Chaque année, des tonnes de débris et
de terre contaminée voyagent des chantiers de construction de Montréal jusqu'à
certaines terres agricoles du Québec. À Enquête, on a cherché les coupables.
Des sols contaminés excavés sur des chantiers de construction à Montréal
seraient déversés sur des terres agricoles autour de la Métropole. Une équipe
d’Enquête a suivi des camions, tourné des déversements et documenté l’état de
ces terres agricoles. Mais le vrai défi a été de tenter de trouver qui est
responsable.
À
VOIR :
Ou
sur le site de l’émission :
Les vidanges dans nos campagnes
Marie-Maude
Denis et Jacques Taschereau
Enquête
| Radio-Canada |14 mars 2019
Surplombant
un champ de laitue, un dépotoir à ciel ouvert rempli de déchets de
construction. En tentant de trouver le coupable, Enquête a découvert une guerre
de marché où bons et méchants sont difficiles à départager. Le gouvernement,
lui, peine à sévir pour empêcher la pollution de nos campagnes.
Depuis plusieurs années, on creuse le centre-ville
de Montréal pour y construire des condos, des édifices publics, des ponts et
des routes. Le ballet des pelles excavatrices remplit des milliers de camions
avec des sols souillés par l’héritage industriel de la métropole.
Mais où vont ces camions? En partie là où
ils ne devraient pas : sur des terres agricoles.
Enquête a trouvé une montagne déchets de
démolition en tout genre surplombant un champ, en pleine zone agricole. Voici
des photos, prises en novembre dernier, de la terre du maraîcher A. Barbeau et
fils, à Saint-Rémi, en Montérégie.
«C'est clairement un dépôt sauvage de
matériaux secs qui devraient être envoyés ailleurs», estime l’avocat spécialisé
en environnement Michel Bélanger en regardant les images.
Ce dépôt est parfaitement légal, se défend
Benoît Barbeau, l’un des propriétaires de la terre agricole, spécifiant qu’il
se constituait un «fond» pour y construire des serres.
Cette explication fait sursauter Michel
Bélanger : «Ce n'est pas parce qu'un propriétaire veut construire une
grange ou un autre bâtiment que ça justifie d'y mettre n'importe quoi.»
Vérification faite, la terre agricole ne
dispose d’aucun permis pour accueillir des débris de démolition. Le ministère
québécois de l’Environnement confirme également avoir trouvé des sols
contaminés sur place en juin dernier, mais n’a pas voulu en préciser la
provenance, puisque l’enquête est toujours en cours.
Quant à M. Barbeau, il a offert de montrer
des documents sur l’origine et la qualité des sols qu’il a reçus sur sa terre,
mais il s’est ensuite désisté.
Les débris de l’hôpital Saint-Luc
Les
déchets observés sur la terre agricole de Saint-Rémi proviennent notamment du
chantier du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), a découvert
Enquête. Plus précisément, les débris retrouvés en zone agricole sont ceux de
l'hôpital Saint-Luc en démolition.
L’entrepreneur général Pomerleau,
responsable du chantier certifié LEED pour son souci environnemental, soutient
que son sous-traitant a assuré que tout était légal parce que le maraîcher a le
droit de se construire un « chemin de ferme » avec de la brique et du béton.
Or, l’ensemble des débris retrouvés à Saint-Rémi ne sont pas admis pour une
telle construction, indique le ministère de l’Environnement.
Pomerleau promet qu’il apportera les
correctifs nécessaires si son sous-traitant a contrevenu aux règles.
En plus des déchets de l’hôpital Saint-Luc,
des chargements de terre provenant du site du projet de condominiums NOCA, dans
le quartier Griffintown à Montréal, ont été déversés sur la terre agricole du
maraîcher Barbeau. Le responsable du chantier, DevMcGill, rejette aussi la
responsabilité sur les sous-traitants.
La loi est pourtant claire. «La
responsabilité demeure sur le générateur du déchet», explique Me Michel
Bélanger, qui ajoute que les propriétaires d’une terre agricole n’ont pas le
droit de polluer leur terrain.
L’industrie des sols contaminés dans le sud
du Québec ressemble au Far West depuis plusieurs années. Dès 2016, une entreprise
de décontamination de l’est de Montréal se plaignait à Radio-Canada d’un
compétiteur qui lui raflait une partie de ses contrats.
