Le
roman de John le Carré, La constance du
jardinier (publié en 2000), se concentre sur les machinations des
multinationales pharmaceutiques et leurs alliances politiques. À la fin
l’auteur a pris soin (on le comprend) de spécifier que tous les personnages,
les entreprises, certains lieux et contextes étaient fictifs. Extrait, p. 487 :
[...] En ces temps maudits où les
avocats dirigent le monde, je dois multiplier ainsi les démentis, en
l’occurrence totalement sincères. Aucun personnage de ce roman, aucun organisme
ni aucune société, Dieu merci, ne m’a été inspiré par une personne ou une organisation
existante, qu’il s’agisse de Woodrow, Pellegrin, Landsbury, Crick, Curtiss et
sa redoutable maison ThreeBees ou MM. Karel Vita Hudson, alias KVH, à une exception près : le merveilleux Wolfgang de
l’Oasis Lodge, un personnage qui marque tant ses visiteurs qu’il serait futile
d’essayer de lui créer un alter ego. Dans sa royale bonté, Wolfgang n’a émis
aucune objection à ce que j’utilise son
nom et sa voix.
Le Dypraxa n’existe pas, n’a jamais existé
et n’existera jamais. Je ne connais aucun remède miracle antituberculeux
récemment lancé ni sur le point de l’être sur le marché africain ou tout autre,
si bien qu’avec un peu de chance je ne vais pas passer le restant de ma vie
dans des tribunaux ou pire, quoique de nos jours on ne puisse jamais être sûr.
Mais je peux vous dire une chose : à mesure que j’avançais dans mon
périple à travers la jungle pharmaceutique, je me suis rendu compte que, au
regard de la réalité, mon histoire est aussi anodine qu’une carte postale de
vacances. [...]
Son
histoire anodine offre néanmoins des marqueurs
saisissants en rapport avec notre industrie pharmaceutique actuelle, si l’on
considère le nombre renversant de médicaments et de produits de santé qui ont
été bannis depuis 2000. Nous avons de bonnes raisons de nous inquiéter. On ne
peut ignorer les scandales liés au fentanyl et au glyphosate (Roundup Bayer/Monsanto).
Lucratif le business pharmaceutique? En 2017, le chiffre d’affaires du titan américain
Johnson & Johnson s’élevait à plus de 76 milliards de dollars, celui de Roche
(Suisse) à plus de 55 milliards et celui de Bayer Schering Pharma (Allemagne) à
plus de 43 milliards.
Qu’avons-nous besoin de milliers de médicaments tandis
que quelques centaines suffiraient?
En France, il existe une Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), un genre de «police
sanitaire» dont la principale mission est de «garantir la sécurité des produits
de santé tout au long de leur cycle de vie, depuis les essais initiaux jusqu’à
la surveillance après autorisation de mise en marché». Sa compétence s’applique
aux médicaments, produits biologiques, dispositifs médicaux, produits cosmétiques
et de tatouage, et autres https://www.ansm.sante.fr/
Santé Canada fait sa part :
Tous
les rappels et avis de sécurité concernant les produits de santé
Ce
roman nous rappelle aussi à des fraudes de l’aide internationale et des ONG – Haïti, le Venezuela et le Yémen en sont de sinistres exemples. Les crimes
contre l’humanité sont légions en ce monde.
Autre
similitude : nos histoires de corruption locales. Entre autres, le congédiement de l'agronome Louis Robert par le ministère de l'Agriculture, l’affaire SNC-Lavalin qui se dépatouille
dans la fange, ainsi que notre fleuron d'injustice, la Commission Charbonneau – des ex ministres auraient dû répondre
à des accusations de corruption, de fraude envers le gouvernement et d’abus de
confiance (cadeaux ou financement politique en échange de subventions ou octroi
de contrats publics). Mais, aucune poursuite n’a suivi grâce à la géniale option
d’évitement de notre système judiciaire : l’arrêt Jordan.
Bref, la trame du roman peut s’appliquer au
fonctionnement de n’importe quel méga système d’exploitation – agraire, pétrolier,
minier, etc.
