sérénité du soleil couchant.

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L’homme, de quelque nom pompeux qu’il se décore,
J’en juge par moi-même, est un triste animal.
On fait très-peu de bien, beaucoup de mal; encore
Le peu qu’on fait de bien, on ne le fait que mal.

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On comprend la vanité des vêtements dans certains cas : le Mohican, vêtu d’une ceinture faite de chevelures de ses ennemis tués et scalpés; Hercule, couvert de la peau du lion de Némée, qu’il a étouffé; Apollon, orné des écailles du serpent Python, mort sous ses flèches, peuvent s’enorgueillir de ces trophées. – Mais qu’un élégant de nos jours, vêtu de la dépouille d’un bélier innocent, ou d’un ver à soie qui ne lui a pas résisté, marche la tête haute et regarde les hommes avec dédain, c’est ce qui m’étonne toujours un peu.

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La plupart des gens entendent par ces mots : être bien mis, être déguisé en quelqu’un de plus riche que soi.

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La grande renommée ne s’obtient pas le plus souvent par des grandes vertus et de grands talents, mais par l’art de mettre en œuvre et en lumière, de tailler, de doubler, de sertir, d’enchâsser le très-peu quelque fois que l’on en possède; beaucoup d’hommes dont on s’engoue sont beaucoup moins diamants que lapidaires et bijoutiers.

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J’ai lu quelque part :
On diminue la taille des statues en s’en éloignant; celle des hommes, en s’en approchant.

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Les vieillards sont des amis qui s’en vont, il faut au moins les reconduire poliment.

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Il ne faut pas attribuer à la vieillesse tous les défauts des vieillards. Un vieillard qui radote est né radoteur, et a au moins été bavard dans sa jeunesse. L’on voit si rarement des vieillards aimables que parce qu’ils est peu d’hommes qui le soient.

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Le vieillard doit faire oublier qu’il a un corps. La logique du langage appelle vieillards, indifféremment les vieux hommes et les vieilles femmes. Le vieillard sera plus heureux et plus considéré s’il se persuade bien qu’il est d’un troisième sexe.

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Nous vivons dans une sorte d’Arcadie malhonnête, où le vol se contente de s’exercer sous la forme du commerce.

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Il n’y a presque jamais que les pauvres de généreux. Les riches ne peuvent pas donner : ils ont tant de besoins, tant de superfluités nécessaires, ces pauvres riches!

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Les vraies richesses, c’est-à-dire les productions de la terre, sans lesquelles les autres ne sont rien et nous laisseraient mourir de faim, sont d’une conservation difficile et par leur volume et par leur corruptibilité De plus, une récolte, malgré le travail et les soins de l’homme, peut manquer par la sécheresse, par une grêle, par une gelée. De plus encore, le prix des fruits de la terre est variable à l’infini. Ce n’est qu’à force de sueurs qu’on les obtient.

L’or et l’argent, au contraire, inaltérables aux éléments, représentent sous un très-petit volume facile à serrer, facile à transporter, facile à cacher, une grande quantité des productions du sol. Bien plus, l’or et l’argent se transforment, au moment même où vous le voulez, en tout ce que vous pouvez désirer. Tous ces avantages ont accru progressivement la valeur su signe, et lui ont fait dépasser de beaucoup la valeur de ce qu’il représente. Quelle est la terre, la richesse réelle, qui rapporte autant qu’une somme équivalente à sa valeur, exploitée à la Bourse, dans l’industrie, dans l’agiotage, dans l’usure? d’où l’abandon de l’agriculture.

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Entre celui qui livre une marchandise ou un travail, c’est-à-dire une richesse réelle qui donne en retour de l’argent, c’est-à-dire un signe convenu et une représentation arbitraire de cette richesse, c’est le premier qui remercie; et le second s’attend parfaitement à être remercié, il trouverait très-mauvais qu’on ne le remerciât pas, et prend un air de supériorité accepté et reconnu par l’autre.

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Ce sont ceux qui ont le moins d’argent qui paient le plus cher les objets nécessaires à la vie. J’ai réuni les prix comparés de certaines denrées achetées en gros par le bourgeois aisé, et en détail par le pauvre ouvrier. Il ne faut pas oublier qu’il y a encore plus de différence dans la qualité que dans le prix des choses, et, après avoir examiné et comparé, j’ai dit :
       Il n’y a pas beaucoup de riches qui auraient le moyen d’être pauvres.

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Il y a une foule de gens riches qui font semblant de s’amuser avec leur argent, exprès pour faire envie aux pauvres gens, et qui cachent soigneusement leur ennui et leurs misères profondes, qui consoleraient les autres.

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Deux moyens de devenir riche :
Le premier est d’augmenter son revenu jusqu’à ce qu’il se trouve en équilibre avec les désirs et les besoins. C’est le plus commun, le plus difficile, et le seul que l’on essaie.

Le second est de diminuer ses besoins et ses désirs, jusqu’à ce qu’ils se trouvent en équilibre avec le revenu.

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Les besoins réels, simples, peu nombreux et faciles à satisfaire, que nous avaient donnés la nature et la Providence, avaient d’abord rapproché les hommes pour la défense commune et pour les échanges.

Mais les besoins factices, insensés et sans bornes, que créent tous les jours le luxe, la vanité, l’avarice et l’ambition, rapprochent aussi les hommes, mais comme des dogues autour d’un os, pour se battre, se haïr, se tromper, se voler et se dévorer les un les autres.

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Souvent on ne se résigne à être soi qu’après avoir pris et arraché successivement une demi-douzaine de masques.

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Je voudrais savoir si, aux yeux du souverain créateur de toutes choses, il y a quelque différence entre ces deux insectes se disputant un grain d’orge et deux armées richement équipées, conduites par de grands généraux, et se battant avec acharnement; je ne le crois pas; vues du sommet d’une montagne, les vagues furieuses de la mer s’aplanissent et ne paraissent que des rides de l’eau.

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L’homme qui meurt et la feuille jaunie qui tombe ont précisément la même importance. Dans la nature, la mort n’est pas une chose plus triste que la naissance, c’est un des pas du cercle perpétuel que font les choses créées. Tout meurt pour que tout vive : la mort n’est que l’engrais de la vie.

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