L’homo gazien ne lâchera pas le pétrole à
moins d’y être contraint par des soubresauts terrestres ou un bombardement d’astéroïdes.
Ne nous décourageons pas, les dinosaures ont fini par disparaître et cela n’a
pas empêché la terre de tourner. La Nature est notre drapeau rouge, notre
baromètre, elle nous donne un aperçu du sort qui nous attend. Si nous n’appliquons
pas les freins d’urgence, c’est-à-dire si nous ne faisons pas la transition de plein
gré maintenant, garanti que la terre nous sortira du décor les pieds
devant. Quand de grands prédateurs disparaissent, la nature se porte mieux...
La
balade souriante dans un paysage sinistré. De gauche à droite : Colette Roy-Laroche,
Pauline Marois et son conjoint Claude Blanchet, Laureen et Stephen Harper, lors des
funérailles publiques, août 2013. Photo :
Jacques Boissinot / La Presse Canadienne
Photo :
Sûreté du Québec
«Lorsqu'un
gouvernement est dépendant des banquiers pour l'argent, ce sont ces derniers,
et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au dessus de la main
qui reçoit. Leur unique objectif est le gain.» ~ Napoléon Bonaparte (un
despote lucide)
«Et le monde se brise un peu plus chaque
jour, car l'argent a plus d'importance que les êtres humains.» ~ Pierre Rabhi
J’ai
choisi de souligner le cinquième en
rassemblant des éléments dont on parle peu ou pas, encore aujourd’hui, à
renforts de citations provenant du livre d’Anne-Marie Saint-Cerny : MÉGANTIC Une tragédie annoncée (1). Quiconque
est le moindrement préoccupé par les manigances de l’industrie pétrolière et du
transport de matières dangereuses appréciera la richesse de la documentation.
Ainsi que la triste et poignante chronologie des événements et leurs
conséquences. On y découvre des informations extrêmement troublantes sur la
décontamination et le «Derby de démolition» dont la municipalité fut l’objet.
Quant aux révélations au sujet des lacunes de la fonction publique et du système judiciaire, elles confirment ce
que nous savons déjà. C’est intense, je l’ai lu comme on regarde une télésérie
captivante en rafale. Et j’espère que vous aurez envie d’en faire autant.
Comme un champignon nucléaire... Photo :
CIM
La tragédie singulièrement brutale, violente et meurtrière de
Lac-Mégantic nous rappelle qu’après cinq ans, nous sommes loin d’être protégés contre
des bolides de plus en plus nombreux et lourds, remplis de matières dangereuses
hautement inflammables qui roulent de plus en plus vite sur des réseaux
ferroviaires inadéquats (de Classe 2 comme celui de MMA). Globalement dans un
état lamentable et mal entretenus – rails écrasés, déformés, pas à niveau,
dormants pourris ou manquants, attaches souvent absentes, conteneurs en acier
de mauvaise qualité – ces réseaux ont additionné les accidents depuis 2013. Et
pour cause : entre 2009 et 2013, les chargements de pétrole brut par train
au Canada sont passés de 500 wagons-citernes à 140 000 (ou 160 000
selon certaines statistiques).
MMA
Lac-Mégantic, QC, 2 juillet 2010. Photo : Pierre Lebeau, Barrachou.com / GrosChars.com
«Les
oléoducs sont plus sécuritaire!», rabâchent les promoteurs. N’allons surtout
pas croire que la multiplication des oléoducs réduira le transport ferroviaire
qui a l’avantage de faciliter les transbordements. Le pipeline est simplement
un moyen additionnel de transporter plus de pétrole et de gaz. Je vous laisse juger
des risques... Entre 2004 et 2012 en Amérique du nord, selon l’Agence
internationale de l’énergie (AIE), à distances comparables les oléoducs ont déversé trois fois plus de pétrole que les trains.
----
(1) Après
la tragédie à Lac-Mégantic, Anne-Marie Saint-Cerny réalise que tout ce qui a
causé l’accident relève de la juridiction d’Ottawa : «Le train est fédéral, le pétrole est fédéral, les rails, c’est fédéral.
