15 mai 2019

Damnée violence humaine

La correspondante en Afrique pour Radio-Canada, Sophie Langlois, a récemment réalisé deux reportages. L’état des lieux en RDC en matière de violence et d’exploitation des humains, qui ont atteint un paroxysme. Le monde révoltant de l’avidité industrielle et commerciale, de l’appât du gain sauvage et de la sacro-sainte croissance économique des obsédés du cash. C’est d’une tristesse infinie.

La journaliste a rencontré le Dr Mukwege qui ne s’explique pas pourquoi le monde entier laisse ces profanations se perpétuer, malgré toutes les dénonciations et les appels au secours.

Denis Mukwege, «l’homme qui répare les femmes»

Le Congolais Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018 soigne les rejetées de la société et se bat pour qu’on cesse de violer les corps et les droits des femmes. Nous l’avons rencontré dans son hôpital, à Bukavu.
   Depuis qu’on a failli le tuer, en 2012, le gynécologue Denis Mukwege vit dans un petit pavillon de l’hôpital de Panzi, sous la surveillance constante de gardes du corps et de Casques bleus de l’ONU. Le matin de notre rencontre, le gynécologue vient de passer une partie de la nuit à opérer. Il débute quand même sa journée à 8 h; il rejoint des collègues pour visiter des patientes opérées récemment.

«Quand j’ai vu les lésions du bébé, le rectum, le vagin, la vessie, les intestins qui sortaient, pour moi, c’était trop. Ce sont des atrocités que les animaux ne font pas.»

Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle Amnazo Shindano tient dans ses bras sa fille de sept mois. La petite Thérèse a été violée par des hommes armés.
Ndlr : ces hommes étaient drogués ou quoi? comment peut-on faire ça! Le coeur me lève.

«Je peux vous montrer ici, nous dit-il, un bébé de 7 mois, violée. Si ça arrivait à Montréal, je crois que tous les Montréalais diraient “non, c’est inacceptable”». Le médecin souhaiterait que le monde partage la souffrance de cette mère en se disant «cela pourrait être mon enfant».
   «Partageons-nous encore la même humanité, qu’est-ce qu’il faut pour que les gens agissent?» – Denis Mukwege
   Le médecin fait le tour de la planète pour raconter les horreurs qu’il voit au quotidien. Ses cris du coeur choquent et indignent les citoyens partout dans le monde, mais chez lui, rien ne change.
   Le gouvernement congolais, qui le menace régulièrement, a tout fait pour l’empêcher de recevoir le prix Nobel de la paix, sans succès. En décembre 2018, à Oslo, le gynécologue accueille l’honneur en livrant un puissant plaidoyer.
   «J’ai moi-même un cellulaire, ces objets contiennent des minerais qu’on trouve chez nous, souvent extraits dans des conditions inhumaines par de jeunes enfants, qui sont victimes d’intimidation et de violences sexuelles.» – Denis Mukwege le 11 décembre 2018
   La majorité des femmes soignées à l’hôpital de Panzi proviennent de villages miniers. Les violences dans ces régions demeurent un fléau, même quand les conflits armés s’apaisent.
   «Se décourager, ce serait donner raison aux barbares qui font cette exploitation humaine.» – Denis Mukwege
   Selon lui, l’exploitation de minerais comme le coltan provoque ces violences. «À la fin, si j’ai mon cellulaire, c’est parce qu’un enfant de six ou sept ans travaille comme un esclave dans les mines. Pourquoi personne ne fait d’effort pour arrêter cette barbarie?»

Article intégral 

Le second reportage de Sophie Langlois témoigne des conditions de vie ignobles et inhumaines générées par les exploitations minières. À lire aussi.

