30 mars 2019

Pourquoi privilégier l’État laïque?

Les raisons ne manquent pas! Voici un exemple d’accommodement déraisonnable : les sikhs peuvent porter leur kirpan partout et en tout temps au Canada, même les enfants à l’école (1). Or, le port d’une arme blanche, tel un couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche, est prohibé.
   Le kirpan est un poignard d'une longueur de 18 cm de long fait partie des Cinq K (les cinq obligations) que la religion sikhe impose aux hommes : interdiction de se couper les cheveux (kesh) maintenus par un peigne de bois (kangha) sous un turban, port du caleçon bouffant (kachera) et du bracelet de fer (kara).
   Le port du kirpan est interdit en France, au Danemark et dans plusieurs États américains. En Italie, un sikh portant le kirpan a été condamné pour port d’arme illégal en mai 2017 : «Il n’est pas tolérable que l’attachement à ses propres valeurs, même légales selon le droit en vigueur dans le pays d’origine, conduise à la violation consciente de celles de la société d’accueil», a jugé la Cour de cassation italienne. «Si l’intégration n’impose pas l’abandon de la culture d’origine [...], le respect des droits de l’homme et des normes judiciaires de la société accueillante constituent une limite infranchissable», ont insisté les juges alors que le parquet avait demandé l’annulation de la condamnation, estimant que la tradition culturelle de l’homme justifiait le port du poignard.

Supposons que les adeptes du Culte de la Licorne Rose croient que leur dieu exige qu’ils portent une corne frontale en permanence – comment réagiriez-vous devant un policier à corne qui vous remet une contravention?!

Un résumé : Laïcité : religion et législation font-elles bon ménage?




Un film à voir tandis que la question fait des vagues au Québec une fois de plus...

Quand les pouvoirs s'emmêlent

Quatre pays, quatre villes, un seul combat : celui des femmes dans l’espace public, mais aussi la sphère privée. Dans certains coins du monde, celui-ci n’est pas encore gagné, ou sérieusement menacé. C’est ce que démontre Quand les pouvoirs s’emmêlent, lorsque le politique et le religieux, qu’il soit catholique ou musulman, décident de sonner le glas, celui des libertés parfois gagnées à l’arraché.
   La documentariste Yvonne Defour, habituée de parcourir le vaste monde avec sa caméra (Marchés sur Terre, Le sexe autour du monde), témoigne de ces luttes en allant à la rencontre de militantes, mais aussi d’hommes épris de justice sociale, accompagnée de l’acteur Vincent Graton, témoin parfois ahuri des régressions qui ont cours à Tunis, à Paris, et à Washington. De retour à la maison, il constate que tout n’est pas idyllique, et que les luttes d’ici trouvent un curieux écho dans celles que l’on découvre ailleurs, le tout sur fond de harcèlement sexuel, de laïcité, de droits reproductifs et de représentation politique aux plus hautes sphères de l’État. Mais à la base s’activent des indignées au discours éloquent, passionné, viscéral, le tout dans une forme dynamique et séduisante. Et certaines figures de proue, particulièrement en Tunisie, le font parfois au péril de leur vie.

André Lavoie | Le Devoir, octobre 2018

Vincent Graton à Washington D.C. Photo : Productions Mi-Lou

Produit par Louisa Déry et Michèle Grondin et réalisé par Yvonne Defour, ce documentaire, présenté par Vincent Graton, pose un regard critique sur les liens ambigus qu’entretiennent la religion et la politique au détriment des libertés des femmes à travers le monde. La question fondamentale qu’avance le film est la fragilité des droits des femmes dans notre monde moderne. Le documentaire explore l’importance de la laïcité dans notre société et l’évoque comme une solution possible à l’égalité des droits entre tous les individus.
   De nos jours, partout dans le monde, un rapprochement s’opère entre les pouvoirs religieux et politique, menaçant ainsi les droits des femmes durement acquis. De la Tunisie au Québec, en passant par la France et les États-Unis, Vincent Graton est allé à la rencontre de femmes et d’hommes avertis pour tenter de comprendre les enjeux d’un sujet complexe et important pour préserver les droits des femmes. Tout comme Vincent, les spectateurs profiteront des propos éclairants des intervenants pour prendre conscience de l’enjeu et comprendre en quoi l’établissement d’un cadre défini protégeant l’état de l’influence des pouvoirs religieux est une clé de la solution.
   Un film qui fait le constat que les droits des femmes ne sont jamais acquis. Un documentaire humain et puissant qui laisse une place aux témoignages de femmes et d’hommes qui se sont investis au nom de la liberté.

