Ce projet de loi ne fait que mettre la vie
des femmes en péril, car l’interdiction favorisera les avortements clandestins
et les auto-avortements.
Avant que l’avortement ne soit permis pour
des raisons thérapeutiques en 1969, décriminalisé en 1988, et devienne accessible gratuitement via le système de santé en 2006, au Québec, les femmes utilisaient
des aiguilles à tricoter ou des cintres, ingéraient des drogues et des produits
toxiques pour s’auto-avorter ou allaient voir des charlatans (des bouchers). Quelle que soit la méthode,
dans les années 60 l’avortement était la principale cause d’hospitalisation chez
les femmes – hémorragies, blessures, empoisonnements, graves infections, etc. En
1962 on a répertorié 57000 hospitalisations pour cette raison; plusieurs
femmes ont même perdu la vie.
«Le retour en
force d’une droite morale et religieuse depuis 2006, et plusieurs projets de
loi privés présentés par des députés conservateurs ont tenté de recriminaliser
l’avortement ou d’en limiter l’accès.
La base de l’oppression spécifique aux
femmes, c’est le corps, et ce qu’il y a de particulier chez les femmes c’est la
capacité d’enfanter. Et si on veut changer quelque chose, il faut remettre en
question la maternité obligatoire, le fait qu’on ne puisse pas choisir nos
maternités.
On en revient à un des enjeux majeurs de la
maternité. Les femmes n’ont pas beaucoup de choix parce que les conditions pour
garder un enfant ne sont pas nécessairement faciles. Et les conditions
socioéconomiques des femmes ayant des enfants ont toujours fait partie de la
lutte. D’un côté on se bat pour le droit à l’avortement, pour la liberté de
choix et pour l’accès à la contraception, et de l’autre côté on se bat pour que
les femmes qui veulent avoir des enfants les aient dans de bonnes conditions.
Et la lutte pour l’avortement, dans toute son histoire a toujours tenu ces deux
pôles-là. Ce n’est pas vrai de dire que c’est un mouvement qui rejette les
enfants, au contraire, dans tous les textes, toutes les publications, il y a
toujours une préoccupation pour la contraception, pour les garderies, pour le travail
à salaire égal, pour des conditions socioéconomiques pour avoir des enfants.
L’autre menace va nous venir par le biais
des avortements tardifs sous prétexte que la science médicale sauve des bébés
prématurés à 26 semaines de gestation. Sinon ça va être la reconnaissance du
fœtus comme personne. Le mouvement pro-vie est en guerre, il a des moyens
financiers, des puissants lobbies. C’est certains que c’est par ce bout là
qu’on va être attaquées, par les soins prénataux, les technologies de
reproduction, la néonatalogie. Les attaques seront idéologiques et politiques.
Le pire serait la réélection de Stephen Harper!»
~ Louise
Desmarais, militante de longue date pour le droit à l’avortement (Revue À
bâbord, 2008)
Rien n’est
jamais acquis, la valse des tyrans se poursuit. Il est alarmant de constater
que les politiques nationales et internationales s’orientent inexorablement
vers des régimes totalitaires, patriarcaux et théocratiques, même dans nos
prétendues démocraties.
Mes craintes concernant les projets de loi anti-avortement
se confirment aux États-Unis. La bande d’ultra conservateurs met à mal le droit
constitutionnel des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. Le
vulgaire «grab them by the pussy» de Trump s’applique ici sans équivoque.
Source : DAZED
Dans un
article du 6 mai dernier, je m’affligeais une fois de plus de la sinistre
éventualité :
Y a-t-il
des lois régissant l’usage des organes génitaux masculins? Pas à ma
connaissance. Pourtant on n’hésite pas à signifier aux femmes que leur corps ne
leur appartient pas, en particulier leur système reproducteur. Ironiquement,
tandis qu’on légifère pour sortir les animaux de leur statut d’objets, les
femmes perdent graduellement leur statut d’être humain – elles sont des
«outils» de procréation et des jouets sexuels.
Le tsunami conservateur hardcore, à la fois religieux, populiste et masculiniste, fragilise
les victoires remportées par les femmes au prix de luttes acharnées, d’avancées
et de reculs, durant le 20e
siècle.
Au Canada, beaucoup de candidats, d’élus et de
ministres conservateurs ouvertement anti-choix / anti-avortement, créationnistes,
climato-négationnistes, homophobes, pro-pétrole et pro-armes, songent à
instaurer un genre de République de Gilead comme dans la série La servante écarlate (1) où les
relations hommes/femmes obéissent à des règles très strictes, où les femmes
sont des machines à procréer, où les hommes occupent tous les postes de
pouvoir, où les femmes sont démises de leur statut de citoyennes à part entière
et ne peuvent ni travailler, ni posséder d'argent, ni être propriétaire.
