Par
chance que les juifs hassidiques travaillent à l’intérieur de leur propre
communauté fermée, car il serait
impossible de les intégrer dans un milieu de travail «normal». Et s’il fallait
accommoder toutes les sectes religieuses, ce serait la foire d’empoigne.
Néanmoins,
les employeurs sont désormais ligotés par des lois qui dépassent le cadre des normes
du travail pour faciliter la pratique de superstitions religieuses.
Par
exemple (légendes des photos jointes à l’article) :
– Des
employés demandent des aménagements du temps de travail pour pouvoir prier.
– Des
employés de religion juive demandent à ne pas travailler entre le vendredi soir
et le samedi soir, au moment du sabbat.
– Certaines
entreprises peinent à trouver un lieu disponible et sécuritaire pour permettre
la prière
– En
2018, le responsable d’un entrepôt s’est opposé à ce qu’un employé sikh
travaille avec un kirpan, le couteau traditionnel.
– La
Commission des droits de la personne a dû se pencher sur une demande liée à l’Halloween.
Accommodements religieux : des
employeurs dépassés par certaines demandes
Thomas Gerbet
ICI
Radio-Canada, 16 mai 2019
Que
faire quand son employé veut pratiquer le vaudou sur ses heures de travail? Des
gestionnaires québécois se retrouvent parfois en face de demandes
d'accommodements religieux déstabilisantes. Depuis 10 ans, un service méconnu
leur vient en aide.
Un employé peut-il afficher un grand portrait de Jésus à son bureau? Est-ce acceptable
qu’une stagiaire refuse de serrer la main des clients? Réciter le bénédicité avant un repas
d’affaires nuira-t-il à l’entreprise? Tous ces cas sont bien réels. Des
employeurs québécois ont dû traiter ces situations dans les cinq dernières
années.
On les retrouve détaillées dans un rapport
qui recense les requêtes d’aide en matière d’accommodements religieux reçues
par le service-conseil de la Commission des droits de la personne et des droits
de la jeunesse (CDPDJ). Ce rapport a été rendu public grâce à la Loi sur
l'accès aux documents des organismes publics.
Entre le 1er janvier et le 28 octobre 2018,
le service-conseil a reçu 36 demandes d’assistance. Un chiffre en hausse par
rapport aux années précédentes, mais qui reste très faible. La Commission
aimerait faire connaître davantage ce service, né il y a 10 ans à la suite des
recommandations de la commission Bouchard-Taylor.
Le casse-tête des congés religieux
– En
septembre 2018, dans un service des ventes d’une entreprise, un employé de confession juive souhaite
prendre congé pour des jours religieux et travailler des jours fériés en
remplacement, comme à Noël. Le problème, c’est qu’à Noël, le service des
ventes est fermé.
– Un
camp de jour donne une semaine de formation à ses animateurs, mais l’un d’entre
eux demande à s’absenter trois jours en
raison du ramadan.
– Un
travailleur veut être payé pour un congé
religieux en plus des autres fériés. L’employeur craint une iniquité.
– Une
employée juive refuse de prendre l’avion
le samedi pour un voyage d’affaires et demande d'avancer le vol.
En
2018, les trois quarts des 36 sollicitations reçues par le service-conseil
concernaient l’obtention de congés religieux ou l’aménagement de l’horaire de
travail.
Jongler avec les horaires de travail
Les
modifications des horaires de travail sont fréquemment l’objet
d’accommodements.
– En
mai 2018, une entreprise s’adresse à la Commission : «Que faire avec un employé
qui doit faire sa prière entre 13 h et
14 h et retardera tout le travail en chaîne des autres employés?»
– Un
employé musulman qui travaille à la
cafétéria fait plusieurs prières sur ses heures de travail (plus de trois par
jour, 15 à 20 minutes chaque). L’entreprise a besoin d’un service rapide à
la restauration [...]. Il y a des employés qui le remplacent. Par contre, la
compagnie se demande jusqu’où ils sont tenus de l’accommoder, car cela nuit aux opérations. (Extrait du
rapport de la CDPDJ, daté du 21 août 2018)
– En
2017, une entreprise de transport s’adresse à la Commission. L’employeur
affirme que 70 % de ses 300 chauffeurs sont
musulmans pratiquants. En raison du ramadan, il reçoit des requêtes de
changement de quart de travail de nuit pour le jour. «Nous devons répondre
à nos clients dans les heures de pointe, explique-t-il. Nous avons déjà un nombre manquant pour les horaires de
soir et l’attribution des horaires se fait en fonction de l’ancienneté.