Source : Le Monde
La constance du jardinier
John le Carré
Éditions du Seuil,
2001
Des
extraits ô combien pertinents en 2019.
[L’ex
ambassadeur suivra la trajectoire de sa conjointe Tessa jusque dans des labos
canadiens pour savoir pourquoi et par qui elle a été assassinée au Kenya.]
P.
263 /...
Justin
Quayle explore le portable de Tessa.
Des communiqués de l’Organisation mondiale
de la santé.
Les actes d’obscurs symposiums médicaux
organisés à Genève, Amsterdam et Heidelberg sous l’égide des non moins obscurs
avant-postes du vaste empire médical onusien.
Des prospectus vantant des molécules au nom
imprononçable et leurs vertus curatives.
Des notes de Tessa elle-même. Des mémos. Une
citation choc du Time Magazine encadrée de points d’exclamation, en capitales
grasses, visible de l’autre bout de la pièce par qui a des yeux et les garde
ouverts. Une synthèse effrayante pour la galvaniser dans sa quête : en 1993, les essais cliniques se sont soldés
par 691 réactions négatives, dont seules 39 ont été signalées aux autorités
sanitaires nationales.
Justin tombe sur une attaque en règle du mot
Humanitarisme. À ce qu’il découvre,
humanitarisme est le mot clé de Tessa. Dès qu’elle l’entend, elle sort son
revolver.
Chaque
fois que j’entends un labo justifier ses agissements par les mots
Humanitarisme, Altruisme ou Déontologie, j’ai envie de vomir parce que je lis
par ailleurs que les géants pharmaceutiques américains essaient de prolonger la
vie de leurs patients pour préserver leur monopole, fixer les prix qu’ils
veulent et utiliser le département d’État comme épouvantail afin de dissuader
le tiers-monde de fabriquer ses propres produits génériques à une fraction du
prix de la version déposée.
[...]
Et
la tuberculose, c’est le jackpot – demandez donc à Karel Vita Hudson (KVH).
D’un jour à l’autre, les pays les plus riches vont être confrontés à une
pandémie tuberculeuse, ce qui fera de Dypraxa la poule aux œufs d’or dont rêve
tout bon actionnaire. La peste blanche, la phtisie galopante, la grande
faucheuse, la camarde ne se contente plus seulement des miséreux de cette
terre. Elle fait ce qu’elle faisait il y a cent ans. Elle plane comme un
immonde nuage de pollution dans le ciel de l’Occident, même si les victimes se
comptent toujours parmi les pauvres.
Et au Kenya, comme dans d’autres nations
d’Afrique, l’incidence de la tuberculose a été multipliée par quatre depuis
l’apparition du virus VIH.
L’incidence nationale dans les groupes des
minorités urbaines surpeuplées serait en constante augmentation. C’est-à-dire
en termes compréhensibles par les bourses du monde entier : si le marché
de la tuberculose suit les prévisions, il y aura des milliards de dollars à
gagner, et qui les fera rentrer c’est le Dypraxa – toujours à condition que le
galop d’essai en Afrique n’ait pas révélé d’effets indésirables. Bien sûr.
P.
285
Mégapoles
tropicales : des enfers en puissance
Avec la destruction de l’écosystème du
tiers-monde par la déforestation sauvage, la pollution de l’eau et des sols et
l’exploitation pétrolière effrénée, de plus en plus de communautés rurales du
tiers-monde sont contraintes de migrer vers les villes en quête de travail et
subsistance. Les experts prévoient la formation de dizaines, voire de
centaines, de mégapoles tropicales qui attireront une nouvelle sous-classe
ouvrière déshéritée, ce qui entraînera des taux sans précédent de maladies
mortelles comme la tuberculose...
P.
