Rares sont ceux qui n’ont jamais eu affaire à des manipulateurs dans leurs relations (travail, famille, amitié, couple). Mais, le fleuron haut-de-gamme dans
le domaine reste le pervers narcissique –
on ne souhaiterait même pas à son pire ennemi de côtoyer ce genre de spécimen.
Or, en
écoutant les actualités la semaine dernière, j’étais stupéfaite de voir comme les
caractéristiques du pervers narcissique ressemblent à celles des démocraties sur
le point de glisser dans l’autarcie.
***
Si le sujet vous intéresse, lisez l’ouvrage/source
référé à la fin – impressionnante limpidité et précieux conseils pour gérer ce
genre de relations destructives. On tombe toujours sur le bon livre, le bon message
ou la bonne personne au moment opportun; il suffit d’être alerte, d’écouter et
d’agir en conséquence.
Un aperçu
Le
pervers narcissique
Toute personne en crise peut être amenée à
utiliser des mécanismes pervers pour se défendre. Nous avons tous des traits de personnalité
narcissique (égocentrisme, besoin d’admiration, intolérance à la critique) sans
que ce soit pour autant pathologique. Il nous est tous arrivé de manipuler
autrui dans le but d’obtenir un avantage, et nous avons tous déjà éprouvé une
haine destructrice passagère.
Ce qui nous distingue des individus pervers,
c’est que ces comportements ou sentiments n’ont été que des réactions
passagères, et ont été suivis de remords ou de regrets. La notion de perversité
implique une stratégie d’utilisation puis de destruction d’autrui, sans aucune
culpabilité.
Les
pervers narcissiques sont considérés comme des psychotiques sans symptômes, qui
trouvent leur équilibre en déchargeant sur un autre la douleur qu’ils ne
ressentent pas et les contradictions internes qu’ils refusent de percevoir. Ils
« ne font pas exprès » de faire mal, ils font mal parce qu’ils ne savent pas faire
autrement pour exister. Ils ont eux-mêmes été blessés dans leur enfance et
essaient de se maintenir en vie. Ce transfert de la douleur leur permet de se
valoriser aux dépens d’autrui.
La personnalité narcissique est
décrite ainsi (elle présente au moins cinq des manifestations suivantes) :
- le sujet a un sens grandiose de sa propre importance;
- est absorbé par les fantaisies de succès illimité, de pouvoir;
- pense être « spécial » et unique;
- a un besoin excessif d’être admiré;
- pense que tout lui est dû;
- exploite l’autre dans les relations interpersonnelles;
- manque d’empathie;
- envie souvent les autres;
- fait preuve d’attitudes et de comportements arrogants.
- le sujet a un sens grandiose de sa propre importance;
- est absorbé par les fantaisies de succès illimité, de pouvoir;
- pense être « spécial » et unique;
- a un besoin excessif d’être admiré;
- pense que tout lui est dû;
- exploite l’autre dans les relations interpersonnelles;
- manque d’empathie;
- envie souvent les autres;
- fait preuve d’attitudes et de comportements arrogants.
Le
narcissisme
Un Narcisse, si l’on se réfère au Narcisse
d’Ovide, est quelqu’un dont la vie consiste à chercher son reflet dans le
miroir. L’autre n’existe pas en tant qu’individu mais en tant que miroir. C’est
quelqu’un qui est obligé de se construire un jeu de miroirs pour se donner
l’illusion d’exister. Comme un kaléidoscope, ce jeu de miroirs a beau se
répéter et se multiplier, cet individu reste construit sur du vide. N’ayant pas de substance, il se « branche »
sur l’autre et, comme une sangsue, essaye d’aspirer sa vie.
Les
pervers narcissiques sont insensibles, sans affect. Comment une machine à
reflets pourrait-elle être sensible? De cette façon, ils ne souffrent pas.
Souffrir suppose une chair, une existence. Ils n’ont pas d’histoire puisqu’ils
sont absents. Seuls les êtres présents au monde peuvent avoir une histoire.
La mégalomanie
Les pervers narcissiques sont des individus mégalomanes qui se posent comme
référents de la vérité, de la rectitude. On leur attribue souvent un air supérieur,
distant. Même s’ils ne disent rien, l’autre se sent pris en faute. Ils
présentent une absence totale d’intérêt et d’empathie pour les autres, mais ils
souhaitent que les autres s’intéressent à eux. Tout leur est dû. Ils n’admettent
aucune mise en cause et aucun reproche. Les pervers entrent en relation avec
les autres pour les séduire; on les décrit souvent comme des personnes
séduisantes et brillantes.
Dans
la logique perverse, il n’existe pas de notion de respect de l’autre. Autrui
n’existe pas, il n’est pas vu, pas entendu. Il est seulement « utile ». Les
pervers narcissiques sont imperméables à l’autre et à sa différence, sauf s’ils
ont le sentiment que cette différence peut les déranger. C’est le déni total de
l’identité de l’autre, dont l’attitude et les pensées doivent être conformes à
l’image qu’ils se font du monde.