Du sang dans nos cellulaires

Des montagnes belles à couper le souffle. Mais des enfants meurent dans ces collines à force de travailler dans des conditions dignes du Moyen Âge. Bienvenue au pays du coltan, le minerai qu’on retrouve dans nos cellulaires, nos ordinateurs portables, nos consoles de jeux, nos voitures électriques.
   De 70 à 80 % du coltan de la planète provient de la République démocratique du Congo, en grande partie des provinces du Sud-Kivu et du Nord-Kivu.
   La très grande majorité des 22 000 habitants de Numbi vit de l’exploitation des minerais. Les collines autour du village regorgent de coltan, de cassitérite (le minerai de l’étain), d’or, de manganèse, de tourmaline. Une richesse vécue comme une malédiction.
  
Photo : Radio-Canada/Frédéric Lacelle. Un creuseur casse de gros cailloux de coltan à coups de masse, dans une carrière près de Numbi.

Les populations qui exploitent ces minerais le font au prix de leur santé, de leur vie.
Au moins 40 000 enfants travaillent dans les mines en RDC, selon plusieurs ONG, qui dénoncent l’exploitation éhontée des creuseurs congolais. Amnistie internationale a enquêté sur les conditions de travail des enfants dans les mines et publié un rapport accablant intitulé Voilà pourquoi on meurt.

Photo : Getty Images/AFP/Junior D. Kannah. Un enfant sépare du minerai de la roche et du sable près de la mine de Mudere, dans la région de Rubaya, en RDC, le 28 mai 2013.

Les enfants sont plus souvent malades et victimes d’accidents, car ils sont plus faibles et plus petits. Parfois, seul un enfant peut entrer dans un trou de creusage.
   «J’ai déjà vu des jeunes entrer dans un trou, raconte Claudine Dusabe, une mère de 8 enfants qui a longtemps travaillé dans une mine de coltan. Malheureusement, il y a eu un éboulement, ils sont morts. Peu de temps après, on est venu les sortir de la terre. J’ai vu trois corps.»

La guerre du coltan
Le coltan est considéré comme un minerai qui alimente les conflits, comme les diamants du sang. Des organisations non gouvernementales qui travaillent dans les Kivu, dont Médecin sans frontières, font un lien direct entre l'exploitation des mines de coltan et la violence dans la région. La guerre dans l’est du Congo, liée à l’exploitation des richesses naturelles, aurait fait 5 millions de morts depuis 20 ans.

Article intégral

Les œuvres de Mark Twain (1835-1910) sont remarquables à plus d'un titre, notamment par leurs traits d'humour et la prise de distance permettant d'atteindre une observation particulière des problèmes humains. 
   De sorte qu’en lisant les reportages de Sophie Langlois, qui me font désespérer de l’espèce humaine, j’ai eu envie de publier la satire de Twain sur le genre humain dans son intégrité. Pour moi, ce n’est pas une satire... Twain arrivait à la même conclusion que le Dr Mukwege, à savoir que les humains commettent des atrocités que les animaux ne font pas.

Twain fait donc la démonstration que les animaux sont supérieurs aux humains. 
Garanti que vous rirez; mais son côté «téléréalité» vous laissera déconfit.

Damnée Race Humaine [Damned Human Race]
The lowest Animal; Letters from the Earth (1)
Par Mark Twain (écrit en 1909; première publication en1962)

Source de la traduction :

J’ai étudié les caractéristiques et les tempéraments des animaux «inférieurs» et je les ai comparés aux caractéristiques et tempéraments humains. Je trouve le résultat humiliant pour moi. Parce que cela m’oblige à renoncer à mon allégeance à la théorie de Darwin sur l’ascension de l’homme à partir des animaux inférieurs; depuis, il me parait clair que la théorie devrait être éliminée au profit d’une nouvelle théorie plus véridique, celle-ci devrait s’appeler La Descente de l’Homme à partir des Animaux Supérieurs.
   En cheminant vers cette conclusion déplaisante je n’ai pas deviné ou spéculé ni fait de conjectures, mais j’ai utilisé ce qui est communément admis sous le nom de méthode scientifique. C'est-à-dire que j’ai soumis chaque postulat qui s’est présenté au test impitoyable de l’expérience elle-même, et je l’ai adopté ou rejeté en fonction du résultat. J’ai ainsi vérifié et établi au fur et à mesure chaque étape de mon parcours avant de passer à la suivante. Ces expériences ont été faites avec une grande rigueur dans les Jardins Zoologiques de Londres, et ont nécessité de nombreux mois d'un travail minutieux et fatigant.