388
Curtiss
possédait des demeures de Monaco à Mexico, et Donohue les détestait toutes. Il
détestait leur puanteur d’iode, leurs domestiques serviles et leurs planchers
flottants. Il détestait leurs bars à miroirs et leurs fleurs inodores qui vous
zieutaient comme les putes déprimées dont s’entourait Curtiss. Donohue les
assimilait aux Rolls-Royce, au Gulfstream et au yacht en un grand tripot
vulgaire à cheval sur une demi-douzaine de pays. Mais plus que tout, il
détestait cette ferme fortifiée sur les rives du lac Naivasha, ses clôtures
barbelées tranchants, ses vigiles, ses coussins en peau de zèbre, ses
tommettes, ses tapis en peau de léopard, ses sofas en antilope, son bar avec
miroirs éclairés en rose, sa télévision par satellite, son téléphone par
satellite, ses détecteurs de mouvement, ses boutons d’appel d’urgence ...
P.
391-392
–
Il était en Allemagne la semaine dernière, à fouiner chez une bande de
militants gauchises qui asticotent KVH. Si je n’avais pas été bonne poire, il
aurait été rayé des listes électorales. Mais vos gars à Londres, ils ne le
savent pas, ça, hein? Ils se font pas chier. Ils ont mieux à faire. Je vous
parle, Donohue!
–
Désolé, Kenny, je ne vous suis plus. Vous me demandez si mon service file
Quayle. Je n’en ai pas la moindre idée. Si de précieux secrets d’État sont en
danger. J’en doute. Si notre précieuse source sir Kenneth Curtiss doit être
protégée. Nous ne vous avons jamais promis de protéger vos intérêts
commerciaux, Kenny. Permettez-moi de vous le dire, je ne crois pas qu’il y ait
une institution au monde, financière ou autre, qui s’y engagerait. Et qui
survivrait.
–
Je vous emmerde! Hurla Curtiss. Je peux enterrer votre putain de Service à moi
tout seul si je veux, vous le savez, ça?
–
Mais mon cher ami, je n’en n’ai jamais douté.
–
Les mecs qui vous paient, je les invite à déjeuner. Je leur organise des
soirées sur mon yacht à la con. Et allons-y les filles, le caviar, le
champagne. En période électorale, c’est moi qui leur donne leur siège. Et
allons-y les voitures, les biftons, les secrétaires à gros nichons. Je traite
avec des sociétés qui font dix fois plus de fric que votre boîte n’en dépense
en un an. Si je leur disais ce que je sais, vous seriez cuits. Alors, je vous
emmerde Donohue.
[...]
–
Pourquoi vous me faites ça? J’ai le droit de savoir! Je suis sir Kenneth
Curtiss, bordel de merde! Tiens que l’année dernière, j’ai versé un
demi-million de livres dans les caisses du parti, putain! Et à vous, le
Renseignement britannique de mes deux, je vous ai fourni des infos en or! Je
vous ai gracieusement rendu certains services d’un genre très, très spécial.
Je...
P.
424/429
–
Qui vous a dit de le passer à la trappe, Sandy?
–
Pellegrin, qui d’autre? «Brûlez-le, Sandy. Brûlez-en tous les exemplaires.»
Ordre du trône. Je n’en n’avais gardé qu’un, je l’ai brûlé. Vite fait bien
fait. Le bon élément, voyez-vous. Attentif à la sécurité. Comme je ne faisais
pas confiance aux concierges, je l’ai emporté de mes blanches mains dans la
salle des chaudières, et je l’ai balancé dans les flammes. Bien entraîné.
Premier de classe.
–
Porter savait?
–
Mmoui, en gros. Sans approuver. Il n’apprécie pas Bernard. C’est la guerre
ouverte entre eux. Enfin, ouverte façon Foreign Office. [...]
– Pellegrin
a dit pourquoi vous deviez le faire disparaître, le brûler? Brûler tous les
exemplaires?
[...]
–
Avez-vous pensé à demander à Pellegrin pourquoi il fallait détruire le
document? ...
–
Pour faire une pierre deux coups, d’après Bernard. Il y avait des intérêts
britanniques en jeu, déjà. Il faut bien protéger les siens.
–
Vous l’avez cru? ...
