17 mars 2019

Le décontamineur est-il une ordure?

Le ministère de l’Environnement ne fait peur à personne parce qu’il n’intervient pas : laisser polluer coûte moins cher que faire respecter les normes de protection environnementale.

Chaque année, des tonnes de débris et de terre contaminée voyagent des chantiers de construction de Montréal jusqu'à certaines terres agricoles du Québec. À Enquête, on a cherché les coupables.
   Des sols contaminés excavés sur des chantiers de construction à Montréal seraient déversés sur des terres agricoles autour de la Métropole. Une équipe d’Enquête a suivi des camions, tourné des déversements et documenté l’état de ces terres agricoles. Mais le vrai défi a été de tenter de trouver qui est responsable.

À VOIR :
Ou sur le site de l’émission :

Les vidanges dans nos campagnes

Marie-Maude Denis et Jacques Taschereau
Enquête | Radio-Canada |14 mars 2019

Surplombant un champ de laitue, un dépotoir à ciel ouvert rempli de déchets de construction. En tentant de trouver le coupable, Enquête a découvert une guerre de marché où bons et méchants sont difficiles à départager. Le gouvernement, lui, peine à sévir pour empêcher la pollution de nos campagnes.
   Depuis plusieurs années, on creuse le centre-ville de Montréal pour y construire des condos, des édifices publics, des ponts et des routes. Le ballet des pelles excavatrices remplit des milliers de camions avec des sols souillés par l’héritage industriel de la métropole.
   Mais où vont ces camions? En partie là où ils ne devraient pas : sur des terres agricoles.
   Enquête a trouvé une montagne déchets de démolition en tout genre surplombant un champ, en pleine zone agricole. Voici des photos, prises en novembre dernier, de la terre du maraîcher A. Barbeau et fils, à Saint-Rémi, en Montérégie.
   «C'est clairement un dépôt sauvage de matériaux secs qui devraient être envoyés ailleurs», estime l’avocat spécialisé en environnement Michel Bélanger en regardant les images.
   Ce dépôt est parfaitement légal, se défend Benoît Barbeau, l’un des propriétaires de la terre agricole, spécifiant qu’il se constituait un «fond» pour y construire des serres.
   Cette explication fait sursauter Michel Bélanger : «Ce n'est pas parce qu'un propriétaire veut construire une grange ou un autre bâtiment que ça justifie d'y mettre n'importe quoi.»
   Vérification faite, la terre agricole ne dispose d’aucun permis pour accueillir des débris de démolition. Le ministère québécois de l’Environnement confirme également avoir trouvé des sols contaminés sur place en juin dernier, mais n’a pas voulu en préciser la provenance, puisque l’enquête est toujours en cours.
   Quant à M. Barbeau, il a offert de montrer des documents sur l’origine et la qualité des sols qu’il a reçus sur sa terre, mais il s’est ensuite désisté.