Avant de détailler ces expériences, je souhaite indiquer une ou deux choses qui semblent devoir être signalées maintenant, plutôt qu’après. Ceci afin d’être clair. L'accumulation des expériences a permis d’établir, à ma grande satisfaction, certaines généralisations, à savoir :
1. Que la race humaine est une espèce distincte. Elle montre de légères variations – en couleur, stature, niveau intellectuel, et ainsi de suite – en lien avec le climat, l’environnement et ainsi de suite; mais c’est une espèce en soi, qu'on ne peut confondre avec aucune autre.
2. Que les quadrupèdes constituent aussi une famille distincte. Cette famille montre des variations – en couleur, taille, préférences alimentaires, etc.; mais c'est une famille à elle seule.
3. Que les autres familles – oiseaux, poissons, insectes, reptiles, etc. – sont aussi plus ou moins distinctes. Elles font partie du cortège. Elles sont des relais de la chaîne qui part des Animaux Supérieurs et aboutit tout en bas à l'homme.

Certaines de mes expériences ont été plutôt curieuses. Au cours de mes lectures, j’ai découvert un cas où, il y a bien des années, des chasseurs de nos Grandes Plaines avaient organisé une chasse au bison pour le divertissement d’un comte anglais. Un sport charmant. Ils ont tué 72 de ces grands animaux; et ils ont mangé une partie de l’un d’entre eux et laissé pourrir les 71 autres. Afin de déterminer la différence entre un anaconda et un comte – s'il y en a une – j'ai fait mettre sept jeunes veaux dans la cage d’un anaconda. Le reptile reconnaissant a immédiatement étouffé l’un d’eux et l’a avalé, puis il est retourné s'allonger, satisfait. Il n’a plus manifesté aucun intérêt pour les autres veaux, et aucune envie de leur faire du mal. J’ai reproduit l’expérience avec d’autres anacondas, toujours avec le même résultat. Une preuve que la différence entre le comte et l’anaconda est que le comte est cruel et que l’anaconda ne l’est pas; le comte veut détruire ce dont il n’a pas besoin, mais pas l’anaconda. Ceci semble démontrer que l’anaconda ne descend pas du comte, et aussi que le comte descend de l’anaconda mais qu’il a beaucoup perdu au cours de la transition.
   J’avais conscience que beaucoup d’hommes qui avaient accumulés plus de millions qu’ils ne pourraient jamais en utiliser montraient un furieux appétit d’en accumuler plus, et n’avaient aucun scrupule à tromper l’ignorant et le démuni pour s’emparer de ses maigres ressources, pour apaiser partiellement cet appétit. J’ai fourni à une centaine d’animaux différents, sauvages et domestiques, l’occasion d’accumuler de grandes quantités de nourriture mais aucun d'eux ne l’a fait. Les écureuils, les abeilles et certains oiseaux stockaient, mais s’arrêtaient après avoir complété leur stock pour l’hiver, et on n'a pu les convaincre de l'augmenter, soit de façon honnête ou par la chicane. Afin de redorer sa mauvaise réputation, la fourmi faisait semblant de stocker de la nourriture, mais je n’étais pas convaincu. Je connais la fourmi. Ces expériences m'ont convaincu qu’il y a une différence entre l’homme et les Animaux Supérieurs : l'homme est avare et pingre; pas eux.
   Au cours de mes expériences, j’ai acquis la conviction que de tous les animaux, l’homme est le seul qui a recours aux insultes et aux injures, les rumine, attend qu’une occasion se présente, et se venge. La passion pour la vengeance est inconnue chez les Animaux Supérieurs. 
   Les coqs ont des harems, mais c'est avec le consentement de leurs concubines; aucun mal n'est donc fait. Les hommes ont des harems, mais par la force brutale, privilège obtenu par d'atroces lois où le sexe opposé n’a pas son mot à dire. Dans ce cas, l’homme occupe une place bien inférieure à celle du coq.
   Les chats ont une morale assez floue, mais ce n'est pas conscient. L’homme, en descendant du chat, a amené le flou du chat avec lui, mais a laissé le côté inconscient derrière (la grâce salvatrice qui excuse le chat). Le chat est innocent, l’homme non.
