17 avril 2019

Savez-vous pourquoi Montréal s’enlaidit toujours plus?

À VOIR ABSOLUMENT

Main basse sur la ville nous raconte l’histoire des grands conglomérats qui ont dessiné l’Amérique, bouleversé notre environnement et façonné notre mode de vie. Avec pour toile de fond une enquête phare du journalisme canadien, le film nous amène à la rencontre de protagonistes qui s’opposent en chorale à ces pieuvres économiques qui tirent profit de l’étalement urbain et détruisent nos territoires et paysages.

Avec la participation d’Henry Aubin, Serge Bouchard, David Hanna, James Lorimier et Guy Garand.

Recherche, scénarisation, réalisation Martin Frigon
Direction de la photographie Alex Margineanu
Montage Emmanuelle Lane
Animations Rodolphe Saint-Gelais
Narration Geneviève Rochette
Prise de son Stéphane Barsalou
Musique originale, conception sonore & mix Thierry Gauthier
Production Catherine Drolet
© Films de l’œil

Disponible sur ici.tou.tv 

Quand on fait l’entonnoir, on ne peut s’empêcher, une fois de plus, d’être profondément choqués d’être les otages, ou les jouets manipulables, d’une poignée d’individus / familles à la tête d’entreprises internationales qui se croient les propriétaires de la planète et continuent de la détruire sans répit.

Le néolibéralisme, a ouvert toutes les vannes aux promoteurs, développeurs et investisseurs, ainsi qu’à la corruption et à la collusion, quel que soit le parti élu. Selon l’urbaniste Gérard Beaudet, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal, le Vatican comptait parmi les investisseurs!

Critiques du documentaire.  

Un centre-ville en pleine mutation 

Annabelle Caillou
Le Devoir 26 mars 2018

Les chantiers de construction se multiplient à Montréal, où des tours de logements et de bureaux poussent les unes à côté des autres, toujours plus haut vers le ciel et plus loin vers la périphérie. Un changement de visage pour la métropole qui n’est pas sans avoir des conséquences sur l’esthétique et la vie de ses quartiers.
   Du centre-ville aux périphéries, des immeubles longilignes, aux surfaces vitrées et d’une hauteur vertigineuse, ont envahi Montréal ces dernières années. Un aménagement urbain qui cherche à «moderniser» la ville, sans s’inquiéter de détruire des quartiers historiques et de repousser toujours plus les limites de l’étalement urbain.

   «Comment ça se fait qu’en 2018 ce soit encore les promoteurs qui décident du développement de la ville? Ces tours à condos pas abordables ne font que pousser les Montréalais aux périphéries de la ville, les obligeant à prendre encore leur voiture pour se déplacer», se désole le réalisateur québécois Martin Frigon.
   Il s’est longuement penché sur le sujet dans son dernier documentaire, Main basse sur la ville.

Le journaliste d’enquête Henry Aubin. Photo : Films de l’œil  

Partant d’une enquête datant de 1977 du journaliste de The Gazette Henry Aubin, le réalisateur s’est plongé dans le passé pour mieux comprendre et expliquer les problématiques urbaines d’aujourd’hui, qui sont restées, à quelques détails près, identiques. «Je voulais montrer au grand public que les décisions de quelques riches et puissants promoteurs ont un grand impact sur notre vie quotidienne», précise Martin Frigon, n’hésitant aucunement à qualifier son travail de «politiquement engagé».
   Ainsi, à l’aube des années 1970, le journaliste Henry Aubin se demandait à qui appartenaient ces gratte-ciel qui faisaient un à un leur apparition au centre-ville de Montréal. À sa grande surprise, il a découvert que leurs propriétaires n’étaient pas des Américains, mais des Européens, qui avaient tous des intérêts dans l’industrie pétrolière, le secteur automobile, celui des pièces d’automobile ainsi que dans la construction des autoroutes.
   Une quarantaine d’années plus tard, ces tours appartiennent désormais à des Québécois, mais la logique d’aménagement, elle, n’a pas changé.
   Martin Frigon prend pour exemple le mégacentre commercial Royalmount qui devrait émerger à la jonction des autoroutes 15 et 40. «Ça pourrait être qualifié d’erreur monumentale de l’urbanisme québécois. C’est l’autoroute la plus achalandée du Québec en pleine heure de pointe et on va mettre un centre commercial à ce croisement, lance-t-il amèrement. Il faut manquer d’imagination ou de bonne volonté pour s’orienter vers des constructions complètement dépassées comme ça.»