Il y a énormément de décisions et de conséquences qui viennent d’Ottawa et
qu’on assume. Il faut ouvrir le front.» Elle décide d’enquêter sur les
causes de l’accident pour tenter de découvrir les réels responsables.
«Les autorités ont abdiqué leur rôle de
protection. Le ministre des Transports, Marc Garneau n’arrête pas de dire ‘je n’ai pas le pouvoir d’aller voir ce
qu’ils font sur les rails’. Alors je dis, avec tous ceux qui m’ont aidée durant
cette enquête, ‘nous vous donnons le pouvoir pour quatre ans, servez-vous en,
ce n’est pas un prix de présence, d’être élu’.» (Interview à Gravel le matin ICI
Radio-Canada Première, juillet 2018)
MÉGANTIC Une tragédie annoncée
Anne-Marie
Saint-Cerny * | Parcours | 344 pages Éditions Écosociété, juin 2018
Préface
d'André Noël
Résumé de
l’éditeur :
Lac-Mégantic, le 6 juillet 2013. En cette
chaude nuit d’été, un train fou sans conducteur tirant des bombes de pétrole
explosif dévale la pente qui mène au cœur de la localité et en pulvérise le
centre-ville, carbonisant 47 victimes prises au piège et laissant dans son
sillage une insouciance à jamais perdue.
Qui sont les vrais coupables de cette
tragédie? Qui a pris le contrôle de la scène de crime? Qui assure la
reconstruction et pour le bien de qui? Dans ce récit fascinant qui nous plonge
au cœur des événements, Anne-Marie Saint-Cerny fait son enquête, pour en tirer
les leçons qui s’imposent et fournir tous les arguments pour exiger la tenue
d’une commission d’enquête publique. Surtout qu’à Mégantic, malgré l’annonce de
la voie de contournement, rien n’a véritablement changé sur le fond : les
trains de propane roulent encore la nuit, sur des rails brisés, sous la
supervision de l’industrie ferroviaire elle-même, comme partout au Canada.
Tragédie emblématique à plus d’un titre et
dépassant largement le fait divers, Mégantic est un conte capitaliste moderne
parfait. Trouvant naissance dans les officines d’investisseurs de Wall Street,
de producteurs cowboys d’or noir du Dakota, de bureaux de conglomérats du
pétrole, et mis en place par une classe politique complaisante, le drame a
frappé une population qui, sous le choc, s’est rapidement trouvée à la merci de
promoteurs locaux et d’intérêts financiers loin d’être toujours bien
intentionnés. Un troublant exemple de stratégie du choc.
Récit en trois actes – avant, pendant, après
– se lisant comme un polar, enquête extrêmement fouillée donnant la parole à
plusieurs protagonistes du drame, Mégantic cherche à faire le récit global de
la tragédie et à expliquer pourquoi une telle catastrophe pourrait bien se
reproduire.
*
Auteure, recherchiste et militante de terrain, Anne-Marie Saint-Cerny est
active au sein d’organismes sociaux depuis plus de 30 ans, notamment la
Fondation Rivières et la Société pour vaincre la pollution, qu’elle a dirigée.
Arrivée sur les lieux cinq jours après la tragédie, elle travaille depuis à
raconter l’histoire de Mégantic et de ses conséquences.
Disponible
en version numérique :
MÉGANTIC,
Préface d’André Noël, p.12 :
En juin
2012, la MMA avait commencé à utiliser des trains-blocs pour le transport du
pétrole de Montréal à Saint John. Tout porte à croire que Burkhardt avait une
entente contractuelle avec le CP, mais c’est là une des nombreuses données que
nous ne pouvons pas voir. Un mois plus tard, la MMA commençait à exploiter ses
trains avec un seul conducteur, sans prévenir Transports Canada. Elle ne
respecta pas l’engagement qu’elle avait pris d’améliorer l’état de ses voies
ferrées pour permettre aux trains de rouler plus vite. Elle n’évalua pas les
risques de garer ses trains sans surveillance sur la voie principale, dans une
pente prononcée entre Nantes et Lac-Mégantic. Rognant sur la sécurité et les
conditions de travail, la MMA pouvait soumettre des tarifs concurrentiels pour
transporter du pétrole provenant de la formation de schiste de Bakken, au Dakota
du Nord.
