17 mai 2019

Retour de l’avortement clandestin en Alabama?

Que peuvent faire les Alabamiennes après ce coup de poignard asséné dans le ventre par le féroce bastion républicain de mâles blancs, chrétiens et misogynes? Qu’arrivera-t-il à l’adolescente de 14 ans violée par son père incestueux ou par le «bon gars d’à côté»? Pas dénonciation, pas de procès, pas de pénalité.  
   Ce projet de loi ne fait que mettre la vie des femmes en péril, car l’interdiction favorisera les avortements clandestins et les auto-avortements.
   Avant que l’avortement ne soit permis pour des raisons thérapeutiques en 1969, décriminalisé en 1988, et devienne accessible gratuitement via le système de santé en 2006, au Québec, les femmes utilisaient des aiguilles à tricoter ou des cintres, ingéraient des drogues et des produits toxiques pour s’auto-avorter ou allaient voir des charlatans (des bouchers). Quelle que soit la méthode, dans les années 60 l’avortement était la principale cause d’hospitalisation chez les femmes – hémorragies, blessures, empoisonnements, graves infections, etc. En 1962 on a répertorié 57000 hospitalisations pour cette raison; plusieurs femmes ont même perdu la vie.


«Le retour en force d’une droite morale et religieuse depuis 2006, et plusieurs projets de loi privés présentés par des députés conservateurs ont tenté de recriminaliser l’avortement ou d’en limiter l’accès.
   La base de l’oppression spécifique aux femmes, c’est le corps, et ce qu’il y a de particulier chez les femmes c’est la capacité d’enfanter. Et si on veut changer quelque chose, il faut remettre en question la maternité obligatoire, le fait qu’on ne puisse pas choisir nos maternités.
   On en revient à un des enjeux majeurs de la maternité. Les femmes n’ont pas beaucoup de choix parce que les conditions pour garder un enfant ne sont pas nécessairement faciles. Et les conditions socioéconomiques des femmes ayant des enfants ont toujours fait partie de la lutte. D’un côté on se bat pour le droit à l’avortement, pour la liberté de choix et pour l’accès à la contraception, et de l’autre côté on se bat pour que les femmes qui veulent avoir des enfants les aient dans de bonnes conditions. Et la lutte pour l’avortement, dans toute son histoire a toujours tenu ces deux pôles-là. Ce n’est pas vrai de dire que c’est un mouvement qui rejette les enfants, au contraire, dans tous les textes, toutes les publications, il y a toujours une préoccupation pour la contraception, pour les garderies, pour le travail à salaire égal, pour des conditions socioéconomiques pour avoir des enfants.
   L’autre menace va nous venir par le biais des avortements tardifs sous prétexte que la science médicale sauve des bébés prématurés à 26 semaines de gestation. Sinon ça va être la reconnaissance du fœtus comme personne. Le mouvement pro-vie est en guerre, il a des moyens financiers, des puissants lobbies. C’est certains que c’est par ce bout là qu’on va être attaquées, par les soins prénataux, les technologies de reproduction, la néonatalogie. Les attaques seront idéologiques et politiques. Le pire serait la réélection de Stephen Harper!»
~ Louise Desmarais, militante de longue date pour le droit à l’avortement (Revue À bâbord, 2008)

Rien n’est jamais acquis, la valse des tyrans se poursuit. Il est alarmant de constater que les politiques nationales et internationales s’orientent inexorablement vers des régimes totalitaires, patriarcaux et théocratiques, même dans nos prétendues démocraties.
   Mes craintes concernant les projets de loi anti-avortement se confirment aux États-Unis. La bande d’ultra conservateurs met à mal le droit constitutionnel des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. Le vulgaire «grab them by the pussy» de Trump s’applique ici sans équivoque.

Source : DAZED 

Dans un article du 6 mai dernier, je m’affligeais une fois de plus de la sinistre éventualité :
   Y a-t-il des lois régissant l’usage des organes génitaux masculins? Pas à ma connaissance. Pourtant on n’hésite pas à signifier aux femmes que leur corps ne leur appartient pas, en particulier leur système reproducteur. Ironiquement, tandis qu’on légifère pour sortir les animaux de leur statut d’objets, les femmes perdent graduellement leur statut d’être humain – elles sont des «outils» de procréation et des jouets sexuels.
   Le tsunami conservateur hardcore, à la fois religieux, populiste et masculiniste, fragilise les victoires remportées par les femmes au prix de luttes acharnées, d’avancées et de reculs, durant le 20e  siècle.
   Au Canada, beaucoup de candidats, d’élus et de ministres conservateurs ouvertement anti-choix / anti-avortement, créationnistes, climato-négationnistes, homophobes, pro-pétrole et pro-armes, songent à instaurer un genre de République de Gilead comme dans la série La servante écarlate (1) où les relations hommes/femmes obéissent à des règles très strictes, où les femmes sont des machines à procréer, où les hommes occupent tous les postes de pouvoir, où les femmes sont démises de leur statut de citoyennes à part entière et ne peuvent ni travailler, ni posséder d'argent, ni être propriétaire.
   Retour au 19e  siècle! Le vice-président américain actuel, Mike Pence, a graduellement mis en place des pions utiles à son rêve de régime théocratique, notamment avec la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour supérieure – un coup d’éclat : la justice «s’ajusterait» désormais aux principes chrétiens fondamentalistes.
   L’article inclut une chronique de Boucar Diouf «L’appropriation utérine», et des liens de documentaires :

