Pourquoi
en irait-il autrement ailleurs? J’ai peine à croire que les touristes qui vont aux
Caraïbes entre août et octobre ignorent que c’est la saison des ouragans. Les
prix à la baisse peuvent certes séduire, mais l’assurance de désastres
potentiels n’est-elle pas plus élevée à cette période? Beaucoup de Canadiens
vont à Cuba parce que c’est beau, bon, «pas
cher».
Les
Canadiens coincés aux îles Turks et Caïcos reviennent au pays – Daniel Dancause, conseiller en
mesures d'urgence pour l'entreprise Prudent Groupe, se questionnait sur la
gestion locale des vols et sur la volonté d'Ottawa de venir en aide à ses
ressortissants à l'étranger. Selon lui, le Canada avait tout à fait les moyens
de dépêcher des vols militaires. ... Il comprenait mal la tiédeur des autorités
canadiennes à déployer des mesures pour ramener au pays leurs concitoyens pris
dans les Caraïbes. «De toute évidence, là, on est dans la bureaucratie»,
disait-il.
Je comprends la peur-panique des vacanciers, mais
dépêcher des vols militaires semble
hors de proportion. Les compagnies aériennes civiles les auraient rapatriés, si? Ces touristes avaient l’air
d’enfants gâtés – «Papa, papa, viens me chercher, je suis tombé dans un trou!».
Pourquoi un traitement de faveur?
Impasse bureaucratique
ou impasse éthique? Cela fait penser au
«dilemme du tramway» de la philosophe britannique Philippa Foot (1).
Comme disait un journaliste, il y a deux Irma, celui
des riches et celui des pauvres. Il y a ceux qui partent et ceux qui restent. Les
insulaires laissés à eux-mêmes devront composer avec de graves problèmes de
relocalisation, seront privés des services essentiels non pas pour quelques jours, mais pour des semaines, peut-être
des mois. En outre, les médias n’avaient d’yeux que pour la Floride. C’est à
peine si l’on a effleuré le tremblement de terre au Mexique. Un choix éditorial
déroutant.
Cuba dévastée
Des rues de La Havane inondées après le passage de
l'ouragan Irma. Photo : Radio-Canada
Éric Guilbert, un Québécois qui vit depuis
plusieurs années à La Havane, a indiqué à RDI que les effets d’Irma ont été
d’autant plus ravageurs à Cuba que le pays est pauvre.
«La
spécificité, c’est le Cubain lui-même, qui n’est pas prêt, qui n’a pas de
ressources pour faire face à ça avec son pauvre petit salaire de 17 $ par mois qu’il reçoit de l’État
cubain […]», témoigne-t-il.
Il
explique que «quand on a à faire face à un ouragan qui arrive, on n'a aucun
moyen d’acheter du contreplaqué pour les fenêtres, de la nourriture ou de l’eau
en bouteille».
L’autre
spécificité, c’est la « décrépitude » des bâtiments «parce que les gens n’ont
pas d’argent pour réparer, pour faire de la maintenance sur leur propriété».
M.
Guilbert rappelle qu’il est fréquent de voir des murs et des toits s’effondrer
en temps de fortes pluies.
Selon
lui, la priorité est de rétablir l’électricité, car le courant est
indispensable pour faire fonctionner les pompes qui permettent aux Cubains
d’avoir de l’eau en remplissant les réserves installées sur les toits des
maisons.
Dans les Antilles, l’extrême richesse côtoie
l’extrême pauvreté. La déforestation, les plantations de canne à sucre*, l’utilisation
du bois comme combustible, l’agriculture sur brulis, le tourisme de masse (gros
cruisers polluants stationnés sur les côtes), et les stations balnéaires ont fragilisé
les îles déjà vulnérables. L’augmentation de la quantité de dioxyde de carbone
libéré dans l’atmosphère, et le réchauffement des océans, devrait accroître l’intensité
des ouragans et des orages tropicaux.
