20 février 2019

L’élite économique vue par Boucar Diouf

Un article de notre ami Boucar publié il y presque deux ans. On y retrouve les mobiles du mouvement Gilets Jaunes en France (1).

«Quand l’argent est sale... il pue! Mais il y a toujours des solutions pour qu’il n’ait plus d’odeur : ON LE BLANCHIT!» (Expressio.fr, ‘L’argent n’a pas d’odeur’)

Les dérives de l’élite économique planétaire

Boucar Diouf | Humoriste, conteur, biologiste et animateur

OPINION | La Presse+ | Le 8 avril 2017

Les puissants nomades, c’est l’élite planétaire qui gère les multinationales. Des gens sans appartenances particulières, parce que leurs affaires transcendent les frontières et que leur pognon pénètre parfois le nuage à l’abri du fisc.

Certaines de ces baleines bleues de l’économie sont si énormes qu’elles n’ont plus de prédateurs. Aux gouvernements, elles demandent des subventions, des baisses et des crédits d’impôt, un assouplissement des règles de protection de l’environnement, des tarifs d’électricité plus bas, etc.
   Elles réclament des carottes en brandissant le bâton de la menace de déménager leurs affaires ailleurs, où le tapis qui leur est déroulé est plus rouge et plus large. Bien des États se mettent alors au service de ce pouvoir financier au nom du diktat de cette croissance économique qui profite au sommet, mais très rarement au tronc et aux branches qui font pourtant la grosseur de l’arbre de la création de la richesse. Tout pour les patrons et des miettes pour les travailleurs.
   Que voulez-vous? Si on veut attirer les meilleurs d’entre eux, il faut mettre beaucoup de millions sur la table. Ce n’est pas moi qui fais cette affirmation, mais un des leurs qui s’appelle Alain Bellemare.
   Il faut, a-t-il dit devant la presse, des salaires semblables à ceux que la population dénonce pour attirer les meilleurs.
   De cette crème de la crème, il y a évidemment celui qui dit : «Il était une fois un gars qui racontait qu’en matière d’humilité, il n’y a pas grand monde qui lui arrive à la cheville.» Pourtant, parmi ces décideurs, il y a des gens qui sont beaucoup plus influents que compétents. Pour cause, le plus important, c’est d’avoir des amis dans les milieux du pouvoir à qui on peut parler et plaider la cause de la multinationale en échange du gros salaire qu’on reçoit. Si les ex-politiciens influents sont bien prisés dans ce groupe sélect, c’est bien plus pour leurs relations tentaculaires que la compétence extraordinaire dont parle M. Bellemare.
   En plus de manipuler les nations et de les saigner à blanc au profit des actionnaires, cette élite mondiale des affaires ne veut pas voir un État posséder un business juteux.
   Dans ce capitalisme-là, tout lucratif bien commun doit faire l’objet d’une prédation par les intérêts privés. Tapis dans l’ombre, ils salivent en regardant des fleurons comme Hydro-Québec et la Société des alcools du Québec. Ils poussent aussi des pions pour dire à nos gouvernants pourquoi ils devraient les privatiser.
   Certains de leurs amis et pions politiciens sortiront alors pour parler de l’importance de la compétition en répétant que ce sera bon pour les consommateurs. Devant ces élus qui disent vouloir notre bien, alors qu’ils défrichent souvent pour leurs anciens employeurs ou préparent leur future place au soleil, seule une mobilisation populaire provoque le recul.
   Quand le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, glisse dans le projet de loi omnibus C-29 une disposition qui permet aux banques de contourner la loi sur la protection du consommateur du Québec, il semble déblayer le terrain pour ses amis banquiers qui l’accueilleront à bras ouverts avec un gros salaire après son passage en politique.
   Moi, je préfère de beaucoup le monopole de la SAQ à une privatisation qui enrichirait quelques individus certainement plus intéressés par l’oseille que par le vin.
   La SAQ, en plus de donner de bons emplois à des gens d’ici, rapporte annuellement plus de 1 milliard dans le bas de laine des Québécois. L’exposer à la concurrence agressive ou la privatiser est une façon de permettre à des déjà très riches d’engranger une partie de l’argent qui nous revenait à tous.
   Contester l’efficacité de la SAQ ou d’Hydro-Québec est une chose, mais essayer de nous convaincre que les privatiser serait bon pour le consommateur est une grande entreprise de mystification. J’aime le modèle d’affaires de la SAQ parce qu’à Matane, Rouyn ou Westmount, la Société respecte également le consommateur et lui offre à la fois une belle diversité et une grande expertise.
   De toute façon, toute compétition dans ce domaine est aussi le début d’un cannibalisme qui, tôt ou tard, aboutit à l’émergence d’un plus gros qui force très souvent les plus petits à baisser pavillon. La mondialisation des économies est une chaîne alimentaire dans laquelle chacun mange celui qui le précède avant de devenir la nourriture de celui qui le suit.
   À la fin, il restera seulement les super-prédateurs dirigés par cette élite économique planétaire qui, en plus d’être réfractaire aux frontières, encourage les marchés ouverts et les accords commerciaux.
   Bien conscients qu’il est plus facile de manipuler des gens quand ils avancent en vagues dispersées, les politiques de division à la mode font aussi leur affaire. S’ils parlent d’ouvrir largement les frontières à l’immigration, ce n’est pas par souci pour le sort des damnés de la terre. Ils pensent plutôt à cette main-d’œuvre bon marché et non revendicatrice qui leur fera engranger toujours plus de profits.
   Ces fossoyeurs de la démocratie ont tant abusé qu’aujourd’hui, les contrecoups de leur irresponsabilité sont perceptibles partout. Les frontières qu’ils voulaient abolir deviennent des murs, le nationalisme et le repli identitaire explosent, et le monde est de plus en plus violent, car toutes ses richesses sont entre les mains d’une minuscule poignée d’individus qui vit dans un monde parallèle.
   Sinon, comment expliquer que dans le conseil d’administration de Bombardier, personne n’a vu venir la réaction populaire aux faramineuses augmentations de salaire? Personne de ce groupe sélect n’était assez sensé et connecté à la réalité pour dire : «Je crois que ce n’est pas une bonne idée de se voter des salaires si élevés quand la population s’est privée et a même souffert pour nous donner autant d’argent.»