Un manque de vision
Montréal se retrouve en effet encore dans cette même «double dynamique d’aménagement», selon David Hanna, professeur associé au Département d’études urbaines et touristiques à l’UQAM, qui intervient dans Main basse sur la ville.
   D’un côté, l’étalement urbain favorisé par la construction d’autoroutes, de maisons unifamiliales et de tours résidentielles. De l’autre, des gratte-ciel de plus en plus hauts et de plus en plus chers sont construits au centre-ville, «aux dépens de la beauté des quartiers traditionnels et de la vie citadine», explique David Hanna, en entrevue avec Le Devoir.
   «On ne peut nier que la tour de logements répond à la densification urbaine, mais c’est une formule peu adaptée à la vie urbaine, car ça écrase les quartiers qu’on n’hésite pas à démolir pour moderniser la ville», déplore le professeur.
   Une tendance qui s’accélère depuis 2012, l’ancien maire de Montréal Gérald Tremblay ayant modifié le zonage urbain afin de permettre à des tours de 40 étages, plantées au ras du trottoir, de voir le jour dans la métropole.

Photo : Alex Margineanu / Films de l’œil

«Le pire, c’est que ces tours sont toutes pareilles, c’est la même formule répétée à l’infinie. Ces compagnies pourraient tellement nous offrir des bijoux architecturaux, elles en ont les moyens, mais non, elles préfèrent nous donner du copier-coller. Aller chercher le plus d’argent au mètre carré, sans aucune vision de développement», souligne David Hanna.
   Un changement de zonage serait techniquement possible pour limiter la multiplication des grands tours d’habitation, mais dans les faits, difficile d’enlever un tel acquis aux promoteurs. «Une fois qu’on donne la permission de construire en hauteur, difficile de revenir en arrière. Dans les faits, la Ville a le pouvoir de le faire, mais a-t-elle les reins assez solides pour passer à travers plus de dix ans de causes judiciaires? Je ne crois pas.»

Le profit avant tout
Pour Martin Frigon, les promoteurs contrôlent la ville et la façonnent à leur goût tout en priorisant leurs intérêts. Rien d’étonnant, selon lui, de voir les constructions se multiplier en périphérie de la métropole. «Ils tirent profit de l’étalement urbain. Ils choisissent où construire de nouveaux quartiers de logements tout en s’assurant qu’on ait toujours besoin de notre voiture. Comme ça, il y a toujours plus de routes qui se construisent et ça sert leurs intérêts», poursuit-il.
   Il faut dire que, dans les années 1970, «et il n’y a pas si longtemps encore», ce modèle ne rencontrait aucune vraie résistance, rappelle-t-il, la voiture étant perçue comme un gage de modernité, de simplicité et d’avenir.
   S’il déplore l’inaction des gouvernements actuels, qui n’osent reprendre en main le développement des villes québécoises, il affirme que les municipalités tirent en un sens profit du système.
   Les villes dépendent beaucoup des taxes foncières pour financer leurs services et ouvrent la porte à toujours plus de constructions de logements résidentiels pour faire «gonfler leurs coffres». «Ça devient même une compétition pour attirer le plus de promoteurs dans leur cour», soutient le réalisateur.
   De son côté, le professeur David Hanna reste optimiste, espérant voir la tendance s’inverser un jour. «Il y a tellement de dynamique en ce moment qui va dans le sens contraire, avec l’économie de développement durable qui devient populaire. Je ne peux pas croire qu’on va rester dans le modèle actuel», dit-il.
   À son avis, les nouvelles générations ont davantage à coeur de préserver l’environnement. «Il nous faut juste retrouver des urbanistes qui savent humaniser la ville.»