La
force des pervers est leur insensibilité. Ils ne connaissent aucun scrupule
d’ordre moral. Ils ne souffrent pas. Ils attaquent en toute impunité car même
si en retour les autres utilisent des défenses perverses, ils ont justement été
choisis pour leur incapacité d’atteindre à la virtuosité qui les protègerait. Quand
le pervers ressent une blessure narcissique (défaite, rejet), il éprouve un
désir illimité d’obtenir une revanche; c’est une rancune inflexible à laquelle
il applique toutes ses capacités de raisonnement. L’efficacité de ses attaques
tient au fait que la victime ou l’observateur extérieur n’imagine pas qu’on
puisse être à ce point dépourvu de sollicitude ou de compassion envers autrui.
L’irresponsabilité
Les
pervers se considèrent comme irresponsables parce qu’ils n’ont pas de
subjectivité véritable. Absents à eux-mêmes, ils le sont tout autant aux
autres. S’ils ne sont jamais là où on les attend, s’ils ne sont jamais pris,
c’est tout simplement qu’ils ne sont pas là. Au fond, quand ils accusent les autres d’être responsables de ce qui leur
arrive, ils n’accusent pas, ils constatent : puisque eux-mêmes ne peuvent pas
être responsables, il faut bien que ce soit l’autre. Jamais responsables,
jamais coupables : tout ce qui va mal est toujours de la faute des autres.
Ils se défendent par des mécanismes de
projection en portant au crédit d’autrui toutes leurs difficultés et leurs
échecs. Ils se défendent aussi en déniant la réalité. Ce déni est constant, même dans les
petites choses quotidiennes, et même si la réalité prouve le contraire. La
souffrance est exclue, le doute de soi également. Ils doivent donc être portés
par les autres. Agresser les autres est le moyen d’éviter la douleur, la peine,
la dépression.
La
paranoïa
Les pervers narcissiques tendent à se présenter
comme des moralisateurs : ils donnent des leçons de probité aux autres. En cela
ils sont proches des personnalités paranoïaques.
La personnalité
du paranoïaque se caractérise par :
-
l’hypertrophie du moi : orgueil, sentiment de supériorité;
- la
psychorigidité : obstination, intolérance, rationalité froide, difficulté à
montrer des émotions positives, mépris d’autrui, sarcasme;
- la
méfiance : crainte exagérée de l’agressivité d’autrui, sentiment d’être victime
de la malveillance de l’autre, suspicion, jalousie;
-
fausseté de jugement : elle interprète des évènements neutres comme étant
dirigés contre elle.
Cependant, à la différence du paranoïaque, le
pervers, s’il connait bien les lois et les règles de la vie en société, se joue
de ces règles pour mieux les contourner. Le propre du pervers est de défier les
lois. Son but est de dérouter l’interlocuteur en lui montrant que son système
de valeurs ne fonctionne pas, et ainsi de l’amener à une éthique perverse.
La prise
de pouvoir des paranoïaques se fait par la force tandis que celle du pervers se
fait par la séduction – mais quand la séduction ne marche plus, il peut
recourir à la force. La phase de violence est en elle-même un processus de
décompensation paranoïaque : l’autre doit être détruit parce qu’il est
dangereux. Il faut attaquer avant d’être soi-même attaqué.
Il s’agit là d’une défense contre la
désintégration psychique. En attaquant l’autre, le pervers cherche avant tout à
se protéger. Là où pourrait apparaitre de la culpabilité nait une angoisse
psychotique insupportable qui est projetée sur le bouc émissaire avec violence.
Celui-ci est le réceptacle de tout ce que son agresseur ne peut pas supporter.
Ce mécanisme lui assure une relative stabilité.
Parce qu’ils se sentent impuissants, les
pervers craignent la toute-puissance qu’ils imaginent
chez les autres. Dans un registre quasi délirant, ils se méfient d’eux, leur
prêtent une malveillance qui n’est que la projection de leur propre
malveillance. La haine projetée sur une cible devenue proie suffit à apaiser
les tensions intérieures, ce qui permet au pervers de se montrer d’une
compagnie agréable par ailleurs. D’où la surprise ou même le déni des personnes
qui apprennent les agissements pervers d’un proche qui n’avait jusqu’alors montré
que sa face positive. Dés lors, les témoignages des victimes ne paraissent pas
crédibles.
