Main basse sur la ville nous raconte l’histoire des grands
conglomérats qui ont dessiné l’Amérique, bouleversé notre environnement et
façonné notre mode de vie. Avec pour toile de fond une enquête phare du
journalisme canadien, le film nous amène à la rencontre de protagonistes qui
s’opposent en chorale à ces pieuvres économiques qui tirent profit de
l’étalement urbain et détruisent nos territoires et paysages.
Avec
la participation d’Henry Aubin, Serge Bouchard, David Hanna, James Lorimier et
Guy Garand.
Recherche,
scénarisation, réalisation Martin Frigon
Direction
de la photographie Alex Margineanu
Montage
Emmanuelle Lane
Animations
Rodolphe Saint-Gelais
Narration
Geneviève Rochette
Prise
de son Stéphane Barsalou
Musique
originale, conception sonore & mix Thierry Gauthier
Production
Catherine Drolet
© Films de l’œil
Disponible
sur ici.tou.tv
Quand
on fait l’entonnoir, on ne peut s’empêcher, une fois de plus, d’être
profondément choqués d’être les otages, ou les jouets manipulables, d’une
poignée d’individus / familles à la tête d’entreprises internationales qui se
croient les propriétaires de la planète et continuent de la détruire sans répit.
Le
néolibéralisme, a ouvert toutes les vannes aux promoteurs, développeurs et
investisseurs, ainsi qu’à la corruption et à la collusion, quel que soit le
parti élu. Selon l’urbaniste Gérard Beaudet, professeur à l'Institut
d'urbanisme de l'Université de Montréal, le Vatican comptait parmi les
investisseurs!
Critiques
du documentaire.
Un centre-ville en pleine
mutation
Annabelle
Caillou
Le
Devoir 26 mars 2018
Les chantiers de construction se
multiplient à Montréal, où des tours de logements et de bureaux poussent les
unes à côté des autres, toujours plus haut vers le ciel et plus loin vers la
périphérie. Un changement de visage pour la métropole qui n’est pas sans avoir
des conséquences sur l’esthétique et la vie de ses quartiers.
Du centre-ville aux périphéries, des
immeubles longilignes, aux surfaces vitrées et d’une hauteur vertigineuse, ont
envahi Montréal ces dernières années. Un aménagement urbain qui cherche à
«moderniser» la ville, sans s’inquiéter de détruire des quartiers historiques
et de repousser toujours plus les limites de l’étalement urbain.
«Comment ça se fait qu’en 2018 ce soit
encore les promoteurs qui décident du développement de la ville? Ces tours à
condos pas abordables ne font que pousser les Montréalais aux périphéries de la
ville, les obligeant à prendre encore leur voiture pour se déplacer», se désole
le réalisateur québécois Martin Frigon.
Il s’est longuement penché sur le sujet dans
son dernier documentaire, Main basse sur
la ville.
Le
journaliste d’enquête Henry Aubin. Photo : Films de l’œil
Partant
d’une enquête datant de 1977 du journaliste de The Gazette Henry Aubin, le
réalisateur s’est plongé dans le passé pour mieux comprendre et expliquer les
problématiques urbaines d’aujourd’hui, qui sont restées, à quelques détails
près, identiques. «Je voulais montrer au grand public que les décisions de
quelques riches et puissants promoteurs ont un grand impact sur notre vie
quotidienne», précise Martin Frigon, n’hésitant aucunement à qualifier son
travail de «politiquement engagé».
Ainsi, à l’aube des années 1970, le
journaliste Henry Aubin se demandait à qui appartenaient ces gratte-ciel qui
faisaient un à un leur apparition au centre-ville de Montréal. À sa grande
surprise, il a découvert que leurs propriétaires n’étaient pas des Américains,
mais des Européens, qui avaient tous des intérêts dans l’industrie pétrolière,
le secteur automobile, celui des pièces d’automobile ainsi que dans la
construction des autoroutes.
Une quarantaine d’années plus tard, ces
tours appartiennent désormais à des Québécois, mais la logique d’aménagement,
elle, n’a pas changé.