Présentement, nous essayons de devancer l’heure de pause dîner des chauffeurs
qui travaillent la nuit afin que ça respecte l’heure de la fin du jeûne. Est-ce
que nous avons une obligation d’accommoder nos chauffeurs au cas par cas?» [...]
L’enjeu des lieux de prière
– Dans
une PME industrielle, des employés ont
commencé à prier sur des tapis dans l’entrepôt, faute de place ailleurs. «Notre
entreprise a une cinquantaine d’employés et des mouvements de chariots
élévateurs permanents, raconte un responsable de l'entreprise, en février 2017.
Nous avons déjà un problème de place, mais si des gens se mettent à terre, je
pense qu’un accident peut arriver.»
«Certains employés utilisent l’eau des toilettes ou des lavabos afin de se nettoyer les
pieds (avant prière). Des questions
d’hygiène ont été soulevées, mais également
de sécurité (plancher glissant). Notre lieu de travail est très vaste et
cette pratique se fait dans plusieurs salles de bain.» (Extrait d’une demande
d’aide transmise à la CDPDJ en janvier 2018)
De la barbe à la casquette
– L’an
dernier, une entreprise qui a interdit
le port de casquette aux employés contacte la Commission, car deux employées
portent le voile. «Cela génère des incompréhensions et un sentiment
d’injustice entre les autres employés, peut-on lire dans le rapport du
service-conseil. Les filles demandent
maintenant d’avoir le droit de remettre leur casquette.»
– Une
fédération sportive s’inquiète : certains
athlètes veulent porter la barbe lors de compétitions sportives pour des motifs
d’ordre religieux, ce que ne permet pas le règlement.
– Une
jeune femme candidate à une formation
d’éducatrice a soulevé les inquiétudes d’un cégep, en avril 2018, parce qu’elle
porte le niqab qui couvre son visage, à l’exception des yeux. L’établissement
craignait qu’elle soit victime de discrimination dans son futur milieu de stage
et de travail : «Une partie de l’évaluation des cours est reliée au mouvement
et aux gestes faciaux (chant, théâtre…) et le niqab permet difficilement de
voir les différents mouvements ou expressions.»
Des situations surprenantes et
inattendues
Parfois,
les réclamations d’accommodement prennent de court les organisations.
– Début
octobre 2018, un stagiaire dans un
milieu de travail avec des enfants mentionne qu’il ne pourra pas faire les
tâches prévues le jour de l’Halloween, car cela va à l’encontre de ses
croyances religieuses.
– Pour
la Saint-Valentin, une garderie a
acheté une nappe en papier et des
serviettes de table avec de petits coeurs. Une cuisinière témoin de Jéhovah refuse d’y toucher, car il s’agit
d’une activité païenne.
– «Une
directrice des ressources humaines d’une fonderie sollicite de l’aide. 40 % de ses employés sont musulmans et ils
sont partis pour une fête religieuse sans permission.» (Dossier traité par
la Commission en juillet 2017)
– Le
responsable d’une clinique s’interroge : peut-il exiger d’une patiente portant
le voile intégral (burqa, niqab) de se découvrir le visage?
– «C’est
en prenant des radiographies d’une patiente qu’ils se sont aperçus qu’il ne
s’agissait pas de la même patiente.» (Extrait d'une demande transmise au
service-conseil de la CDPDJ en mai 2018)
– Dans une boutique de mode, les
employées sont encouragées à porter les vêtements du magasin et elles
obtiennent une réduction de 50 % pour les acheter. Une employée récemment embauchée a respecté le code vestimentaire
jusqu’à la fin de sa période de probation de trois mois. Elle s’est alors
présentée au travail avec un hijab et une jupe longue, noire et évasée. Son
employeur ne sait que faire.