La
victime objet
La victime est victime parce qu’elle a été «
désignée » par le pervers. Elle devient le bouc émissaire responsable de tout
le mal. Elle sera désormais la cible de la violence, évitant à son agresseur la
remise en question. Elle va payer pour les crimes « qu’il » a commis. Même les
témoins de l’agression la soupçonnent. On imagine qu’elle consent tacitement ou
qu’elle est complice, consciemment ou non, de son agression. Il est commun
d’entendre dire que si une personne est devenue victime, c’est qu’elle y était
prédisposée par sa faiblesse ou ses manques. Nous voyons au contraire, que les
victimes sont habituellement « choisies » parce qu’elles ont un plus
que l’agresseur cherche à s’approprier.
Pourquoi
a-t-elle été choisie?
Parce qu’elle était là. Elle n’a rien de
spécifique pour l’agresseur. C’est un objet interchangeable qui était là au
mauvais/bon moment et qui a eu le tort de se laisser séduire – et parfois celui
d’être trop lucide. Elle n’a d’intérêt pour le pervers que lorsqu’elle est
utilisable. Elle devient un objet de haine dès qu’elle se dérobe ou qu’elle n’a
plus rien à donner.
N’étant qu’un objet, peu importe qui elle est.
Néanmoins, l’agresseur évite quiconque pourrait le mettre en péril. Quand pervers et paranoïaques s’associent,
cela ne fait que décupler l’effet destructeur sur les victimes désignées. C’est
ce que l’on voit plus particulièrement dans les groupes et dans les entreprises.
Il est plus amusant de mépriser ou de se moquer de quelqu’un devant un
spectateur encourageant! Il n’est pas rare que les pervers recueillent une
approbation tacite de témoins qu’ils ont d’abord déstabilisés, puis plus ou
moins convaincus.
Le propre
d’une attaque perverse, c’est de viser les aspects vulnérables de l’autre, là
où il existe une faiblesse. Chaque individu présente un point faible qui
deviendra pour le pervers un point d’accrochage. Les pervers ont une intuition très grande de ces points de fragilité.
Les pervers cherchent chez l’autre le point faible qu’il suffit ensuite
d’activer par une communication déstabilisante.
Le
discours des pervers narcissiques est un discours totalitaire qui nie l’autre
dans sa subjectivité. On peut se demander pourquoi les victimes intériorisent
ce discours alors que la réalité peut démentir ce discours. Or si on se sert
d’elles, ce n’est pas pour autant le jeu qu’elles souhaitent jouer.
Dans la relation avec le pervers, il y a
domination de l’un sur l’autre et impossibilité pour la victime, de réagir et
d’arrêter le combat. C’est en cela qu’il s’agit réellement d’une agression. La
mise en place préalable de l’emprise a retiré le pouvoir de dire non. Il n’y a
pas de négociation possible, tout est imposé. La victime est entrainée dans
cette situation perverse à son corps défendant. Elle s’est retrouvée engluée dans
une situation sans avoir les moyens d’y échapper. Le tort essentiel de la
victime est de n’avoir pas été méfiante, de n’avoir pas pris en considération
les messages violents non verbaux. Elle n’a pas su traduire les messages, elle
a pris ce qui a été dit au pied de la lettre.
La faille à
laquelle s’attaquent les pervers se situe le plus souvent dans le registre de
la dévalorisation et de la culpabilité. Un procédé évident pour déstabiliser
l’autre est de l’amener à se culpabiliser. Ce fonctionnement totalisant est le
même chez l’agresseur et chez l’agressé. Dans les deux cas, il existe une
exacerbation des fonctions critiques, envers l’extérieur pour les pervers,
envers soi-même pour les victimes. Lors
d’une agression, il suffit aux pervers de nier pour que les victimes doutent. Même
si elles ont parfois un sentiment d’injustice, leur confusion est telle
qu’elles n’ont aucun moyen de réagir. En effet, face à un pervers narcissique,
il est impossible d’avoir le dernier mot : la seule issue est de se soumettre.
Accepter cette soumission ne se fait qu’au prix
d’une tension intérieure importante, permettant de ne pas réagir et de calmer l’autre
quand il est énervé. Cette tension est génératrice de stress. Lorsque ces
pressions se poursuivent sur de longues périodes, la résistance s’épuise, on ne
peut plus éviter l’émergence d’une anxiété chronique. Cet état de stress
chronique peut se traduire par un état d’appréhension et d’anticipation difficile
à maitriser, un état de tension permanente et d’hypervigilance.
Lors d’une agression perverse, l’agresseur fait en sorte de paraitre
tout-puissant, donnant à voir rigueur morale et sagesse. On sait que
l’agressivité impulsive, tout comme l’agressivité prédatrice, peut mener au
crime violent. Les pervers, pour prouver que leur victime est mauvaise, sont
prêts à susciter chez elle de la violence à leur égard.
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Extrait/adaptation
de
Le harcèlement moral; la violence perverse
au quotidien
Marie-France Hirigoyen, médecin, psychanalyste, psychothérapeute
familiale