Les intervenants
• Lina Ben Mhenni, blogueuse et militante
• Khedija Cherif, sociologue, ex-présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates
• Naziha Labidi, ministre de la Femme, de la famille et de l’enfance
• Hafidha Chekir, juriste et auteur
• Habib Kazdagli, doyen – Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités, Université de la Manouba
• Khadija T. Moalla, PhD, consultante senior en droit international
• Delphine Horvilleur, rabbin
• Zohra Bitan, militante et auteur
• Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité
• Florence Montreynaud, historienne et auteur
• Jacques Berlinerblau, PhD, professeur, Georgetown University
• Heather D. Boonstra, directrice des politiques publiques, Guttmacher Institute
• Kathleen Dumais, représentante, 15e District du Maryland
• Eleonor Smeal, présidente, Feminist Majority
• Diane Guilbaut, sociologue, présidente – Pour les droits des femmes du Québec
• Julie Latour, avocate
• Normand Baillargeon, philosophe et auteur

CTVM info https://ctvm.info/

Vincent Graton est un comédien reconnu pour son engagement social. Pour les besoins du documentaire Quand les pouvoirs s’emmêlent, il a voyagé sur trois continents pour constater la fragilité croissante des droits des femmes, dans la foulée des liens ambigus entre la religion et la politique qui gagnent du terrain un peu partout.
   Il nous amène à nous questionner sur des dénominateurs communs qui rapprochent le fondamentalisme islamique nord-africain, la droite religieuse des États fondamentalistes américains et le catholicisme tout puissant du Québec d’avant la Révolution tranquille lorsqu’il s’agit de la place des femmes et de leurs droits dans la société. On constate que lorsque les pouvoirs s’emmêlent, ils font peser une menace authentique sur une société basée sur l’égalité et l’ouverture.

Doc Humanité, ICI Radio-Canada

Ou :


Comprendre la laïcité en 50 notions essentielles!
«La laïcité est une notion “à la mode”. On en parle à longueur d'ondes, elle couvre les kiosques à journaux, on la met à toutes les sauces. Bien sûr, tout le monde est pour. Ou presque. Mais, mal connue, instrumentalisée, la laïcité devient parfois un prétexte commode pour parler d'autre chose. Intellectuellement, bien sûr il n'y a pas qu'une laïcité. La notion est soumise, depuis ses origines, à de nombreux débats, toujours très vifs aujourd'hui. Juridiquement, la notion n'est pas si difficile à comprendre si on accepte de s'y arrêter un peu. La laïcité française est d'abord et avant tout une réalité concrète et quotidienne, très encadrée. La plupart des réponses aux difficultés auxquelles elle est parfois confrontée se trouve, le plus souvent, dans l'observation de cette réalité.»

50 notions clés sur La Laïcité pour les Nuls | Nicolas Cadene | Collection Pour les Nuls Culture Générale (2016)

