17 juillet 2018

Réflexions sur le racisme

Dès qu’on prononce le mot racisme, les boucliers se lèvent. Ça ne prend pas grand-chose pour activer le «gène de Caïn» qui sommeille en chacun de nous. D’après l’une des interprétations religieuses du mythe Caïn et Abel, la lignée de Caïn (le tout premier assassin psychopathe) aurait pris fin au moment du Déluge, à l’époque de Noé. C’est une blague ou quoi? Les tueries entre «frères» rivaux n’ont jamais cessé. On voit des individus de même couleur de peau (blanche ou autre), de même race et de même religion s’entretuer partout dans le monde. Le gène Caïn s’est transmis sans obstacle d’une génération à l’autre, a résisté à l’épreuve du temps et poursuit ses ravages. (1)

Si l’on se fie à la définition du Petit Robert, le racisme repose sur une théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et son droit de dominer les autres.

Cours 101 pour créationnistes : ethnies et génétique

Pour alimenter la réflexion, je vous propose un audio sur l'histoire des zoos humains racontée par l’anthropologue et écrivain Serge Bouchard, un texte de l’écrivain Philippe Claudel sur les parcs de pauvres, et un film sur les origines du racisme américain et du «white power» avec Tim Wise.

RÉCIT
L’histoire des zoos humains
Par Serge Bouchard


L’histoire des zoos humains, c’est l’histoire de l’invention du sauvage, ces prétendus sauvages qu’on a recrutés, on leur a un peu forcé la main, partout en Afrique, en Océanie, en Asie dans les Amériques, Amérique du Sud, Amérique du Nord. On les exposés dans des cirques, des cabarets, des foires, des villages itinérants, dans des expositions universelles, et surtout des expositions coloniales. On est au 19e siècle et ça s’inscrit dans toute la culture de l’Occident. C’est un immense spectacle avec des figurants, des impresarios, des décors, c’était le grand spectacle. Donnons des chiffres : de 1850 à 1940, c’est 1 milliard et demi de visiteurs, c’est quand même pas rien, qui ont regardé 30 000 à 34 000 figurants primitifs sauvages. Ça s’est passé beaucoup en Angleterre, mais le chef de file était la France, beaucoup l’Allemagne et le Danemark, les Danois étaient fous de ça. Les Américains ont aussi plongé là-dedans, et ç’a été jusqu’en Asie, mais on connaît moins. Ça s’est fait beaucoup au Japon aussi.
   Le problème était de savoir qui était l’autre. Un barbare, un monstre, un homme des bois, un cannibale? Christophe Colomb allait découvrir 60 000 parfaits sauvages. On s’est mis à les amener en Europe pour les exhiber.
   Selon la mentalité colonialiste, «l’homme supérieur a le devoir de civiliser l’homme inférieur».
    C’est l’époque du racisme scientifique. Et les spectacles et les zoos humains sont appuyés par les savants, sont appuyés par la science, et par une certaine anthropologie physique, une anthropologie qui est au cœur même du racisme moderne. Cette fausse science créa d’énormes dommages.

Audiofil :

Dans son roman «Inhumaines», Philippe Claudel pousse la caricature, le cynisme et l’ironie à l’extrême, mais ce faisant, il nous renvoie notre image.
   «Le rire contre les armes. Et l’ironie pour se moquer de nous. L’homme est sans doute le seul animal à commettre deux fois les mêmes erreurs. Il est aussi l’unique à fabriquer le pire et à le dépasser sans cesse. À observer le monde comme il va, on hésite alors entre les larmes et le rire.
   J’ai choisi dans Inhumaines de m’affubler d’un nez rouge, d’exagérer le vrai pour en saisir l’atroce. Ma volonté était de cette façon de tempérer la cruauté née de notre société en la croquant de façon grotesque, ce qui permet de s’en moquer, en espérant contribuer à la corriger aussi, même si je n’ai guère d’illusion sur ce point : restons modeste.
   Je suis convaincu qu’il est des situations où la littérature doit se transformer en papier de verre pour décaper les cervelles : cela fait un peu mal au début mais cela chatouille aussi. ... Inhumaines est inspiré de faits réels. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant est totalement volontaire. J’ai simplement forcé un peu le trait. À peine. Et je n’ai d’autre ambition que faire rire, même jaune, à nos propres dépens, à commencer par les miens. Inhumaines est à la vérité ce que le palais des glaces est au réel : exhibant un reflet convexe, parfois concave, rétréci ou agrandi, même s’il déforme, il ne ment jamais.»

