4 juillet 2019

Montréal la fêlée

Le nombre de chantiers à Montréal est incalculable, et il s’en ajoute ponctuellement. C’est le paradis des bulldozers et des bétonnières. Du gigantisme, en voulez-vous, en v’là! Construire, démolir, reconstruire, démolir, reconstruire : multiplier les tours à condos/bureaux, les centres commerciaux, les infrastructures routières, éliminer le plus d’écosystèmes possibles, etc. – jusqu’à ce que l’île s’affaisse. Formidable! notre empreinte carbone sera flushée pour toujours. (Voyez Le Saint-Laurent vandalisé – suite)

Image : Benj (coqhebdo)

À Montréal comme à Atlanta...

La capitale de la Géorgie, Atlanta, reste, encore aujourd’hui, une championne en développement urbain. C’est l’une des aires urbaines des États-Unis à la plus forte croissance. Elle a même gagné le titre de métropole internationale. Pourquoi? Son aéroport Harstfield-Jackson Atlanta International Airport, le plus grand des États-Unis et du monde, accueille annuellement autour de 100 millions de passagers depuis 2000 (en 2018 : 107 294 029); l’étendue du terminal double (nord et sud) équivaut à 45 terrains de football (630,000 m2)! Pouvez-vous imaginer le niveau de pollution (GES) et de vacarme? Aïe!

Dans son road trip à travers la Bible Belt du Sud étatsunien en 1988, Douglas Kennedy décrit la ville d’Atlanta. La similitude avec Montréal est sidérante.

Atlanta, le principal chantier mystique du Sud 
[Extrait p. 224]

De fait, Atlanta s’est imposée en quelques années comme l’emblème de la modernité urbaine du Sud, et l’une des villes les plus importantes du pays. Jadis rasée par l’armée unioniste, qui a écrit là une des pages les plus sanglantes de la brutale Guerre de Sécession, elle paraît aujourd’hui encore entièrement livrée aux promoteurs et aux architectes municipaux, aux bulldozers et aux bétonnières. En l’approchant par le dédale d’autoroutes qui l’enserre, on croit voir une arche immense surplomber son étendue, avec l’avertissement En chantier en tubes fluorescents sur le fronton. Cette ville semble ne pouvoir jamais dire non à un nouveau projet urbain, toujours prête à ajouter un diamant de pacotille à sa couronne urbanistique. La réinvention permanente fait ici office de plan directeur, ainsi qu’une farouche détermination à effacer au fur et à mesure toutes les traces du passé, même récent, à la manière d’un riche parvenu prêt à tout pour faire oublier son humble extraction.

Photo : Atlanta

Dans le centre, Peachtree, la grande attraction d’Atlanta, se présente pendant la journée comme un conglomérat d’immeubles rutilants et de forteresses hermétiques, pour se transformer en zone de tous les dangers dès la nuit tombée. En continuant, on traverse les faubourgs  les plus centraux, construits en gravitation autour de galeries marchandes, ces monuments dédiés à l’éthique de la consommation. Ici, comme dans toutes les villes qui ont renoncé à leur cœur historique mais prétendent à un certain raffinement, les temples du mercantilisme se veulent solennels sous les déguisements architecturaux les plus divers, du pseudo-Art déco jusqu’à la caricature d’hacienda mexicaine, du néohellénistique au vaguement Bauhaus. Ce bric-à-brac stylistique témoigne d’une arrogance économique certaine, et d’une philosophie naïvement optimiste qui pare la vulgarité de l’étiquette «progrès». Il rappelle aussi qui fait vraiment la loi à Atlanta. ... L’argent à la base de cet expansionnisme urbain est avant tout entre les mains des Blancs – très puissants de surcroît. C’est ici que Coca-Cola a son QG mondial, ainsi que la CNN et de multiples compagnies financières ou d’informatique. En circulant dans Atlanta, on se rend vite compte que les penseurs de l’espace urbain ont toujours gardé en tête le prix du terrain, mais qu’ils ont dès le début oublié ce qui fait l’âme d’une ville, les notions de communauté, de bon voisinage, de melting-pot social.
   Enfin, on atteint la Route 285, l’anneau de macadam qui enserre Atlanta et dont l’impeccable circularité, la similarité des espaces qu’elle traverse feraient la joie des sémiologues prêts à disserter sur «le confinement de la pensée dans le monde capitaliste occidental» ou «la construction curviligne de l’esprit américain». Plus modestement, cet immense périphérique m’a paru barbant au possible, et je me suis hâté d’en sortir, atterrissant dans la banlieue de Decatur. ...

