18 février 2019

La controverse autour de l’alimentation

Le dernier guide alimentaire canadien a soulevé la panique : Ne nous dites pas quoi faire! Pourtant recommander n’est pas synonyme de contraindre. On a cru un instant qu’on verrait s’ériger un «mur des lamentations».
   Comme si les végétaliens représentaient une menace pour l’industrie agroalimentaire, on a aussitôt répandu l’idée que le végétarisme/végétalisme n’était pas à la portée de toutes les bourses – les légumes sont dispendieux, voire plus cher que la viande.
   Il est vrai que les imitations de viande à base de soya pré-usinées peuvent coûter cher; mais aussi les fruits/légumes bios, importés de la Californie ou du Mexique (pays honteusement déboisé pour la culture de l’avocat, notamment pour les Super Bowl). On reproche aux végétaliens de polluer autant que les carnivores à cause de la culture du soya. On s’entend qu’un kilo de bœuf coûte beaucoup plus cher à produire qu’un kilo de fèves de soya ou de légumineuses...

«Meunier tu dors»  

Quand on creuse les fondements de l’agriculture bio-verte capitaliste on se rend vite compte qu’elle est gérée par les mêmes groupes d’industriels qui exploitent l’agrobusiness traditionnel (1). Et, les stratégies sont les mêmes : expropriation et appropriation de terres agricoles, accaparement et détournement de sources d’eau, monocultures, etc., ainsi que spéculation boursière, compétition et surenchère. Quand je vois une étiquette «Heinz bio», mes petites cellules grises s’agitent : impossible d’y croire. Probable que Bayer/Monsanto a le nez fourré dans le bio aussi...
   L’idéal est d’acheter directement des producteurs de fruits/légumes biologiques de sa région, indépendants des multinationales bios comme Bonduelle; pour notre plus grand malheur, les barons de l’agrobusiness finissent par avaler les petits maraîchers autonomes.

ICI Radio-Canada Nouvelles – ...L'Association des producteurs de boeuf en Alberta craint que les recommandations du nouveau Guide alimentaire présentées par Santé Canada découragent les Canadiens à consommer de la viande.
   Le responsable des relations gouvernementales au sein de l'Association des producteurs de bœuf de l'Alberta, Tom Lynch-Staunton, s'inquiète du message que cela envoie, d'autant plus que Santé Canada recommande aux Canadiens de privilégier les aliments protéinés d'origine végétale dans leur menu. [Même son de cloche chez les producteurs laitiers.]
   «Nous sommes sceptiques quant au fait que les aliments protéinés à base végétale sont meilleurs que ceux à base animale», a déclaré Tom Lynch-Staunton à l'émission de radio Edmonton AM. [...]


Par contre, l'Association canadienne des médecins pour l'environnement (ACME) félicite Santé Canada. «Ce guide améliorera la santé des gens et, en même temps, celle de la planète», a indiqué dans un communiqué la directrice générale de l'ACME, Kim Perrotta, directrice générale de l'ACME. En augmentant graduellement la proportion des produits végétaux dans notre assiette, nous allons réduire notre impact sur la planète.»


 
Image : Jo Frederiks  "J'aime les animaux" 

Bref on défend bec et ongles l’exploitation animale tout comme on soutient le pétrole, le climato-négationnisme et la possession d’armes. Tout à fait dans l’idéologie Bible-Balles-Bœuf. Certains mouvements radicaux ont répandu une fausse conception de la liberté qui sous-entend qu’en vertu d’un droit individuel illimité (absolu) le Roi de la Création (l’homme) peut polluer et tout massacrer à sa guise, et au diable les conséquences!  

Ne me dites pas quoi faire, un texte choc où l’auteur parodie cette notion de liberté absolue.