À qui appartient Montréal?

Mario Girard
La Presse+ 27 mars 2018

Les élus municipaux aiment beaucoup répéter aux citoyens des phrases rassembleuses du genre : «Cette ville est à vous», «Appropriez-vous la ville», «La ville est votre chez-vous». On inaugure un parc et on balance une de ces phrases à la fin du discours. On accorde le droit d’embellir une ruelle aux citoyens et on couronne le toast au vin mousseux tiède d’une de ces phrases.
   Or, s’il y a une chose qu’on découvre dans l’excellent documentaire de Martin Frigon, Main basse sur la ville, c’est que Montréal n’appartient nullement à ses citoyens. Nous vivons dans un espace qui nous permet de dormir, de prendre notre douche et de regarder la télévision, mais pour le reste, Montréal a été, et continue d’être, à la solde de promoteurs et d’investisseurs qui se foutent de l’enlaidir et de lui faire perdre son caractère.
   Dans ce film, que vous devez impérativement voir, on revient sur l’enquête qu’Henry Aubin, journaliste au quotidien Montreal Gazette, a menée dans les années 70. Voyant ces autoroutes, ces voies de circulation et ces gratte-ciels apparaître à la vitesse de l’éclair et défigurant la ville au passage, il s’est posé une question fort simple : à qui appartient Montréal?
   Aubin s’est alors lancé dans un travail de recherche monstre qui a duré des mois. Rappelons que les ordinateurs n’étaient pas présents dans les salles de rédaction à cette époque. Alors que le journaliste croyait que des investisseurs américains étaient majoritairement à l’origine de ce branle-bas de combat, il découvre plutôt qu’il s’agissait d’Européens.
   Chaque pays avait sa spécialité : les Britanniques érigeaient les immeubles de bureaux et les Italiens, les immeubles d’appartements. Pendant ce temps, les Belges effectuaient les transactions de terrains, et les Français s’occupaient de construire et de fournir le ciment.
   Encore portée par la folie des années 60 sous Jean Drapeau, la Ville de Montréal se met littéralement à genoux devant ces investisseurs et développeurs relevant de sociétés archi-complexes. Henry Aubin raconte qu’il s’est rendu un jour au Lichtenstein et a appris à un propriétaire qu’il détenait des tours à Montréal. «Really?», a répondu l’homme d’affaires.
   C’est à cette époque que le Complexe Desjardins, la Tour de la Bourse, l’hôtel Château Champlain, la gare Centrale et l’édifice de Radio-Canada furent érigés. Et c’est ainsi que des quartiers complets furent rasés et que Montréal, une ville qui avait une architecture propre à elle, s’est retrouvée avec des gratte-ciels qui auraient pu être construits n’importe où dans le monde.
   Ce film de 46 minutes (qui aurait pu être beaucoup plus long), parle peu de la reprise de contrôle de ce développement par des intérêts québécois, les caisses de retraite du Québec et de l’Ontario essentiellement. Il insiste surtout sur le je-m’en-foutisme des développeurs, peu importe leur origine, qui guide leurs projets.
   Les années Gérald Tremblay sont évidemment écorchées. L’un des spécialistes interviewés qualifie de «catastrophe» le dernier cadeau de Tremblay, celui d’avoir permis l’érection de tours allant jusqu’à 40 étages qui poussent actuellement comme des champignons au centre-ville et qui sont en train de le tuer, selon lui.
   Ce boom pousse les citoyens, particulièrement ceux qui vivent dans des cellules familiales, vers les banlieues et gonfle le problème de l’étalement urbain. Le film souligne que plusieurs sociétés impliquées dans le développement du centre-ville ont, depuis les années 70, des activités dans le pétrole, les voitures, les pièces d’automobiles et la construction d’autoroutes.
   «Montréal n’a plus de frigo», dit un spécialiste. Il doit donc faire venir ses fruits et ses légumes de toutes les régions du Québec. Les terres agricoles autour de la métropole sont devenues hyper convoitées. Le territoire de Laval est composé à 28 % de terres agricoles, mais seulement 50 % d’entre elles sont exploitées à ces fins.
   Que font les investisseurs? Ils achètent ces terres, les laissent en friche pendant des années et attendent le bon moment pour négocier un dézonage avec la Ville. Cette dernière, devant faire face à des dépenses de plus en plus grandes, cède sous la pression afin d’y récolter le pactole des taxes municipales qui seront perçues.
   Vers la fin du film, l’anthropologue Serge Bouchard a cette phrase aux accents apocalyptiques : «On est arrivé au bout de l’humanité. On est sur un grand terrain d’asphalte, dans notre voiture et au bout c’est écrit : Costco! Au-delà de cela, point de salut!»
   C’est également Bouchard qui parle de la meilleure arme pour ces promoteurs : notre amnésie. «C’est ça, le néolibéralisme, dit l’anthropologue. On t’offre un plaisir pour te faire oublier qui tu es et d’où tu viens.»
   J’ai vu ce film au moment où la ministre de l’Environnement, Isabelle Melançon, en compagnie de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, annonçait une subvention de 75 millions de dollars afin de décontaminer les sols de Montréal. Une partie de cette somme servira à dépolluer des terrains privés.
   Je me disais que ça aurait été bien qu’on en profite pour nous dire qui a contaminé ces sols. Il faudrait que les citoyens sachent qui sont ces entreprises et ces promoteurs sans scrupule qui sont venus profiter de l’espace de la ville pour s’enrichir et qui sont repartis en laissant la maison en désordre.
   On est peut-être amnésiques, mais on n’est pas cons. On a bien compris que les 75 millions sont pris à même nos poches et vont servir à réparer les erreurs de ceux qui sont venus nous faire croire que Montréal leur appartenait.
   C’est pour rétablir ce lien d’appartenance à la ville qu’il faut voir ce film. Montréal nous appartient. Il serait temps, vraiment temps, qu’on cesse de jouer aux locataires et qu’on agisse en propriétaires.


