10 février 2019

Nos données personnelles à vau-l’eau!

«On va frapper le mur climatique dans un hôtel cinq étoiles.» ~ Serge bouchard, anthropologue, animateur et écrivain (C'est fou..., 10.02.2019)

En effet, avec un iPhone collé sur l'oreille!

J’ai brièvement mentionné l’intention du gouvernement Legault de balancer nos données personnelles à des géants du stockage numérique américains.
   On ne peut plus excuser les bévues des ministres de la CAQ en alléguant l’inexpérience. On pourrait plutôt alléguer un entêtement à tenir des promesses inappropriées sinon carrément stupides. Legault martèle d’ailleurs : «nous avons un mandat fort, alors nous allons tenir nos promesses».
    Éric Caire, le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, affirme que confier les dossiers gouvernementaux à des géants américains comme Amazon ne comporte aucun danger, que ce sera totalement sécuritaire. Il est soit un grand naïf ou un fieffé analphabète en technologies numériques et cybersécurité.

Le ministre qui louche sur Amazon...

Éric Caire

Bordel informatique : Éric Caire veut «tasser» les incompétents

Nicolas Lachance | 17.12.2018

Après avoir exigé à répétition une commission d’enquête sur les dérapages informatiques alors qu’il était dans l’opposition, Éric Caire a changé d’idée maintenant qu’il est ministre responsable de ce dossier. Il promet tout de même de faire le grand ménage. 
   Pas besoin d’enquête publique. Il assure qu’il pourra à lui seul faire la lumière sur le bordel informatique des 15 dernières années, a expliqué le ministre Caire dans le cadre d’une entrevue avec notre Bureau d’enquête.  
   François Legault lui a donné le titre de ministre de la Transformation numérique avec le mandat explicite de faire le ménage dans la gestion des contrats publics informatiques.  
   Pendant des années, Éric Caire a répété qu’une commission d’enquête était nécessaire afin de trouver les causes des multiples fiascos informatiques comme le Dossier Santé Québec (DSQ), SAGIR (solutions d’affaires en gestion intégrée des ressources) et RENIR, le projet de radiocommunication d’urgence dont notre Bureau d’enquête révélait un autre dérapage la semaine dernière.  
   En 2014, François Legault lui-même avait réclamé une commission d’enquête. Maintenant au gouvernement, lui et M. Caire ont changé d’idée.  
   «J’ai demandé à mes fonctionnaires de me faire des briefings sur chacun de ces dossiers-là. Je veux savoir ce qui s’est passé. Où sont les problèmes et comment on les corrige», a expliqué Caire dans le cadre d’une entrevue avec notre Bureau d’enquête.  
   «Ce que les Québécois veulent savoir, c’est ce qu’on fait à partir de maintenant pour que ça ne se reproduise plus jamais. Ces questions-là, je vais toutes y répondre», certifie-t-il, signalant qu’il ne «peut pas réparer le passé».  

Vers la reconnaissance faciale?  

Le ministre de la Transformation numérique voit très grand. Il désire créer des «citoyens numériques». Un espace virtuel pour la reconnaissance faciale et vocale qui aidera les Québécois à se connecter dans un seul environnement numérique. Un lieu où ils auront accès à tous les services. «Il faut amener un ministère qui utilise encore les fax vers un gouvernement qui est au bout du pouce. Un gouvernement qui, par reconnaissance faciale ou par reconnaissance verbale, te permettra de t’authentifier et d’entrer dans le site gouvernemental», précise-t-il. «Je t’ai identifié une fois, et la donnée, elle est sécurisée. Tu deviens un citoyen numérique.»   

Projet de «start-up» gouvernementale  

Éric Caire espère que son projet de «start-up» gouvernementale sera sur les rails d’ici quatre ans. Il veut convaincre les meilleurs de venir travailler pour l’État en revoyant complètement la structure de travail. «On va lâcher le paravent brun et on va travailler dans des environnements de travail qui sont modernes, qui sont adaptés à ce qui se fait aujourd’hui», explique-t-il, soulignant vouloir offrir des horaires flexibles et des salaires compétitifs. «Je veux développer une “start-up” du gouvernement en matière de transformation numérique [...] Pourquoi on n’irait pas chercher des gens de chez Amazon qui aimeraient travailler chez nous? Il ne faut pas oublier une chose : le gouvernement du Québec, c’est la plus grosse entreprise au Québec. Et des défis, il y en a», dit-il.     