---
(1) À l’approche de la diffusion de la troisième saison de la série The Handmaid’s Tale, les parallèles avec le monde réel sont plus frappants que jamais. Pourquoi? Parce que le projet de loi de l'Alabama va encore plus loin que celui des autres états de la Bible Belt – Géorgie, Kentucky, Mississippi, Ohio, reconnus pour leur protestantisme rigoriste –, interdisant effectivement l'avortement dans presque tous les cas à deux exceptions près, et menaçant d'emprisonnement les médecins qui pratiquent cette intervention.
   Dans la première saison de La servante écarlate, June, l’utérus du commandant Fred Waterford, marche en silence, mais on l’entend penser :
   «Avant, je dormais. C’est comme ça que tout est arrivé. Quand ils ont massacré le Congrès, on ne s’est pas réveillés. Quand ils ont invoqué le terrorisme pour suspendre la Constitution, on ne s’est pas réveillés non plus. Les journaux ont été censurés et d’autres fermés, pour des raisons de sécurité. Ils ont dit que ce serait temporaire. Rien ne change instantanément.»
   Dans une autre séquence, elle ose dire la vérité à une déléguée mexicaine invitée par les Waterford :
   «C’est un endroit cruel. Nous sommes prisonnières. Si on s’enfuie, ils nous tuent. Ou pire encore. Ils nous battent. Ils utilisent des aiguillons à bétail pour qu’on leur obéisse. Si on nous surprend à lire, ils nous coupent un doigt. La fois d’après, c’est toute la main. Ils nous arrachent les yeux... Ils nous mutilent de la pire façon qui soit. Ils nous violent à tous les mois, dès qu’on ovule.»  