L’anthropologue, animateur et écrivain Serge Bouchard. Photo : Films de l’œil

Commentaire de Serge Bouchard : «À Montréal, y’a jamais personne qui a eu le contrôle de cette ville en disant ‘on va être beaux’, ‘tiens, on va faire ça’. Ç’a toujours été les capitalistes qui on dit ‘tiens on fait un canal là, on fait un port là, et on se sacre bien des résultats; tiens on va mettre les raffineries là; on bâtit n’importe quoi, on démolit n’importe quoi; euh, tiens, on démolit un quartier’. Moi, j’ai connu la religion des autoroutes. On faisait des autoroutes. Plus rien d’autre ne comptait. Tu sais quand on dit que la caméra a tous les droits, eh bien l’autoroute a tous les droits. Et à l’époque, y’ont tout démoli pour l’auto. Des grands terrains bien asphaltés, avec des lignes et des lampadaires. Et c’est écrit Costco, c’est écrit Canadian Tire. En dehors de ça, point de salut.»

La rive sud et Laval n’ont pas été épargnées... et Québec non plus!   

Québec, capitale nationale, ville de fonctionnaires, porte au pouvoir des politiciens qui détestent le service public et les prérogatives de l’État, et qui se font les champions de la rigueur budgétaire, à cette exception près que leurs projets – un amphithéâtre, un lien routier – sont d’épouvantables gouffres financiers.
   La seule chose qu’il lui reste, c’est la fuite en avant : il faut plus d’autoroutes parce qu’il y a plus d’automobiles, plus d’étalement parce qu’il faut s’installer toujours plus loin pour un peu de tranquillité et de beauté à l’abri des laideurs de la ville pleine d’autoroutes et d’automobiles.
~ Simon-Pierre Beaudet (au sujet du troisième lien, 23 mars 2019) http://sortonslespoubelles.com/

En passant, vu le prix exorbitant des voitures électriques, c'est pour les riches... 

Caricature : André-Philippe Côté, Le Soleil 23 mars 2019 

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