   L’indécence, la vulgarité et l’obscénité sont strictement spécifiques à l’homme; il les a inventées. On n’en trouve aucune trace chez les Animaux Supérieurs. Ils ne cachent rien; ils n’éprouvent pas de honte. L’homme, avec son esprit souillé, se camoufle. Il n'entrera même pas dans un salon torse et derrière nus, même si ses potes et lui ont d’indécentes idées derrière la tête. L’homme est un «Animal qui rit». Mais le singe aussi, comme l'a fait remarquer M. Darwin; et aussi l’oiseau Australien appelé «l’idiot rieur». Non! L'homme est un animal qui rougit. Il est le seul qui le fait ou a l’occasion de le faire.
   Au début de cet article, nous avons vu comment trois moines avaient été brûlés vifs il y a quelques jours, et un prieur mis à mort avec une atroce cruauté. Voulez-vous des détails? Non, sinon nous découvririons que le prieur a subi des mutilations qui ne sont pas imprimables. L’homme, si c'était un indien d’Amérique du Nord, arracherait les yeux de ses prisonniers; si c'était le roi Jean qui voulait calmer un neveu, il utiliserait une barre de fer chauffée à rouge; si c'était un religieux zélé s’occupant d'hérétiques au Moyen-âge, il les écorcherait vivants et leur mettrait du sel sur le dos; à l’époque des Richards, il enfermerait une multitude de familles juives dans une tour et y mettrait le feu; à l’époque de Christophe Colomb il capturerait une famille de juifs espagnols et ... mais ce n’est pas imprimable; de nos jours en Angleterre un homme aura une amende de dix shillings s’il bat sa mère presqu’à mort avec une chaise, et un autre aura une amende de 40 shillings pour avoir en sa possession 4 œufs de poule faisane s’il n’a pas d’explications satisfaisantes sur leur provenance. De tous les animaux, l’homme est le seul à être cruel. Il est le seul qui inflige de la douleur par plaisir. C’est un trait qu’on ne retrouve pas chez les Animaux Supérieurs. Le chat joue avec la souris apeurée; mais il a l’excuse de ne pas savoir que la souris souffre. Le chat est modéré – modérément inhumain : il fait seulement peur à la souris, il ne lui fait pas de mal; il ne lui arrache pas les yeux, ou ne lui écorche pas la peau, ou ne lui enfonce pas d’éclisses sous les ongles – à la manière des hommes; quand il a fini de jouer avec, il en fait tout de suite son repas ce qui met fin aux souffrances. L’homme est l’Animal Cruel. Il est le seul à mériter cette distinction.
   Les Animaux Supérieurs s’engagent dans des combats individuels, mais jamais en masses organisées. L’homme est le seul à commettre cette atrocité parmi les atrocités, la Guerre. Il est le seul à rassembler ses frères autour de lui et à avancer avec sang froid et calme pour exterminer son prochain. C'est le seul animal qui s'engagera pour un salaire minable, comme l’ont fait les Hessians (terme généraliste pour les soldats allemands mobilisés par les Britanniques) durant notre Révolution, et le jeune prince Napoléon pendant la guerre des Zoulous, pour massacrer des étrangers de sa propre espèce qui ne lui ont fait aucun mal et avec lesquels il n’a pas de contentieux.
   L’homme est le seul animal qui vole son pays à un gars sans défense – à en prendre possession, à l'en chasser ou à le détruire. L’homme fait cela depuis l'aube des temps. Il n’y a pas un hectare de terre sur le globe qui appartienne à son légitime propriétaire, ou qui n’a pas était enlevé à ses propriétaires successifs, cycle après cycle, par la force et les effusions de sang.
   L’homme est le seul à être esclave. Et il est le seul animal à asservir les autres. Il a toujours été esclave d’une manière ou d’une autre, et a toujours mis d’autres esclaves en état de servitude d’une manière ou d’une autre. De nos jours, il est toujours l'esclave d'un homme pour son salaire et il fait le travail de cet homme; et cet esclave a d'autres esclaves sous lui à salaire plus bas et ils font son travail. Les Animaux Supérieurs sont les seuls qui font exclusivement leur propre travail pour se procurer de quoi subsister.
