13 septembre 2017

Nos vacanciers dans les Caraïbes

Si quelqu’un part en vacances au Moyen-Orient, il s’expose à des dangers et devra assumer les conséquences de son choix de destination si malheur lui arrive.
   Pourquoi en irait-il autrement ailleurs? J’ai peine à croire que les touristes qui vont aux Caraïbes entre août et octobre ignorent que c’est la saison des ouragans. Les prix à la baisse peuvent certes séduire, mais l’assurance de désastres potentiels n’est-elle pas plus élevée à cette période? Beaucoup de Canadiens vont à Cuba parce que c’est beau, bon, «pas cher».

Les Canadiens coincés aux îles Turks et Caïcos reviennent au pays Daniel Dancause, conseiller en mesures d'urgence pour l'entreprise Prudent Groupe, se questionnait sur la gestion locale des vols et sur la volonté d'Ottawa de venir en aide à ses ressortissants à l'étranger. Selon lui, le Canada avait tout à fait les moyens de dépêcher des vols militaires. ... Il comprenait mal la tiédeur des autorités canadiennes à déployer des mesures pour ramener au pays leurs concitoyens pris dans les Caraïbes. «De toute évidence, là, on est dans la bureaucratie», disait-il.

Je comprends la peur-panique des vacanciers, mais dépêcher des vols militaires semble hors de proportion. Les compagnies aériennes civiles les auraient rapatriés, si? Ces touristes avaient l’air d’enfants gâtés – «Papa, papa, viens me chercher, je suis tombé dans un trou!». Pourquoi un traitement de faveur?

Impasse bureaucratique ou impasse éthique? Cela fait penser au «dilemme du tramway» de la philosophe britannique Philippa Foot (1).

Comme disait un journaliste, il y a deux Irma, celui des riches et celui des pauvres. Il y a ceux qui partent et ceux qui restent. Les insulaires laissés à eux-mêmes devront composer avec de graves problèmes de relocalisation, seront privés des services essentiels non pas pour quelques jours, mais pour des semaines, peut-être des mois. En outre, les médias n’avaient d’yeux que pour la Floride. C’est à peine si l’on a effleuré le tremblement de terre au Mexique. Un choix éditorial déroutant.

Cuba dévastée

Des rues de La Havane inondées après le passage de l'ouragan Irma. Photo : Radio-Canada

Éric Guilbert, un Québécois qui vit depuis plusieurs années à La Havane, a indiqué à RDI que les effets d’Irma ont été d’autant plus ravageurs à Cuba que le pays est pauvre.
   «La spécificité, c’est le Cubain lui-même, qui n’est pas prêt, qui n’a pas de ressources pour faire face à ça avec son pauvre petit salaire de 17 $ par mois qu’il reçoit de l’État cubain […]», témoigne-t-il.
   Il explique que «quand on a à faire face à un ouragan qui arrive, on n'a aucun moyen d’acheter du contreplaqué pour les fenêtres, de la nourriture ou de l’eau en bouteille».
   L’autre spécificité, c’est la « décrépitude » des bâtiments «parce que les gens n’ont pas d’argent pour réparer, pour faire de la maintenance sur leur propriété».
   M. Guilbert rappelle qu’il est fréquent de voir des murs et des toits s’effondrer en temps de fortes pluies.
   Selon lui, la priorité est de rétablir l’électricité, car le courant est indispensable pour faire fonctionner les pompes qui permettent aux Cubains d’avoir de l’eau en remplissant les réserves installées sur les toits des maisons.


Dans les Antilles, l’extrême richesse côtoie l’extrême pauvreté. La déforestation, les plantations de canne à sucre*, l’utilisation du bois comme combustible, l’agriculture sur brulis, le tourisme de masse (gros cruisers polluants stationnés sur les côtes), et les stations balnéaires ont fragilisé les îles déjà vulnérables. L’augmentation de la quantité de dioxyde de carbone libéré dans l’atmosphère, et le réchauffement des océans, devrait accroître l’intensité des ouragans et des orages tropicaux.

Les insulaires, majoritairement des descendants d’esclaves, sont dépendants du tourisme. Outre le tourisme, leur économie repose principalement sur le secteur bancaire étranger et les sociétés offshore ou paradis fiscaux, notamment les îles Turks et Caïcos... Ou encore Saint-Barthélemy : ce lieu de villégiature des stars, accueille de nombreux riches résidents étrangers, surtout américains; grâce à son statut de port franc, les habitants sont non imposables sur le revenu.

* La culture commerciale de la canne à sucre génère des impacts négatifs sur l'environnement partout où on la cultive massivement. La demande en sucre et en éthanol entraine notamment une progression de la monoculture de la canne, accroissant la déforestation, en Amazonie par exemple. Ailleurs, ce sont des terres marécageuses jugées improductives qui sont asséchées et canalisées pour y installer des champs de cannes à sucre, détruisant ces milieux fragiles et polluant les eaux en raison des épandages de pesticides et fongicides.  (Source : Wikipédia)

Îles les plus touchées par Irma (liste non exhaustive)
États souverains :
Antigua-et-Barbuda; Bahamas; Cuba;  République dominicaine; Haïti
Dépendances :
Anguilla; Porto Rico; Saint-Barthélemy; Saint-Martin; Îles Turks-et-Caïcos; Îles Vierges des États-Unis


(1) Extrait de «Mangeriez-vous votre chat?» 25 dilemmes éthiques et ce qu’ils révèlent sur vous; JEREMY STANGROOM; Les éditions de l’Homme 2015

Une variante de l’expérience de Philippa Foot :  

Êtes-vous prêt à sacrifier une personne pour en sauver cinq?