Martin Frigon prend pour exemple le
mégacentre commercial Royalmount qui devrait émerger à la jonction des
autoroutes 15 et 40. «Ça pourrait être qualifié d’erreur monumentale de
l’urbanisme québécois. C’est l’autoroute la plus achalandée du Québec en pleine
heure de pointe et on va mettre un centre commercial à ce croisement,
lance-t-il amèrement. Il faut manquer d’imagination ou de bonne volonté pour
s’orienter vers des constructions complètement dépassées comme ça.»
Un manque de vision
Montréal
se retrouve en effet encore dans cette même «double dynamique d’aménagement»,
selon David Hanna, professeur associé au Département d’études urbaines et
touristiques à l’UQAM, qui intervient dans Main
basse sur la ville.
D’un côté, l’étalement urbain favorisé par
la construction d’autoroutes, de maisons unifamiliales et de tours
résidentielles. De l’autre, des gratte-ciel de plus en plus hauts et de plus en
plus chers sont construits au centre-ville, «aux dépens de la beauté des
quartiers traditionnels et de la vie citadine», explique David Hanna, en
entrevue avec Le Devoir.
«On ne peut nier que la tour de logements
répond à la densification urbaine, mais c’est une formule peu adaptée à la vie
urbaine, car ça écrase les quartiers qu’on n’hésite pas à démolir pour moderniser
la ville», déplore le professeur.
Une tendance qui s’accélère depuis 2012,
l’ancien maire de Montréal Gérald Tremblay ayant modifié le zonage urbain afin
de permettre à des tours de 40 étages, plantées au ras du trottoir, de voir le
jour dans la métropole.
Photo :
Alex Margineanu / Films de l’œil
«Le
pire, c’est que ces tours sont toutes pareilles, c’est la même formule répétée
à l’infinie. Ces compagnies pourraient tellement nous offrir des bijoux
architecturaux, elles en ont les moyens, mais non, elles préfèrent nous donner
du copier-coller. Aller chercher le plus d’argent au mètre carré, sans aucune
vision de développement», souligne David Hanna.
Un changement de zonage serait techniquement
possible pour limiter la multiplication des grands tours d’habitation, mais
dans les faits, difficile d’enlever un tel acquis aux promoteurs. «Une fois
qu’on donne la permission de construire en hauteur, difficile de revenir en
arrière. Dans les faits, la Ville a le pouvoir de le faire, mais a-t-elle les
reins assez solides pour passer à travers plus de dix ans de causes
judiciaires? Je ne crois pas.»
Le profit avant tout
Pour
Martin Frigon, les promoteurs contrôlent la ville et la façonnent à leur goût
tout en priorisant leurs intérêts. Rien d’étonnant, selon lui, de voir les
constructions se multiplier en périphérie de la métropole. «Ils tirent profit
de l’étalement urbain. Ils choisissent où construire de nouveaux quartiers de
logements tout en s’assurant qu’on ait toujours besoin de notre voiture. Comme
ça, il y a toujours plus de routes qui se construisent et ça sert leurs
intérêts», poursuit-il.
Il faut dire que, dans les années 1970, «et
il n’y a pas si longtemps encore», ce modèle ne rencontrait aucune vraie
résistance, rappelle-t-il, la voiture étant perçue comme un gage de modernité,
de simplicité et d’avenir.
S’il déplore l’inaction des gouvernements
actuels, qui n’osent reprendre en main le développement des villes québécoises,
il affirme que les municipalités tirent en un sens profit du système.
Les villes dépendent beaucoup des taxes
foncières pour financer leurs services et ouvrent la porte à toujours plus de
constructions de logements résidentiels pour faire «gonfler leurs coffres». «Ça
devient même une compétition pour attirer le plus de promoteurs dans leur cour»,
soutient le réalisateur.
De son côté, le professeur David Hanna reste
optimiste, espérant voir la tendance s’inverser un jour. «Il y a tellement de
dynamique en ce moment qui va dans le sens contraire, avec l’économie de
développement durable qui devient populaire. Je ne peux pas croire qu’on va
rester dans le modèle actuel», dit-il.