Retour au 19e siècle! Le vice-président américain actuel,
Mike Pence, a graduellement mis en place des pions utiles à son rêve de régime
théocratique, notamment avec la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour
supérieure – un coup d’éclat : la justice «s’ajusterait» désormais aux principes
chrétiens fondamentalistes.
L’article inclut une chronique de Boucar
Diouf «L’appropriation utérine», et des liens de documentaires :
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(1) À
l’approche de la diffusion de la troisième saison de la série The Handmaid’s Tale, les
parallèles avec le monde réel sont plus frappants que jamais. Pourquoi? Parce
que le projet de loi de l'Alabama va encore plus loin que celui des autres états
de la Bible Belt – Géorgie, Kentucky, Mississippi, Ohio, reconnus pour leur
protestantisme rigoriste –, interdisant effectivement l'avortement dans presque
tous les cas à deux exceptions près, et menaçant d'emprisonnement les médecins
qui pratiquent cette intervention.
Dans la première saison de La servante
écarlate, June, l’utérus du commandant Fred Waterford,
marche en silence, mais on l’entend penser :
«Avant, je dormais. C’est comme ça que tout
est arrivé. Quand ils ont massacré le Congrès, on ne s’est pas réveillés. Quand
ils ont invoqué le terrorisme pour suspendre la Constitution, on ne s’est pas
réveillés non plus. Les journaux ont été censurés et d’autres fermés, pour des
raisons de sécurité. Ils ont dit que ce serait temporaire. Rien ne change
instantanément.»
Dans une autre séquence, elle ose dire la
vérité à une déléguée mexicaine invitée par les Waterford :
«C’est un endroit cruel. Nous sommes
prisonnières. Si on s’enfuie, ils nous tuent. Ou pire encore. Ils nous battent.
Ils utilisent des aiguillons à bétail pour qu’on leur obéisse. Si on nous
surprend à lire, ils nous coupent un doigt. La fois d’après, c’est toute la
main. Ils nous arrachent les yeux... Ils nous mutilent de la pire façon qui
soit. Ils nous violent à tous les mois, dès qu’on ovule.»
Le dispositif
de repérage est agrafé à l'oreille de June. Comme pour le bétail!
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États des lieux en Alabama
Avortement : la droite religieuse
en route vers la Cour supérieure des États-Unis
Magdaline
Boutros
Le Devoir, 16
mai 2019
Pas même pour
le viol ou l’inceste. Dans un cinglant revers pour les droits des femmes, les
sénateurs de l’Alabama ont voté mardi soir la loi la plus restrictive des
États-Unis sur l’avortement. Une législation – essentiellement votée par des
hommes – qui s’inscrit dans une vaste offensive pour renverser l’arrêt «Roe c.
Wade» de la Cour suprême, qui a légalisé l’avortement aux États-Unis en 1973.
Photo: Mickey Welsh The Montgomery Advertiser via
Associated Press. Une
manifestante contre l’interdiction des avortements, devant le Capitole, à
Montgomery en Alabama, mardi.
La
gouverneure de l’État, la républicaine Kay Ivey – ouvertement pro-vie – a
promulgué la loi mercredi soir. Si celle-ci entre en vigueur dans six mois
comme prévu, les interruptions volontaires de grossesse seront interdites sur
le territoire de l’Alabama. Deux seules exceptions seront consenties : si le fœtus
souffre d’une «anomalie létale» ou s’il s’agit d’une urgence vitale pour la
mère. Tout médecin qui contreviendrait à cette loi serait passible d’une peine
d’emprisonnement allant de 10 à 99 ans.
Un nouveau front vient donc de s’ouvrir dans
cette bataille judiciaire, menée vent en poupe au pays de Donald Trump, contre
le droit à l’avortement.
«C’est encore la preuve que le pouvoir, dans
tous les pays du monde entier, réside encore entre les mains des hommes.» – Isabelle
Duplessis
Car l’objectif avoué des promoteurs du texte
législatif est qu’il soit contesté en cour et qu’il se rende éventuellement
jusqu’en Cour suprême, désormais dominée par des juges conservateurs, explique
Andréanne Bissonnette, chercheuse à l’Observatoire sur les États-Unis de la
Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. «Il n’y a vraiment rien de caché. Ils l’ont
dit très clairement. Ce type de lois là sont soumises dans l’objectif qu’elles
soient contestées et qu’on revienne sur Roe c. Wade.»
Déjà, l’American Civil Liberties Union
(ACLU), de concert avec l’organisme Planned Parenthood, ont annoncé qu’ils
saisiraient la justice de la question pour empêcher la mise en application du
projet de loi qu’ils jugent «inconstitutionnel». Selon l’ACLU, il s’agit là
d’une question touchant «la protection du droit de toute femme de faire ses
propres choix relativement à sa santé, son corps et son avenir».
