23 mai 2019

Vincent Lambert : Prométhée enchaîné

Quand j’ai entendu à la radio la déploration de Viviane Lambert, accompagnée d’un chœur de lamentations pro-vie, j’ai cru que c’était une bande-annonce pour une tragédie grecque, version 21e siècle.
   Cette femme fait de son fils tétraplégique un Prométhée (Titan) :
Zeus ayant kidnappé et enchaîné Prométhée, il le condamne à être torturé par un aigle qui lui dévore éternellement le foie – celui-ci se régénère parce que le Titan est immortel.

Les bourreaux de Vincent Lambert sont ses propres parents dont les croyances religieuses et l’attachement égoïste prévalent sur son bien-être et l’empêchent de quitter sa prison physique dignement et en paix. Cela fait plus de dix ans que le pauvre homme est maintenu artificiellement en vie. Et avec les moyens d’aujourd’hui, aucun espoir de mourir de mort «naturelle» comme disent les catholiques. Aucune compassion, l’église d’abord. 


Je ne veux pas minimiser la peine des parents, mais ils auraient pu amorcer leur deuil il y a quelques années :
«Toutes les expertises médicales ont conclu au caractère irréversible de son état.» En 2018, le rapport des experts, remis le 18 novembre, concluait à un «état végétatif chronique irréversible» qui ne lui laissait plus «d’accès possible à la conscience». «Vincent Lambert est dans un état d’incapacité fonctionnelle psychomotrice totale en 2018 comparable cliniquement à celui enregistré en 2014», disaient-ils. L'«affaire Lambert» est devenue un symbole du débat sur les soins de fin de vie dans l'Hexagone.

Résumé du cas Lambert (ICI Radio-Canada / nouvelle) :

Le cas est loin d’être unique, alors pourquoi tout ce bruit médiatique? On suppose qu’il faut avoir des ressources financières importantes pour entamer ces procédures : saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le Conseil d’état français et la Cour d’appel de Paris, déposer des poursuites contre le Dr Sanchez (directeur du service des soins palliatifs et de l’unité des «cérébrolésés» de l’hôpital de Reims) et réclamer sa radiation.


Cet aspect de la cause m’intrigue. On dit que les Lambert sont proches de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). La secte catholique aide-t-elle financièrement les parents et mobilise-t-elle des manifestants à des fins de propagande anti «aide à mourir dans la dignité»? Est-ce que par hasard on instrumentaliserait le fils? Il est permis de se poser la question en période de tsunami religieux ultra conservateur (mondial). Quand le Pape s’en mêle...
   Un journaliste de L’OBS écrivait au sujet de la FSSPX : «[...] Autre fait notoire : les écoles, implantées en pleine campagne, vivent en totale autarcie puisque les enfants scolarisés y vivent souvent en pensionnat. Les locaux? Ils sont souvent prêtés ou donnés par des bienfaiteurs de la Fraternité, châteaux, abbayes, ou monastères : la FSSPX, qui a son siège en Suisse, est une organisation internationale. Et riche. Avant, ces intégristes étaient marginaux. Aujourd'hui, leur discours identitaire, très réac, est en phase avec un certain air du temps. Cela les conforte. En ‘éducation civique’, on apprend à ‘reconnaître la race blanche’.»
   En outre, la FSSPX a multiplié les appuis à des partis politiques d’extrême-droite (dont le Front national) au cours des dernières décennies. Dans une perspective «national-catholique», on y vénère d’anciens héros fascisants tels les espagnols Primo de Rivera et le général Franco, le rexiste Léon Degrelle, le maréchal Pétain qui collabora avec les nazis, etc.

Le cas Lambert est un copié-collé de la situation vécue par l’écrivain espagnol Ramón Sampedro à qui on a toujours refusé l’aide à mourir – un combat contre les autorités politiques et religieuses et l’égoïsme de ses proches qui le «condamnaient à vivre». Contrairement à  Vincent Lambert, Sampedro était conscient; il pouvait penser, lire et parler. Quand on y songe, c’est pire que d’être inconscient! 
   Néanmoins son cas aura servi à faire avancer l’accès à mourir dans la dignité en certains pays plus évolués, c'est-à-dire non soumis aux dictats des croyances religieuses. Au Canada, les pro-vie et les associations chrétiennes de médecins essaient encore de mettre des bâtons dans les roues (1). Rien n’est acquis. Même combat que pour l’avortement. On ne respecte pas les droits des non-croyants qui par ailleurs ne montent pas aux barricades pour réclamer des accommodements. Peut-être qu'un jour il faudra s'y mettre... 

Photo : Xosé Manuel Albán, 20 février 1995

Résumé – Ramón Sampedro Cameán, né le 5 janvier 1943 dans la commune de Porto do Son en Galice (Espagne) est mort le 12 janvier 1998 à Boiro. Il a milité toute sa vie pour l'euthanasie.
   Devenu tétraplégique à l’âge de 25 ans à la suite d'un accident (plongeon), il s'est battu durant vingt-neuf ans pour le droit à l'euthanasie. Au terme d'une longue bataille juridique qui ne lui permit pas de se voir donner la mort légalement, Ramón Sampedro décida de mettre lui-même un terme à son existence. Le 12 janvier 1998, il se donna la mort avec l'aide de onze amis. Aucun de ses complices ne fut accusé car Sampedro brouilla habilement les pistes, chacun ayant une mission secrète ne l'impliquant pas de façon certaine dans la mort de leur ami : l'un avait les clefs de son domicile, l'autre acheta le cyanure de potassium, le suivant plaça le verre sur la table de nuit, le quatrième plongea la paille et ainsi de suite jusqu'au dernier qui filma Ramón, sourire aux lèvres, quelques secondes avant sa mort.
   Son amie Ramona Maneiro a été arrêtée quelques jours après son décès mais n'a pas été condamnée par manque de preuves. Sept ans après, dès que le délit eut été prescrit, Ramona a admis dans une émission de télévision avoir facilité pour Ramón l'accès au poison ayant causé sa mort et avoir enregistré la vidéo où celui-ci a prononcé ses derniers mots. (Wikipédia)

À voir ou revoir :
La vie de Ramón Sampedro a été portée à l'écran en 2004 dans le film Mar adentro d'Alejandro Amenábar. Précédemment, en 1999, elle avait inspiré un long métrage galicien intitulé Condenado a vivir (Condamné à vivre). 