À son avis, les nouvelles générations ont
davantage à coeur de préserver l’environnement. «Il nous faut juste retrouver
des urbanistes qui savent humaniser la ville.»
À qui appartient Montréal?
Mario
Girard
La
Presse+ 27 mars 2018
Les
élus municipaux aiment beaucoup répéter aux citoyens des phrases rassembleuses
du genre : «Cette ville est à vous», «Appropriez-vous la ville», «La ville est
votre chez-vous». On inaugure un parc et on balance une de ces phrases à la fin
du discours. On accorde le droit d’embellir une ruelle aux citoyens et on
couronne le toast au vin mousseux tiède d’une de ces phrases.
Or, s’il y a une chose qu’on découvre dans
l’excellent documentaire de Martin Frigon, Main
basse sur la ville, c’est que Montréal n’appartient nullement à ses
citoyens. Nous vivons dans un espace qui nous permet de dormir, de prendre
notre douche et de regarder la télévision, mais pour le reste, Montréal a été,
et continue d’être, à la solde de promoteurs et d’investisseurs qui se foutent
de l’enlaidir et de lui faire perdre son caractère.
Dans ce film, que vous devez impérativement
voir, on revient sur l’enquête qu’Henry Aubin, journaliste au quotidien
Montreal Gazette, a menée dans les années 70. Voyant ces autoroutes, ces voies
de circulation et ces gratte-ciels apparaître à la vitesse de l’éclair et
défigurant la ville au passage, il s’est posé une question fort simple : à qui
appartient Montréal?
Aubin s’est alors lancé dans un travail de
recherche monstre qui a duré des mois. Rappelons que les ordinateurs n’étaient
pas présents dans les salles de rédaction à cette époque. Alors que le
journaliste croyait que des investisseurs américains étaient majoritairement à
l’origine de ce branle-bas de combat, il découvre plutôt qu’il s’agissait
d’Européens.
Chaque pays avait sa spécialité : les
Britanniques érigeaient les immeubles de bureaux et les Italiens, les immeubles
d’appartements. Pendant ce temps, les Belges effectuaient les transactions de
terrains, et les Français s’occupaient de construire et de fournir le ciment.
Encore portée par la folie des années 60
sous Jean Drapeau, la Ville de Montréal se met littéralement à genoux devant ces
investisseurs et développeurs relevant de sociétés archi-complexes. Henry Aubin
raconte qu’il s’est rendu un jour au Lichtenstein et a appris à un propriétaire
qu’il détenait des tours à Montréal. «Really?», a répondu l’homme d’affaires.
C’est à cette époque que le Complexe
Desjardins, la Tour de la Bourse, l’hôtel Château Champlain, la gare Centrale
et l’édifice de Radio-Canada furent érigés. Et c’est ainsi que des quartiers
complets furent rasés et que Montréal, une ville qui avait une architecture
propre à elle, s’est retrouvée avec des gratte-ciels qui auraient pu être
construits n’importe où dans le monde.
Ce film de 46 minutes (qui aurait pu être
beaucoup plus long), parle peu de la reprise de contrôle de ce développement
par des intérêts québécois, les caisses de retraite du Québec et de l’Ontario
essentiellement. Il insiste surtout sur le je-m’en-foutisme des développeurs,
peu importe leur origine, qui guide leurs projets.
Les années Gérald Tremblay sont évidemment
écorchées. L’un des spécialistes interviewés qualifie de «catastrophe» le
dernier cadeau de Tremblay, celui d’avoir permis l’érection de tours allant
jusqu’à 40 étages qui poussent actuellement comme des champignons au
centre-ville et qui sont en train de le tuer, selon lui.
Ce boom pousse les citoyens,
particulièrement ceux qui vivent dans des cellules familiales, vers les
banlieues et gonfle le problème de l’étalement urbain. Le film souligne que
plusieurs sociétés impliquées dans le développement du centre-ville ont, depuis
les années 70, des activités dans le pétrole, les voitures, les pièces
d’automobiles et la construction d’autoroutes.