Les débris de l’hôpital Saint-Luc

Les déchets observés sur la terre agricole de Saint-Rémi proviennent notamment du chantier du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), a découvert Enquête. Plus précisément, les débris retrouvés en zone agricole sont ceux de l'hôpital Saint-Luc en démolition.
   L’entrepreneur général Pomerleau, responsable du chantier certifié LEED pour son souci environnemental, soutient que son sous-traitant a assuré que tout était légal parce que le maraîcher a le droit de se construire un « chemin de ferme » avec de la brique et du béton. Or, l’ensemble des débris retrouvés à Saint-Rémi ne sont pas admis pour une telle construction, indique le ministère de l’Environnement.
   Pomerleau promet qu’il apportera les correctifs nécessaires si son sous-traitant a contrevenu aux règles.
   En plus des déchets de l’hôpital Saint-Luc, des chargements de terre provenant du site du projet de condominiums NOCA, dans le quartier Griffintown à Montréal, ont été déversés sur la terre agricole du maraîcher Barbeau. Le responsable du chantier, DevMcGill, rejette aussi la responsabilité sur les sous-traitants.
   La loi est pourtant claire. «La responsabilité demeure sur le générateur du déchet», explique Me Michel Bélanger, qui ajoute que les propriétaires d’une terre agricole n’ont pas le droit de polluer leur terrain.
   L’industrie des sols contaminés dans le sud du Québec ressemble au Far West depuis plusieurs années. Dès 2016, une entreprise de décontamination de l’est de Montréal se plaignait à Radio-Canada d’un compétiteur qui lui raflait une partie de ses contrats.
   «Il est arrivé un nouveau joueur dans le marché qui prétend être un courtier en sols contaminés. Ce sont des gens qui, de toute évidence, n’ont pas de permis et qui n’ont pas de technologie pour traiter les sols», expliquait Marlène Girard, présidente d’Énergie Carboneutre.
   Pour en avoir le coeur net, la femme d’affaires a embauché des détectives privés qui ont filé des camions à partir de chantiers de construction au centre-ville de Montréal, jusqu’à des lieux de déversements illégaux, selon elle.
   «Ma motivation première, c’était ma business, mais je ne pensais pas trouver quelque chose d’aussi gros», dit Mme Girard, qui estime que la dispersion illégale des sols contaminés représente un danger pour la santé du public et pour la faune. «Ça se retrouve dans les cours d’eau, ça se retrouve dans l’air et ça se retrouve dans notre assiette.»
   Enquête a suivi des camions pendant quelques semaines à l’hiver 2016 et observé des déversements dans la nature. Certains des échantillons prélevés sur des terres agricoles se sont avérés contaminés, d’autres pas.
   Les propriétaires des terrains confrontés par Radio-Canada soutenaient que les sols étaient propres et que les débris de démolition observés ne devaient pas provenir de chez eux.

L’enquête Naphtalène

La police a aussi enquêté sur les sols contaminés. Or, après deux ans de travail, la Sûreté du Québec a fait chou blanc avec l’enquête baptisée Naphtalène. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a pris la décision, au printemps dernier, de ne pas porter d’accusations.
   La Presse a publié plusieurs révélations sur la question des sols contaminés et sur cette enquête policière.

Photo aérienne : Sûreté du Québec. Terrain à Sainte-Sophie, dans les Laurentides, lors de l’opération Naphtalène en 2015.

Cet échec des autorités à sévir contre les pollueurs a profondément choqué Alain Robichaud, coprésident d’Englobe, un joueur majeur dans la décontamination des sols au Québec : «Je n'ai toujours pas compris pourquoi les accusations n'ont pas été portées dans ces dossiers-là, c'est une catastrophe.»
   Comme son compétiteur Énergie Carboneutre, Alain Robichaud a embauché des détectives privés pour suivre des camions au printemps et à l’été 2018. Il a remis une copie des vidéos de filature à Enquête.
   Outre les débris de l’hôpital Saint-Luc, les vidéos montrent d’autres chantiers et d’autres sites où sont déposés des sols, dont à Ormstown et à Pointe-Fortune, en Montérégie. On y retrouve des déchets, a constaté Radio-Canada.

Le spectre de Louis-Pierre Lafortune

Louis-Pierre Lafortune, ancien vice-président de Grues Guay, a été condamné en 2016 pour avoir comploté pour recycler les produits de la criminalité. Il est toujours en appel du verdict.
   Plus récemment, il a travaillé pour une entreprise dans la mire de la Sûreté du Québec lors de l’enquête Naphtalène. Louis-Pierre Lafortune est aujourd’hui consultant chez K.L. Mainville, une compagnie dont les camions apparaissent dans les vidéos de filature d’Englobe.
   Plusieurs sources font le parallèle entre le passé de Louis-Pierre Lafortune, dépeint comme un proche des Hells Angels, et la croissance de K.L. Mainville dans le transport de sols contaminés. «J’ai été impliqué dans la disposition de sols, mais je nie totalement avoir été impliqué dans la disposition illégale de sols contaminés. Non seulement je ne fais pas partie de ça, mais je suis contre ça», se défend Louis-Pierre Lafortune. «J’ai côtoyé des gens du crime organisé, mais ça fait quand même 10-15 ans. À ce moment-là, c’était autre temps, autres moeurs.»
   Aujourd’hui, M. Lafortune affirme qu’il n’a plus aucun lien avec des gens du crime organisé.
   Enquête a confronté Marlène Girard d’Énergie Carboneutre aux mêmes questions, puisque son entreprise a déjà été associée aux mafieux Raynald Desjardins et Domenico Arcuri. «Il n'y a aucune mafia dans Carboneutre, d'aucune façon.»
   Elle assure que Desjardins et Arcuri n’ont plus d’intérêts financiers dans sa compagnie.
   Serge Mainville, le patron de Louis-Pierre Lafortune, estime que ses concurrents multiplient les plaintes pour tenter d’écraser son entreprise.
   «J'ai eu beaucoup de visites», dit-il, en nommant l'Autorité des marchés financiers, le Bureau de l’inspecteur général de Montréal, l’Agence du revenu et les contrôleurs routiers. «[Le ministère de] l'Environnement vient à tous les mois ou deux mois parce qu'ils disent qu'ils ont des plaintes. Ils prennent des analyses et tout est conforme», ajoute Serge Mainville, qui dénonce un traitement inéquitable des autorités par rapport à ses compétiteurs.
   Quant aux vidéos de filature qui montrent ses camions déversant le contenu de sites contaminés sur une terre agricole, M. Mainville se défend. «Je n'ai aucun contrôle sur les dompes que les clients choisissent. Moi, je suis comme un taxi [...], c'est le client qui choisit ce qu'il met dans le camion et où on va disposer.»