[...] À partir de Montréal, il aurait été
possible de confier le convoi au Canadien National, qui se rend jusqu’à Saint
John en passant par le Bas Saint-Laurent. Le CN est loin d’avoir une fiche de
sécurité parfaite, mais ses locomotives et ses rails sont autrement mieux
entretenus que ne l’étaient ceux de la MMA, et ses trains ne comptent pas qu’un
seul conducteur. Mais voilà, ce chemin aurait été plus long et plus cher. Et le
CP pouvait répugner à l’idée de céder une partie de son contrat de transport à
son principal concurrent.
Des réseaux ferroviaires mal entretenus.
Id. Prologue, p. 19 :
Le jury
s’est-il trompé? Ou a-t-il simplement conclu que les mauvaises personnes se
trouvaient sur le banc des accusés? Qui a laissé un homme seul conduire un train chargé de 8 millions de dollars d’explosifs
dans les montagnes? [...]
Dans le lieu ravagé où se tenait autrefois
une rue principale vivante et animée, les Méganticois n’ont pas de réponse à
ces questions. Ou ne croient pas celles qu’on leur donne. Et à Mégantic comme
ailleurs, tous se demandent : le drame peut-il se répéter?
Une chose est sûre : à Mégantic, en
2018, des trains de produits gaziers et pétroliers roulent encore la nuit. «J’ai une business à rouler. Je transporte
ce qui rapporte. On me paie pour ça», a déclaré John Giles, le nouveau
propriétaire de la compagnie ferroviaire, CMQR, qui a pris le relais de la
tristement célèbre MMA (1). Ainsi en est-il partout au Canada.
(1) Après la tragédie de Lac-Mégantic,
la MMA s’est placée sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des
compagnies avant d’être rachetée par Central Maine Quebec Railroad (CMQR), une
société appartenant à Fortress, un holding d’une valeur de 70 milliards de
dollars basé en Floride. En 2017, Fortress sera vendu à des investisseurs
chinois.
Id. William Ackman, le gagnant p. 49/50 :
Pour les
investisseurs présents ce soir-là chez Benoit [juin 2011], l’heure est donc au
changement de garde à la tête du CP. L’entreprise, croient-ils, a du potentiel
– la preuve, les concurrents ramassent un joli magot – et ils demandent à
[Paul] Hilal de piquer l’intérêt d’Ackman : il faut prendre le contrôle du
CP et en chasser les dirigeants actuels.
Pourquoi Ackman? Pour accéder aux commandes
du CP, il faut un financier dit «activiste»,
l’un de ceux qui prennent brutalement le contrôle d’une entreprise et nettoient
son conseil d’administration, ses structures et son personnel. En bref, qui
coupent et dégraissent à la hache. Et font grimper le rendement en flèche. Pour
réussir un tel coup, il faut du culot, de l’arrogance et un sens aigu de la
mise en scène.
...Le flamboyant William (Bill) Ackman, 45
ans, propriétaire d’un jet privé, naturellement, et d’une propriété dans les
chics Hamptons, à Long Island. [...] Il est partout, tout comme sa femme Karen,
qui siège au conseil d’administration de Human Rights Watch, un organisme
auquel Ackman, par le truchement de Pershing Square, aurait «donné» 10 millions
de dollars, puisque, professe-t-il, «il
faut combattre les racines de la pauvreté par des interventions stratégiques».
Début 2017, on apprendra toutefois qu’Ackman et sa femme s’engagent dans un
difficile divorce mettant en jeu leur penthouse de 90 millions de dollars nommé
The Winter Garden (Jardin d’hiver), l’un des plus chers de New York,
leur domaine des Hamptons de 23 millions ainsi que le condo familial avec vue
sur Central Park, d’une valeur de 35 millions.