«Il est arrivé un nouveau joueur dans le
marché qui prétend être un courtier en sols contaminés. Ce sont des gens qui,
de toute évidence, n’ont pas de permis et qui n’ont pas de technologie pour
traiter les sols», expliquait Marlène Girard, présidente d’Énergie Carboneutre.
Pour en avoir le coeur net, la femme
d’affaires a embauché des détectives privés qui ont filé des camions à partir
de chantiers de construction au centre-ville de Montréal, jusqu’à des lieux de
déversements illégaux, selon elle.
«Ma motivation première, c’était ma
business, mais je ne pensais pas trouver quelque chose d’aussi gros», dit Mme
Girard, qui estime que la dispersion illégale des sols contaminés représente un
danger pour la santé du public et pour la faune. «Ça se retrouve dans les cours d’eau, ça se retrouve dans l’air et ça
se retrouve dans notre assiette.»
Enquête a suivi des camions pendant quelques
semaines à l’hiver 2016 et observé des déversements dans la nature. Certains
des échantillons prélevés sur des terres agricoles se sont avérés contaminés,
d’autres pas.
Les propriétaires des terrains confrontés
par Radio-Canada soutenaient que les sols étaient propres et que les débris de
démolition observés ne devaient pas provenir de chez eux.
L’enquête Naphtalène
La
police a aussi enquêté sur les sols contaminés. Or, après deux ans de travail,
la Sûreté du Québec a fait chou blanc avec l’enquête baptisée Naphtalène. Le
Directeur des poursuites criminelles et pénales a pris la décision, au
printemps dernier, de ne pas porter d’accusations.
La Presse a publié plusieurs révélations sur
la question des sols contaminés et sur cette enquête policière.
Photo
aérienne : Sûreté du Québec. Terrain à Sainte-Sophie, dans les Laurentides,
lors de l’opération Naphtalène en 2015.
Cet
échec des autorités à sévir contre les pollueurs a profondément choqué Alain
Robichaud, coprésident d’Englobe, un joueur majeur dans la décontamination des
sols au Québec : «Je n'ai toujours pas compris pourquoi les accusations
n'ont pas été portées dans ces dossiers-là, c'est une catastrophe.»
Comme son compétiteur Énergie Carboneutre,
Alain Robichaud a embauché des détectives privés pour suivre des camions au
printemps et à l’été 2018. Il a remis une copie des vidéos de filature à
Enquête.
Outre les débris de l’hôpital Saint-Luc, les
vidéos montrent d’autres chantiers et d’autres sites où sont déposés des sols,
dont à Ormstown et à Pointe-Fortune, en Montérégie. On y retrouve des déchets,
a constaté Radio-Canada.
Le spectre de Louis-Pierre Lafortune
Louis-Pierre
Lafortune, ancien vice-président de Grues Guay, a été condamné en 2016 pour
avoir comploté pour recycler les produits de la criminalité. Il est toujours en
appel du verdict.
Plus récemment, il a travaillé pour une
entreprise dans la mire de la Sûreté du Québec lors de l’enquête Naphtalène.
Louis-Pierre Lafortune est aujourd’hui consultant chez K.L. Mainville, une
compagnie dont les camions apparaissent dans les vidéos de filature d’Englobe.
Plusieurs sources font le parallèle entre le
passé de Louis-Pierre Lafortune, dépeint comme un proche des Hells Angels, et
la croissance de K.L. Mainville dans le transport de sols contaminés. «J’ai été
impliqué dans la disposition de sols, mais je nie totalement avoir été impliqué
dans la disposition illégale de sols contaminés. Non seulement je ne fais pas
partie de ça, mais je suis contre ça», se défend Louis-Pierre Lafortune. «J’ai
côtoyé des gens du crime organisé, mais ça fait quand même 10-15 ans. À ce
moment-là, c’était autre temps, autres moeurs.»
Aujourd’hui, M. Lafortune affirme qu’il n’a
plus aucun lien avec des gens du crime organisé.
Enquête a confronté Marlène Girard d’Énergie
Carboneutre aux mêmes questions, puisque son entreprise a déjà été associée aux
mafieux Raynald Desjardins et Domenico Arcuri. «Il n'y a aucune mafia dans
Carboneutre, d'aucune façon.»
