Aucun rapport
avec la citation de Kennedy – simple coïncidence :
«Presque tout
le monde a fait l'expérience de moments d’affinité jetables – avec un passager en avion, avec un patient dans la salle
d'attente du dentiste, avec un fan des Dresden Dolls en spectacle lors d'un congrès
scientifique. Mais l'étrange psychologie qui sous-tend notre sentiment d'appartenance
est aussi la racine des impulsions destructrices que Tolstoï et Gandhi ont observées
en étudiant pourquoi nous nous faisons du mal. Toute violence a pour cible un
Autre, et c'est le déplacement des frontières de notre propre identité qui
dessine les contours de cette altérité.» ~ Maria
Popova https://www.brainpickings.org/
Être
ordinaire c’est extraordinaire. (Proverbe zen)
Plus facile à
dire qu’à cultiver; cette façon de penser élimine pourtant bien des contraintes
imposées par les complexes de supériorité et d’infériorité identitaires. C’est
la liberté.
Nous
pourrions imiter Justin Trudeau qui s'adapte au multiculturalisme de façon
élégante et décontractée : un déguisement pour chaque culture. Mais attention, un déguisement
chinois lors d’une rencontre avec le premier ministre japonais peut créer un malaise... Si le camouflage adaptatif fonctionne pour le caméléon, il devrait marcher pour nous aussi. Mais il est difficile de plaire à tout le monde; et puis, l’on ne manquerait pas
de nous accuser d’appropriation culturelle. Vraiment compliquées les relations
humaines.
Photographe
inconnu
Caricatures :
Serge Chapleau; La Presse
Vu les débats
suscités par le projet de Loi 21, les Québécois pourraient lire cet ouvrage de
Maalouf. Un livre qui devrait être inclus au cursus cégépien...
Les Identités meurtrières
Amin Maalouf
Grasset (1998)
«Depuis que
j'ai quitté le Liban pour m'installer en France, que de fois m'a-t-on demandé,
avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais «plutôt français»
ou «plutôt libanais». Je réponds invariablement : «L'un et l'autre!» Non par
quelque souci d'équilibre ou d'équité, mais parce qu’en répondant différemment,
je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c'est que je
suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs
traditions culturelles. C'est cela mon identité?»
Partant d'une question anodine qu'on lui a
souvent posée, Amin Maalouf s'interroge sur la notion d'identité, sur les
passions qu'elle suscite, sur ses dérives meurtrières. Pourquoi est-il si
difficile d'assumer en toute liberté ses diverses appartenances? Pourquoi
faut-il, en cette fin de siècle, que l'affirmation de soi s'accompagne si souvent
de la négation d'autrui? Nos sociétés seront-elles indéfiniment soumises aux
tensions, aux déchaînements de violence, pour la seule raison que les êtres qui
s'y côtoient n'ont pas tous la même religion, la même couleur de peau, la même
culture d'origine? Y aurait-il une loi de la nature ou une loi de l'Histoire
qui condamne les hommes à s'entretuer au nom de leur identité?
C'est parce qu'il refuse cette fatalité que
l'auteur a choisi d'écrire Les Identités meurtrières, un livre de
sagesse et de lucidité, d'inquiétude mais aussi d'espoir.
Citations / extraits
«N’est-ce pas
la vertu première du nationalisme que de trouver pour chaque problème un coupable
plutôt qu’une solution?»
«Séparer
l'Église de l'État ne suffit plus; tout aussi important serait de séparer le
religieux de l'identitaire.»
«Toutes les
époques, il s’est trouvé des gens pour considérer qu’il y avait une seule
appartenance majeure, tellement supérieure aux autres en toutes circonstances
qu’on pouvait légitimement l’appeler «identité». Pour les uns, la nation, pour
d’autres la religion, ou la classe. Mais il suffit de promener son regard sur
les différents conflits qui se déroulent à travers le monde pour se rendre
compte qu’aucune appartenance ne prévaut de manière absolue. Là où les gens se
sentent menacés dans leur foi, c’est l’appartenance religieuse qui semble
résumer leur identité entière. Mais si c’est leur langue maternelle et leur
groupe ethnique qui sont menacés, alors ils se battent farouchement contre
leurs propres coreligionnaires.»