[Remarque personnelle : quels faux-jetons! Human Rights Watch a complètement perdu mon estime. Mise à
jour : l’homme aux cheveux et à la
langue d’argent possède en fait deux propriétés sur son domaine à Bridgehampton :
l’une évaluée à 22 millions et l’autre à 23,5 millions. Total de ses biens
immobiliers (connus) : 170,5 millions de dollars. En effet, «il combat les
racines de la pauvreté!»]
Photo : la paire d’As William
Ackman et feu Hunter Harrison (mort en déc. 2017; parfois
j’aimerais croire à la Bible et à l’enfer...). Ces deux escrocs et Edward Burkhardt
auraient dû être traduits en justice et condamnés à l’emprisonnement à vie.
Photo :
Edward Burkhardt
À voir absolument :
Hunter
Harrison’s Canadian Pacific Railway: “What a way to run a railroad!”
Twin Cities, MN Fall 2014. Employee accounts of the
difficult conditions of working on the Canadian Pacific Railway under the
leadership of CEO Hunter Harrison. Production: Labor Education Service, University of Minnesota.
Ce
documentaire rapporte des témoignages d’ingénieurs, de mécaniciens et de
conducteurs de convois du CP. Au nom du rendement, ils sont contraints par l’administration du PDG Hunter
Harrison de négliger les procédures d’inspection et de réparation de
l’équipement ferroviaire sous peine de perdre leur emploi. Les coupures de
personnel menacent non seulement la sécurité des employés mais aussi celle du
transport ferroviaire en entier. Les employés travaillent entre 50 et 60 heures
par semaine. La compagnie se fiche totalement de la sécurité. Le 22 avril 2014,
Canadian Pacific Railway annonçait que durant le premier trimestre, la
compagnie avait obtenu les meilleurs résultats financiers de son histoire.
MÉGANTIC,
Hunter Harrison, le chef opérateur,
p. 61/67
Lorsqu’on
prend le temps de s’y arrêter, on constate que cette ingénierie – qui permet à
des mastodontes d’acier pesant des milliers de tonnes de suivre fidèlement de
minces filets d’acier sculptés en champignons dans les courbes et les pentes,
le tout retenu par de simples traverses de bois – relève du pur génie humain.
Le château de cartes des différentes forces à l’œuvre ... permet de supporter
des charges colossales à des grandes vitesses. Mais cette force incroyable
repose en fait sur une fragilité extrême, une minutie quasi microscopique du
détail, de tous les paramètres. Quelques millimètres de plus ou de moins, ici
et là, sur un champignon de rail usé par exemple, et le train et sa charge
devient inexorablement de leur chemin. Générant une destruction inouïe.
En 2011, Hunter Harrison a déjà diagnostiqué
le problème du CP, que William
Ackman résumera en février 2012 : des
trains trop courts, trop lents, trop d’équipement, trop d’employés.
Harrison résume son diagnostic en une seule cible, un chiffre magique à
atteindre, qui deviendra pour lui une obsession : 60 %. Un indice qui
illustre le ratio coût/profit d’une société ferroviaire, et par conséquent sa
rentabilité. ... En 2012, lorsque Harrison prend les commandes du CP, ce ratio
est de plus de 80 %. Harrison atteindra le chiffre magique de 59,8 % fin 2014,
en 24 mois à peine. ... Comment parviendra-t-il à ce résultat spectaculaire? En
suivant le «plan», tout simplement, selon une logique aussi imparable
qu’implacable : il s’agit de réduire les coûts et de rentabiliser
brutalement.
Id. Transports Canada, le servile portier, p.110-111 :
Le fabuleux trésor d’or noir enfoui sous
l’Alberta, le visqueux pétrole des sables bitumineux et celui du schiste,
volatil et explosif, le même qui est exploité dans la formation de Bakken au
Dakota, laquelle s’étend jusqu’au Canada [doit circuler].
