9 juillet 2018

Qui est responsable? Personne et tout le monde.

À quoi ressemblera le tableau des inégalités de 2018?
«L'enfer est vide, tous les démons sont ici.» ~ William Shakespeare
  

Dans la mire :

1. On sait que le FMI n’a pas de cœur. Alors, ce qui s’est passé en Haïti était inhumain : le gallon américain d’essence, qui représentait une demi-journée de travail, passait soudainement à l’équivalent d’une journée de travail (51 % pourcent d’augmentation!).    
   En début d'après-midi vendredi le 6 juillet, les ministères de l'Économie, des Finances, du Commerce et de l'Industrie avaient annoncé une augmentation des prix de l'essence de 38 %, celui du diesel de 47 % et celui du kérosène de 51 %, applicable le samedi 7 juillet à minuit.
   Le nouveau cadre de référence entre le Fonds monétaire international (FMI) et Haïti, signé en février, impliquait la cessation de la subvention publique des produits pétroliers, source conséquente du déficit budgétaire de l'État.
   Cette importante hausse a été perçue comme insupportable par la majorité de la population qui fait face à une pauvreté extrême, un chômage de masse et une inflation supérieure à 13 % pour la troisième année consécutive. Le président haïtien Jovenel Moïse a appelé samedi soir les manifestants à quitter les rues, paralysées par des vagues de violences depuis vendredi après-midi, car il avait «corrigé ce qu'il y avait à corriger», à savoir suspendre la décision d'augmenter les prix des produits pétroliers.
(La Presse, juillet 2018)

2. Selon les experts d'une commission non partisane, le Joint Commitee on Taxation, la réforme fiscale de Donald Trump pourrait ajouter 1000 milliards de dollars à la dette publique qui dépasse déjà les 20 000 milliards de dollars. Cette réforme préconisait, entre autres, une baisse du taux d'impôt sur les sociétés, un taux plus bas pour les profits reversés aux actionnaires, un régime plus favorable pour les profits enregistrés à l'étranger – ce régime aboutit à une situation ubuesque où les grands groupes américains thésaurisent des milliards de dollars à l'étranger si bien qu'au total, c'est un magot de 1000 à 3000 milliards de dollars qui est gardé au chaud par les grands groupes. Apple, par exemple, possède un trésor de guerre de plus de 250 milliards de dollars.

3. À quelques semaines du déclenchement officiel de la campagne électorale provinciale, le Collectif pour un Québec sans pauvreté demande aux partis politiques de faire connaître leurs propositions en matière de lutte à la pauvreté. Le Collectif a fait parvenir une lettre aux quatre formations représentées à l'Assemblée nationale, leur demandant de divulguer leurs engagements pour éradiquer la pauvreté, avant la fin du mois d'août. Les réponses obtenues seront alors dévoilées au grand public. (La Presse Canadienne) 

Ministre : Personne qui agit avec un grand pouvoir et une faible responsabilité.  
~ Ambrose Bierce (Le dictionnaire du Diable) 

«La responsabilité du choix, c’est aussi oser décider de quel côté on se situe dans une société injuste, traversée de conflits et marquée par l’indignité. C’est pourquoi nous sommes tous des êtres politiques, que nous le voulions ou non. Nous vivons dans une dimension politique fondamentale. Par le fait même d’exister, nous passons un contrat avec tous nos contemporains, mais aussi avec les générations futures.
   Qu’est-ce qui conditionne nos décisions? Qu’est-ce qui oriente les choix que nous faisons, les idées qui sont les nôtres, ce que nous trouvons par exemple inadmissible? Que choisissons-nous de défendre, et que choisissons-nous de rejeter?
   Avoir la possibilité de choisir ce à quoi on consacre son existence est un grand privilège. 


Je suis profondément révolté devant les nouvelles formes d’esclavage et l’exploitation effrénée de la planète. Notre instinct de destruction nous conduira inévitablement à l’anéantissement de notre espèce.
   La vie des humains est lisible à travers leurs déchets. Les décharges sont un miroir où se laissent déchiffrer des millénaires de vie quotidienne. [...] Les décharges de notre temps se présentent autrement et racontent d’autres histoires. Le plus grand dépotoir du monde, à l’heure actuelle, n’est pas situé sur la terre ferme mais dans l’océan Pacifique, entre la côte californienne et Hawaï. Des millions de tonnes de détritus à la dérive. ... Les déchets se composent de plastique et ont une demi-vie infiniment longue. [...]
   Bien entendu, un grand nombre de personnes travaillent aujourd’hui à contrer l’avancée de la montagne-poubelle. Nous avons une importante politique de tri et de recyclage qui n’existait pas il y a vingt ans. Mais ce n’est pas assez, vu que les plus dangereux des déchets, à savoir le nucléaire à l’échelle globale, ne dispose pas encore de solution viable pour son stockage définitif. Les plus grands consommateurs de nucléaire, tels que la Chine et les États-Unis, ont à peine commencé à construire des stations de stockage provisoires, en attendant d’imaginer des méthodes de stockage définitif et de les approuver politiquement. Ce qui a lieu, ou non, dans un pays comme la Corée du Nord, je ne veux même pas y penser. J’y pense néanmoins.
   Toutes les civilisations ont laissé des déchets. Quand un empire tombe, son premier souci n’est pas de faire le ménage. Mais l’Égypte des pharaons pas plus que la Rome impériale n’ont laissé derrière elles des déchets mortifères. Nous, oui. »