– En
octobre 2018, une entreprise de soins à domicile a maille à partir avec une préposée catholique pratiquante qui
n’est pas satisfaite de son horaire de travail. Elle menace d’exiger un accommodement religieux afin d’avoir congé tous les
dimanches.
«La plupart du temps, on arrive à
s’accommoder»
[...]
Au Québec la Charte des droits et libertés de la personne oblige un employeur à
étudier tous les moyens raisonnables pour répondre à une demande. L’objectif
est d’éviter toute discrimination fondée sur la religion, mais aussi sur le
handicap, le genre, la grossesse, l’âge, etc.
«L’objectif, c’est d’accorder un traitement
différent à une personne qui, autrement, serait discriminée. Ce ne sont pas des
privilèges, mais des mesures d’équité, pour assurer l’égalité.» (Valérie
Féquière, conseillère en accommodement raisonnable de la Commission des droits
de la personne et des droits de la jeunesse)
Les employeurs ont une obligation de moyens,
mais pas de résultat. Ils ont le droit de refuser un accommodement, mais pour
cela, ils doivent démontrer l’existence d’une contrainte excessive.
Par exemple, une contrainte excessive peut
se justifier par un coût exagéré ou une entrave indue à l’organisation du
travail.
«Une simple contrainte n’est pas une
contrainte excessive», précise Valérie Féquière. La peur d’un effet de
contagion en accordant un accommodement à un employé n'est pas non plus un
élément justificatif de refus suffisant. [...]
[...] L’employeur mais aussi le syndicat
peuvent être condamnés s’ils refusent un droit garanti par la Charte qui
n’occasionne pas de contrainte excessive.
En avril 2018, la directrice des ressources
humaines d’une entreprise a contacté le service-conseil pour une situation hors
de l’ordinaire. Un employé réclamait un accommodement pour pouvoir pratiquer le
vaudou durant ses heures de travail. Grâce à l’aide de la Commission,
l’entreprise est parvenue à s’entendre avec le travailleur et à régler le
dossier sans créer de litige.
Boucar Diouf est d'origine sénégalaise et fut élevé dans la religion islamique. Le biologiste, écrivain, animateur, conteur et humoriste vit au Québec depuis 1991 et est parfaitement intégré. «Entre mes racines africaines et mon feuillage québécois, se dresse mon tronc sénégalais. Je suis un hybride identitaire, une fusion complète entre l'Afrique et le Québec.»
Source :
L’insoutenable contradiction propre
aux religions
Denis Proulx, professeur associé à l’ENAP
Le
Devoir, 27 octobre 2017
Photo:
Gali Tibbon / Agence France-Presse. Tout
notre dilemme comme société vient du fait que nous voulons respecter les
religions alors que la nature de ces dernières, dans sa dimension humaine et
non spirituelle, n’est pas naturellement de respecter les autres religions,
estime l'auteur.
La
discussion sur les accommodements religieux se heurte toujours à la nature des
religions. Elle peut être analysée selon différents niveaux. Au premier plan,
on trouve un idéal spirituel, qui varie selon chaque religion. Après la vie,
monter au ciel et rencontrer Dieu pour les religions monothéistes, se
réincarner dans une meilleure vie ou se réaliser dans les religions qui n’ont
pas de Dieu (bouddhisme) ou qui en ont des millions (hindouisme), on a là des
exemples qui illustrent la très grande variété de l’idéal spirituel.
Ensuite, toutes les religions proposent une
série de règles qui permettent l’atteinte de cet idéal spirituel. Prier,
méditer, mener une bonne vie, avec des règles qui sont généralement calquées
sur les besoins de la vie en société, ne pas tuer, ne pas convoiter les biens
des autres, aimer son prochain ou lui rendre ses mauvais coups, et ainsi de
suite. Jusque-là, ces approches ne comportent aucune contradiction, dans la
mesure où elles sont liées à un modèle spirituel. Les religions, par leur
recherche spirituelle et le respect de ces règles, offrent un réconfort à ceux
qui les pratiquent, en ce qu’elles peuvent permettre de réduire la peur face à
l’Inconnu.