  

Dans une interview vidéo, Edward Snowden répond à un interlocuteur qui demande   
   Q : Devrions-nous sauvegarder nos données sensibles chez un pourvoyeur de nuage [stockage] américain?  
   R : Quel est le véritable risque? Si vos données sont hautement sensibles et ne doivent pas être exposées à une compagnie ou à un gouvernement, elles ne devraient pas être entreposées chez un pourvoyeur de nuage américain. Pas davantage chez un pourvoyeur allemand ou d’un autre pays. La question qui se pose est la suivante : le pourvoyeur du nuage a-t-il accès à votre data? La data est-elle encryptée d’un bout à l’autre, un genre de drop box : vous avez une clé et toute autre personne qui doit y accéder en une aussi, mais le serveur-pourvoyeur n’a pas de clé, la data est inintelligible pour lui. C’est sécuritaire pour tous. À l’inverse, le serveur/pourvoyeur de Google lui donne accès à tout ce qui transite et Google peut en faire ce qu’il veut selon la propre régulation conjointement à celle du gouvernement. Ce n’est pas fiable.»

Les commentaires de Snowden sur l’élection de Trump à la présidence sont très intéressants. «Comment se fait-il que les Américains ont déterminé que Trump serait le meilleur représentant des États-Unis? Voilà la question qu’il faut se poser. C’est un reflet de société. Il faut aussi se questionner sur la manière dont cela a pu se réaliser, contre toute attente.»

Edward Snowden «Data and Privacy in the Age of Surveillance» 2017

Photo : espionnage et surveillance NSA

Autres suggestions pour mieux comprendre ce à quoi nous faisons face 

1. Émission Desautels le dimanche | ICI Radio-Canada Première 10.02.2019 :

Contrairement au Canada et aux États-Unis, l'Europe s'est dotée d'une réglementation très contraignante pour protéger les données personnelles des citoyens sur le web. L'initiative européenne est louangée, mais aussi décriée par certains qui croient que les nouvelles normes vont compromettre l'innovation et le développement de l'intelligence artificielle. Cinquième reportage de Janic Tremblay dans la Série Homo numericus.


Article : Le RGPD ou comment l’Europe protège les données personnelles

2. Émission Le 21e | ICI Radio-Canada Première 09.02.2019

Le Québec entend confier au privé les données personnelles qu’il détient sur ses citoyens

Le gouvernement du Québec a fait part de son intention de réduire de 457 à 2 le nombre de centres de traitement informatique dans lesquels sont entreposées les informations sur les Québécois d'ici 3 ans. De plus, il compte confier la gestion d'une partie importante, on mentionne 80 %, des données à des entreprises privées, au Québec ou à l'étranger. Est-ce que la confidentialité des données, désormais conservées dans le nuage, serait respectée? Est-ce que le gouvernement américain pourrait y avoir accès si, par exemple, une entreprise comme Amazon ou Google était choisie? Est-ce que nos renseignements personnels seraient à la merci du gouvernement ou des entreprises américaines comme le suggère la loi récente appelée Cloud Act?

Invités :
Éric Caire, ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale
Raymond Doray, avocat au cabinet Lavery, spécialiste de la protection des renseignements personnels
Anne-Sophie Letellier, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et codirectrice à Crypto-Québec
Richard Perron, président du syndicat de professionnelles et professionnels du Québec
Nicolas Vermeys, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et directeur adjoint du Laboratoire de cyberjustice

Audiofil :

3. Deux articles qui éclairent notre lanterne

Les données personnelles des Québécois livrées au renseignement américain?

Martin Croteau
La Presse | le 05 février 2019

Québec – Une réforme de la gestion de l'informatique présentée par le gouvernement Legault hier pourrait permettre à des agences de renseignement américaines de réquisitionner des données sur des millions de Québécois, selon des experts.