(Les passages en gras sont de mon initiative)

Le masque démocratique tombe

Francis Lagacé | Le 10 février 2019

Pendant les Trente Glorieuses, le libéralisme économique a eu besoin du prétexte démocratique afin de détourner la main d'œuvre des projets socialistes, surtout après la contribution importante du monde communiste à la victoire contre l'Axe. L'invention de la social-démocratie alloua ce qu'il faut de corde pour créer une entente entre les «partenaires sociaux», ce qui permit au capitalisme de continuer à se développer sans trop agiter le mécontentement, les suites des réformes keynésiennes aidant.
   Mais, comme l'a déjà dit un ministre du gouvernement québécois, la démocratie, vous savez, c'est compliqué, il faut discuter, écouter, prendre des décisions ensemble, ça ne va pas assez vite. L'oligarchie ploutocratique, qui se partageait déjà le monde et son bassin de consommatrices-consommateurs séduits par la liberté de choix dans les étalages, voulut asservir plus vite, plus fort et plus complètement les différentes ressources de la planète : mines d'abord, mais aussi forêts, faunes terrestre, marine et humaine, qui doivent faire tourner la machine en travaillant toujours plus pour consommer toujours plus. L'évangile était déjà écrit : «Travaille, consomme, tais-toi!» [...]  
   Le masque démocratique est devenu de moins en moins nécessaire et les tactiques dictatoriales se firent de plus en plus courantes dans les démocraties dites libérales en les présentant sous des formes attrayantes comme le «nouveau management public», la «qualité totale», la «réingénierie», la «bonne gouvernance». La gouvernance (comme l'explique bien Alain Deneault dans son livre Gouvernance, le management totalitaire) est un piège qui consiste à faire valider par des élections un système de gestion anti-démocratique où les ploutocrates se cooptent et veillent à faire approuver par des politiques intéressés des règles qui les favorisent. C'est la base du fonctionnement des Commission européenne et autres Organisation mondiale du commerce. On impose alors cette gouvernance aux organismes publics et aux pays que l'on pille sans vergogne. Les mouvements ouvriers, pris dans le piège de la concertation, deviennent alors les spectateurs impuissants du raccourcissement de leurs chaînes. [...]
   Il n'y a pas non plus beaucoup de différence entre Poutine, Trump et Macron qui, tous trois, se voient comme des Messies de la bonne parole (religion nationale pour le premier, religion économique pour les deux autres). Les trois sont des partisans de la manière forte d'imposer la volonté hégémonique capitaliste. Ils ne sont juste pas dans le même camp. Cacher sa dictature plus ou moins soft dans laquelle les entreprises peuvent poursuivre l'État, mais pas l'inverse et dans laquelle les citoyens sont considérés comme quantité négligeable, sous celle (présumée ou réelle) des autres ne la rend pas moins détestable. [...]