   L’homme est le seul à être patriote. Il se met à part dans son propre pays, sous son propre drapeau, et se moque des autres nations, et garde sous la main une multitude d’assassins en uniforme au prix de lourdes dépenses pour voler à d'autres des bouts de pays, et les empêcher de mettre la main sur des bouts du sien. Et entre deux campagnes, il nettoie ses mains et travaille du clapet pour «la fraternité universelle de l’homme».
   L’homme est un Animal Religieux. Il est le seul Animal Religieux. Il est le seul animal qui a la Vraie Religion – même plusieurs. Il est le seul animal qui aime son voisin comme lui-même, mais lui coupe la gorge si sa théologie n’est pas correcte. Il a transformé le globe en cimetière en essayant de son mieux d’aplanir le chemin de son frère vers le bonheur et le paradis. Il faisait cela à l’époque des Césars, il le faisait à l'époque de Mahomet, il le faisait à l'époque de l’Inquisition, il l'a fait en France pendant deux siècles, il l’a fait en Angleterre à l'époque de la Reine Marie, il l’a fait depuis qu’il a vu la lumière, il le fait aujourd’hui en Crète, il le fera ailleurs demain. Les Animaux Supérieurs n’ont pas de religion. Et on nous dit qu’ils seront laissés pour compte dans l’après vie. Je me demande pourquoi? C'est d'un goût très douteux.
   L’homme est l’Animal Raisonnable. Telle est sa prétention. Je pense que c’est discutable. En vérité, mes expériences m’ont prouvé qu’il est un Animal Déraisonnable. Notez son histoire, telle que décrite plus haut. Il me parait clair que ce n’est pas un animal qui raisonne. Ses anales sont les fantastiques anales d’un maniaque. Je pense que le plus gros désavantage de son intelligence est le fait qu'avec un tel passé, il se présente avec mièvrerie comme l’animal au-dessus du lot : tandis que selon ses propres normes il est tout en bas.
   En vérité, l’homme est incurablement stupide. Il est incapable d’apprendre des choses simples qu'apprennent sans effort d'autres animaux. Parmi mes expériences il y a eu celle-ci. En une heure j’ai appris à un chat à être ami avec un chien. Je les ai mis dans une cage. Une heure plus tard, je leur ai appris à être amis avec un lapin. En deux jours, j’ai pu ajouter un renard, une oie, un écureuil et des colombes. Et à la fin, un singe. Ils vivaient ensemble en paix; même avec affection.
   Ensuite dans une autre cage, j’ai enfermé un prêtre irlandais de Tipperary, et très rapidement quand il a semblé s'apprivoiser, j’ai introduit un presbytérien écossais d’Aberdeen. Ensuite, un turc de Constantinople, un grec chrétien de Crète; un arménien, un méthodiste des contrées sauvages de l’Arkansas; un bouddhiste de Chine; un brahmane de Bénarès. Et enfin un colonel de l'Armée du Salut de Wapping. Je me suis tenu à l'écart pendant deux jours entiers. En revenant pour noter les résultats, tout allait bien dans la cage des Animaux Supérieurs, mais dans l'autre ce n'était qu'un horrible bric-à-brac de turbans et de fez, de tartans et d'os et de chair – plus un seul spécimen en vie. Ces animaux dotés de raison n'étaient pas d'accord sur un détail de théologie et voulaient porter l'affaire en Cour supérieure.
   On est obligé de concéder que pour une réelle noblesse de caractère, l'Homme ne peut prétendre approcher même le plus simple des Animaux Supérieurs. Il est évident qu'il est par sa constitution incapable d'approcher cette hauteur; qu'il est par constitution affligé d'un Défaut qui doit lui rendre une telle approche impossible à tout jamais, car il est évident que ce défaut est permanent chez lui, indestructible, indéracinable.
   Je pense que ce Défaut est le Sens Moral. C'est le seul animal à l'avoir. C'est le secret de sa dégradation. C'est la qualité qui le rend capable de mal faire. Il n'a pas d'autre fonction. Il ne peut accomplir aucune autre tâche. Il n'aurait jamais pu être destiné à aucune autre. Sans lui, l'homme ne pouvait pas faire de mal. Il se serait élevé tout de suite au niveau des Animaux Supérieurs.