Les lois
et règlements font entrave aux profits, c’est bien connu. À partir des années
1980 (et encore aujourd’hui), on verra déferler une grande vague de
déréglementation qui balaiera peu à peu tous ces obstacles au «progrès» au
profit de l’industrie. ...Mulroney et d’autres chantres néoconservateurs ou
néolibéraux s’attaqueront aux règles, règlements et lois régissant l’activité
industrielle, mettront à pied des milliers d’inspecteurs, de contrôleurs et
d’autres employés de surveillance, et finiront par déléguer à l’industrie le
pouvoir de s’autocontrôler à sa guise.
Id. p.
127/128 :
Selon
Transports Canada «les êtres humains contribuent à la rupture de systèmes
complexes». Voilà la solution idéale. Simple et efficace. Le coupable des
accidents? L’humain. Et pas n’importe lequel, surtout pas le dirigeant. Non, le
dernier, celui qui se trouve au bout... L’employé. Hunter Harrison le
confirmera : «L’accident [de Mégantic] est dû à la négligence d’un
individu qui n’a pas appliqué les freins correctement.» La réglementation,
ajoutera-t-il, ne «peut faire cesser [de tels] comportements».
Id. 2 juillet 2013 / 3 juillet 2013, p 163-165 :
Harding
connaît le territoire à fond. Il a effectué des centaines de voyages entre
Farnham et Mégantic au cours de sa carrière. Au cours des seuls derniers 12
mois, il a fait le trajet plus d’une soixantaine de fois, dont au moins une
vingtaine comme conducteur seul. Chaque fois, il a répété les mêmes gestes.
Chaque fois, son train est resté immobilisé. Paul Budge, surintendant et patron de Jean Demaître au Québec,
déclarera aux policiers que tout est de la faute des employés, qu’il traitera
de paresseux. C’est lui aussi qui a fait
sermonner Harding parce qu’il appliquait trop de freins sur les convois de
pétrole à Nantes.
Id. 5 juillet 2013, p. 175 :
«Si n’importe laquelle des quatre autres
locomotives avaient été en lead ce
soir-là, il n’y aurait pas eu de tragédie. Toutes avaient des systèmes de
freinage, penalty brakes,
fonctionnels. Seule la 5017, rafistolée par MMA, n’avait aucun freinage
d’urgence», affirmera Steve Callaghan, ancien du BST et expert mandaté par la
SQ pour l’enquête technique. La 5017 a
été laissée en lead par les patrons
de la MMA parce qu’ils désiraient avoir leur logo sur la première locomotive du
convoi. Les autres locomotives avaient été louées au CP et arboraient son
sigle.»
«La» locomotive MMA 5017
Il me
semble que les médias n’ont pas suffisamment insisté sur cet aspect d’une
importance capitale : l’incendie survenu dans la locomotive de
tête (à Nantes) à cause de la piètre
qualité de son moteur qui avait été mal réparé. On a préféré, en effet,
taper sur la tête des trois boucs-émissaires, comme si l’entière responsabilité
de la tragédie leur incombait, en particulier Thomas Harding.
«En octobre 2012, soit huit mois
avant l'accident, la locomotive de tête [5017] a été envoyée à l'atelier de la MMA
par suite d'une panne moteur. Compte tenu du temps et de l'argent nécessaires
pour apporter une réparation standard, et de la nécessité pressante de remettre
la locomotive en service, le moteur a été réparé à l'aide d'un matériau époxyde
qui n'avait ni la résistance ni la durabilité voulues. Ce matériau s'est
détérioré, ce qui a été à l'origine de sautes de régime et de la fumée excessive
noire et blanche. Éventuellement, l'huile a commencé à s'accumuler dans le
turbocompresseur, où elle a été surchauffée et s'est enflammée le soir de
l'accident.» (Bureau de la sécurité
des transports du Canada)
Pour comprendre les causes mécaniques (photos à l’appui) :
Rapport
d’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (2014)
Train de
marchandises MMA-002 de la Montreal, Maine & Atlantic Railway parti à la
dérive et déraillement en voie principale
Au point
milliaire 0,23 de la subdivision Sherbrooke Lac-Mégantic (Québec), le 6 Juillet
2013
Si vous
manquez de temps, voyez le documentaire de l’émission Découverte – l’article Lac-Mégantic 2
: la démocratie est soluble dans le pétrole inclut les liens des émissions.