Caricature : Serge Chapleau | La Presse 23.12.2018

Macron a d'ailleurs osé déclarer lors de ses vœux du nouvel an que le peuple n'était souverain que dans le geste de voter une fois tous les cinq ans. Il confond légitimité et résultat électoral. Mais le peuple a compris que le «gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple», ça veut dire qu'on peut retirer son appui à tout moment, sinon ce n'est pas de la démocratie, mais de la dictature électorale. C'est ce qui explique la contradiction radicale, fondamentale et irréconciliable entre les Gilets Jaunes et le pouvoir, qui cherche à se maintenir par la force et la répression puisqu'il estime avoir «gagné le jeu» et est absolument incapable de comprendre qu'on en est plus aux questions procédurales. Dans l'intelligence citoyenne, la force des arguments l'emporte; chez les brutes, c'est l'argument de la force.
   C'est ainsi que les gouvernements libéraux sont de plus en plus répressifs et que les initiatives citoyennes courent toujours le risque d'être récupérées, car le pouvoir souffre de cette irrémédiable obstination à vouloir se maintenir à tout prix. De là, l'arsenal et la force militaro-policière qui entoure les rencontres du G7 (et ses divers avatars). Répression d'autant plus nécessaire et serrée à mesure que les travailleuses et travailleurs sont mis en concurrence avec les robots, lesquels servent désormais de modèles au comportement attendu du subordonné : rapidité, flexibilité, pensée procédurale, substituabilité, silence, absence de contestation.
   Si des mouvements comme celui des Gilets Jaunes émergent, il faut rendre grâce à l'intelligence du peuple qui, d'abord atteint dans sa vie privée, se rend compte que c'est un déficit de justice sociale qui est à l'origine du malaise. Le grand malheur, c'est que l'apparence de démocratie n'étant même plus nécessaire, juste le nom suffit, le gouvernement français se permet de voter une loi attentatoire au droit fondamental de manifester en l'appelant Loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Et c'est sans compter toutes les autres qui se préparent, là et ailleurs dans le monde. Que la patrie des Droits de l'Homme soit redevenue celle des bons petits bourgeois qui scandent «Travail, Famille, Patrie!» au mépris de la majorité citoyenne devrait effrayer toutes les personnes qui militent pour les droits humains, mais ne comptez pas sur la presse hégémonique pour en parler, elle qui ne fait jamais seulement allusion à ceux-là qui tirent les ficelles de nos marionnettes libérales. 

(1)  À voir : Macron ou l’orgie des ultra-riches – Monique Pinçon-Charlot

L’enquête des Pinçon-Charlot, «Le Président des riches», paru en 2010 est sans doute un des coups symboliques les plus rudes qui aient été porté à la présidence de Nicolas Sarkozy. 
   Aujourd’hui le célèbre couple de sociologues publie «Le Président des ultra-riches», un livre qui ne contribuera pas à réconcilier les Français avec Emmanuel Macron, en pleine crise des Gilets jaunes. «Chronique du mépris de classe sans la politique d’Emmanuel Macron», est-il sous-titré. Ils y détaillent le parcours du «leader des marchés libres» comme l’avait surnommé le magazine Forbes, et les renvois d’ascenseurs constants en direction des plus nantis de ce Président choisi par la caste pour servir la caste. La démonstration est féroce, implacable. 
Par Aude Lancelin

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