   Comme le Sens Moral n'a qu'une fonction, une seule capacité – rendre l'homme capable de mal faire – il est de toute évidence sans valeur pour lui. C'est aussi dénué de valeur pour lui qu'une maladie. En fait, c'est manifestement une maladie. La rage est mauvaise, mais pas autant que cette maladie. La rage rend l'homme capable de faire une chose qu'il ne pourrait pas faire quand il est en bonne santé : tuer son voisin par une morsure empoisonnée. Personne n'est meilleur que l'homme pour être enragé. Le Sens Moral rend un homme capable de faire le mal. Il le rend capable de faire le mal de mille manières. La rage est une innocente maladie comparée au Sens Moral. Personne ne peut être meilleur que l'homme pour avoir du Sens Moral. Quelle est maintenant la malédiction primitive? À l'évidence ce qu'il y avait au commencement : un homme affligé de Sens Moral; la capacité de distinguer le bien du mal; et l'accompagnant forcément, la capacité de faire le mal; car il ne peut y avoir d'acte mauvais sans la présence chez son acteur de la conscience de ce mal.
   Et donc je pense que nous avons chuté et dégénéré depuis nos lointains ancêtres – atome microscopique qui se baladait peut-être selon son bon plaisir au milieu des puissants horizons d'une goutte d'eau – insecte après insecte, animal après animal, reptile après reptile, le long de la longue route de l'innocence jusqu'à atteindre le fond du développement – j'ai nommé l'Être Humain. En dessous de nous – rien. Rien sauf le Français. Il n'y a qu'un seul stade possible en dessous du Sens Moral; c'est le Sens Immoral. Le Français le possède. L'homme n'est qu'un peu plus bas que les anges. Cela le localise définitivement. Il se situe entre les anges et le Français.
   L'homme semble être une sorte de pauvre chose bancale, qu'on le veuille ou non; un genre de British Museum d'infirmités et d'infériorités (musée qui exhibe entre autres des monstres en bocaux, Ndt). Il passe son temps à subir des réparations. Une machine aussi peu fiable qui n'aurait eu aucun avenir commercial. Au sommet de ses points forts – le Sens Moral – s'empilent une multitude d'infirmités moins importantes; une telle multitude, vraiment, qu'on peut largement dire qu'elles sont infinies. Les Animaux Supérieurs font leurs dents sans douleur ou inconvénients. Pour l'homme, c'est par des mois et des mois d'une cruelle torture; et à une époque de sa vie où en plus il est toujours malade. Dès qu'elles sont sorties, il faut qu'elles tombent toutes car elles n'étaient pas valables la première fois. Le second jeu va donner satisfaction pendant un certain temps, occasionnellement renforcé par du mastic ou couronné d'or; mais il n'aura jamais un ensemble sur lequel il peut compter sauf si c'est un dentiste qui le fait. Cet ensemble sera appelé «fausses» dents – comme s'il en avait déjà porté d'un autre genre.
   À l'état sauvage – état naturel – les Animaux Supérieurs ont quelques maladies; maladies sans grandes conséquences; la principale étant l'âge. Mais l'homme démarre dès l'enfance et poursuit jusqu'à la fin, comme en régime de croisière. Il a les oreillons, la rougeole, la coqueluche, le croup, la diphtérie, la scarlatine, presque comme quelque chose d'inévitable. Ensuite, plus tard, sa vie est menacée autrement : rhumes, toux, asthme, bronchite, urticaire, choléra, cancer, tuberculose, fièvre jaune, fièvre bilieuse, typhus, rhume des foins, engelures, inflammation des entrailles, indigestion, rage de dents, otite, surdité, cécité, grippe, varicelle, muguet, crise de foie, constipation, hémorragie, verrues, boutons, furoncles, anthrax, abcès, oignons, cor aux pieds, tumeurs, fistules, pneumonie, ramollissement du cerveau, mélancolie et une quinzaine d'autres sortes de démences; dysenterie, jaunisse, maladies de cœur, des os, de la peau, du cuir chevelu, de la rate, des reins, des nerfs, du cerveau, du sang; scrofules, paralysie, lèpre, névralgies, paralysie, attaque, migraine, 13 sortes de rhumatismes, 46 de gouttes, et une quantité incroyable de graves maladies de toutes sortes non imprimables.