Le chapitre intitulé «Réduction de la fracture sociale» décrit une version contemporaine des zoos humains. Les camps de réfugiés ou ceux des immigrants illégaux aux États-Unis en sont aussi de parfaits exemples...

Depuis peu on a parqué les pauvres. C’est bien mieux. Ça ne pouvait plus durer. Dans une société à deux vitesses où les riches passent leur temps à s’enrichir et où les pauvres passent le leur à s’appauvrir, rien ne sert que les seconds soient dans le même espace que les premiers. Il ne pourrait en découler que de la peine et aussi de l’envie. Le gouvernement a agi. Et pour une fois, il a bien agi. On a ramassé tous les pauvres qu’on a pu trouver. Certains ont dû s’échapper mais pour aller où. Dans les bois. Dans des contrées hostiles. Ils n’y survivront pas longtemps. Les pauvres ont été rassemblés dans des stades qu’ils connaissent bien, qu’ils affectionnent et qu’ils remplissent souvent pour assister à des matchs de football, leur sport préféré, en buvant des bières. En l’occurrence ils étaient dans les gradins mais aussi sur la pelouse. Ça a dû leur faire bizarre. Et plaisir sans doute d’être aujourd’hui là où se trouvaient les héros d’hier. La vie réserve bien des plaisirs à ceux qui savent patienter. Pendant les deux jours suivants, on les a répertoriés et marqués. De façon discrète. Un très léger tatouage sur l’avant-bras gauche. À l’encre bleue. Un simple chiffre. Puis ils ont été entassés dans des trains. Direction les parcs des pauvres. Situés loin. Je veux dire loin de nous. Vers l’intérieur du pays. Dans des espaces désertiques au climat vivifiant. Le pauvre est rugueux. Il est doté d’une étonnante capacité de résistance. Afin de gommer les légères différences et de na pas faire de jaloux, on leur a donné un uniforme composé d’un joli pantalon et d’une agréable chemise de toile bleus à bandes blanches. Quelque chose de tout à la fois léger, confortable et indémodable. Intemporel. Un basique. À quoi ressemble un parc un parc à pauvres. Je veux y répondre. Nous sommes allés en visiter un le mois dernier. Le comité d’entreprise était à l’initiative du déplacement. Nous avons bien ri dans l’autobus. Et chanté. Chauffeur si t’es champion appuie appuie sur le champignon. Nous avons été hébergés dans un hôtel doté de tout le confort moderne, sauna, hammam, massages, golf dix-huit trous, fontaine à champagne, bar à huîtres, hôtesses asiatiques, dociles et insatiables, mâles africains, ougandais ou kényans disponibles en room service vingt-quatre heures sur vingt-quatre. [...] Le lendemain, répartis dans de petits véhicules électriques munis d’un toit ouvrant, nous avons été amenés dans le parc. C’était l’heure du repas. Les pauvres attendaient bien sagement devant leurs dortoirs, de coquets baraquements en bois pouvant accueillir une centaine d’entre eux. On leur distribuait une belle soupe claire ainsi que le quart d’un copieux pain bis. Le directeur du parc qui nous accompagnait nous a précisé que, le soir venu, les pauvres avaient droit au même repas. Ne craigniez pas de trop les gâter. La femme de Brognard aime poser des questions. Il est important de créer un lien de respect et de sympathie. Le directeur se faisait pédagogue. Ma femme se bouchait le nez. L’odeur était il est vrai un peu forte. Pourquoi sont-ils pieds nus dans la neige. On leur donne des chaussures sans lacets pour éviter qu’ils ne se pendent, mais ils les perdent tout le temps. Ensuite nous sommes allés sur leur lieu de travail. Une magnifique carrière à ciel ouvert dans laquelle les pauvres sculptent un grand escalier. Nous avons été fascinés devant le spectacle pharaonique de ces milliers de pauvres travaillant de leurs mains, maniant marteaux et burins avec toute leur énergie, à ce chantier monumental. Déjà aux cent trente-neuf marches. Où mène cet escalier. C’était Leroux cette fois. Nulle part. On les occupe comme on peut. Ils ne s’en plaignent d’ailleurs pas. Le pauvre est oisif. C’est pour cela d’ailleurs qu’il est pauvre. Le parc a une dimension pédagogique et rééducatrice. J’y tiens beaucoup. Belle idée. Beaucoup d’entre nous, debout dans les véhicules, le torse sortant du toit ouvrant, ont pris des photographies. La femme de Brognard a lancé à des enfants qui portaient de grosses pierres une poignée de friandises. L’idiote. Il est pourtant interdit de donner de la nourriture. Des panneaux le rappellent en maints endroits. Les enfants pauvres ont immédiatement lâché leurs pierres, se sont précipités et se sont à demi écharpés pour les ramasser. L’un est resté au sol. Mort sans doute. La femme de Brognard s’est fait réprimander par le directeur. Puis par son mari. L’ambiance était cassée. Nous avons regagné l’hôtel en silence où un repas chaud nous a été servi. J’avais les joues rosies par le froid et les pieds gelés. J’ai repris quatre fois du porc en sauce. Le vin chaud montait à la tête de ma femme. Elle chantonnait. Il faisait bon. Ç’avait été une journée instructive. Dans la contemplation de la différence on prend conscience de sa spécificité. Le bonheur tient parfois à peu de chose. Le lendemain, au petit-déjeuner, Brognard a répudié sa femme. L’incident de la veille ne passait pas. Brognard ne plaisante pas avec les règles. Il l’a jetée hors de l’hôtel. Comme elle vient d’une famille sans fortune, elle s’est retrouvée subitement pauvre. Le directeur a décidé de faire un geste. Il l’a accompagnée lui-même dans le parc. (Inhumaines, Éditions Stock 2017; pp. 71-75)