Le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire, a annoncé un changement majeur dans la manière dont les ministères et organismes publics compilent et stockent les données des Québécois.
   Celles-ci sont actuellement hébergées dans les serveurs de 457 «centres de traitement informatique» dispersés un peu partout dans la province. D'ici trois ans, il n'y en aura plus que deux.
   Plus de 80 % des données du gouvernement seront confiées à des sous-traitants comme Amazon, Google, Microsoft, IBM, ou encore les sociétés québécoises SherWeb et Micro Logic. Les ministères et organismes y auront accès grâce à l'infonuagique.
   «Tous ces grands fournisseurs-là ont des centres de stockage au Québec, a expliqué M.  Caire. [...] Je pense à Amazon, entre autres, qui est en train d'en construire un à Montréal, qui va être à la fine pointe de la technologie, et les fournisseurs vont même plus loin que ça dans leur désir de se nationaliser au Canada et au Québec.»
   La stratégie permettra à terme d'économiser environ 100  millions par an, prévoit M.  Caire. Le gouvernement n'aura plus à dépenser pour exploiter, entretenir et mettre à jour son parc de serveurs informatiques. Ce rôle reviendra aux sous-traitants, dont Québec deviendra le locataire. 
   «On va maintenir une expertise sur le fonctionnement, les avantages et les performances de l'infonuagique. Mais en termes d'avancées technologiques, de maintien et de modernisation des actifs, on pense que ces entreprises-là ont plus de moyens financiers pour faire évoluer ça et s'assurer qu'on est toujours à la fine pointe de la technologie», indique M. Caire

Patriot Act

Selon plusieurs experts, le plan met en péril les renseignements personnels de millions de Québécois.
   «Ça me préoccupe et ça me préoccupe depuis longtemps», a dit sans détour l'avocat Alain P.  Lecours, spécialiste du droit à la vie privée.
   C'est qu'en vertu du Patriot Act, adopté après les attentats du 11  septembre 2001, la Central Intelligence Agency (CIA), la National Security Agency (NSA), le Federal Bureau of Investigation (FBI) et l'armée peuvent réquisitionner des renseignements détenus par «tout citoyen américain», qu'il se trouve aux États-Unis ou pas. Cela inclut les citoyens corporatifs.
   «En clair, le gouvernement américain pourra obtenir des ordonnances pour s'approprier les données québécoises qui sont sous la responsabilité de firmes américaines, craint Me  Lecours. Non seulement celles-ci devront-elles s'y plier, mais encore il leur sera interdit d'en informer leur client, le gouvernement québécois.»
   L'avocat ne voit qu'une manière d'éviter que les informations du «nuage» soient potentiellement exposées au renseignement américain.
«Il faudrait que ce soit une entreprise à 100 % canadienne, a expliqué Me Lecours. C'est la seule façon et, à ce moment-là, on aurait une bien meilleure protection.»

Cloud Act

Une autre menace vient du Cloud Act, adopté l'an dernier par l'administration Trump. Cette pièce législative permet aux autorités d'obtenir un mandat judiciaire qui force les entreprises d'infonuagique américaines à leur fournir des données, qu'elles se trouvent physiquement aux États-Unis ou non.
   Selon la spécialiste du numérique Michelle Blanc, il est évident que la décision du gouvernement Legault pose donc un risque à la vie privée des Québécois. À moins que le gouvernement américain n'offre des assurances à Québec par l'intermédiaire de son consul.
   Sur le plan comptable, le gouvernement a totalement raison, a-t-elle résumé. Mais sur le plan de la protection des renseignements des Québécois, c'est extrêmement inquiétant.
   Mme Blanc a été candidate du Parti québécois aux élections de l'automne. Elle a alors proposé une stratégie informatique qui prévoyait la création d'un parc québécois de serveurs afin de protéger les données sensibles des Québécois.
   Le cabinet de M. Caire a assuré que les données qui seront confiées à des sous-traitants seront hébergées au Canada, et non aux États-Unis. On assure que les contrats qui seront conclus avec des sous-traitants devront confirmer la «souveraineté des données du Québec ».
   Québec mènera aussi une analyse et une classification pointue des données en sa possession avant de décider lesquelles sont confiées à des entreprises infonuagiques.
   «Nous sommes très conscients de l'enjeu de la protection des données des Québécois et cette question sera au coeur de ce chantier, mais aussi au coeur de la transformation numérique», a indiqué la porte-parole du ministre Caire, Nathalie St-Pierre.
   Québec dépense chaque année 4,5 milliards dans les technologies de l'information. En campagne électorale, la Coalition avenir Québec a promis de réduire cette facture de 210 millions.