Au troisième plan, les religions proposent d’autres règles qui visent essentiellement à
contrôler la société, avec une perspective très temporelle calquée sur les
traditions ethnologiques de la société d’où proviennent le prophète ou les
textes de référence s’il y en a. Ainsi, le judaïsme est basé sur le concept
d’un peuple choisi par Dieu, ce qui limite le prosélytisme; le christianisme
est basé sur les idées d’un prophète juif dont les idées déviaient de la
religion juive, mais dont les évangiles ont été écrits par des Européens;
l’islam est basé sur les idées d’un prophète arabe, influencé par les autres
religions monothéistes; le bouddhisme par un prophète indien en rupture avec
l’hindouisme dominant. Les religions animistes sont directement liées aux
phénomènes naturels incompris et en conséquence perçus comme divins.
Les
religions comportent donc une dimension culturelle marquée géographiquement,
historiquement et ethnologiquement, basée sur des règles de maintien du groupe
et de dénigrement des groupes concurrents. La haine des catholiques envers
les hérétiques albigeois, des protestants envers les catholiques, des sunnites
envers les chiites, des hindous envers les bouddhistes, la haine entre
chrétiens et musulmans ou celle envers les bahaïs illustrent comment les
religions comme organisations humaines ont protégé leurs parts de marché,
l’idéal spirituel semblant lointain dans ces combats. Il peut paraître
scandaleux de décrire des organisations religieuses avec des termes de gestion,
mais l’émergence des religions protestantes dans le sud des États-Unis et en
Amérique latine est directement liée à l’initiative mercantile de ses pasteurs.
Jadis, à Atlanta, lors d’une rencontre avec un centre d’initiative économique,
la responsable racontait comment on pouvait se lancer en affaires en donnant
l’exemple d’une église. «Si vous voulez
démarrer votre église, il faut faire du marketing pour attirer les fidèles, des
finances pour avoir leur argent et gérer le bâtiment, c’est une business!»
Tout notre dilemme comme société vient de ce
que nous voulons respecter les religions alors que la nature de ces dernières,
dans sa dimension humaine et non spirituelle, n’est pas naturellement de
respecter les autres religions. De plus, les aspects traditionnels de la société,
comme la domination des hommes sur les femmes, typique de presque toutes les
sociétés d’autrefois, sont un marqueur dominant des religions qui ne sont pas
du tout modernes à cet égard. L’Église chrétienne a aboli la prêtrise des
femmes au IVe siècle et n’arrive toujours pas à corriger son erreur. Le voile
des femmes ainsi que les vêtements qu’on leur impose n’ont pas d’équivalent
chez les hommes, qui ne s’habillent plus comme au Xe siècle, époque où en
Occident les femmes devaient elles aussi toujours porter un voile. Les
financements saoudiens de l’islam correspondent plus à un maintien de modèles
moyenâgeux de comportements qu’à un idéal spirituel qui n’a rien à voir avec
des symboles vestimentaires.
Il
est fondamental de respecter la dimension spirituelle des gens qui pratiquent
des religions, tout comme celle des athées, mais comment pourrions-nous
accepter leurs écarts liés à des valeurs sociales archaïques? Le fait de confondre ces deux dimensions
comporte une contradiction difficilement soluble, tant que l’on confondra la
spiritualité et les règles de contrôle social qui sont bien humaines et pas du
tout spirituelles. Il est clair cependant que les tenants de ces modèles de
comportements croient sincèrement que leur religion est un tout, où spiritualité
et archaïsme se confondent. Nous posons la question : la poursuite de règles de
comportements contraires aux règles de la société d’accueil est-elle acceptable
au nom du droit à pratiquer une religion quand certaines dimensions d’identité
à des valeurs moyenâgeuses non spirituelles y sont incompatibles? Il est clair
que les extrémistes musulmans (talibans ou groupe État islamique) ne semblent
pas intéressés par la spiritualité, mais bien par un contrôle social moyenâgeux
sur la société. Le respect des religions n’a pas grand-chose à faire avec ces
considérations passéistes.
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