Les dompes à coupons

Tout comme son consultant Louis-Pierre Lafortune, Serge Mainville reconnaît que la dispersion de sols contaminés dans la nature est une réalité. «C'est une petite minorité qui salit des terres agricoles», dit-il.
   Il a montré à Radio-Canada plusieurs terres dans la région des Basses-Laurentides où les propriétaires vendraient un accès à leur terrain sans se soucier de la provenance et de la qualité des sols. Des «dompes à coupons», selon l’expression consacrée dans le milieu.
   «Ils mettent une personne à l'entrée de la dompe avec un bulldozer pour pousser, puis ils vont voir les entrepreneurs et ils vendent leurs coupons 20 $, 30 $, 40 $ du voyage», explique Serge Mainville.
   Sur un poteau, on voit une boîte avec un cadenas. «C'est ça qui fait qu'on est pointés du doigt. C'est ces gens-là qui sont en train de détruire le marché», plaide-t-il.
   MM. Mainville et Lafortune croient aussi que de grandes entreprises de décontamination et les sites d’enfouissement exagèrent le problème de la dispersion de sols contaminés parce qu’ils craignent un assouplissement des règles.
   Alors que les différents acteurs de l’industrie des sols contaminés se renvoient la responsabilité, les déversements illégaux se poursuivent.
   «Aujourd'hui, je suis convaincu qu'il y a encore des centaines de camions qui parcourent nos routes au Québec et qui vont impunément décharger leur contenu de sols contaminés dans différents endroits qui ne sont pas autorisés», croit Alain Robichaud, coprésident d’Englobe. «C'est ça le drame dans cette histoire-là : c'est que ça continue.»
   Pour l’avocat Michel Bélanger, le ministère de l’Environnement n’est pas craint, car il n’a pas les ressources suffisantes pour exercer les contrôles nécessaires. «Si on avait des exemples qui aboutissaient à des poursuites, à terme, il y a beaucoup plus de propriétaires et d'entrepreneurs qui feraient les choses différemment», croit-il.
   Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoît Charette, a refusé la demande d’entrevue de Radio-Canada, invoquant des enquêtes en cours de son ministère.

Article et photos :

Gestion des matières dangereuses et radioactives
Il s’agit d’un problème international, on le comprendra. Le documentaire d’Arte Le poison de la mafia et la loi du silence nous fait découvrir le degré de connivence et de servilité des gouvernements envers le crime organisé. Les pratiques de la mafia calabraise en Italie, main dans la main avec les multinationales et les états du monde entier (d’autres mafias), organise la gestion des déchets nucléaires. Noyés au fond des mers dans des épaves sabordées, enfouis dans des décharges légales et illégales sur terre, ces déchets empoisonnent les humains et les non-humains des milieux qu’ils intoxiquent. Derrière le politicien véreux se cache toujours une entreprise véreuse.

À VOIR (horrifiant)  

Carte des navires (connus) transportant potentiellement des déchets toxiques, parfois nucléaires, coulés en mer par la mafia (source http://www.infondoalmar.info/)

Second volet de l’émission Enquête

Les clients douteux de Bombardier

Par Julie Dufresne
Enquête | ICI Radio-Canada | 14 mars 2019

Dans le luxueux monde des jets d'affaires...

