20 septembre 2017

Diable, que faire de tout ce chaos?

«Non seulement je ne sais pas ce qui se passe, mais je ne saurais pas quoi faire si je le savais.» ~ George Carlin

«Comment pouvons-nous parler de progrès alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles manifestations de la vie? Nos artistes, nos architectes, nos savants, nos penseurs suent sang et eau pour rendre la vie plus belle et en même temps nous nous enfonçons dans nos dernières forêts, la main sur la détente d’une arme automatique. [...] Il faut lutter contre cette dégradation de la dernière authenticité de la Terre et de l’idée que l’homme se fait des lieux où il vit. [...] Il faut absolument que les hommes parviennent à préserver autre chose que ce qui leur sert à faire des semelles, ou des machines à coudre, qu’ils laissent de la marge, une réserve, où il leur serait possible de se réfugier de temps en temps. C’est alors seulement que l’on pourra parler de civilisation.» ~ Romain Gary; 1914-1980 (Les racines du ciel)

Quand on voit la désolation après les catastrophes, en des endroits où la concentration démographique est très dense, le problème des sans-abris ou des réfugiés fait frémir. Songeons aux clandestins mexicains aux États-Unis, aux migrants en Europe, aux Rohingyas fuyant la Birmanie, aux victimes d’ouragans et de séismes, aux murs qui s’affaissent ou s’élèvent un peu partout : comment et où caser des centaines de milliers de personnes en détresse? C’est horrible, colossal, insensé, étriqué et si peu «maniable». Il suffit d’un changement politique, économique, climatique, géophysique, ou d’une guerre civile, pour que tout bascule.

Toute destruction importante fait monter à la surface déchets, saleté, boue, puanteur. Au propre et au figuré. Ces désastres sont peut-être des baromètres qui nous signalent que nos vieux systèmes ancrés dans la peur, l’avidité, la corruption, le racisme, la ségrégation, l’égoïsme, le mensonge et l’injustice s’écroulent et doivent être transformés. Or, plusieurs s’agrippent à ce qui n’a pas d’avenir. Comme dit le proverbe, ‘si ça brasse sur le navire, ne t’accroche à rien qui traîne sur le pont’.

«Nous, les pays de la Caraïbe, ne sommes pas les grands émetteurs de gaz à effet de serre mais aujourd'hui, nous payons les pots cassés.» ~ Jovenel Moïse, président d’Haïti, commentant le changement climatique. (20 septembre 2017) 

Les arbres de la croissance économique. On reconnaît l'arbre à ses fruits, dit-on... Photo : AFP | Chanchung, mars 2016

Ce texte a été publié en novembre 2008. Neuf années cruciales de perdues. Nous avons attendu après les décideurs politiques en vain. Santé Canada «étudie» depuis 2012 le dossier du glyphosate (pesticide Roundup de Monsanto, un cancérigène avéré), et celui des néonicotinoïdes qui tuent les abeilles et de nombreuses espèces de la chaîne (insectes favorables, oiseaux, grenouilles, poissons), pour finalement atteindre l’espèce humaine. Santé Canada ne prendra pas décision avant 2018 et celle-ci ne prendrait effet qu’en 2021 – quatre années supplémentaires de perdues et encore plus d’animaux disparus. Combien de rapports supplémentaires faudra-t-il à nos décideurs politiques? Les bonnes intentions, les belles paroles et les rapports ne changent rien. Encore moins les mensonges. Il faut donc agir individuellement, à travers nos choix de consommation. Ce qui ne nous protégera pas contre les conséquences délétères accumulées dans l'air, l'eau et le sol. Maigre consolation : nous engraisserons moins les ogres de l’agrobusiness et de la pétrochimie, et peut-être que la force du nombre aura un effet... 

À relire attentivement :

NOUS Y SOMMES!
Fred Vargas, archéozoologue et auteure de romans policiers

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis «nous», entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés. On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles : faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.

Franchement on s'est marrés. Franchement on en a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. Certes. Mais nous y sommes. À la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie. «On est obligés de la faire, la Troisième Révolution?» demanderont quelques esprits réticents et chagrins. Oui. On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.

C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi. Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix. On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance. Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés). S'efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire. Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde. Colossal programme que celui de la Troisième Révolution. Pas d'échappatoire, allons-y. Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible. À condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie – une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.

À ce prix, nous réussirons la Troisième révolution. À ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

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