«Ce que nous
appelons commodément "folie meurtrière" est la propension de nos
semblables à se transformer en bouchers lorsqu'ils soupçonnent que leur
"tribu" est menacée. Les émotions de peur ou d'insécurité n'obéissent
pas toujours à des considérations rationnelles. Elles peuvent être exagérées ou
même paranoïaques, mais à partir du
moment où une population a peur, c'est la réalité de la peur qui doit être
prise en considération plus que la réalité de la menace.»
«Au sein de
chaque communauté blessée apparaissent naturellement des meneurs. Enragés ou
calculateurs, ils tiennent les propos jusqu'au-boutistes qui mettent du baume
sur les blessures. Ils disent qu'il ne faut pas mendier auprès des autres le
respect, qui est un dû, mais qu'il faut le leur imposer. Ils promettent
victoire ou vengeance, enflamment les esprits, et se servent quelquefois des
moyens extrêmes dont certains de leurs frères meurtris avaient pu rêver en
secret. Désormais le décor est planté, la guerre peut commencer. Quoi qu'il
arrive, "les autres" l'auront mérité, "nous" avons un
souvenir précis de "tout ce qu'il nous ont fait endurer" depuis
l'aube des temps. Tous les crimes, toutes les exactions, toutes les
humiliations, toutes les frayeurs, des noms, des dates, des chiffres.»
«S'enfermer
dans une mentalité d'agressé est plus dévastateur encore pour la victime que
l'agression elle-même.»
«Oui,
partout, dans chaque société divisée, se trouvent un certain nombre d'hommes et
de femmes qui portent en eux des appartenances contradictoires, qui vivent à la
frontière entre deux communautés opposées, des êtres traversés, en quelque
sorte, par les lignes de fracture ethniques ou religieuses ou autres [...] qui ne
se retrouveront jamais du côté des fanatiques s'ils parviennent à vivre
sereinement leur identité composée.»
«On partage
le pouvoir entre les communautés, à titre provisoire, nous dit-on, dans
l’espoir d’atténuer les tensions, et en se promettant de pousser les gens,
progressivement, vers un sentiment d’appartenance à la “communauté nationale”.
Mais la logique du système va dans une tout autre direction : dès lors qu’il y
a partage du “gâteau”, chaque communauté à tendance à estimer que sa part est
trop maigre, qu’elle est victime d’une injustice flagrante, et il se trouve des
politiciens pour faire de ce ressentiment un thème permanent de leur
propagande.»
«Peu à peu,
les dirigeants qui ne se livrent pas à la surenchère se retrouvent
marginalisés. Le sentiment d’appartenance aux différentes “tribus” se renforce
alors, au lieu de s’affaiblir, et le sentiment d’appartenance à la communauté
nationale se rétrécit, jusqu’à disparaître, ou presque. Toujours dans
l’amertume, et parfois dans un bain de sang. Si l’on est en Europe occidentale,
cela donne la Belgique; si l’on est au Proche-Orient, cela donne le Liban.»
«On a souvent
tendance à se reconnaître, d’ailleurs, dans son appartenance la plus attaquée;
parfois, quand on ne se sent pas la force de la défendre, on la dissimule,
alors elle reste au fond de soi-même, tapie dans l’ombre, attendant sa
revanche; mais qu’on l’assume ou qu’on la cache, qu’on la proclame discrètement
ou avec fracas, c’est à elle qu’on s’identifie. L’appartenance qui est en cause
– la couleur, la religion la langue, la classe, ... – envahit alors l’identité
entière. Ceux qui la partagent se sentent solidaires, ils se rassemblent, se
mobilisent, s’encouragent mutuellement, s’en prennent à “ceux d’en face”. Pour
eux, “affirmer leur identité” devient forcément un acte de courage, un acte
libérateur...»
En conclusion :
«... D'une manière ou d'une autre,
tous les peuples de la Terre sont dans la tourmente. Riches ou pauvres,
arrogants ou soumis, occupants, occupés, ils sont – nous sommes – embarqués sur
le même radeau fragile, en train de sombrer ensemble.
Cependant nous continuons à nous invectiver et à nous quereller sans
nous soucier de la mer qui monte. Nous serions même capables d'applaudir la
vague dévastatrice si, en montant vers nous, elle engloutissait nos ennemis
d'abord.» ~ Amin
Maalouf, Le dérèglement du monde, Grasset
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