Au pays de Dieu Récits, Douglas Kennedy, Belfond 2004 
Titre original : IN GOD’S COUNTRY : Travels in the Bible Belt, USA, publié par Unwin Hyman 1989

Damné échangeur Turcot

Un bordel infernal qui dure depuis 2011... Les travaux devraient être terminés en 2020.

Échangeur Turcot. Photo : La Presse

Quand Kennedy dit qu’à Atlanta on s’empressait «d’effacer toutes les traces du passé, même récent, à la manière d’un riche parvenu prêt à tout pour faire oublier son humble extraction», eh bien c’est pareil à Montréal.
   En avril 2015, les fondations d'un atelier de tannerie datant de la fin du XVIIIe siècle sont mises au jour. Suite à des fouilles archéologiques, ces vestiges sont détruits en septembre de la même année.

Le Village des tanneries démoli «en catimini», s'indigne l'opposition
«Alors que les archéologues nous avaient indiqué que des fouilles seraient faites jusqu'au 26 septembre prochain, les pépines sont arrivées ce matin afin de détruire les vestiges d'un site archéologique québécois d'importance», a indiqué la conseillère de Saint-Paul-Émard, Anne-Marie Sigouin, qui était sur place ce matin.
   Selon elle, «le silence de Denis Coderre a permis au MTQ de faire ce qu'il veut avec les vestiges. Avec un petit de peu de leadership sur cette question, le MTQ aurait eu à préserver une partie des ruines».

ICI Radio-Canada nouvelles, 19 septembre 2015

Découvrez l'impressionnant chantier du REM, le futur métro automatisé

Commencé il y a près d'un an, l'immense chantier du Réseau express métropolitain (REM) est en pleine activité. Des milliers de structures sont en cours d'assemblage dans la région métropolitaine, pour une ouverture progressive de ce métro léger automatisé, prévue d'ici la fin de l'année 2021.
   Depuis début juin, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, à quelques centaines de mètres de la future station Technoparc, une impressionnante poutre de lancement soutient les premiers voussoirs, pesant plus de 40 tonnes, qui accueilleront les futurs rails de ce métro.
   Au total, plus de 4000 voussoirs vont être assemblés au cours des prochains mois le long de cette structure aérienne de 13,5 km qui va relier la partie ouest de ce REM, jusqu’à Sainte-Anne-de-Bellevue.
   D’ici la fin de l’année 2021, la partie sud de ce REM, entre la Gare centrale et Brossard, sera inaugurée. L’année suivante, le REM circulera jusqu’à la station Du Ruisseau, située aux alentours de l’autoroute 15 et du boulevard Henri-Bourassa, dans le nord de Montréal.
   Enfin, en 2023, le REM sera pleinement fonctionnel et pourra se rendre à Deux-Montagnes, à Sainte-Anne-de-Bellevue et à l’aéroport Montréal-Trudeau.

Photo : La Presse

La station Bassin Peel dévoilée dans l’année
Si l’ensemble du projet semble bouclé, une incertitude demeure : l’emplacement de la station du Bassin Peel, la seule à ne pas avoir été dévoilée.
   L’enjeu est important puisque ce secteur de Griffintown est en plein développement et que la construction d’un stade y est envisagée dans le cadre d’un retour du baseball majeur à Montréal. Cette station pourrait ainsi être le point de ralliement de dizaines de milliers de spectateurs chaque semaine.
   À cet endroit, cette station sera aérienne. Le REM utilisera le nouveau pont Samuel-De Champlain, avant d’emprunter un tunnel souterrain au niveau de la Gare centrale, jusqu’au tunnel Mont-Royal, en passant par la station Édouard-Montpetit, en plein cœur de la ville, construite à 70 mètres sous terre.
   Des discussions sont actuellement en cours avec la Ville de Montréal, ont indiqué les représentants de NouvLR. Une décision sera prise d’ici la fin de l’année, ont-ils précisé.
   Il n’est d’ailleurs pas exclu du côté de NouvLR que l’inauguration de cette station se fasse après l’ouverture du REM sur ce tronçon, même si l'objectif demeure une ouverture simultanée.

ICI Radio-Canada nouvelles, 18 juin 2019 (incl. vidéo)   

L’abominable projet Royalmount  

Ou comment défigurer une métropole. Là on tombe dans le style Hongkong.
Hongcouver, Hongréal... peut-être Hongbec un jour, qui sait?
   Malgré la vive opposition au projet, tant des urbanistes et ingénieurs que des environnementalistes, l’administration Plante l’a approuvé, sous réserve de quelques petites modifications. Il s’agit d’un monstre énergivore et émetteur de GES situé à la jonction des autoroutes 15 et 40, qui entraînera des congestions routières hors de proportion dans une zone déjà très critique.


Une protubérance cancéreuse pire que le DIX30 au cœur de Montréal. Le centre commercial devrait inclure cinq hôtels, entre 4 et 6 tours à bureaux (logeant 15 000 employés), 200 commerces, 100 restaurants/bars, un théâtre, un cinéma, deux salles de spectacle, un aquarium et un parc aquatique.
   Complètement fou! On est à des années lumière de la consommation responsable, de la protection de l’environnement, du commerce indépendant, de l’achat local et des commerces de quartier.
   Comment le promoteur privé Carbonleo a-t-il réussi à convaincre la Ville de Montréal? Les alléchantes entrées fiscales pour les arrondissements concernés font partie du jeu bien sûr. Mais doivent-elles prendre le dessus sur toute forme de raison?! Peut-on encore «acheter» des votes de fonctionnaires municipaux? On est en droit de se le demander...


Les projets mercantiles et stériles des promoteurs élargissent le fossé entre riches et pauvres. Il est évident qu’ils veulent nettoyer les alentours des espaces qu’ils achètent. Parfois, certaines villes exigent que des logements sociaux et des écoles soient intégrés. Mais ces impératifs disparaissent des contrats comme par magie.

À la frontière de Westmount... un quartier qui dérange

Le projet de réaménagement de l’Hôpital pour enfants de Montréal, confié aux acheteurs/promoteurs Devimco et Hight-Rise Montreal (HRM), devait initialement inclure une école, un centre communautaire une tour de logement social – il ne s’agit pas d’HLM, mais de logements pour familles à prix abordable. En mars 2018, le promoteur disait que 80 % de ses condos étaient vendus et qu’il n’y avait donc plus de place pour une école primaire.


L’organisme communautaire Interaction du quartier Peter-McGill espérait que les promoteurs changeraient d’idée.

Journal de Montréal, 3 juillet 2019 :

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a invité aujourd'hui le promoteur High-Rise Montreal «à honorer sa part du contrat social» et à construire les logements sociaux promis sur le site de l’ancien Hôpital de Montréal pour enfants (Children’s).
   En matinée, notre Bureau d’enquête révélait que les négociations entre la Ville de Montréal et le promoteur piétinent dans ce dossier. Le prix d’achat de l’édifice de 175 logements est le principal point de discorde.
   Mais pour la mairesse, il est «hors de question» de laisser tomber les logements sociaux pour familles ou même de les construire ailleurs. «Je vais laisser les négociations se faire, mais pour moi, ça devrait se faire sur le site, comme il avait été convenu au préalable», soutient Mme Plante.
   En 2016, le gouvernement du Québec a vendu le Montreal Children’s Hospital pour 25 millions $ à des promoteurs privés, soit un prix bien inférieur à celui de l’évaluation municipale.
   Les promoteurs souhaitaient bâtir cinq tours à condos. Mais selon le zonage municipal, le terrain ne pouvait pas accueillir de résidences.
   Pour faire accepter leur projet, les promoteurs Devimco et High-Rise Montreal (HRM) ont promis des mesures comme un centre communautaire et des logements sociaux pour familles. La construction d’une école primaire avait aussi été évoquée.
   Sur ces bases, la Ville a modifié le zonage, autorisé la démolition de l’ancien hôpital et donné un permis de construction.
   Or, un peu plus d’un an après que le projet d’école a avorté, notre Bureau d’enquête a appris que celui de logements sociaux est aussi en péril.
   HRM a déjà indiqué à la direction de l’habitation de la Ville qu’elle préférerait payer une pénalité de 6,2 M$ plutôt que construire des logements sociaux.
   L’entreprise des hommes d’affaires Philipp Kerub et Sarto Blouin a aussi spécifié à la Ville avoir un plan B pour l’édifice qui abriterait les logements sociaux. Il pourrait s’agir d’autres condos ou même d’un hôtel. Une entreprise hôtelière aurait déjà démontré de l’intérêt.
   L’an dernier, la Commission scolaire de Montréal et la Ville n’ont pas réussi à s’entendre avec Devimco sur la construction d’une école, notamment en raison du prix de location réclamé par le promoteur.
   Le centre communautaire, de son côté, verra bel et bien le jour. Toutefois, la Ville devrait payer au propriétaire la rondelette somme de 1,5 M$ par an pour occuper cet espace.


Y a-t-il des parvenus qui veulent des familles et des enfants qui jouent dehors près de leurs condos de luxe? Voyons donc! En passant, le groupe Devimco était derrière la gentrification du quartier Griffintown.
   Avec la gentrification des quartiers et les agressives tentatives de faire disparaître les classes sociales «indésirables» du paysage, on verra peut-être des parcs de réfugiés urbains, adjacents aux quartiers riches ou en périphérie des villes, comme on en voit partout dans le monde.

Le photographe Johnny Miller a décidé de montrer les inégalités sociales en milieu urbain, qui existent côte à côte, généralement cachées derrière des murs ou des barrières visuelles. L’utilisation d’un drone change radicalement la perception qu’on peut en avoir au ras du sol...

«... Les cicatrices à l'intérieur de notre tissu urbain, si apparentes vues d'en haut, peuvent provoquer un sentiment de surprise («je ne savais pas que c’était si grave!»)... Elles révèlent aussi notre complicité vis-à-vis de la privation systématique des droits. Nous vivons dans des quartiers et participons à des économies qui renforcent les inégalités. Nous nous habituons à la routine et tenons pour acquis l'environnement bâti de nos villes. Nous sommes choqués de voir des cabanes de fer blanc et des maisons de riches en rangées bien ordonnées, délimitées par des clôtures, des routes et des parcs... Mais c'est à échelle aérienne qu’on voit la nature systémique des inégalités et son infaillible répétition à travers les régions géographiques. Ce n'est pas physiologique – c’est de la marginalisation et de la privation de droits planifiée et intentionnelle.
[...]  
   Ne vous y trompez pas – Unequal Scenes est un acte de défi. Je défie les structures de pouvoir traditionnelles qui cachent si bien ces inégalités dans toutes les directions, sauf directement au-dessus. Si les images provoquent des sentiments inconfortables de peur, de désespoir ou une prise de conscience déstabilisante de notre complicité – parfait! c’est leur but.»

Aerial photos reveal the stark divide between rich and poor

Unequal Scenes - by Johnny Miller

Inequalities in our social fabric are oftentimes hidden, and hard to see from ground level. Visual barriers, including the structures themselves, prevent us from seeing the incredible contrasts that exist side by side in our cities.

Unequal Scenes uses a drone to illustrate the inscribed history of our world in a new way. The scars within our urban fabric, so apparent from above, can provoke a sense of surprise (“I didn’t know it looked that bad!”)…But also reveal our complicity in systematic disenfranchisement. We live within neighborhoods and participate in economies that reinforce inequality. We habituate ourselves with routines and take for granted the built environment of our cities. We’re shocked seeing tin shacks and dilapidated buildings hemmed into neat rows, bounded by the fences, roads, and parks of the wealthiest few…But it’s the very scale and unerring regularity across geographic regions which points to the systemic nature of inequality. This is not organic – this is planned and intentional disenfranchisement.

By placing a non-human photographic actor – in this case, a remote-controlled drone – above these liminal spaces, a new vantage point is reached, previously reserved for the government and the very rich. The drone distances the photographer and the viewer of the photograph, both physically and mentally, and provokes an analysis of the distant gaze. It forces us to confront the ethics of representation, and the limitations (and freedom) of using technology in image-making. How far does the drone need to be from the ground in order to reach an “ethical” altitude? Who should have access to the airspace and to the drone technology? Are drone images fundamentally different than a Google Earth image or a printed map?

Make no mistake – Unequal Scenes is an act of defiance. I defy the traditional power structures that keep these inequalities hidden so well from every direction except directly above. If the images provoke uncomfortable feelings of fear, despair, or an unsettling realization of complicity – good. They are intended to.

Cape Town, South Africa - June 2018

Toutes les photos du projet: 

 
Papwa Sewgolum Golf Course, Durban 

 
Lake Michelle, Masiphumelele, Cape Town 

 
Kya Sands, Bloubosrand 

 
Sante Fe, Mexico City 

 
Mumbai 

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