Voici un film sur les origines du racisme et les raisons pour lesquelles il perdure aux États-Unis.

The Great White Hoax (Le grand canular blanc) contextualise la politique actuelle aux États-Unis, en mettant l'accent sur la campagne électorale de Donald Trump pour la présidence 2016. Cependant, le film élargit sa portée en montrant comment la rhétorique chargée de Trump s'inscrit dans un modèle historique de longue date dans la politique aux États-Unis, offrant une étonnante perspective sur la façon dont le racisme et le racisme de boucs émissaires ont façonné la politique américaine pendant des siècles. Le film devient une solide ressource pour comprendre les rapports entre races, le privilège blanc, l’entrecroisement des races, la classe, et les identités de genre, la politique présidentielle, et la propagande politique à l'ère des «médias sociaux».

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Tim Wise milite contre le racisme aux États-Unis. Il a formé des éducateurs, des employés de corporations et des policiers pour éradiquer le «racisme» des institutions. Il s’est fait connaître dans la lutte contre l’apartheid et a donné des conférences dans plusieurs collèges et universités. Il est aussi l’auteur de plusieurs livres sur le sujet et on l’a vu dans des documentaires et émissions télévisées. Wise soutient que le racisme aux États-Unis est institutionnalisé en raison du racisme manifeste du passé (et de ses effets permanents) et de la discrimination actuelle. Il soutient que dans les sociétés multiraciales comme les États-Unis, tous les gens (blancs ou de couleur) ont intériorisé divers éléments de la pensée raciste. Toutefois, ce n'est pas parce que la société a été conditionnée de cette façon qu’elle doit rester engagée dans la pensée raciste. Les membres de la société peuvent contester ce conditionnement et apprendre à croire en l'égalité.

The Great White Hoax
Jeremy Earp, Sut Jhally 2017 | 1:12:47
Featuring Tim Wise

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(1) Une explication possible à ce penchant inné de tueur qui habite l’homme, proposée par des chercheurs scientifiques.

La violence : les humains sont-ils mauvais jusqu’à l’os?
Par Gemma Tarlach ǀ 28 septembre 2016

SMACK! POW! BANG! Les humains ont évolué le long d'une branche particulièrement violente de l'arbre de vie. (Photo via Discover Magazine)

