«Quand
l’argent est sale... il pue! Mais il y a toujours des solutions pour qu’il n’ait
plus d’odeur : ON LE BLANCHIT!» (Expressio.fr, ‘L’argent n’a pas d’odeur’)
Les dérives de l’élite économique
planétaire
Boucar Diouf | Humoriste, conteur, biologiste et
animateur
OPINION
| La Presse+ | Le 8 avril 2017
Les puissants nomades, c’est l’élite
planétaire qui gère les multinationales. Des gens sans appartenances
particulières, parce que leurs affaires transcendent les frontières et que leur
pognon pénètre parfois le nuage à l’abri du fisc.
Certaines
de ces baleines bleues de l’économie sont si énormes qu’elles n’ont plus de
prédateurs. Aux gouvernements, elles
demandent des subventions, des baisses et des crédits d’impôt, un
assouplissement des règles de protection de l’environnement, des tarifs
d’électricité plus bas, etc.
Elles réclament des carottes en brandissant
le bâton de la menace de déménager leurs affaires ailleurs, où le tapis qui
leur est déroulé est plus rouge et plus large. Bien des États se mettent alors
au service de ce pouvoir financier au nom du diktat de cette croissance économique qui profite au sommet, mais très rarement
au tronc et aux branches qui font pourtant la grosseur de l’arbre de la
création de la richesse. Tout pour les patrons et des miettes pour les
travailleurs.
Que voulez-vous? Si on veut attirer les
meilleurs d’entre eux, il faut mettre beaucoup de millions sur la table. Ce
n’est pas moi qui fais cette affirmation, mais un des leurs qui s’appelle Alain
Bellemare.
Il faut, a-t-il dit devant la presse, des
salaires semblables à ceux que la population dénonce pour attirer les
meilleurs.
De cette crème de la crème, il y a
évidemment celui qui dit : «Il était une fois un gars qui racontait qu’en
matière d’humilité, il n’y a pas grand monde qui lui arrive à la cheville.» Pourtant, parmi ces décideurs, il y a des
gens qui sont beaucoup plus
influents que compétents. Pour cause, le plus important, c’est d’avoir des
amis dans les milieux du pouvoir à qui on peut parler et plaider la cause de la
multinationale en échange du gros salaire qu’on reçoit. Si les ex-politiciens
influents sont bien prisés dans ce groupe sélect, c’est bien plus pour leurs
relations tentaculaires que la compétence extraordinaire dont parle M.
Bellemare.
En plus de manipuler les nations et de les
saigner à blanc au profit des actionnaires, cette élite mondiale des affaires
ne veut pas voir un État posséder un business juteux.
Dans
ce capitalisme-là, tout lucratif bien commun doit faire l’objet d’une prédation
par les intérêts privés. Tapis dans l’ombre, ils salivent en regardant des
fleurons comme Hydro-Québec et la Société des alcools du Québec. Ils poussent
aussi des pions pour dire à nos gouvernants pourquoi ils devraient les
privatiser.
Certains de leurs amis et pions politiciens
sortiront alors pour parler de l’importance de la compétition en répétant que
ce sera bon pour les consommateurs. Devant ces élus qui disent vouloir notre
bien, alors qu’ils défrichent souvent pour leurs anciens employeurs ou
préparent leur future place au soleil, seule une mobilisation populaire
provoque le recul.
Quand
le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, glisse dans le projet de loi
omnibus C-29 une disposition qui permet aux banques de contourner la loi sur la
protection du consommateur du Québec, il semble déblayer le terrain pour ses
amis banquiers qui l’accueilleront à bras ouverts avec un gros salaire après
son passage en politique.
Moi, je préfère de beaucoup le monopole de
la SAQ à une privatisation qui enrichirait quelques individus certainement plus
intéressés par l’oseille que par le vin.
La SAQ, en plus de donner de bons emplois à
des gens d’ici, rapporte annuellement plus de 1 milliard dans le bas de laine
des Québécois. L’exposer à la concurrence agressive ou la privatiser est une
façon de permettre à des déjà très riches d’engranger une partie de l’argent
qui nous revenait à tous.
Contester l’efficacité de la SAQ ou
d’Hydro-Québec est une chose, mais essayer de nous convaincre que les
privatiser serait bon pour le consommateur est une grande entreprise de mystification.