La laïcité en voie d’extinction

Quelle que soit la façon dont on tente d’édulcorer les religions, celles-ci restent des prisons psychologiques (et parfois physiques) construites sur la peur, le jugement, l'exclusion, le péché, la culpabilisation et des promesses de salut éternel (parfois obtenu par procuration). Alors, plus quelqu’un est désespéré ou démuni, psychologiquement et/ou matériellement, plus il a de chance de se laisser embrigader. Le marketing est plus puissant et efficace que la raison et la science. Pourquoi y a-t-il autant de religions et de prescriptions différentes s’il n’y a qu’un seul Dieu?
   Le contrôle politico-religieux, ce sépulcre de croyances, prescriptions et doctrines de conception humaine, reste le dénominateur commun derrière ces vains et récurrents débats autour de la laïcité et des religions, ou de l’athéisme et de la foi. Mais n’oublions pas l’essentiel derrière tout ce charabia à propos des signes  et codes vestimentaires religieux : l’égalité des droits femmes-hommes et la neutralité confessionnelle des institutions gouvernementales.
   Les objets et les vêtements ont une valeur symbolique, et ce sont les gens qui leur attribuent une valeur identitaire. Si vous étudiez l’histoire du vêtement vous verrez comme cet aspect du débat est futile. En réalité, il vaut mieux étudier les lois et rituels religieux intégrés aux lois civiles inégalitaires...
   Dans les années 50/60, les religions les plus répandues au Canada étaient le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme. Peu à peu, l’arrivée d’immigrants de toutes races, ethnies et confessions a modifié le paysage. Il fallait se familiariser à de nouveaux codes vestimentaires et religieux. On se demandait quelle influence aurait cette insertion cosmopolite sur notre propre culture, et surtout comment toutes ces religions allaient coexister hors des quartiers-ghettos des grandes villes. Les frictions étaient quasi inévitables puisque des minorités jadis invisibles devenaient soudainement très visibles.
   Les déguisements, les objets, les rituels et les coutumes, de nature socioculturelle et/ou religieuse, font partie de la vie; ils servent à démarquer et à identifier. Le déguisement exprime ce que nous croyons être ou pensons devoir être.
   Tous les codes vestimentaires sont permis, des plus simples aux plus sophistiquées, aux plus ridicules. Mis à part la cagoule, qu’on devrait réserver aux températures de moins 20°C et aux vols de banque, où est le problème? On s’en balance des gréements, la plupart du temps choisis par souci de conformisme, d’appartenance ou inversement en réaction à ces deux éléments. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’un groupe, drapé dans son bon droit, entend imposer à autrui ses dogmes, ses rituels, ses codes vestimentaires et alimentaires, ses objets de culte et ainsi de suite.
   Même si l’on peut généralement s’habiller n’importe comment, il y a des professions qui requièrent le port d’un uniforme. Par exemple, un policier en service et une infirmière en milieu hospitalier de sorte qu’on puisse les identifier rapidement en cas d’urgence. Par contre, le camouflage complet ou partiel du visage (bizarrement réservé aux femmes) devrait être banni.
   Quand on étudie les religions traditionnelles ainsi que d’autres moins répandues, on est frappé par la quantité inimaginable de rituels, de préceptes, de contraintes, d’interdictions et de superstitions auxquelles se soumettent les croyants et que certains d’entre eux défendent bec et ongles même au prix de leur vie. Tout ça pour plaire à un Dieu dont les caractéristiques varient passablement d’une confession à l’autre. Le moins qu’on puisse dire c’est que certaines religions sont «combatives» en raison de leur extrême propension au prosélytisme et au contrôle, tandis que d’autres sont plus pacifiques et libérales.
   Même si toutes les religions et les sectes prêchent l’amour, celui-ci brille souvent par son absence – «ce que tu fais parle plus fort que ce que tu dis» disait Albert Schweitzer... Entre la théorie et la vraie vie, il y a parfois des années-lumière.
   Ce ne sont pas les races et les ethnies elles-mêmes qui éveillent l’animosité mais leurs coutumes religieuses et civiles souvent discriminatoires.
   Les institutions gouvernementales doivent être laïques. Nous n’avons pas à subir les rituels et les lois cléricales de toutes les religions qui coexistent ici. Même avec la meilleure volonté du monde, il serait impossible d’accommoder et d’homogénéiser autant de pratiques disparates!
   Chacun est libre de suivre les prescriptions de sa religion ou de sa secte, mais il n’a pas le droit d’en imposer les dictats aux autres citoyens. Si les pratiquants ont des agendas de congés religieux/civiques et des horaires de prière particuliers, ainsi que des restrictions alimentaires, ils peuvent s'organiser en privé, dans leurs propres communautés. Je ne mange pas d’animaux (simplement par compassion), et quand je suis invitée chez des carnivores, on me sert les légumes d’accompagnements... les hôtes n’ont pas à imposer un menu végétarien à tous parce que je suis là.

----
(1) La Cour supérieure du Québec avait confirmé la validité d'une interdiction du kirpan dans certains contextes ou lieux (avions, tribunaux). Toutefois, dans un arrêt rendu en mars 2006 dans l'affaire Multani, la Cour suprême du Canada a conclu, en se fondant sur la liberté religieuse garantie par la Constitution, qu'en milieu scolaire, le port du kirpan par un élève ne pouvait faire l'objet d'une interdiction totale, dans la mesure où il était porté dans des conditions sécuritaires.
   En septembre 2008, le service de police de Montréal a annoncé qu'un étudiant de 13 ans était accusé d'en avoir menacé un autre avec son kirpan. Il a été acquitté de l'accusation le 15 avril 2009.
   Autorisé dans les enceintes scolaires au nom des «accommodements raisonnables», l'Assemblée nationale de Québec a cependant voté unanimement en février 2011 pour interdire le port du kirpan dans tous les édifices du parlement.
   En novembre 2017, le gouvernement canadien permettait désormais le port du kirpan dans un avion, à l’exception des vols en direction des États-Unis. Cette loi a soulevé une vive polémique chez les citoyens.

Parmi les parades adaptatives du premier ministre : Justin Trudeau visitant le principal Temple Sikh d’Ottawa à l’occasion du Festival des lumières (Diwali), le mercredi 11 novembre 2015. (Photo : Darren Brown / Ottawa Citizen)

Aucun commentaire:

Publier un commentaire