MÉGANTIC,
Être... humain, p. 314-318 :
Le 9 mai [2014]
à 16 heures, Mathieu Bouchard, chargé de l’enquête policière sur Mégantic, a
été prévenu par la Direction des poursuites pénales et criminelles (DPCP). «On
arrête Harding.» Bouchard, pris par surprise et à court de temps, demande donc
à un juge un «mandat d’entrer» durant la fin de semaine. Le 12 mai, le lundi
suivant, Harding et son fils sont dans la cour arrière de leur maison. ... Son
avocat, Thomas Walsh, est en vacances. Mais avant de partir, il a averti la SQ.
Si vous avez besoin de mon client, a-t-il dit, prévenez-le simplement et il se
présentera à vos bureaux.
L’événement est soudain, brutal. Les forces
de la SWAT Team, l’unité anti-terroriste de la SQ, en habit de combat et armées
jusqu’aux dents, enfoncent la porte avec un bélier. Ils foncent, trouvent
Harding derrière la maison et lui hurlent, ainsi qu’à son fils, de se coucher
au sol, mains derrière la tête. L’image est dure : canons pointés sur les
deux hommes couchés au sol, on passe les menottes aux pieds et aux mains de
Harding. [...] Personne n’a pu expliquer comment ni pourquoi les médias ont été
prévenus de l’arrestation de Harding. Quelqu’un quelque part, a voulu qu’on
offre à la population l’image de la «Justice» arrêtant le coupable. Avant même le début du procès, les coupables étaient
tout désignés. Et l’enquête policière entourant le drame, ainsi que les paramètres du procès, ont été façonnés
de telle sorte que nul autre coupable que ces trois-là ne puisse être inquiété.
[On amène les accusés pieds et poings
menottés dans un panier à salade à Mégantic.] «...On entendait, à travers les
parois d’acier du camion, la foule crier dehors. En tout cas c’est ce qu’on
imaginait. ... Et tout à coup, on a entendu, venant de la foule qui était plus
silencieuse qu’on pensait, des gens crier : c’est pas eux. C’est pas eux,
les vrais coupables.» [Témoignage de l’un des accusés.] Ce show
de force, l’arrestation musclée et la parade publique des accusés enchaînés,
fut la grande erreur de l’appareil judiciaire québécois et canadien,
entièrement braqué contre ces seuls trois hommes. Car la population n’a pas
réagi comme l’espéraient les autorités; elle n’était pas dupe. [...]
Le procès est à l’image de l’enquête de la
police. Le policier Bouchard, qui a tenté de mener une enquête plus large,
s’est fait constamment rétrécir son champ d’investigation par ses supérieurs,
aux dires des avocats de Harding. À la fin, on a même abruptement remplacé
Bouchard à la tête de l’enquête. Même chose pour l’expert retenu par la SQ,
Stephen Callaghan, un ex-enquêteur du Bureau de la sécurité des transports du
Canada (BST). On a aussi sans cesse réduit son mandat, le confinant uniquement
au moment précis du déraillement. [...] Aucun patron de MMA ne viendra
témoigner au procès, tous confortablement planqués derrière la frontière
américaine. Une chose est certaine, confirmera Me Charles Shearson,
l’un des avocats de Thomas Harding : cette enquête a été menée de telle
sorte qu’il est impossible de porter des accusations contre MMA. Et la Couronne
renoncera en effet, en avril 2018, à toute poursuite contre l’entreprise, faute
de preuve.
«Garde la tête haute, Tom!» ou
l’amitié en temps de tragédie
Un texte d’Émilie Dubreuil | 29 juin 2018
Extrait
Jean Clusiault. Photo : Émilie Dubreuil / Radio-Canada.