J’aime le modèle d’affaires de la SAQ parce qu’à Matane, Rouyn ou Westmount, la
Société respecte également le consommateur et lui offre à la fois une belle
diversité et une grande expertise.
De toute façon, toute compétition dans ce
domaine est aussi le début d’un cannibalisme qui, tôt ou tard, aboutit à
l’émergence d’un plus gros qui force très souvent les plus petits à baisser
pavillon. La mondialisation des économies est une chaîne alimentaire dans
laquelle chacun mange celui qui le précède avant de devenir la nourriture de
celui qui le suit.
À la fin, il restera seulement les
super-prédateurs dirigés par cette élite économique planétaire qui, en plus
d’être réfractaire aux frontières, encourage les marchés ouverts et les accords
commerciaux.
Bien conscients qu’il est plus facile de
manipuler des gens quand ils avancent en vagues dispersées, les politiques de
division à la mode font aussi leur affaire.
S’ils parlent d’ouvrir largement les frontières à l’immigration, ce n’est pas
par souci pour le sort des damnés de la terre. Ils pensent plutôt à cette
main-d’œuvre bon marché et non revendicatrice qui leur fera engranger toujours
plus de profits.
Ces fossoyeurs de la démocratie ont tant
abusé qu’aujourd’hui, les contrecoups de leur irresponsabilité sont
perceptibles partout. Les frontières qu’ils voulaient abolir deviennent des
murs, le nationalisme et le repli identitaire explosent, et le monde est de
plus en plus violent, car toutes ses richesses sont entre les mains d’une
minuscule poignée d’individus qui vit dans un monde parallèle.
Sinon, comment expliquer que dans le conseil
d’administration de Bombardier, personne n’a vu venir la réaction populaire aux
faramineuses augmentations de salaire? Personne de ce groupe sélect n’était
assez sensé et connecté à la réalité pour dire : «Je crois que ce n’est pas une
bonne idée de se voter des salaires si élevés quand la population s’est privée
et a même souffert pour nous donner autant d’argent.»
(Les
passages en gras sont de mon initiative)
Le masque démocratique tombe
Francis
Lagacé | Le 10 février 2019
Pendant
les Trente Glorieuses, le libéralisme économique a eu besoin du prétexte
démocratique afin de détourner la main d'œuvre des projets socialistes, surtout
après la contribution importante du monde communiste à la victoire contre
l'Axe. L'invention de la social-démocratie alloua ce qu'il faut de corde pour
créer une entente entre les «partenaires sociaux», ce qui permit au capitalisme
de continuer à se développer sans trop agiter le mécontentement, les suites des
réformes keynésiennes aidant.
Mais, comme l'a déjà dit un ministre du
gouvernement québécois, la démocratie, vous savez, c'est compliqué, il faut
discuter, écouter, prendre des décisions ensemble, ça ne va pas assez vite.
L'oligarchie ploutocratique, qui se partageait déjà le monde et son bassin de
consommatrices-consommateurs séduits par la liberté de choix dans les étalages,
voulut asservir plus vite, plus fort et plus complètement les différentes
ressources de la planète : mines d'abord, mais aussi forêts, faunes terrestre,
marine et humaine, qui doivent faire tourner la machine en travaillant toujours
plus pour consommer toujours plus. L'évangile était déjà écrit : «Travaille,
consomme, tais-toi!» [...]
Le masque démocratique est devenu de moins
en moins nécessaire et les tactiques dictatoriales se firent de plus en plus
courantes dans les démocraties dites libérales en les présentant sous des
formes attrayantes comme le «nouveau management public», la «qualité totale»,
la «réingénierie», la «bonne gouvernance». La gouvernance (comme l'explique
bien Alain Deneault dans son livre Gouvernance,
le management totalitaire) est un piège qui consiste à faire valider par
des élections un système de gestion anti-démocratique où les ploutocrates se
cooptent et veillent à faire approuver par des politiques intéressés des règles
qui les favorisent. C'est la base du fonctionnement des Commission européenne
et autres Organisation mondiale du commerce. On impose alors cette gouvernance
aux organismes publics et aux pays que l'on pille sans vergogne. Les mouvements
ouvriers, pris dans le piège de la concertation, deviennent alors les
spectateurs impuissants du raccourcissement de leurs chaînes. [...]