   Donc, mais pourquoi continuer la liste? Les noms des responsables appointés pour empêcher la réparation de cette machinerie boiteuse recouvriraient entièrement un homme si on les imprimait sur son corps, même en utilisant les plus petits caractères d'imprimerie possibles. Il n'est qu'un ramassis de corruption pestilentielle subvenant aux besoins de ravitaillement et de passe-temps d'une armée grouillante de bactéries – armée accréditée pour le pourrir et le détruire, chaque armée faisant son travail spécifique. Le processus qui l'agresse, le persécute, le pourrit, le tue commence à son premier souffle et aucune clémence, pitié ou trêve ne se manifesteront jusqu'à son dernier soupir.
   Regardez les malfaçons de certains détails. À quoi lui servent ses amygdales? Elles n'accomplissent aucune fonction utile; elles ne servent à rien. Il ne s'y passe rien. Elles ne sont qu'un piège. Elles n'ont qu'une fonction, qu'un rôle : rapporter à son possesseur des angines et des amygdalites. Et à quoi sert l'appendice vermiculaire? Il est inutile; il ne peut rendre aucun service. Il n'est qu'un ennemi en embuscade dont le seul intérêt dans la vie est de mentir en attendant que passent des pépins de raisins vagabonds qui serviront à créer une hernie étranglée. Et à quoi servent les seins aux hommes? Pour le travail, aucun intérêt, comme ornements, ce sont des erreurs. À quoi lui sert une barbe? Elle ne remplit aucune fonction; c'est une nuisance et un désagrément; toutes les nations la haïssent; toutes les nations la persécutent avec un rasoir. Et parce que c'est une nuisance et un désagrément, la Nature n'autorise jamais son absence chez les hommes entre la puberté et la tombe. On ne voit jamais un homme chauve du menton. Mais ses cheveux! C'est un ornement gracieux, un confort, c'est la meilleure de toutes les protections contre certains maux dangereux, l'homme les apprécie plus que des émeraudes et des rubis. Et à cause de cela, la Nature passant par là, la moitié du temps il ne les conserve pas.
   La vision, l'odorat, l'ouïe, le sens de l'orientation – comme ils sont inférieurs. Un condor voit un corps à 9 km; l'homme n'a de télescope qui le fait. Un chien limier sent une odeur vieille de deux jours. Le rouge-gorge entend un ver de terre se frayer un chemin sous terre. Le chat, emmené dans un panier fermé retrouve le chemin de sa maison en traversant 30 km de territoires qu'il n'a jamais vus.
   Certains organes logés chez l'autre sexe fonctionnent d'une manière lamentablement inférieure comparés à ceux des Animaux Supérieurs. Chez la femme, la menstruation, la gestation et l'accouchement sont des périodes considérées comme des horreurs. Chez les Animaux Supérieurs, ces choses-là ne les gênent même pas.
   Pour l’apparence, regardez le tigre du Bengale – cet idéal de grâce, de beauté, de perfection physique, de majesté. Et regardez ensuite l'Homme – cette pauvre chose. C'est un animal à perruque, au crâne trépané, à l'oreille en trompette, à l’œil de verre, au nez tout mollasson, aux dents en céramique, à la trachée argentée, à la jambe de bois – une créature rapiécée de haut en bas. S'il ne peut obtenir de renouvellement de son bric-à-brac dans le prochain monde, à quoi va-t-il ressembler?
    Il ne possède qu'une seule notable supériorité. Pour l'intellect, il est souverain. Les Animaux Supérieurs ne peuvent le battre sur ce plan-là. Il est curieux, il est remarquable qu'aucun paradis ne lui ait jamais été offert où sa seule supériorité aurait eu une chance de se réjouir. Même quand il a lui-même imaginé un paradis, il n'y a jamais fait de provisions pour des joies intellectuelles. C'est une omission flagrante. On dirait une confession tacite que le paradis est prévu uniquement pour les Animaux Supérieurs. Cela donne matière à une sérieuse réflexion. Et c'est plein d'une lugubre suggestion : que nous ne sommes pas aussi importants, peut-être, que ce que nous avons toujours supposé.