Do it with a Mac (auteur du photomontage inconnu)

Protéger les données personnelles

Pierre Trudel
Le Devoir | 6 novembre 2018

Il y a trois ans, la législation fédérale relative à la protection des renseignements personnels dans le secteur privé a été mise à niveau. On y a renforcé les exigences imposées aux entreprises utilisant des renseignements personnels. Pendant ce temps, au Québec, on s’en tient à implorer les entreprises de faire preuve de bonne volonté.
   Les nouvelles règles s’appliquent depuis le 1er novembre aux organisations assujetties à la loi fédérale sur les renseignements personnels. Elles obligent à déclarer au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada toute atteinte aux mesures de sécurité dès lors que cela a engendré un «risque réel de préjudice grave». Les entreprises doivent aussi aviser les individus touchés par une telle atteinte lorsque cela crée un risque réel de préjudice grave. Elles doivent conserver un registre de toutes les atteintes aux mesures de sécurité qui touchent les renseignements personnels dont elles ont la gestion.
   De telles mesures sont préconisées depuis longtemps par les spécialistes de la protection des renseignements personnels. Elles visent à inciter les entreprises à analyser proactivement leurs obligations en matière de protection des renseignements personnels et à renforcer les précautions pour prévenir les pertes de données.

Les entreprises québécoises

Le Québec accuse un grand retard dans la mise à niveau de ses règles encadrant les renseignements personnels. Pour l’heure, les entreprises relevant de la compétence du Québec peuvent notifier volontairement les incidents relatifs aux données personnelles auprès de la Commission d’accès à l’information (CAI), l’organisme québécois responsable de superviser l’application de la législation sur les renseignements personnels. Mais pour les obliger à le faire, il faudra que la loi soit modifiée.
   Elle est loin l’époque où le Québec était à l’avant-garde dans la protection des renseignements personnels. C’est encore pire pour les obligations relatives aux données massives (big data) où l’on semble résigné à s’en remettre à la bonne volonté des multinationales.
   Dans le secteur public, la protection des renseignements personnels est devenue un prétexte pour refuser de rendre des comptes sur les dysfonctionnements des services aux citoyens. Par exemple, lorsque les médias mettent au jour des déficiences des services publics qui concernent des individus en racontant les démêlés subis par de vraies personnes, il est de pratique fréquente pour les organismes publics de refuser de répondre aux questions en brandissant leurs obligations de protéger les renseignements personnels. Les individus ont beau avoir dénoncé les bavures à visage découvert, la protection de leur vie privée est servie comme un prétexte pour ne pas répondre aux questions embarrassantes!
   Pour le secteur privé relevant du Québec, hormis quelques mesures ad hoc, le législateur québécois n’a rien fait pour mettre à niveau les protections de la vie privée afin de refléter les enjeux que posent désormais les environnements connectés.
   Les réductions de ressources ont fait en sorte qu’il n’y a pratiquement personne au Québec qui se donne la peine de sensibiliser les entreprises aux enjeux pourtant cruciaux de la protection des données personnelles. On a droit tout au plus à un timide communiqué de mise en garde lorsqu’une crise éclate au sujet d’incidents mettant en péril la sécurité des données personnelles.

Intrant crucial

Les données personnelles sont pourtant un intrant crucial de la création de valeur dans les univers numériques. À quelles conditions des entités privées peuvent-elles s’approprier cette valeur? Le Québec se veut un chef de file en intelligence artificielle; on serait en droit d’attendre des politiques proactives encadrant les conditions dans lesquelles on collecte et utilise les données. On constate plutôt un troublant désintérêt des autorités québécoises pour un cadre juridique capable de procurer de réelles garanties contre les dérapages.
   La société numérique requiert un cadre juridique qui garantit l’intégrité et la confiance au sein des univers connectés. Par exemple, à quelles conditions les renseignements personnels et autres données massives doivent-ils être collectés? Comment doivent-ils être protégés? Une loi modernisée sur la protection de la vie privée doit obliger les entreprises à de vraies précautions à l’égard des données portant sur les individus.
   Dans la société numérique et connectée, les données sont une ressource aussi cruciale que l’eau et l’air. Pour assurer les équilibres, il faut un cadre juridique qui protège les données et assure le partage équitable de la valeur que celles-ci permettent de générer. Il ne suffit pas de s’en tenir aux couplets habituels sur l’importance de protéger la vie privée.


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