~ Henning Mankell (SABLE MOUVANT Fragments de ma vie; Éditions du Seuil, septembre 2015) 

Je pense, donc je suis... responsable!
Alain Etchegoyen (1951-2007), écrivain et philosophe 

Entendons-nous sur ce qu’est la responsabilité. C’est devenu un maître mot, donc il a plus de valeur que de sens. Être responsable, c’est répondre de ses actes et de leurs conséquences devant autrui. Être responsable de ses actes devant soi-même également.

De quoi et de qui est-on responsable? Le premier territoire, c’est la famille. Qu’elle soit traditionnelle, décomposée, recomposée, c’est la première responsabilité que l’on a parce qu’elle est immédiate. On est responsable de ses enfants et de ses proches. Éduquer les enfants à la responsabilité, cela veut dire de ne pas se contenter de leur imposer des recettes de comportement, mais leur en montrer en permanence le sens par rapport aux conséquences de ce comportement.

L’enfant devient adolescent en s’échappant, en vous échappant. Il grandit sans étayer sur un tuteur unique. Il agit et réagit à des sollicitations qui viennent de tous les côtés et de tous les horizons. Combien de fois on entend «il faut éduquer les enfants à l’écologie, à la paix». Il faut se méfier de souhaiter pour les autres une pratique que nous ne sommes pas capables de nous imposer. La responsabilité s’enseigne par l’exemple. 

Répondre de ses actes et de leurs conséquences, n’a jamais été plus difficile à cause de la multiplicité des influences extérieures : télévision, cinéma, Internet... Résultat, il faut improviser, quand ce n’est pas tout réinventer, car il n’y a pas de modèle de ce que nous sommes actuellement ni de ce nous sommes en train de devenir.

Certains s’occupent des problèmes mondiaux. Souvent ceux qui recherchent une responsabilité veulent en réalité un pouvoir. Dans une démocratie, tout le monde clame : «Moi je désire assumer un poste à responsabilités». Personne ne dit : «Je veux du pouvoir». Pourtant, lorsqu’il s’agit d’assumer des responsabilités... il n’y a plus personne en vue.

Le contraire de la responsabilité c’est la lâcheté.

Répondre de ses actes est un engagement – juridique et moral – que l’on prend en accédant à un pouvoir impliquant des responsabilités. C’est aussi vrai dans la famille que dans l’entreprise, le syndicat ou la vie politique. La responsabilité est le nouveau principe moral parce que nous sommes tous aujourd’hui confrontés à des situations auxquelles nous n’avons jamais été préparés.

On n’est pas responsable de tout. On est d’abord responsable de soi-même devant les autres, de ce qu’on fait et de ce qu’on décide les concernant. Ensuite, on est responsable sur un territoire sur lequel on a un pouvoir. Chacun doit avoir un espace sur lequel il exerce une responsabilité. Et ce principe aujourd’hui fonctionne dans tous les domaines. Il est essentiel dans notre société que chacun ait conscience qu’il joue un rôle, que l’impact de ses actes personnels a un effet sur un collectif.

Quand nous sommes désorientés face à une décision ou une action, il faut faire subir à celle-ci l’épreuve de la responsabilité : de cette décision ou de cette action, voudrons-nous répondre devant ceux qui sont concernés par elle ou par ses conséquences? Ce principe exprime notre époque. Ce n’est ni du prêt-à-penser ni du prêt-à-agir. Il ne donne pas des réponses clés en main. La vraie morale se moque des traditions qui donneraient des solutions toutes faites du genre «Ça ne se fait pas!». C’est en ce sens que la vraie morale se moque de la morale. C’est pourquoi je la compare à la cuisine. Il ne s’agit pas de suivre des recettes mais de perpétuellement improviser. C’est une morale plus exaltante que celle de l’ordre et de la conservation.

Le risque est inséparable de la responsabilité, il en constitue même l’un des premiers ingrédients.

La vraie morale se moque de la morale, Être responsable
Éd. Du Seuil, 1999

Aucun commentaire:

Publier un commentaire