Version anglaise abrégée:

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(1) Letters from the Earth consists of a series of commentaries in essay and short story form. Many of these pieces express Twain's discomfort and disdain for Christianity, both as a theological position and a lifestyle. Letters from the Earth was written after the deaths of Twain's daughter Suzy (1896) and of his wife Olivia (1904). Textual references make clear that sections, at least, of Letters from the Earth were written shortly before his death in April 1910.


Letters from the Earth: Uncensored Writings
By Mark Twain
Bernard DeVoto (Editor) Henry Nash Smith (Foreword)
Perennial Classics

Letters from the Earth is one of Mark Twain's posthumously published works. The essays were written during a difficult time in Twain's life. The book consists of a series of short stories, many of which deal with God and Christianity. ... By analyzing the idea of heaven and God that is widely accepted by those who believe in both, Twain is able to take the silliness that is present and study it with the common sense that is absent. Not so much an attack as much as a cold dissection. Short stories in the book include a bedtime story about a family of cats Twain wrote for his daughters, and an essay explaining why an anaconda is morally superior to Man. Twain's writings in Letters From the Earth find him at perhaps his most quizzical and questioning state ever.

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“A religion that looks upon morality as a question of reward and punishment not only reflects cynicism but teaches it as well. Goodness, if practiced merely for the sake of reward, is not goodness at all but merely obedience. Reducing the very idea of morality to reward and punishment implies that ethical rules are arbitrary and incomprehensible in human terms. 
   If people are good, why is there so much violence and cruelty? One of the reasons is that human altruism is most frequently realized through nationalism, religion and causes. Prejudice is perhaps a logical consequence of division into groups: bonding among insiders has as its corollary suspicion of outsiders. The only societies that have not known racism are those that have not known about other races. 
   Religious disagreements and national hostilities are so widespread that they seem to be inherent in the human experience. War has existed throughout history and in all parts of the world. 
   The scientific method - questioning, testing, measuring, drawing conclusions, and reconsidering them in the light of fresh evidence - is precisely what we mean by free speech. Science and democracy are the gifts of the blessed human race. Democracy is the political realization of the scientific method.” 
~ George Jochnowitz

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