Il n'y a pas non plus beaucoup de différence
entre Poutine, Trump et Macron qui, tous trois, se voient comme des Messies de
la bonne parole (religion nationale pour le premier, religion économique pour
les deux autres). Les trois sont des partisans de la manière forte d'imposer la
volonté hégémonique capitaliste. Ils ne sont juste pas dans le même camp.
Cacher sa dictature plus ou moins soft dans laquelle les entreprises peuvent
poursuivre l'État, mais pas l'inverse et dans laquelle les citoyens sont
considérés comme quantité négligeable, sous celle (présumée ou réelle) des
autres ne la rend pas moins détestable. [...]
Macron
a d'ailleurs osé déclarer lors de ses vœux du nouvel an que le peuple n'était
souverain que dans le geste de voter une fois tous les cinq ans. Il confond
légitimité et résultat électoral. Mais le peuple a compris que le «gouvernement
du peuple, par le peuple, pour le peuple», ça veut dire qu'on peut retirer son
appui à tout moment, sinon ce n'est pas de la démocratie, mais de la dictature
électorale. C'est ce qui explique la contradiction radicale, fondamentale et
irréconciliable entre les Gilets Jaunes et le pouvoir, qui cherche à se
maintenir par la force et la répression puisqu'il estime avoir «gagné le jeu»
et est absolument incapable de comprendre qu'on en est plus aux questions procédurales.
Dans l'intelligence citoyenne, la force des arguments l'emporte; chez les
brutes, c'est l'argument de la force.
C'est ainsi que les gouvernements libéraux
sont de plus en plus répressifs et que les initiatives citoyennes courent
toujours le risque d'être récupérées, car le pouvoir souffre de cette
irrémédiable obstination à vouloir se maintenir à tout prix. De là, l'arsenal
et la force militaro-policière qui entoure les rencontres du G7 (et ses divers
avatars). Répression d'autant plus nécessaire et serrée à mesure que les
travailleuses et travailleurs sont mis en concurrence avec les robots, lesquels
servent désormais de modèles au comportement attendu du subordonné : rapidité,
flexibilité, pensée procédurale, substituabilité, silence, absence de
contestation.
Si des mouvements comme celui des Gilets
Jaunes émergent, il faut rendre grâce à l'intelligence du peuple qui, d'abord
atteint dans sa vie privée, se rend compte que c'est un déficit de justice
sociale qui est à l'origine du malaise. Le grand malheur, c'est que l'apparence
de démocratie n'étant même plus nécessaire, juste le nom suffit, le
gouvernement français se permet de voter une loi attentatoire au droit
fondamental de manifester en l'appelant Loi visant à prévenir les violences lors
des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Et c'est sans compter toutes
les autres qui se préparent, là et ailleurs dans le monde. Que la patrie des
Droits de l'Homme soit redevenue celle des bons petits bourgeois qui scandent «Travail,
Famille, Patrie!» au mépris de la majorité citoyenne devrait effrayer toutes
les personnes qui militent pour les droits humains, mais ne comptez pas sur la
presse hégémonique pour en parler, elle qui ne fait jamais seulement allusion à
ceux-là qui tirent les ficelles de nos marionnettes libérales.
(1) À voir : Macron ou l’orgie des ultra-riches – Monique Pinçon-Charlot
(1) À voir : Macron ou l’orgie des ultra-riches – Monique Pinçon-Charlot
L’enquête
des Pinçon-Charlot, «Le Président des riches», paru en 2010 est sans doute un
des coups symboliques les plus rudes qui aient été porté à la présidence de
Nicolas Sarkozy.
Aujourd’hui le célèbre couple de sociologues publie «Le Président des ultra-riches», un
livre qui ne contribuera pas à réconcilier les Français avec Emmanuel Macron,
en pleine crise des Gilets jaunes. «Chronique du mépris de classe sans la
politique d’Emmanuel Macron», est-il sous-titré. Ils y détaillent le parcours du «leader des marchés libres»
comme l’avait surnommé le magazine Forbes, et les renvois d’ascenseurs
constants en direction des plus nantis de ce Président choisi par la caste pour servir la caste. La
démonstration est féroce, implacable.
Par Aude Lancelin
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