Vols à haut risque
Bombardier est l’un des plus importants fabricants de jets privés au monde. Mais qui sont ses clients? Des documents confidentiels consultés par Enquête montrent que la compagnie a multiplié les efforts pour vendre un avion à une riche famille d’Afrique du Sud au coeur d’un scandale de corruption.
   L’industrie de l’aviation d’affaire comporte des risques : qui peut s’offrir des avions qui valent plusieurs dizaines de millions de dollars? Des documents confidentiels consultés par Enquête montrent que la multinationale québécoise a vendu des appareils à des clients qui sont loin d’être sans tache. Notre équipe lève le voile sur un monde où la logique du développement des marchés, semble parfois avoir préséance sur l’éthique.


Citations du jour

Auteur : Michael Parenti, professeur en sciences politiques et écrivain http://www.michaelparenti.org/quotes.html

«Le but d'une bonne société est de structurer les relations sociales et les institutions de sorte que les impulsions coopératives et généreuses soient récompensées, tandis que les impulsions antisociales soient découragées. Le problème du capitalisme c'est qu'il récompense le pire de nous-mêmes : des pulsions impitoyables, compétitives, machiavéliques, opportunistes, cupides, et qu’il récompense peu et même punit – ou du moins freine – l'honnêteté, la compassion, le fair play, le travail honnête, l'amour de la justice et l’aide à ceux qui sont dans le besoin.»

«Les implications écologistes pour le capitalisme sont trop importantes pour que le capitaliste puisse les envisager. [Les ploutocrates] sont plus attachés à leur richesse qu'à la Terre sur laquelle ils vivent, plus préoccupés par le sort de leur fortune que par celui de l'humanité. La crise écologique actuelle a été créée par une minorité d’individus au détriment du plus grand nombre. En d'autres termes, la lutte pour l'environnementalisme fait partie de la lutte des classes elle-même, un fait qui semble avoir échappé à de nombreux écologistes mais qui est bien compris par les ploutocrates – c'est pourquoi ils ne se privent pas de ridiculiser et de dénoncer les ‘éco-terroristes’ et les ‘protecteurs des arbres‘.

«Dans les sociétés qui vénèrent l'argent et le succès, les perdants deviennent des objets de mépris. Ceux qui travaillent le plus dur et reçoivent le moins sont appelés paresseux. On pense que ceux qui sont forcés de vivre dans des logements insalubres sont responsables de leur vie insalubre. Ceux qui ne terminent pas leurs études secondaires ou qui n'ont pas les moyens d'aller à l'université sont considérés déficients ou incompétents.» 
[On croirait entendre Macron à propos des Gilets Jaunes...]


«Le principe directeur des élites dirigeantes était – et est toujours : quand le changement menace de régner, alors les règles sont changées.»  

«Si l'on examine les généalogies de nombreuses ‘vieilles familles’, on découvre des épisodes de trafic d'esclaves, de trafic d'alcool, de trafic d'armes, de trafic d'opium, de falsification des revendications territoriales, d'acquisition par la violence des droits sur l'eau et les mines, d'extermination de peuples autochtones, de vente de marchandises de mauvaise qualité et dangereuses, de fonds publics utilisés pour des spéculations privées, d'ententes malhonnêtes sur des titres et des bonds gouvernementaux, et de pots de vin en échange de faveurs politiques. On trouve des fortunes bâties sur le travail forcé, le travail sous contrat, le travail en prison, le travail des immigrés, le travail des femmes, le travail des enfants et le travail des briseurs de grève – soutenus par la force meurtrière des bandits armés et des milices. ‘L'argent ancien’ n'est souvent que de l'argent sale blanchi par plusieurs générations de possession.»

«Une nation n'aide pas une autre nation comme tel. En réalité, les citoyens ordinaires de notre pays, par leurs impôts, donnent aux élites privilégiées d'un autre pays. Comme quelqu'un l'a dit un jour : l'aide étrangère, c'est quand les pauvres d'un pays riche donnent de l'argent aux riches d'un pays pauvre.»  

Aucun commentaire:

Publier un commentaire