«Comment
pouvons-nous parler de progrès alors que nous détruisons encore autour de nous
les plus belles manifestations de la vie? Nos artistes, nos architectes, nos
savants, nos penseurs suent sang et eau pour rendre la vie plus belle et en
même temps nous nous enfonçons dans nos dernières forêts, la main sur la détente
d’une arme automatique. [...] Il faut lutter contre cette dégradation de la
dernière authenticité de la Terre et de l’idée que l’homme se fait des lieux où
il vit. [...] Il faut absolument que les hommes parviennent à préserver autre
chose que ce qui leur sert à faire des semelles, ou des machines à coudre,
qu’ils laissent de la marge, une réserve, où il leur serait possible de se
réfugier de temps en temps. C’est alors seulement que l’on pourra parler de
civilisation.» ~ Romain Gary; 1914-1980 (Les
racines du ciel)
Quand on voit la désolation après les catastrophes, en des endroits où la concentration
démographique est très dense, le problème des sans-abris ou des réfugiés fait frémir. Songeons aux
clandestins mexicains aux États-Unis, aux migrants en Europe, aux Rohingyas
fuyant la Birmanie, aux victimes d’ouragans et de séismes, aux murs qui s’affaissent
ou s’élèvent un peu partout : comment et où caser des centaines de milliers de
personnes en détresse? C’est horrible, colossal, insensé, étriqué et si peu «maniable».
Il suffit d’un changement politique, économique, climatique, géophysique, ou
d’une guerre civile, pour que tout bascule.
Toute destruction
importante fait monter à la surface déchets, saleté, boue, puanteur. Au propre
et au figuré. Ces désastres sont peut-être des baromètres qui nous signalent
que nos vieux systèmes ancrés dans la peur, l’avidité, la corruption, le
racisme, la ségrégation, l’égoïsme, le mensonge et l’injustice s’écroulent et
doivent être transformés. Or, plusieurs s’agrippent à ce qui n’a pas d’avenir. Comme
dit le proverbe, ‘si ça brasse sur le
navire, ne t’accroche à rien qui traîne sur le pont’.
«Nous,
les pays de la Caraïbe, ne sommes pas les grands émetteurs de gaz à effet de
serre mais aujourd'hui, nous payons les pots cassés.» ~ Jovenel Moïse, président
d’Haïti, commentant le changement climatique. (20 septembre 2017)
Ce texte a été publié en novembre 2008. Neuf années cruciales de perdues. Nous avons attendu après les décideurs politiques en vain. Santé Canada «étudie» depuis 2012 le dossier du glyphosate (pesticide Roundup de Monsanto, un cancérigène avéré), et celui des néonicotinoïdes qui tuent les abeilles et de nombreuses espèces de la chaîne (insectes favorables, oiseaux, grenouilles, poissons), pour finalement atteindre l’espèce humaine. Santé Canada ne prendra pas décision avant 2018 et celle-ci ne prendrait effet qu’en 2021 – quatre années supplémentaires de perdues et encore plus d’animaux disparus. Combien de rapports supplémentaires faudra-t-il à nos décideurs politiques? Les bonnes intentions, les belles paroles et les rapports ne changent rien. Encore moins les mensonges. Il faut donc agir individuellement, à travers nos choix de consommation. Ce qui ne nous protégera pas contre les conséquences délétères accumulées dans l'air, l'eau et le sol. Maigre consolation : nous engraisserons moins les ogres de l’agrobusiness et de la pétrochimie, et peut-être que la force du nombre aura un effet...
À relire attentivement :
NOUS Y SOMMES!
Fred Vargas, archéozoologue et auteure de romans
policiers
Depuis
cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie
de l'humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul
l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui
fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités
d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand
je dis «nous», entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la
peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous
avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des
fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les
nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons
grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement
on peut dire qu'on s'est bien amusés. On a réussi des trucs carrément épatants,
très difficiles : faire fondre la
banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer
le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome,
enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés. Franchement on
en a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est
plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des
pommes de terre. Certes.
Mais nous y sommes. À la Troisième Révolution.
Qui a
ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la
Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie. «On est
obligés de la faire, la Troisième Révolution?» demanderont quelques esprits
réticents et chagrins. Oui. On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne
nous a pas demandé notre avis.
C'est la
mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec
elle depuis des décennies. La mère
Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de
gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées
qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la
danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi. Évidemment, dit comme ça, on comprend
qu'on n'a pas le choix. On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on
s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un
délai, de s'amuser encore avec la croissance. Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en
eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la
terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs,
éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises
à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser
au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter,
laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs
(pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est
quand même bien marrés). S'efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être
solidaire. Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde. Colossal programme
que celui de la Troisième Révolution. Pas d'échappatoire, allons-y. Encore
qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le
savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de
danser le soir venu, ce n'est pas incompatible. À condition que la paix soit
là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie – une autre des
grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.
À ce
prix, nous réussirons la Troisième révolution. À ce prix nous danserons,
autrement sans doute, mais nous danserons encore.
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