Jean Clusiault, qui a perdu une de ses filles dans l’incendie, est
devenu ami avec le conducteur du convoi Thomas Harding durant le procès :
«Ces gars-là, Harding, Labrie et Demaître, ont été ruinés mentalement et financièrement.
C’était des boucs-émissaires. Et moi, je suis très fier de Tom, il est fait
fort et il a toute mon affection. Comme je lui ai souvent dit : «T’as pas
d’affaire à baisser la tête. Non, t’as pas d’affaire à baisser la tête. Garde
la tête haute, Tom», répète M. Clusiault. Bien oui, j’ai fait ça. Tom, c’est
mon ami. Je disais à tout le monde que, pour moi, ce n’était pas lui le
coupable. J’ai la plus grande admiration pour ce gars-là. Il a de belles et de
bonnes valeurs. Il est honnête et sincère.»
Gilles fluet. Photo : Émilie Dubreuil / Radio-Canada.
À 70 ans,
Gilles Fluet, ne croit plus en Dieu ni à la justice [il a échappé à la mort
presque miraculeusement]. Il est en colère contre bien du monde. L’ancienne
mairesse Colette Roy-Laroche, les gouvernements du Québec et du Canada, la
compagnie de chemin de fer Montréal, Maine and Atlantic, les entrepreneurs qui
ont décontaminé la ville et qui ont détruit ce qu’il en restait pour rien,
selon lui. Bref, il en veut à bien du monde, mais surtout pas, à Tom Harding.
Il raconte que la MMA a fait des
compressions successives dont les gens jasaient en ville. «Fallait que la
compagnie fasse du cash. Et ils ont coupé au maximum dans les dépenses. Entre
autres, ils ont enlevé le deuxième chauffeur de train. Or, cette job-là, c’est
impossible à faire pour un gars tout seul. Et ce qui devait arriver arriva»,
dit-il, toujours indigné.
Thomas Harding, Jean Demaître et Richard Labrie,
menottes aux mains.
Photo
: Jacques Nadeau / Le Devoir
En 2014,
la Sûreté du Québec fait défiler Tom Harding, Richard Labrie et Jean Demaître à
Lac-Mégantic, menottes aux poings et sous importante escorte policière. «J’ai
été le premier à crier ben fort : ‘C’est pas les bons!’. Et la foule a suivi.
‘C’est pas les bons!’ Là, c’est la police qui était déstabilisée», se rappelle
Gilles Fluet en riant. «Quand ils sont ressortis de leur audience, ils en
avaient plus, de menottes!» Il a suivi le procès des employés de la MMA avec
assiduité. Il a soutenu et encouragé les accusés tout du long. «Les avocats de
la Couronne, ils nous regardaient de travers un peu. Ils ne comprenaient pas
pourquoi des gens dont la vie avait été ravagée par ces gars-là venaient au
palais, justement, pour les soutenir et les défendre. Moi, Tom, je le
connaissais mieux que les deux autres au départ. C’est certain que j’allais
être là pour lui, mais j’ai toujours pensé que les trois n’étaient pas
coupables, que c’étaient des boucs-émissaires.»
[À propos du nouveau centre-ville, Gilles
Fluet dit à la journaliste Émilie Dubreuil] : «Moi, j’appelle ça un
fiasco, pas un centre-ville. On dit, ironiquement, que c’est le 5-15. C’est une
blague qui fait référence au DIX30 à Brossard, parce que c’est comme un petit
DIX30. Ce n’est pas un centre-ville, c’est un centre d’achats, et quand les
commerces ferment le soir, il n’y a plus un chat ici.»
Article
intégral :
Citations
du jour :
Politique : Lutte d'intérêts déguisée en débat
de grands principes. Conduite d'affaires publiques pour un avantage privé.
~ Ambrose
Bierce (Le dictionnaire du Diable)
«Que
nous et nos politiciens le sachions ou non, la nature fait partie de tous nos
accords et décisions, et elle a plus de votes, une mémoire plus longue et un
sens de la justice plus sévère que nous. ~ Wendell Berry
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