–
Je l’ai cru pour ThreeBees, évidemment. Le fleuron de l’industrie britannique
en Afrique, le joyau de la Couronne, Curtiss, le chouchou des dirigeants
africains, qui se distribue des pots-de-vin à droite et à gauche – c’est un
trésor national, ce type. En plus il fricote avec la moitié du Cabinet, ce qui
ne lui fait pas de mal.
–
D’une pierre deux coups, vous disiez?
–
KVH. Les types de Bâle nous faisaient la danse des sept voiles en laissant
entendre qu’ils pourraient ouvrir un complexe chimique dans le sud du Pays de
Galles, un autre à Cornouailles d’ici trois ans, et un troisième plus tard en
Irlande du Nord. Richesse et prospérité pour nos régions en difficulté. Mais si
on balançait tout sur le Dypraxa, terminé.
– Si
on balançait tout?
–
La molécule en était encore au stade des essais. Elle l’est toujours, en
théorie. Si elle tue quelques patients condamnés, où est le drame? Elle n’était
pas brevetée en Grande-Bretagne, donc pas de problème, si? Enfin, bon Dieu,
Justin, il faut bien les tester sur quelqu’un, les médicaments, non? Et alors,
on choisit qui, hein? Les étudiants en gestion de Harvard? ...
Enfin, merde! Ce n’est pas le boulot du
Foreign Office d’évaluer la sécurité des médicaments de synthèse! Il est censé
graisser les rouages de l’industrie britannique, pas aller raconter partout
qu’une compagnie britannique implantée en Afrique empoisonne ses clients. Vous
connaissez la règle du jeu. On n’est pas payés pour faire du sentiment. Et ces
gens qu’on tue seraient morts de toute façon. Regardez donc le taux de
mortalité qu’ils ont, ici – non que ça intéresse grand monde, d’ailleurs. ...
–
Les preuves étaient confondantes. Curtiss en a eu vent et a fait monter une
opération de couverture par son homme de main. Mais Tessa et Bluhm ont aussi
enquêté là-dessus. Ils sont retournés voir les gens qu’ils avaient interrogés :
plus personne. Alors ils ont consigné dans leur rapport que non seulement
ThreeBees empoisonnait les gens, mais en plus ils détruisaient les preuves
après coup. «Ce témoin a disparu depuis notre rencontre. Ce témoin a été accusé
de crime depuis notre rencontre. Ce village a été vidé de ses habitants.» Ils
on fait très fort.
[...]
–
Et à la lecture de ce rapport dont vous avez dû flairer l’authenticité, vous
n’avez toujours pas éprouvé le besoin de dire quoi que ce soit aux Kenyans?
– Nom
de Dieu, Quayle! Ça vous arrive souvent de mettre votre plus beau costume et de
vous propulser au quartier général de la police locale pour les accuser
d’orchestrer une opération de couverture en échange d’une obole de Kenny K? Ce
n’est pas comme ça qu’on se fait des amis et qu’on influence les gens sous le
soleil de Nairobi.
–
J’imagine qu’il y avait aussi des données cliniques?
[...]
Des
observations. Sur trente-sept cas en tout. De A à Z. Noms, adresses,
traitement, date et lieu de l’enterrement. Les mêmes symptômes chaque fois.
Somnolence, cécité, hémorragies, défaillance hépatique, bingo.
–
Et KVH contestait des données?
–
Non scientifiques, inductives, biaisées, tendancieuses... hyper-sensibilisées. Ça
veut dire qu’on est trop sensible pour être fiable.
P.
455
Suivis
à distance par Arthur et sa cour, Lorbeer et Justin arrivent à un dispensaire au
toit de chaume qui rappelle un clubhouse provincial de cricket. Se frayant
gentiment un chemin au milieu de malades qui hurlent, Lorbeer conduit Justin
devant un rideau en acier gardé par deux Africains costauds en tee-shirt de
Médecins sans frontières. On tire le rideau. ... Une auxiliaire médicale
blanche et trois assistants mélangent et dosent des ingrédients derrière un
comptoir en bois. Il règne une atmosphère de crise permanente mais contrôlée. [...]
– Un généreux et philanthropique labo du New
Jersey a fait don de ce produit aux nations pauvres et affamées du monde. [...]