Conducteur de train chevronné, Bernard vit actuellement un véritable cauchemar. Il vient d’apprendre que sa locomotive présente une grave erreur de conception et que, s’il réduit sa vitesse à moins de 80 jm/h avant la prochaine station, le moteur explosera, tuant du même coup les 500 passagers du train. Comme si cela ne suffisait pas, on l’informe que cinq personnes sont attachées à un rail à quelques centaines de mètres devant lui. La bonne nouvelle est que Bernard a la possibilité d’appuyer sur le bouton pour dévier le train et épargner ces cinq malheureux individus. La mauvaise nouvelle est que, dans ce cas, le train écrasera un homme collé au rail de la voie secondaire, à la suite d’un enterrement de vie de garçon ayant tourné à la mauvaise blague...
   Si Bernard appuie sur le bouton, l’homme accroché au rail de la voie secondaire mourra. S’il ne le fait pas, les cinq personnes attachées au rail de la voie principale mourront. Il n’existe aucun moyen de ne tuer personne.

Bernard doit-il appuyer sur le bouton?

Pourquoi notre intuition morale varie-t-elle selon les circonstances sans que nous puissions l’expliquer?
   La majorité des personnes interrogées estiment que le conducteur doit appuyer sur le bouton afin de ne tuer qu’une seule personne au lieu de cinq. Un adepte de l’éthique utilitariste, qui privilégie le bonheur collectif, aura en effet tendance à considérer qu’il est du devoir du conducteur de faire le moins de morts possible.

La variante de la passerelle
Les choses se corsent lorsqu’on modifie légèrement le scénario d’après un exercice proposé par la philosophe américaine Judith Jarvis Thompson. Imaginons que vous vous tenez sur une passerelle au-dessus de la voie ferrée, avant l’arrivée du train, et qu’un homme de forte corpulence se trouve à vos côtés. La seule façon de sauver cinq personnes est de jeter le malheureux sur les rails à l’arrivée du train afin de le stopper. Est-ce un bon choix? Sur un plan mathématique, le résultat reste le même que précédemment : vous sauvez plus de vie si vous jetez l’homme sur la voie. Or, lorsque les faits sont présentés en ces termes, les personnes interrogées répondent le plus souvent qu’il serait mal d’agir ainsi – ce qui revient à contredire l’éthique utilitariste.
   Le fait que ces deux scénarios provoquent des réactions opposées appelle des explications. Deux éléments sont à considérer. En appuyant sur un bouton pour changer de direction, le conducteur du train n’agresse pas directement l’homme collé à la voie secondaire, contrairement à celui qui pousse l’homme obèse sur les rails. Aucune explication n’est satisfaisante, il semblerait que la divergence des réactions relève davantage de la psychologie que d’un raisonnement à strictement parler.

Baromètre moral

Si vous pensez que Bernard doit appuyer sur le bouton... alors, probablement :
Vous pensez que la moralité d’un acte est déterminée, au moins en partie, pas ses conséquences.
Vous considérez comme un devoir moral de limiter les préjudices si vous en avez la possibilité.

Si vous pensez que Bernard ne doit pas appuyer sur le bouton... alors, probablement :
Vous estimez que les conséquences jouent un rôle mineur, pour ne pas dire nul, dans un raisonnement éthique.
Vous ne pensez pas que l’on soit moralement tenu de limiter les préjudices.

L’ouvrage propose cet autre dilemme :

Faut-il interdire l’escalade en montagne?
Dans quelle mesure est-on libre de mettre sa vie ou celle des autres en danger?

Transposons : Faut-il interdire les voyages aux Caraïbes durant la saison des ouragans?

Où s’arrêtent nos libertés?

Droits et responsabilités
Les limites de la liberté individuelle soulèvent un débat vieux comme le monde. Aujourd’hui encore, le sujet continue de susciter polémiques et crispations.
   Avons-nous le droit de critiquer les autres pour leurs convictions religieuses? Doit-on légaliser le suicide assisté? Peut-on regarder des images sadomasochistes? Devrions-nous avoir le droit de téléphoner au volant?
   Si toutes ces questions sont d’actualité ou ont récemment fait l’objet d’un débat public, elles sont loin de faire consensus. En premier lieu, parce que nous les examinons à travers le prisme de nos convictions politiques et morales : un esprit progressiste, par exemple, n’a pas la même approche du suicide assisté qu’un esprit conservateur. En second lieu, parce que le problème des libertés individuelles est extraordinairement complexe.

Un manque de cohérence
Il convient de distinguer les activités dangereuses pour soi-même et celles qui mettent en péril la vie d’autrui. Ainsi, la conduite en état d’ivresse est illégale parce qu’elle met en danger à la fois le conducteur, les passagers et les personnes se trouvant sur son chemin; l’escalade, en revanche, devrait être une activité légale parce que périlleuse uniquement pour celui qui la pratique. À y regarder de plus près, cependant, cette distinction tend à devenir floue. Un grimpeur, surtout s’il est novice, met sa propre vie en danger, mais aussi celle de ses sauveteurs qui seraient amenés à le secourir; sans parler de ses proches qu’il expose au chagrin et à la souffrance si les choses tournaient mal pour lui. [...]

L’attitude libertaire
Le discours libertaire offre une issue, en partant du principe que l’État n’a pas à intervenir dans ce qui concerne, par exemple, la consommation de drogue ou l’escalade, puisqu’il s’agit de choix fondamentalement personnels. L’inconvénient de ce type d’approche est qu’elle ne tient pas compte du fait que, dans uns société moderne, les activités relevant purement de la sphère privée sont très peu nombreuses; d’autre part, toute activité individuelle impliquant une autre personne peut avoir un coût social. La solution serait ici de trouver un juste équilibre entre liberté individuelle et responsabilité personnelle.

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