Désolée, pacifistes. Une nouvelle recherche, qui a adopté une approche novatrice pour tracer l'évolution de la violence meurtrière, a constaté que l'Homo sapiens descend d'une branche de mammifères particulièrement brutaux. Notre inclinaison à démolir et à tabasser est inscrite dans notre ADN. Cependant, avant de frapper quelque chose parce qu’une manchette vous dérange, prenez courage : les chercheurs ont également constaté que notre propension à nous entretuer peut être atténuée.
   Essayer de comprendre pourquoi les humains ont tendance à tuer d'autres êtres humains tourmente les scientifiques et les philosophes depuis longtemps. Une partie du problème vient du fait que les causes de cette violence impliquent une multitude d’influences potentielles difficiles à isoler de façon scientifiquement rigoureuse.
   Le chercheur José María Gómez et ses collègues ont développé une approche pour parer à cette difficulté en se tournant vers la phylogénie, qui démontre comment une espèce se développe et rayonne ensuite sur différentes espèces.
   En résumé, ils ont découvert que l'Homo sapiens faisait partie d'une lignée particulièrement violente remontant à des millions d'années.
   Dans l'ensemble du spectre des mammifères, le taux de violence meurtrière contre un membre de la même espèce est d'environ 0,30 pour cent – le risque d'être tué par un membre de sa propre espèce est de 1 sur 300. Chez nos ancêtres les grands primates, il était de 1,8 pour cent. Chez l'homme, au point d'origine de l’espèce, le taux grimpe à 2 pour cent – le risque d’être assassiné était de 1 sur 50.
   En d'autres termes, notre espèce est, en tête de liste (telle qu’elle est) avec une augmentation constante de la violence meurtrière intra-espèce qui se perpétue depuis environ 100 millions d'années.
   «Attendez un instant!», me direz-vous en maugréant, comment peuvent-ils connaître ces taux avec les quelques boîtes de fossiles qu’ils ramènent à la fin de journée?» En effet, reconstituer ces évaluations inclut une part d’estimation, mais aussi beaucoup de calcul et de modélisation sophistiquée.
   Les chercheurs, dont le travail a été publié dans Nature, ont recueilli des données provenant de plus de 4 millions de décès chez 1000 espèces de mammifères (des musaraignes aux baleines) et chez 600 populations humaines de chasseurs-cueilleurs de leurs premiers jours (connus) jusqu'à maintenant. En utilisant des méthodes de modélisation similaires à celles qui retracent l'évolution des caractéristiques physiques spécifiques, l'équipe a tracé la prévalence de la violence meurtrière à l'intérieur de chaque espèce.
   Quelques modèles se sont dégagés : certaines espèces animales passablement différentes s'entendent très bien avec les membres de leur espèce, entre autres les baleines et les chauves-souris. Les herbivores sont en général plus kumbaya.
   Mais les chercheurs ont trouvé que plus une espèce était sociale et territoriale, plus la violence entre les membres de la même espèce était répandue.
   C’est logique : si vous vivez avec d'autres membres d’un groupe social, vous avez tout simplement plus de possibilités de vous retrouver dans une prise de bec sanglante. Si vos ressources sont limitées, ou si vous devez protéger vos biens ou si vous sortez du bois, vous avez plus de prétextes pour assommer un concurrent. Hé, j’ai regardé les rediffusions de Law & Order! Motivation et opportunité. Ç’a toujours été une question de motivation et d'opportunité.
   Les primates ne sont pas la seule branche de l'arbre généalogique ayant des tendances meurtrières. Sans grande surprise, les chercheurs ont constaté que les prédateurs carnivores non-primates avaient aussi tendance à être plus violents les uns envers les autres, en particulier, là encore, ceux qui vivaient dans des groupes sociaux et territoriaux.

Ne pouvons-nous pas tous nous entendre?

Cependant, avant de trop désespérer, disons que la seconde partie de la recherche offre un peu d’espoir. Les chercheurs se sont intéressés aux taux de violence meurtrière à l’intérieur de centaines de populations humaines étudiées selon le modèle de société où les individus évoluaient. L'équipe a constaté que les choses sont devenues particulièrement sanglantes autour de l’an 1000 av. J.-C., mais que, au cours des 500 dernières années ou à peu près, les humains avaient un peu nettoyé le jeu.
   Le pic des carnages se situerait au début de l'âge du fer, cette période où une grande partie de notre espèce abandonna peu à peu la vie nomade de chasseur-cueilleur, quitta les petites bourgades pour des espaces urbains plus importants. C'est aussi le moment où les états s'engagèrent dans la compétition territoriale. Ouais, de plus en plus de monde entassé et en compétition pour les mêmes ressources et territoires. Motivation et opportunité.
   Au cours du siècle dernier, cependant, la diminution de la violence meurtrière, amorcée il y a 500 ans, s'est accélérée. Dans les sociétés d’aujourd'hui, avec les systèmes juridiques et le maintien de l’ordre public (deux groupes distincts d'égale importance...) et, tout aussi important, avec une culture qui rejette la violence, le taux de criminalité est autour de 1 sur 10 000.
   Ainsi, même si l'étude présente un dossier solide qui montre que nous sommes de par nature plus violents que la moyenne des autres mammifères, les chercheurs ont également montré que les systèmes sociaux et les normes culturelles peuvent garder à vue notre tendance innée à démolir et tabasser.

Article original (en anglais) :  

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