Dans une vraie société laïque, capable de considérer le corps physique comme une «propriété privée», Ramon Sampedro n’aurait pas été contraint d’élaborer un scénario de la sorte pour épargner ses amis d’éventuelles poursuites judiciaires. Et, il aurait pu mourir en paix et en douceur. Dans son dernier message adressé aux juges et aux autorités politiques et religieuses, il disait : Je considère que vivre est un droit, pas une obligation comme ce le fut pour moi, obligé de supporter cette pénible situation durant 28 ans, quatre mois et quelques jours. 

(1) Les convictions morales ou religieuses des médecins 

Médecine : les objecteurs de conscience demandent à ce que leurs droits soient respectés
   Des associations chrétiennes de médecins affirment qu'il existe d'autres options que l'orientation d'un patient pour permettre à leurs objecteurs de conscience de se soustraire à deux directives de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario qui sont contraires à leurs convictions morales ou religieuses. Ces associations en appellent devant le plus haut tribunal de la province d'une décision d'un tribunal inférieur qui a conclu en 2017 qu'il est justifié de brimer la charte des droits et libertés pour offrir un accès équitable à des services de santé.
   La Société médicale et dentaire chrétienne du Canada, la Fédération des sociétés de médecins catholiques du Canada et l'Association canadienne des médecins pour la vie affirment au contraire que les croyances religieuses de leurs membres sont protégées par la charte et qu'il existe d'autres options pour assister un patient que celle de déléguer ses responsabilités à un collègue qui n'aurait aucune objection de conscience au sujet de questions morales.
(ICI Radio-Canada / info, 21 janvier 2019)
                                          
Au Québec, en 2013, avant l’adoption du projet de loi «Mourir dans la dignité», les regroupements contre l’euthanasie (voulue par le patient) pullulaient : Réseau des soins palliatifs du Québec, Alliance des maisons de soins palliatifs, Association des soins palliatifs,  Société québécoise des médecins de soins palliatifs, Collectif de médecins du refus médical de l’euthanasie, Vivre dans la dignité, Coalition des médecins pour la justice sociale, Rassemblement québécois contre l’euthanasie, etc.

Aide médicale à mourir : le tiers des demandes n’ont pas été administrées
   ...Le rapport déposé mercredi fait dire à des militants pour l’aide médicale à mourir qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. Le président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité est d’avis qu’on pourrait diminuer le nombre de demandes refusées avec des mesures rapides.
   «Il faut absolument travailler à élargir les critères. Les patients qui ont des pathologies chroniques et incurables, des maladies neurodégénératives, doivent obtenir le droit à l’aide médicale à mourir lorsqu’ils le demandent. Il faut faire enlever le critère de fin de vie, tout en gardant les autres critères», insiste le Dr Georges L’Espérance, qualifiant la condition de «médicalement stupide».
   Il demande aussi qu’on oblige les maisons de soins palliatifs à offrir l’aide médicale à mourir. «On a vécu des choses abominables. Un patient qui se fait sortir d’une maison en plein mois de janvier parce qu’il a demandé l’aide médicale à mourir, c’est inacceptable», tonne le médecin, appuyé sur ce point par Yvon Bureau, un autre militant de longue date. «Il faut que ça se termine au plus sacrant pour qu’elles deviennent des maisons de fin de vie, plutôt que de soins palliatifs seulement».
   Les écarts dans l’offre entre les régions du Québec inquiètent aussi les intervenants qui déplorent que les patients de Montréal doivent notamment lutter contre «une forte résistance». «Il y a 2 médecins dans tout le CHUM qui acceptent de le faire. C’est inacceptable», estime le Dr L’Espérance.
(Le journal de Québec, 3 avril 2019) 

COMMENTAIRE :  

J’ai eu l’occasion de fréquenter un zoo de «soins prolongés» puisque ma mère a dû y finir sa vie. Parmi la clientèle en perte d’autonomie, on retrouve à chaque étage un mélange de patients de tous âges. Certains sont totalement lucides, d’autres séniles, d'autres atteints d’Alzheimer, et d’autres souffrent de graves troubles psychologiques. On entend les patients se chamailler, crier, hurler; certains volent, attaquent, et ainsi de suite. Impossible d’avoir la sainte paix en pareil endroit, sauf une fois que tout le monde a été assommé avec des somnifères et des antidépresseurs. Ils font des «crises» parce qu’ils ne veulent plus vivre d’humiliations, avaler leurs médicaments et recevoir des traitements contre leur gré. Mais étant donné leur extrême vulnérabilité, ils sont impuissants face à cette abrutissante routine quotidienne utilisée pour les réprimer.  

«Il faut avoir au moins une certitude : celle de rester maître de sa mort et de pouvoir en choisir l'heure et le moyen.» ~ Milan Kundera (La valse aux adieux

Si le sujet vous intéresse voyez le libellé "Euthanasie". 

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