Le dispositif de repérage est agrafé à l'oreille de June. Comme pour le bétail!

~~~ 

États des lieux en Alabama

Avortement : la droite religieuse en route vers la Cour supérieure des États-Unis

Magdaline Boutros
Le Devoir, 16 mai 2019

Pas même pour le viol ou l’inceste. Dans un cinglant revers pour les droits des femmes, les sénateurs de l’Alabama ont voté mardi soir la loi la plus restrictive des États-Unis sur l’avortement. Une législation – essentiellement votée par des hommes – qui s’inscrit dans une vaste offensive pour renverser l’arrêt «Roe c. Wade» de la Cour suprême, qui a légalisé l’avortement aux États-Unis en 1973.

Photo: Mickey Welsh The Montgomery Advertiser via Associated Press. Une manifestante contre l’interdiction des avortements, devant le Capitole, à Montgomery en Alabama, mardi.

La gouverneure de l’État, la républicaine Kay Ivey – ouvertement pro-vie – a promulgué la loi mercredi soir. Si celle-ci entre en vigueur dans six mois comme prévu, les interruptions volontaires de grossesse seront interdites sur le territoire de l’Alabama. Deux seules exceptions seront consenties : si le fœtus souffre d’une «anomalie létale» ou s’il s’agit d’une urgence vitale pour la mère. Tout médecin qui contreviendrait à cette loi serait passible d’une peine d’emprisonnement allant de 10 à 99 ans.
   Un nouveau front vient donc de s’ouvrir dans cette bataille judiciaire, menée vent en poupe au pays de Donald Trump, contre le droit à l’avortement.
   «C’est encore la preuve que le pouvoir, dans tous les pays du monde entier, réside encore entre les mains des hommes.» – Isabelle Duplessis
   Car l’objectif avoué des promoteurs du texte législatif est qu’il soit contesté en cour et qu’il se rende éventuellement jusqu’en Cour suprême, désormais dominée par des juges conservateurs, explique Andréanne Bissonnette, chercheuse à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. «Il n’y a vraiment rien de caché. Ils l’ont dit très clairement. Ce type de lois là sont soumises dans l’objectif qu’elles soient contestées et qu’on revienne sur Roe c. Wade.»
   Déjà, l’American Civil Liberties Union (ACLU), de concert avec l’organisme Planned Parenthood, ont annoncé qu’ils saisiraient la justice de la question pour empêcher la mise en application du projet de loi qu’ils jugent «inconstitutionnel». Selon l’ACLU, il s’agit là d’une question touchant «la protection du droit de toute femme de faire ses propres choix relativement à sa santé, son corps et son avenir».

Des hommes décident
Mardi soir, les sénateurs démocrates ont tenté, en vain, d’amender le projet de loi pour y inclure certaines exceptions. Visiblement ébranlé par ce recul de l’histoire, le sénateur démocrate Bobby Singleton a déclaré, la voix gorgée par l’émotion : «Vous dites à ma fille : tu ne comptes pas dans l’État de l’Alabama… Les hommes peuvent te violer et tu auras ce bébé si tu tombes enceinte.»
   Sa collègue Vivian Davis Figures – seule femme à prendre la parole mardi soir au Sénat – a lancé à ses homologues républicains : «Vous ne devrez pas élever cet enfant. Vous ne devrez pas porter cet enfant. Vous ne devrez pas subvenir aux besoins de cet enfant. Vous ne devrez pas faire quoi que ce soit pour cet enfant, mais vous tenez tout de même à prendre cette décision pour cette femme.»
   Parce qu’encore une fois, note Isabelle Duplessis, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, «c’est une majorité d’hommes qui ont pris une décision touchant les femmes». «C’est encore la preuve que le pouvoir, dans tous les pays du monde entier, réside encore entre les mains des hommes.»
   Dans une photo qui a largement circulé sur les réseaux sociaux mercredi, on voit la vingtaine d’hommes – tous blancs [et chrétiens] – qui a voté la législation restreignant le droit des femmes.
   Plusieurs démocrates, dont des candidats à l’investiture pour la présidentielle de 2020, ont dénoncé cette attaque contre les droits des femmes à disposer de leur corps. La sénatrice Kirsten Gillibrand a condamné sur CNN «une offensive tous azimuts contre la liberté des femmes de concevoir et contre nos droits civiques fondamentaux».
   Joe Biden a affirmé sur Twitter que le choix d’avorter «devait rester entre une femme et son médecin». «L’avortement est un droit constitutionnel», a rappelé le sénateur Bernie Sanders. «Aucune de nous ne devrait accepter un avenir dans lequel nos filles et nos petites-filles auront moins de droits que nous en avons eu», a réagi sur Twitter Hillary Clinton.

Objectif : Cour suprême
Pour sa part, le président du Sénat de l’Alabama, Will Ainsworth, a salué «une étape majeure dans la défense des droits de l’enfant à naître». Terri Collins, la républicaine à l’origine du texte, a affirmé que son objectif «est de faire casser Roe c. Wade et que cette décision revienne aux États afin que nous puissions faire nos propres lois, avec des amendements, qui règlent ces questions».
   Dans les cinq derniers mois, plus de la moitié des 50 États américains ont mis en place des règles limitant l’accès à l’avortement, révèle une compilation de l’Institut Guttmacher.
   La nouvelle couleur qu’a donnée Donald Trump à la Cour suprême fait rêver la droite religieuse. Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le président républicain a nommé deux juges conservateurs au plus haut tribunal du pays : Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh.
   «Comparativement à il y a deux ou trois ans, il y a beaucoup plus de risques actuellement que Roe c. Wade soit renversé», analyse Andréanne Bissonnette. Mais encore faudra-t-il que la Cour suprême accepte d’entendre la cause, souligne Isabelle Duplessis. La Cour pourrait décider de rester sur les lignes de touche pour s’assurer de ne pas «être instrumentalisée» par le politique, explique-t-elle. D’ailleurs, plusieurs des neuf juges de la Cour suprême ont récemment réaffirmé leur volonté de ne pas revenir sur la jurisprudence de Roe c. Wade.
   Mais les républicains de l’Alabama ne sont pas les seuls à nourrir la marche vers la Cour suprême. La Géorgie a adopté début mai une loi interdisant l’avortement dès que les battements du coeur du fœtus sont détectables, soit environ à la sixième semaine de grossesse. De nombreuses femmes n’ont alors pas encore conscience d’être enceintes.
   Des textes similaires adoptés dans le Kentucky et le Mississippi ont été bloqués par des tribunaux, et il est probable que la loi de Géorgie connaisse le même sort. L’Ohio, le Missouri et le Tennessee sont aussi en passe de voter des lois restrictives sur l’avortement.
   En faisant en sorte de multiplier les recours devant les tribunaux, les républicains font le pari que la Cour suprême sera forcée de se saisir du dossier dans l’éventualité où les juges trancheraient différemment selon les États. 

Avec l'Agence France-Presse  

Aucun commentaire:

Publier un commentaire