Les insulaires, majoritairement des descendants
d’esclaves, sont dépendants du tourisme. Outre le tourisme, leur économie
repose principalement sur le secteur bancaire étranger et les sociétés offshore
ou paradis fiscaux, notamment les îles Turks et Caïcos... Ou encore Saint-Barthélemy :
ce lieu de villégiature des stars, accueille de nombreux riches résidents
étrangers, surtout américains; grâce à son statut de port franc, les habitants
sont non imposables sur le revenu.
* La culture commerciale de la canne à sucre génère
des impacts négatifs sur l'environnement partout où on la cultive massivement.
La demande en sucre et en éthanol entraine notamment une progression de la
monoculture de la canne, accroissant la déforestation, en Amazonie par exemple.
Ailleurs, ce sont des terres marécageuses jugées improductives qui sont
asséchées et canalisées pour y installer des champs de cannes à sucre,
détruisant ces milieux fragiles et polluant les eaux en raison des épandages de
pesticides et fongicides. (Source : Wikipédia)
Îles les plus touchées par Irma (liste non
exhaustive)
États souverains :
Antigua-et-Barbuda;
Bahamas; Cuba; République dominicaine; Haïti
Dépendances :
Anguilla;
Porto Rico; Saint-Barthélemy; Saint-Martin;
Îles Turks-et-Caïcos; Îles Vierges des États-Unis
(1) Extrait de «Mangeriez-vous votre chat?» 25 dilemmes éthiques et ce qu’ils révèlent sur vous; JEREMY STANGROOM; Les éditions de l’Homme 2015
(1) Extrait de «Mangeriez-vous votre chat?» 25 dilemmes éthiques et ce qu’ils révèlent sur vous; JEREMY STANGROOM; Les éditions de l’Homme 2015
Une variante de l’expérience de Philippa Foot :
Êtes-vous
prêt à sacrifier une personne pour en sauver cinq?
Conducteur de train chevronné, Bernard vit
actuellement un véritable cauchemar. Il vient d’apprendre que sa locomotive
présente une grave erreur de conception et que, s’il réduit sa vitesse à moins
de 80 jm/h avant la prochaine station, le moteur explosera, tuant du même coup
les 500 passagers du train. Comme si cela ne suffisait pas, on l’informe que
cinq personnes sont attachées à un rail à quelques centaines de mètres devant
lui. La bonne nouvelle est que Bernard a la possibilité d’appuyer sur le bouton
pour dévier le train et épargner ces cinq malheureux individus. La mauvaise
nouvelle est que, dans ce cas, le train écrasera un homme collé au rail de la
voie secondaire, à la suite d’un enterrement de vie de garçon ayant tourné à la
mauvaise blague...
Si
Bernard appuie sur le bouton, l’homme accroché au rail de la voie secondaire
mourra. S’il ne le fait pas, les cinq personnes attachées au rail de la voie
principale mourront. Il n’existe aucun moyen de ne tuer personne.
Bernard
doit-il appuyer sur le bouton?
Pourquoi
notre intuition morale varie-t-elle selon les circonstances sans que nous
puissions l’expliquer?
La
majorité des personnes interrogées estiment que le conducteur doit appuyer sur
le bouton afin de ne tuer qu’une seule personne au lieu de cinq. Un adepte de
l’éthique utilitariste, qui privilégie le bonheur collectif, aura en effet
tendance à considérer qu’il est du devoir du conducteur de faire le moins de
morts possible.
La variante
de la passerelle
Les choses se corsent lorsqu’on modifie légèrement
le scénario d’après un exercice proposé par la philosophe américaine Judith
Jarvis Thompson. Imaginons que vous vous tenez sur une passerelle au-dessus de
la voie ferrée, avant l’arrivée du train, et qu’un homme de forte corpulence se
trouve à vos côtés. La seule façon de sauver cinq personnes est de jeter le
malheureux sur les rails à l’arrivée du train afin de le stopper. Est-ce un bon
choix? Sur un plan mathématique, le résultat reste le même que
précédemment : vous sauvez plus de vie si vous jetez l’homme sur la voie.