Ne me dites pas quoi faire 
Angel Flinn
Pour Gentle World*, 2 mars 2013  

Je n'ai aucun problème avec votre mode de vie. Je respecte votre point de vue. Vous avez droit à votre opinion, et j'ai droit à la mienne.
   Ne vous méprenez pas. J'admire les gens qui ont de fortes valeurs morales. Mais je n'aime pas qu’ils me les enfoncent dans la gorge.
   Moi, par exemple, je ne vois rien de mal à l'esclavage. Certaines personnes sont nées pour servir les autres. C'est comme ça, voilà tout. Vous n’êtes pas obligé d’en posséder un, si vous ne voulez pas. Je n’ai aucun problème avec ça. Mais ne me dites pas que je ne peux pas en avoir.
   Et ne me dites pas que je ne devrais pas frapper ma femme quand je le dois. Je ne vous dis pas de frapper la vôtre. Ça ne me dérange pas, d'une façon ou d'une autre. Si vous ne voulez pas frapper votre femme, c'est votre choix. Mais ne me dites pas que je dois m’en priver.
   Je vis ma vie selon mes propres valeurs. Je comprends que nous voyons les choses différemment, et j'accueille la diversité qui fait en sorte que les individus sont différents.
   J’en ai marre des bien-pensants qui disent par exemple que c'est mal si des adultes ont des rapports sexuels avec des mineurs. Vous pensez peut-être que les enfants ne devraient pas être soumis sexuellement, mais cela ne signifie pas que je dois le voir de cette façon. De quel droit me dites-vous ce que je devrais et ne devrais pas faire? Qu’y a-t-il de si mauvais dans la sexualité non consensuelle, de toute façon? Certains peuvent considérer le viol comme quelque chose de mal, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde. Les non-violeurs ne devraient pas s’attendre à ce que tout le monde vive selon leurs règles.
   Alors, ne me dites pas quoi penser, ou quoi manger, ou quoi porter, ou comment vivre. Ne m'attaquez avec vos notions de bien et de mal, de justice et d'injustice... Ces concepts sont sujets à interprétation, et personne n'a le droit d'imposer sa morale à quiconque. Occupez-vous de vos affaires... Vivez votre vie comme vous l’entendez.
   Vous croyez que nous devrions vivre sans opprimer les autres animaux. Formidable, tant mieux pour vous.
   Vous croyez que nous ne devrions pas obliger des êtres sensibles à se reproduire dans le but de les exploiter, et qu'il est immoral d’user de violence pour les plier à notre volonté. Vous croyez que marquer, castrer et mutiler leurs corps est inexcusable. Vous croyez que c’est mal d'exploiter le système reproducteur des femelles, d’arracher les nourrissons aux mères en pleurs et de les abattre tandis que le cordon ombilical est encore attaché. Vous croyez que manger de la chair et boire du sang sont des pratiques barbares et dégueulasses, et que la peau écorchée de l’un ne devrait pas servir à vêtir le corps d’un autre. Vous croyez que ces pratiques sont archaïques et qu’elles n’existeraient pas dans une société véritablement civilisée.
   Vous croyez que les 56 milliards de morts horribles, à chaque année, sont moralement répréhensibles, d’autant plus que ce massacre continuel n’a pas d’autre but que de satisfaire l'appétit humain pour des saveurs et des textures spécifiques. Vous croyez que les désirs et les préférences d’une personne ne devraient pas se substituer aux droits moraux fondamentaux d’une autre.
   Je vois, je comprends. Je respecte le fait que vous vivez selon vos principes. Mais vous devez me respecter. Vous ne pouvez pas imposer vos croyances aux autres. Personne n'est en mesure de décider ce qui est bien ou mal pour nous, alors pour l’amour du ciel, je vous en prie... ne me dites pas quoi faire.

Source : Don’t Tell Me What To Do http://gentleworld.org/dont-tell-me-what-to-do/  

* L’objectif premier de Gentle World est d'aider à créer une société plus pacifique en expliquant les avantages du végétalisme et en montrant aux gens intéressés comment faire la transition. L’organisme sans but lucratif partage de l'information depuis 40 ans.

Description complète : http://gentleworld.org/about/


Les animaux sont dotés de sensibilité, mais croire que c’est faux fait notre affaire; ainsi pouvons-nous continuer de les traiter cruellement sans modifier nos habitudes. Notre propre insensibilité envers les animaux fait en sorte que nous n’avons aucune considération pour leur vie.
   À notre crédit, nous pouvions invoquer notre ignorance de ce qui se passait en coulisses. Mais aujourd’hui, cette excuse n’est plus valable – beaucoup de sites exposent le problème sur Internet et publient des vidéos sur YouTube. Ce sont des outils qui peuvent faciliter un changement de perception et de comportement.
   Si nous n’avons pas spontanément un minimum de sensibilité et d’empathie envers les animaux, il est tout de même possible de les développer. Tout s’enseigne, tout s’apprend... Nous sommes invités à cocréer un monde plus bienveillant et noble. Et ce monde, c’est avec vous et moi qu’il commence.

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(1) L’industrialisation du bio : dérive ou nécessité?
France Beaudoin, émission La semaine verte
ICI Radio-Canada | le 24 mars 2018

Près de la moitié des produits biologiques sont aujourd'hui vendus en grande surface. Une large part vient de l'étranger : le tiers seulement des aliments bios consommés ici sont produits localement. A-t-on perdu de vue la philosophie première du bio?
   Le bio représente à peine plus de 1 % de l’ensemble de la production agricole, mais il connaît une croissance fulgurante, partout sur la planète. Ce lucratif marché est aujourd’hui évalué à plus de 116 milliards de dollars. La demande dépasse l’offre.
   Les géants de l’agroalimentaire ont flairé la bonne affaire. La distribution et le commerce des produits biologiques reposent de plus en plus entre leurs mains. Et pour répondre aux impératifs commerciaux de ces multinationales, il faut produire à très grande échelle. Résultat : le secteur bio entre dans la même logique de production que l’agriculture conventionnelle, selon l’économiste français Christian Jacquiau.
   «Des produits plein les rayons, ça veut dire, en amont, des gros producteurs», dit-il. Le petit paysan qui est capable de sortir quelques cagettes d'abricots ou de pêches, ce n'est pas intéressant pour un grand distributeur. On veut des semi-remorques entières. Et à partir de là, on encourage un modèle agricole qui ressemble beaucoup au précédent.»