«Montréal n’a plus de frigo», dit un
spécialiste. Il doit donc faire venir ses fruits et ses légumes de toutes les
régions du Québec. Les terres agricoles autour de la métropole sont devenues
hyper convoitées. Le territoire de Laval est composé à 28 % de terres
agricoles, mais seulement 50 % d’entre elles sont exploitées à ces fins.
Que font les investisseurs? Ils achètent ces
terres, les laissent en friche pendant des années et attendent le bon moment
pour négocier un dézonage avec la Ville. Cette dernière, devant faire face à
des dépenses de plus en plus grandes, cède sous la pression afin d’y récolter
le pactole des taxes municipales qui seront perçues.
Vers la fin du film, l’anthropologue Serge
Bouchard a cette phrase aux accents apocalyptiques : «On est arrivé au bout de
l’humanité. On est sur un grand terrain d’asphalte, dans notre voiture et au
bout c’est écrit : Costco! Au-delà de cela, point de salut!»
C’est également Bouchard qui parle de la
meilleure arme pour ces promoteurs : notre amnésie. «C’est ça, le
néolibéralisme, dit l’anthropologue. On t’offre un plaisir pour te faire oublier
qui tu es et d’où tu viens.»
J’ai vu ce film au moment où la ministre de
l’Environnement, Isabelle Melançon, en compagnie de la mairesse de Montréal,
Valérie Plante, annonçait une subvention de 75 millions de dollars afin de
décontaminer les sols de Montréal. Une partie de cette somme servira à
dépolluer des terrains privés.
Je me disais que ça aurait été bien qu’on en
profite pour nous dire qui a contaminé ces sols. Il faudrait que les citoyens
sachent qui sont ces entreprises et ces promoteurs sans scrupule qui sont venus
profiter de l’espace de la ville pour s’enrichir et qui sont repartis en
laissant la maison en désordre.
On est peut-être amnésiques, mais on n’est
pas cons. On a bien compris que les 75 millions sont pris à même nos poches et
vont servir à réparer les erreurs de ceux qui sont venus nous faire croire que
Montréal leur appartenait.
C’est pour rétablir ce lien d’appartenance à
la ville qu’il faut voir ce film. Montréal nous appartient. Il serait temps,
vraiment temps, qu’on cesse de jouer aux locataires et qu’on agisse en
propriétaires.
Commentaire
de Serge Bouchard : «À Montréal, y’a jamais personne qui a eu le
contrôle de cette ville en disant ‘on va être beaux’, ‘tiens, on va faire ça’.
Ç’a toujours été les capitalistes qui on dit ‘tiens on fait un canal là, on
fait un port là, et on se sacre bien des résultats; tiens on va mettre les
raffineries là; on bâtit n’importe quoi, on démolit n’importe quoi; euh, tiens,
on démolit un quartier’. Moi, j’ai connu la
religion des autoroutes. On faisait des autoroutes. Plus rien d’autre ne comptait. Tu sais quand on dit que la caméra a
tous les droits, eh bien l’autoroute a tous les droits. Et à l’époque, y’ont tout démoli pour l’auto. Des grands
terrains bien asphaltés, avec des lignes et des lampadaires. Et c’est
écrit Costco, c’est écrit Canadian Tire. En dehors de ça, point de salut.»
La rive sud et Laval n’ont pas été épargnées... et Québec non plus!
Québec,
capitale nationale, ville de fonctionnaires, porte au pouvoir des politiciens
qui détestent le service public et les prérogatives de l’État, et qui se font
les champions de la rigueur budgétaire, à cette exception près que leurs projets
– un amphithéâtre, un lien routier – sont d’épouvantables gouffres financiers.
La seule chose qu’il lui reste, c’est la
fuite en avant : il faut plus d’autoroutes parce qu’il y a plus d’automobiles,
plus d’étalement parce qu’il faut s’installer toujours plus loin pour un peu de
tranquillité et de beauté à l’abri des laideurs de la ville pleine d’autoroutes
et d’automobiles.
En passant, vu le prix exorbitant des voitures électriques, c'est pour les riches...
Caricature :
André-Philippe Côté, Le Soleil 23 mars 2019
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