Des hommes décident
Mardi soir,
les sénateurs démocrates ont tenté, en vain, d’amender le projet de loi pour y
inclure certaines exceptions. Visiblement ébranlé par ce recul de l’histoire,
le sénateur démocrate Bobby Singleton a déclaré, la voix gorgée par l’émotion :
«Vous dites à ma fille : tu ne comptes pas dans l’État de l’Alabama… Les hommes
peuvent te violer et tu auras ce bébé si tu tombes enceinte.»
Sa collègue Vivian Davis Figures – seule
femme à prendre la parole mardi soir au Sénat – a lancé à ses homologues
républicains : «Vous ne devrez pas élever cet enfant. Vous ne devrez pas porter
cet enfant. Vous ne devrez pas subvenir aux besoins de cet enfant. Vous ne
devrez pas faire quoi que ce soit pour cet enfant, mais vous tenez tout de même
à prendre cette décision pour cette femme.»
Parce qu’encore une fois, note Isabelle
Duplessis, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, «c’est
une majorité d’hommes qui ont pris une décision touchant les femmes». «C’est
encore la preuve que le pouvoir, dans tous les pays du monde entier, réside encore
entre les mains des hommes.»
Dans une photo qui a largement circulé sur
les réseaux sociaux mercredi, on voit la vingtaine d’hommes – tous blancs [et
chrétiens] – qui a voté la législation restreignant le droit des femmes.
Plusieurs démocrates, dont des candidats à
l’investiture pour la présidentielle de 2020, ont dénoncé cette attaque contre
les droits des femmes à disposer de leur corps. La sénatrice Kirsten Gillibrand
a condamné sur CNN «une offensive tous azimuts contre la liberté des femmes de
concevoir et contre nos droits civiques fondamentaux».
Joe Biden a affirmé sur Twitter que le choix
d’avorter «devait rester entre une femme et son médecin». «L’avortement est un
droit constitutionnel», a rappelé le sénateur Bernie Sanders. «Aucune de nous
ne devrait accepter un avenir dans lequel nos filles et nos petites-filles
auront moins de droits que nous en avons eu», a réagi sur Twitter Hillary
Clinton.
Objectif : Cour suprême
Pour sa part,
le président du Sénat de l’Alabama, Will Ainsworth, a salué «une étape majeure
dans la défense des droits de l’enfant à naître». Terri Collins, la
républicaine à l’origine du texte, a affirmé que son objectif «est de faire
casser Roe c. Wade et que cette décision revienne aux États afin que nous
puissions faire nos propres lois, avec des amendements, qui règlent ces
questions».
Dans les cinq derniers mois, plus de la
moitié des 50 États américains ont mis en place des règles limitant l’accès à
l’avortement, révèle une compilation de l’Institut Guttmacher.
La nouvelle couleur qu’a donnée Donald Trump
à la Cour suprême fait rêver la droite religieuse. Depuis son arrivée à la
Maison-Blanche, le président républicain a nommé deux juges conservateurs au
plus haut tribunal du pays : Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh.
«Comparativement à il y a deux ou trois ans,
il y a beaucoup plus de risques actuellement que Roe c. Wade soit renversé»,
analyse Andréanne Bissonnette. Mais encore faudra-t-il que la Cour suprême
accepte d’entendre la cause, souligne Isabelle Duplessis. La Cour pourrait
décider de rester sur les lignes de touche pour s’assurer de ne pas «être
instrumentalisée» par le politique, explique-t-elle. D’ailleurs, plusieurs des
neuf juges de la Cour suprême ont récemment réaffirmé leur volonté de ne pas
revenir sur la jurisprudence de Roe c. Wade.
Mais les républicains de l’Alabama ne sont
pas les seuls à nourrir la marche vers la Cour suprême. La Géorgie a adopté
début mai une loi interdisant l’avortement dès que les battements du coeur du fœtus
sont détectables, soit environ à la sixième semaine de grossesse. De nombreuses
femmes n’ont alors pas encore conscience d’être enceintes.
Des textes similaires adoptés dans le
Kentucky et le Mississippi ont été bloqués par des tribunaux, et il est
probable que la loi de Géorgie connaisse le même sort. L’Ohio, le Missouri et
le Tennessee sont aussi en passe de voter des lois restrictives sur
l’avortement.
En faisant en sorte de multiplier les
recours devant les tribunaux, les républicains font le pari que la Cour suprême
sera forcée de se saisir du dossier dans l’éventualité où les juges
trancheraient différemment selon les États.
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