Elle assure que Desjardins et Arcuri n’ont
plus d’intérêts financiers dans sa compagnie.
Serge Mainville, le patron de Louis-Pierre
Lafortune, estime que ses concurrents multiplient les plaintes pour tenter
d’écraser son entreprise.
«J'ai eu beaucoup de visites», dit-il, en
nommant l'Autorité des marchés financiers, le Bureau de l’inspecteur général de
Montréal, l’Agence du revenu et les contrôleurs routiers. «[Le ministère de]
l'Environnement vient à tous les mois ou deux mois parce qu'ils disent qu'ils
ont des plaintes. Ils prennent des analyses et tout est conforme», ajoute Serge
Mainville, qui dénonce un traitement inéquitable des autorités par rapport à
ses compétiteurs.
Quant aux vidéos de filature qui montrent
ses camions déversant le contenu de sites contaminés sur une terre agricole, M.
Mainville se défend. «Je n'ai aucun contrôle sur les dompes que les clients
choisissent. Moi, je suis comme un taxi [...], c'est le client qui choisit ce
qu'il met dans le camion et où on va disposer.»
Les dompes à coupons
Tout
comme son consultant Louis-Pierre Lafortune, Serge Mainville reconnaît que la
dispersion de sols contaminés dans la nature est une réalité. «C'est une petite
minorité qui salit des terres agricoles», dit-il.
Il a montré à Radio-Canada plusieurs terres
dans la région des Basses-Laurentides où les propriétaires vendraient un accès
à leur terrain sans se soucier de la provenance et de la qualité des sols. Des
«dompes à coupons», selon l’expression consacrée dans le milieu.
«Ils mettent une personne à l'entrée de la
dompe avec un bulldozer pour pousser, puis ils vont voir les entrepreneurs et
ils vendent leurs coupons 20 $, 30 $, 40 $ du voyage», explique Serge
Mainville.
Sur un poteau, on voit une boîte avec un
cadenas. «C'est ça qui fait qu'on est pointés du doigt. C'est ces gens-là qui
sont en train de détruire le marché», plaide-t-il.
MM. Mainville et Lafortune croient aussi que
de grandes entreprises de décontamination et les sites d’enfouissement
exagèrent le problème de la dispersion de sols contaminés parce qu’ils
craignent un assouplissement des règles.
Alors que les différents acteurs de
l’industrie des sols contaminés se renvoient la responsabilité, les
déversements illégaux se poursuivent.
«Aujourd'hui, je suis convaincu qu'il y a
encore des centaines de camions qui parcourent nos routes au Québec et qui vont
impunément décharger leur contenu de sols contaminés dans différents endroits
qui ne sont pas autorisés», croit Alain Robichaud, coprésident d’Englobe. «C'est
ça le drame dans cette histoire-là : c'est que ça continue.»
Pour l’avocat Michel Bélanger, le ministère
de l’Environnement n’est pas craint, car il n’a pas les ressources suffisantes
pour exercer les contrôles nécessaires. «Si on avait des exemples qui
aboutissaient à des poursuites, à terme, il y a beaucoup plus de propriétaires
et d'entrepreneurs qui feraient les choses différemment», croit-il.
Le
ministre de l’Environnement du Québec, Benoît Charette, a refusé la demande
d’entrevue de Radio-Canada, invoquant des enquêtes en cours de son ministère.
Article et photos :
Gestion
des matières dangereuses et radioactives
Il
s’agit d’un problème international, on le comprendra. Le documentaire d’Arte Le poison de la mafia et la loi du silence
nous fait découvrir le degré de connivence et de servilité des gouvernements
envers le crime organisé. Les pratiques de la mafia calabraise en Italie, main
dans la main avec les multinationales et les états du monde entier (d’autres
mafias), organise la gestion des
déchets nucléaires. Noyés au fond des mers dans des épaves sabordées, enfouis
dans des décharges légales et illégales sur terre, ces déchets empoisonnent les
humains et les non-humains des milieux qu’ils intoxiquent. Derrière le
politicien véreux se cache toujours une entreprise véreuse.
À
VOIR (horrifiant)
Carte
des navires (connus) transportant potentiellement des déchets toxiques, parfois
nucléaires, coulés en mer par la mafia (source http://www.infondoalmar.info/)
Second
volet de l’émission Enquête
Les clients douteux de Bombardier
Par
Julie Dufresne
Enquête
| ICI Radio-Canada | 14 mars 2019
Dans
le luxueux monde des jets d'affaires...