Pourquoi le labo a-t-il fait don de ce médicament? Parce qu’ils en ont fabriqué
un meilleur et que l’ancien encombrerait le stock. Alors ils en font don à
l’Afrique malgré la date de péremption à six mois et ils obtiennent un avantage
fiscal de quelques millions de dollars pour leur acte de générosité. Sans
compter qu’ils s’épargnent au passage quelques millions en stockage et en frais
de destruction de médicaments invendables. Et en prime, tout le monde
dit : «Oh, regardez ce qu’ils sont gentils», y compris les actionnaires...
Ce lot est resté trois mois à la douane de Nairobi, le temps que les douaniers
se fassent graisser la patte. Il y a environ deux ans, le même labo a expédié
en Afrique des lotions capillaires, des remèdes antitabac et des coupe-faim.
Ces salauds sont dépourvus de tout sentiment, sauf pour le dieu Profit. Voilà
la vérité. [...]
Ces mecs prétendent faire de l’humanitaire!
Avec leur boulot pépère, leur salaire net d’impôts, leur retraire, leur belle
voiture, les écoles internationales gratuites pour leurs gosses! Si souvent en
déplacement qu’ils n’ont même plus le temps de dépenser leur fric. Je les ai
vus, moi, faire des gueuletons dans des grands restaurants suisses avec les
jeunes lobbyistes des labos. Pourquoi ils se mouilleraient au nom de
l’humanité? Genève a quelques milliards de dollars à claquer? Génial!
Donnons-les aux grands labos et faisons le bonheur des Américains!
----
(1)
Le laboratoire de microbiologie de Winnipeg (Manitoba) collectionne et/ou ressuscite
les virus les plus dangereux (en principe éradiqués) en vue de répondre à de
potentielles situations d’urgence. Il y a quelques années j’ai vu un
documentaire sur un des laboratoires LNM situé en Alberta. Il était question du
virus de la variole – absolument terrifiant!
Catégorie hommes de science sans conscience, éligibles à des Prix Darwin.
[Les Prix Darwin (Darwin Awards) saluent l'amélioration du génome humain en récompensant ceux et celles qui se sont accidentellement retirés du patrimoine génétique global en mourant à la suite de comportements particulièrement stupides de leur part. Les prix sont donc généralement décernés à titre posthume, mais parfois à des vivants devenus stériles pour la même raison. http://www.darwinawards.com/ ]
Catégorie hommes de science sans conscience, éligibles à des Prix Darwin.
[Les Prix Darwin (Darwin Awards) saluent l'amélioration du génome humain en récompensant ceux et celles qui se sont accidentellement retirés du patrimoine génétique global en mourant à la suite de comportements particulièrement stupides de leur part. Les prix sont donc généralement décernés à titre posthume, mais parfois à des vivants devenus stériles pour la même raison. http://www.darwinawards.com/ ]
En
2017, le gouvernement fédéral annonçait un financement de cinq millions de
dollars pour le Laboratoire national de microbiologie du Canada (LNM) de
Winnipeg afin reconfigurer l'espace et agrandir les lieux.
Les cinq millions de dollars seraient utilisés
pour convertir l'espace de laboratoire actuel de niveau de confinement 3 en «niveau
de biosécurité le plus élevé», déclarait le gouvernement fédéral dans un
communiqué de presse. L'établissement abrite déjà un laboratoire de
niveau 4, qui sera agrandi grâce à cet investissement. Les laboratoires de
confinement 4 sont équipés pour mener des diagnostics, mener des recherches et
développer des vaccins.
L'installation de Winnipeg est l'un des
laboratoires nord-américains manipulant des agents pathogènes qui nécessitent
le plus haut niveau de confinement. Il abrite également le Centre national des
maladies animales exotiques de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.
(Source : ICI Radio-Canada nouvelles, juillet 2017)
La ligne rouge
Marie Lambert-Chan
Québec
science | 29.03.2018
Des chercheurs de l’Alberta ont
ressuscité le virus de la variole équine. Une étude troublante qui soulève
d’importantes questions éthiques.