Citrons bio. (Photo ICI Radio-Canada)

L’Espagne, chef de file du bio en Europe

Un exemple de cette industrialisation du bio : l’Espagne, premier pays producteur bio d’Europe. Les superficies consacrées à la production bio ont doublé ces dernières années, en Andalousie principalement.
   Une véritable mer de plastique s’étend sur quelque 200 km le long des côtes de la Méditerranée, entre Malaga et Almeria. Des serres à perte de vue, où les productions bios sont de plus en plus imposantes.
   Les fruits et légumes bios produits dans ces labyrinthes sans fin et sur les terres environnantes sont essentiellement destinés à l’exportation, comme l’indique Lidia Chica Gonzalez, de l’organisme de certification biologique européen CAAE.
   «Plus de 90 % de nos produits biologiques sont exportés, surtout en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, selon les produits, par exemple l’huile d’olive et les amandes», explique-t-elle.
[...]  
   Pour produire massivement des aliments, conventionnels et bios, les grandes entreprises agricoles comme la sienne embauchent des travailleurs étrangers, africains, maghrébins et roumains notamment. Ces migrants, souvent clandestins, représentent une main-d’œuvre bon marché, souligne Spitou Mendy, porte-parole du Syndicat des ouvriers agricoles, section Almeria.
   «Quand quelqu'un arrive et qu'il est obligé de rester trois ans sans papiers et qu'il doit manger, se loger, envoyer de l'argent aux parents, il est prêt à se prostituer, entre guillemets.»
   Le syndicat dénonce les abus commis par les employeurs : non-respect des conventions collectives et des contrats d’embauche, non-paiement des heures supplémentaires. Dans la région d’Almeria, les travailleurs agricoles vivent dans des habitations de fortune, de véritables bidonvilles aménagés au beau milieu des serres.
   Avec la concurrence de plus en plus grande en agriculture, le salaire des migrants reste un des rares postes budgétaires où les agriculteurs peuvent encore couper. Le dirigeant de Bio Green Food, Miguel Gomez Armijo, explique que l’arrivée de la grande distribution dans le marché du bio a contribué à faire chuter les prix.
[...]
Deux «irréductibles Gauloises» déplorent le côté sombre de cette production intensive et industrielle qui s’éloigne de l’idéologie qui a donné naissance à l’agriculture biologique, soit une agriculture de proximité, à échelle humaine, véhiculant des valeurs sociales.
   Zaïda Ruiz-Bonet et sa mère Antonia cultivent des légumes biologiques depuis huit ans, dans le village de Balerma. Sur moins d’un hectare, elles produisent une vingtaine de variétés de légumes qu’elles vendent directement aux consommateurs et dans les marchés des environs. «Nous ne sommes pas à la recherche du profit, mais bien d'un mode de vie et d’une qualité de vie qui permettent de s'équilibrer et de vivre.» (Zaïda Ruiz-Bonet, productrice maraîchère)  

Le bio gagne du terrain au Québec

Au Québec aussi, il y a un terreau fertile pour le bio-business. Le géant français Bonduelle, qui commercialise la quasi-totalité des légumes surgelés ou en conserve dans nos magasins d’alimentation, a décidé de faire de la province sa plaque tournante du légume de transformation biologique. En 2017, Bonduelle a produit 7,7 millions de kilos de légumes de transformation bios au Québec.
   «On a environ 30 % de nos volumes au Québec dans le surgelé qui sont biologiques. Il faut bien réaliser qu'il y a quelques années, on en avait zéro», dit Robert Deschamps, le directeur agricole pour le Québec chez Bonduelle.
   Conscients qu’il y a un immense marché à conquérir, les agriculteurs québécois hésitent moins à faire la transition vers le bio. Le producteur Gilles Audette, d’Agri-Fusion 2000, a fait le saut en grandes cultures, puis en légumes de transformation – haricots, maïs sucré, pois, brocoli et carottes – qu’il vend à la multinationale Bonduelle. Contre toute attente, la production biologique s’avère beaucoup plus rentable que la production conventionnelle.
[...]
Le bio est devenu un véritable bio-business. Au détriment, selon l’économiste Christian Jacquiau, des petites fermes qui misent sur l’autosuffisance et la vente de proximité. Mais pour d’autres, une agriculture biologique à grande échelle devient incontournable.
[...]

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