Vols à haut risque
Bombardier
est l’un des plus importants fabricants de jets privés au monde. Mais qui sont
ses clients? Des documents confidentiels consultés par Enquête montrent que la
compagnie a multiplié les efforts pour vendre un avion à une riche famille
d’Afrique du Sud au coeur d’un scandale de corruption.
L’industrie de l’aviation d’affaire comporte
des risques : qui peut s’offrir des avions qui valent plusieurs dizaines de
millions de dollars? Des documents confidentiels consultés par Enquête montrent
que la multinationale québécoise a vendu des appareils à des clients qui sont
loin d’être sans tache. Notre équipe lève le voile sur un monde où la logique
du développement des marchés, semble parfois avoir préséance sur l’éthique.
Citations du jour
Auteur :
Michael Parenti, professeur en sciences politiques et écrivain http://www.michaelparenti.org/quotes.html
«Le
but d'une bonne société est de structurer les relations sociales et les
institutions de sorte que les impulsions coopératives et généreuses soient
récompensées, tandis que les impulsions antisociales soient découragées. Le
problème du capitalisme c'est qu'il récompense le pire de nous-mêmes : des
pulsions impitoyables, compétitives, machiavéliques, opportunistes, cupides, et
qu’il récompense peu et même punit – ou du moins freine – l'honnêteté, la
compassion, le fair play, le travail honnête, l'amour de la justice et l’aide à
ceux qui sont dans le besoin.»
«Les
implications écologistes pour le capitalisme sont trop importantes pour que le
capitaliste puisse les envisager. [Les ploutocrates] sont plus attachés à leur
richesse qu'à la Terre sur laquelle ils vivent, plus préoccupés par le sort de
leur fortune que par celui de l'humanité. La crise écologique actuelle a été
créée par une minorité d’individus au détriment du plus grand nombre. En
d'autres termes, la lutte pour l'environnementalisme fait partie de la lutte des
classes elle-même, un fait qui semble avoir échappé à de nombreux écologistes
mais qui est bien compris par les ploutocrates – c'est pourquoi ils ne se
privent pas de ridiculiser et de dénoncer les ‘éco-terroristes’ et les
‘protecteurs des arbres‘.
«Dans
les sociétés qui vénèrent l'argent et le succès, les perdants deviennent des
objets de mépris. Ceux qui travaillent le plus dur et reçoivent le moins sont
appelés paresseux. On pense que ceux qui sont forcés de vivre dans des
logements insalubres sont responsables de leur vie insalubre. Ceux qui ne
terminent pas leurs études secondaires ou qui n'ont pas les moyens d'aller à
l'université sont considérés déficients ou incompétents.»
[On croirait entendre
Macron à propos des Gilets Jaunes...]
«Le
principe directeur des élites dirigeantes était – et est toujours : quand le
changement menace de régner, alors les règles sont changées.»
«Si
l'on examine les généalogies de nombreuses ‘vieilles familles’, on découvre des
épisodes de trafic d'esclaves, de trafic d'alcool, de trafic d'armes, de trafic
d'opium, de falsification des revendications territoriales, d'acquisition par
la violence des droits sur l'eau et les mines, d'extermination de peuples
autochtones, de vente de marchandises de mauvaise qualité et dangereuses, de
fonds publics utilisés pour des spéculations privées, d'ententes malhonnêtes
sur des titres et des bonds gouvernementaux, et de pots de vin en échange de faveurs
politiques. On trouve des fortunes bâties sur le travail forcé, le travail sous
contrat, le travail en prison, le travail des immigrés, le travail des femmes,
le travail des enfants et le travail des briseurs de grève – soutenus par la
force meurtrière des bandits armés et des milices. ‘L'argent ancien’ n'est
souvent que de l'argent sale blanchi par plusieurs générations de possession.»
«Une
nation n'aide pas une autre nation comme tel. En réalité, les citoyens
ordinaires de notre pays, par leurs impôts, donnent aux élites privilégiées
d'un autre pays. Comme quelqu'un l'a dit un jour : l'aide étrangère, c'est
quand les pauvres d'un pays riche donnent de l'argent aux riches d'un pays
pauvre.»
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