Or, lorsque les faits sont présentés en ces termes, les personnes interrogées
répondent le plus souvent qu’il serait mal d’agir ainsi – ce qui revient à
contredire l’éthique utilitariste.
Le fait
que ces deux scénarios provoquent des réactions opposées appelle des
explications. Deux éléments sont à considérer. En appuyant sur un bouton pour
changer de direction, le conducteur du train n’agresse pas directement l’homme
collé à la voie secondaire, contrairement à celui qui pousse l’homme obèse sur
les rails. Aucune explication n’est satisfaisante, il semblerait que la
divergence des réactions relève davantage de la psychologie que d’un
raisonnement à strictement parler.
Baromètre
moral
Si vous pensez que Bernard doit appuyer sur le
bouton... alors, probablement :
– Vous
pensez que la moralité d’un acte est déterminée, au moins en partie, pas ses
conséquences.
– Vous
considérez comme un devoir moral de limiter les préjudices si vous en avez la
possibilité.
Si vous pensez que Bernard ne doit pas appuyer sur
le bouton... alors, probablement :
–
Vous estimez que les conséquences jouent un rôle mineur, pour ne pas dire nul,
dans un raisonnement éthique.
–
Vous ne pensez pas que l’on soit moralement tenu de limiter les préjudices.
L’ouvrage propose cet autre dilemme :
Faut-il
interdire l’escalade en montagne?
Dans quelle
mesure est-on libre de mettre sa vie ou celle des autres en danger?
Transposons : Faut-il interdire les voyages aux Caraïbes durant la saison des
ouragans?
Où
s’arrêtent nos libertés?
Droits et
responsabilités
Les limites de la liberté individuelle soulèvent
un débat vieux comme le monde. Aujourd’hui encore, le sujet continue de
susciter polémiques et crispations.
Avons-nous le droit de critiquer les autres pour leurs convictions
religieuses? Doit-on légaliser le suicide assisté? Peut-on regarder des images
sadomasochistes? Devrions-nous avoir le droit de téléphoner au volant?
Si toutes
ces questions sont d’actualité ou ont récemment fait l’objet d’un débat public,
elles sont loin de faire consensus. En premier lieu, parce que nous les
examinons à travers le prisme de nos convictions politiques et morales :
un esprit progressiste, par exemple, n’a pas la même approche du suicide
assisté qu’un esprit conservateur. En second lieu, parce que le problème des libertés
individuelles est extraordinairement complexe.
Un manque
de cohérence
Il convient de distinguer les activités
dangereuses pour soi-même et celles qui mettent en péril la vie d’autrui.
Ainsi, la conduite en état d’ivresse est illégale parce qu’elle met en danger à
la fois le conducteur, les passagers et les personnes se trouvant sur son
chemin; l’escalade, en revanche, devrait être une activité légale parce que
périlleuse uniquement pour celui qui la pratique. À y regarder de plus près,
cependant, cette distinction tend à devenir floue. Un grimpeur, surtout s’il
est novice, met sa propre vie en danger, mais aussi celle de ses sauveteurs qui
seraient amenés à le secourir; sans parler de ses proches qu’il expose au
chagrin et à la souffrance si les choses tournaient mal pour lui. [...]
L’attitude
libertaire
Le discours libertaire offre une issue, en partant
du principe que l’État n’a pas à intervenir dans ce qui concerne, par exemple,
la consommation de drogue ou l’escalade, puisqu’il s’agit de choix fondamentalement
personnels. L’inconvénient de ce type d’approche est qu’elle ne tient pas
compte du fait que, dans uns société moderne, les activités relevant purement
de la sphère privée sont très peu nombreuses; d’autre part, toute activité
individuelle impliquant une autre personne peut avoir un coût social. La
solution serait ici de trouver un juste équilibre entre liberté individuelle et
responsabilité personnelle.
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