L’histoire
s’apparente à la prémisse d’un scénario hollywoodien : à l’aide de fragments
d’ADN achetés sur Internet, deux scientifiques recréent en laboratoire la variole
équine et en publient la «recette», ainsi disponible pour quiconque voudrait
reproduire la forme humaine du virus qui a tué près de 300 millions de
personnes avant d’être éradiqué en 1979. Malheureusement, cela n’a rien d’une
histoire de science-fiction : en janvier dernier, deux virologues de
l’université de l’Alberta ont publié dans PLOS One une telle feuille de route.
Personne
ne les a arrêtés. Ni le comité d’éthique de leur établissement, ni
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) où ils ont présenté leurs travaux en
2016, ni le comité de révision de la revue savante, ni les autorités des
agences canadiennes de la santé publique et d’inspection des aliments que les
chercheurs disent avoir consultées... La variole a pourtant tué plus de personnes
que toutes les autres maladies infectieuses réunies.
Doit-on tout publier? Y a-t-il des cas
extrêmes où l’on doit tracer une ligne rouge?
À
l’heure où le bioterrorisme est considéré comme une menace grandissante et où
les risques de pandémie n’ont jamais été aussi élevés, comment est-il possible
qu’aucune de ces entités n’ait davantage contesté la pertinence de ces travaux,
et ce, en dépit des avertissements lancés par de nombreux experts en
biosécurité ?
Les
scientifiques albertains ont concédé que leur recherche tombait dans la
catégorie du «dilemme du double usage», c’est-à-dire qu’elle peut être
utilisée pour faire le bien comme le mal. Évidemment, à leurs yeux, ils
poursuivent un noble objectif : concevoir un meilleur vaccin contre la variole
et explorer une technologie qui pourrait les aider à produire des vaccins
anticancéreux. Cela dit, leurs arguments tiennent difficilement la route. Le
vaccin antivariolique a fait ses preuves. Pourquoi en produire un autre,
surtout lorsqu’on ne recommande plus l’immunisation systématique de la
population? Parce que l’étude est financée par une compagnie pharmaceutique,
Tonix, qui espère commercialiser le futur vaccin.
Par
ailleurs, sous le vernis des bonnes intentions des chercheurs se cachent des
détails inquiétants qui ont émergé à la faveur du travail de journalistes
américains. Le chercheur principal, David Evans, n’avait pas besoin de recréer
le virus en laboratoire puisqu’il existe un spécimen dans les congélateurs des
Centers for Disease Control and Prevention. Il a même demandé à l’obtenir, pour
ensuite abandonner sa requête, jugeant que ce virus n’aurait pas été aussi
efficace pour mettre au point un vaccin sécuritaire, d’où le besoin d’en
synthétiser un de toutes pièces. Mais est-ce vrai? Rien ne le prouve. Qui plus
est, le doute est permis; car David
Evans a admis qu’il souhaitait prouver au monde que la synthèse de la variole
équine était faisable. C’est ce qu’il a affirmé, selon des témoins, pendant
une réunion du comité consultatif de l’OMS de la recherche sur le virus variolique
où il siégeait en compagnie d’un autre chercheur qui a présidé le comité de
révision de la revue PLOS One. Ce même comité qui a approuvé unanimement la
publication de l’étude, alors que les revues Science et Nature Communications
l’avaient refusée.
Cette
saga soulève d’importantes questions qu’on ne peut plus ignorer. La science ne
pourrait évoluer sans la liberté académique, soit. Mais doit-on tout publier?
Y a-t-il des cas extrêmes où l’on doit tracer une ligne rouge? Si oui, qui est
responsable? Ne devrait-on pas réfléchir à des mécanismes d’approbation et de
surveillance qui impliqueraient à la fois les universités, les gouvernements,
les organismes de subvention de la recherche, les journaux scientifiques, les
organisations internationales et le privé? Trouver des réponses à ces
questions est drôlement plus urgent que de mettre au point un nouveau vaccin
contre un virus qui a disparu il y a 40 ans.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire