18 juillet 2019

Dans les couloirs du gaz

L’industrie gazière mondiale est une prison où nous avons le sentiment d’être des condamnés à mort. Comme eux, nous ignorons la date et l’heure de notre exécution, où nous grillerons sur le barbecue au gaz. L’attente est une forme de torture qui nous plonge dans une anxiété permanente. On a trouvé un joli mot – écoanxiété – pour décrire le sentiment d’impuissance qui augmente proportionnellement au nombre de désastres environnementaux dont nous sommes témoins partout sur la planète (1).

Crédit photo : Andrew Burton / Getty Images. Torchage au gisement de Bakken (Dakota du Nord, USA)

En 1988, Douglas Kennedy a conclu son voyage dans la Bible Belt par la visite d’une prison à haute sécurité pour les criminels condamnés à la peine capitale (chaise électrique). Les méthodes de l’époque étaient loin d’être efficaces!   
   «L’afflux des deux mille volts le projettera en avant, captif des courroies. Pendant ces deux minutes de choc électrique constant, l’occupant de la chaise perdra le contrôle de son organisme ... des flammes jailliront peut-être des électrodes assujetties à sa tête et à sa jambe. Il arrive assez fréquemment que la décharge initiale ne soit pas fatale et qu’il en faille d’autres pour achever le condamné. Dans un cas particulièrement sinistre, en Alabama, en 1983, pas moins de trois électrocutions à mille neuf cents volts, administrées au cours de quatorze interminables minutes, ont été nécessaires pour constater le décès d’un homme condamné pour homicide... Comme si cela n’avait pas suffi, l’électrode de sa cheville avait fini par griller et avait dû être remplacée avant la deuxième décharge. Des témoins avaient vu la fumée s’élever de la tempe gauche et de la jambe.
   «C’est comme quand on jette un steak sur le gril d’un barbecue chauffé à blanc», m’a assuré un habitué du ‘couloir de la mort’ qui avait assisté à plusieurs exécutions. «Dans tous les cas [...], la mort survient, mais c’est un processus qui peut être long et affreusement douloureux. Le temps de l’agonie varie selon les sujets, certains ayant une plus grande résistance psychologique que d’autres. Je ne pense pas que quiconque décède instantanément. [...] Cette méthode d’exécution est en réalité une forme de torture.» L’attente du moment de l’exécution constitue une torture psychologique des plus redoutables. Les condamnés à la chaise électrique passent en général cinq and, voire plus, en prison avant de s’y asseoir, le temps que la machine judiciaire traite leur appel. Il n’est donc pas surprenant que ces quartiers soient un foyer de dépressions, de crises de démence. [...] «Tu peux me croire : le criminel en col blanc, tu le rencontreras pas là-bas.» Plus généralement, dans le monde sans barreaux, combien sont ceux qui se sentent «condamnés» eux aussi? Prisonniers d’un couloir de la mort qui a pour nom destin? ~ Douglas Kennedy (Au pays de Dieu – Récits; Belfond 2004) 

Nous pourrions aussi périr englués dans une nappe de pétrole sur terre ou en milieu marin. La prison pétrolière mondiale n’a aucune frontière.  

Une bolée de substances toxiques de plus pour les baleines et toutes les espèces marines de l’Atlantique...  En janvier 2014, six mille litres de pétrole avaient fui de la plateforme Hibernia.  

Terre-Neuve : incident sur une plateforme pétrolière, déversement en mer
Agence France Presse Montréal 17 juillet 2019


Le producteur américain d’hydrocarbures ExxonMobil a annoncé mercredi qu’un mélange d’eau et de pétrole s’était déversé dans l’Atlantique Nord, à partir de la plateforme Hibernia située au large de l’île canadienne de Terre-Neuve, formant une nappe de près de deux hectares.

«Un mélange d’eau et de pétrole a été déversé depuis l’un des réservoirs de la plateforme ce matin (mercredi)», a indiqué dans un communiqué HMDC, le consortium exploitant Hibernia dans lequel ExxonMobil détient 33 %, aux côtés notamment de Chevron (27 %), de Suncor (20 %) et d’Equinor, ex-Statoil, (5 %).
   Après avoir d'abord maintenu les opérations, il a été décidé en fin de journée d'«arrêter la production de manière préventive et temporairement », a déclaré Scott Sandlin, président du consortium.
   HMDC a ouvert une enquête et «cherche actuellement à déterminer le volume de pétrole qui a été rejeté», ajoute le consortium, soulignant que des estimations préliminaires ont fait état d’une nappe de 20 mètres de large sur 900 mètres de long qui «se dissipe».
   La plateforme Hibernia, située à 315 km à l’est de Saint-Jean de Terre-Neuve, est entrée en production en 1997. Le gisement qu’elle exploite, par pompage sous-marin, possède des réserves estimées à plus de 1,2 milliard de barils de pétrole.
   Selon le consortium, il s’agit d’un incident «isolé» et «tout le personnel de la plateforme est en sécurité».
   Après avoir découvert cette nappe, les employés d’Hibernia ont procédé à «une dispersion mécanique» et ont «déployé des barrages absorbants» à partir d’un navire.
   En outre, ajoute le communiqué, une bouée a été déployée sur la nappe afin de la suivre dans l’Atlantique Nord.
   Cette zone de l'Atlantique Nord étant choyée par la faune marine, et en particulier par plusieurs espèces menacées de baleines, des «observateurs animaliers ont été mobilisés», par voies maritime et aérienne, mais ils n'ont aperçu aucun animal jusqu'à présent, a affirmé le consortium.
   Contacté par l’AFP pour savoir quelle direction le pétrole avait pris, et s’il y avait un risque pour la faune dans cette zone où frayent nombre de baleines, ExxonMobil s’est refusé à tout autre commentaire.

~~~
L’Atlantique Nord est une des mers les plus dangereuses au monde. L’exploitation des gisements qui s’y trouvent présente donc des défis et des dangers. D’une part pour l’environnement et d’autre part pour les personnes qui y travaillent.

La plate-forme pétrolière Hibernia GBS a la particularité d'être la plus grande installation de forage maritime jamais construite par l'homme. Cette île de béton et d'acier repose par 200 mètres de fond et s'élève à cinquante mètres au-dessus de la surface de l'Atlantique. Située au sud-est de Terre-Neuve, elle est spécialement conçue pour résister aux impacts des icebergs dérivant l'été. Et, depuis 1998, près de cent personnes travaillent continuellement sur Hibernia GBS. Cette plate-forme pharaonique est située dans un couloir d’icebergs, et près des vestiges du Titanic.  
   Voyez les étapes de la construction de ce monstrueux perturbateur environnemental.

Qui est l’irresponsable qui a donné son aval à Hibernia? L'ancien premier ministresBrian Mulroney, en 1988! La plateforme Hibernia a été réalisée par un consortium formé du gouvernement fédéral et de pétrolières. Près de 6 milliards $ de fonds publics ont été investis dans sa construction.
   20 ans plus tard, quatre champs pétrolifères sont exploités au large de Terre-Neuve-et-Labrador, dont la plateforme Hebron (14 milliards de dollars) achevée en 2016. Néanmoins, l’exploration pétrolière est en déclin dans la région. 

(1) Principaux déversements et fuites de pétrole en 2019

Déversements et fuites connus (de 1965 à 2019). Sans mauvais jeu de mots, c’est renversant!  

 
~~~
S’allonger sur un mort peut-il le ressusciter? 

(J'ai malheureusement égaré le nom de l'artiste irlandaise qui a créé cette sculpture) 

Sommes-nous totalement impuissants?

«En colonisant les gouvernements, les grandes entreprises fabriquent un monde de conformité et de consumérisme.
   Comment fabriquez-vous un monde édulcoré, dépolitisé, un consensus construit autour de la consommation et de la croissance infinie, un monde  de rêve basé sur le matérialisme, la dette et l'atomisation où toutes les relations peuvent être préfixées d’un signe de dollar, où nous cessons de lutter pour le changement? Vous déléguez vos pouvoirs à des compagnies dont les profits dépendent de ce modèle.
   Le pouvoir est transféré vers des milieux où nous n'avons ni voix ni vote. Les politiques internes sont forgées par des conseillers spécialisés en marketing politique (spin doctors), par des groupes et des comités consultatifs farcis de lobbyistes. L’état en tire son propre pouvoir de réglementer et de diriger. Simultanément le vide démocratique au coeur même de la gouvernance mondiale se remplit (sans l’ombre d’un consentement) de bureaucrates internationaux et de cadres d'entreprises. Les ONG autorisées à se joindre à eux ne représentent intelligiblement ni la société civile ni les électorats. (Et je vous en prie, épargnez-moi le bêtisier sur la démocratie des consommateurs ou des actionnaires : dans les deux cas, certaines personnes obtiennent plus de votes que d’autres, et celles qui en obtiennent le plus sont celles qui sont les moins enclines à pousser en faveur du changement).» ~ George Monbiot (Loved to death)

«Mais à qui profite la croissance [économique]? Aux gens qui gèrent ou possèdent les banques et les fonds spéculatifs, aux compagnies minières, aux sociétés de publicité, aux lobbies d’entreprises, aux fabricants d'armes, aux agents immobiliers, aux gérants de portefeuilles et de paradis fiscaux. Un marketing très intense et omniprésent, équivalant à un lavage de cerveau, veut nous amener à considérer le système comme nécessaire et souhaitable. Un système qui menace notre sécurité, nous rétrécit et nous appauvrit, mais qu’on nous présente comme la seule solution possible à tous nos problèmes. Il n'y a pas d'alternative – nous devons gravir la falaise. Quiconque remet le système en question est ignoré ou vilipendé.
   Qui sont les autres bénéficiaires? Eh bien, ce sont les plus grands consommateurs dont la façon d’utiliser leur spectaculaire fortune a des impacts des milliers de fois plus significatifs que celui de la plupart des gens. Une grande partie du monde naturel est détruit afin que les très riches puissent monter sur leurs yachts en bois d'acajou, mangent des sushi au thon rouge, saupoudrent de la corne de rhinocéros sur leurs plats, atterrissent en jets privés dans des aérodromes sculptés à même des terres rares; ils consomment en un jour la quantité de carburant fossile que les citoyens moyens consomment globalement en un an.
   Voilà comment le Grand Polissage Mondial fait son chemin, détruisant les réserves de la Terre, dérobant tout ce qui est distinct et inusité (tant dans la culture humaine que dans la nature), faisant de nous des automates remplaçables au sein d’un effectif mondial homogène, transformant inexorablement les richesses du monde naturel en monocultures monotones.
   N'est-il pas temps de crier STOP et de nous servir de l’extraordinaire apprentissage et expertise que nous avons acquis pour changer la façon dont nous nous organisons? N’est-il pas temps de contester et d’inverser les tendances qui ont gouverné notre relation à la planète vivante depuis des milliers d’années, et dont nous sommes en train détruire les dernières caractéristiques à une vitesse ahurissante? N'est-il pas temps de contester la croissance illimitée sur une planète limitée? Si ce n'est pas maintenant, ce sera quand?» ~ George Monbiot (The Kink in the Human Brain)

Aucun commentaire:

Publier un commentaire