24 juin 2018

«Amnésie, mensonge et omission»

On ne connaît pas le motif occulte et profond de la haine de Pierre E. Trudeau envers les «canadiens-français». Reconnu pour son mépris envers eux, il ne ratait pas une occasion de ridiculiser ce qu’il appelait leur lousy-french – le français pouilleux parlé au Québec.  
   «Les Québécois sont des pas-d’allure et des placoteux (bavards) qui parlent un lousy-french de bécosses (latrines).» ~ P. E. Trudeau
   À l’époque tous les Québécois s’étaient sentis injuriés, sauf les personnes qui se gargarisaient avec la langue académique. L’irrespect de Trudeau envers les ‘french-pea-soup’ a laissé des marques de griffes indélébiles... c’était sa façon de nous déshumaniser.

Que dirait Pierre E. Trudeau du français plutôt lousy de Justin? Hum, le fils est rarement capable de formuler des phrases simples complètes (oublions les complexes!) qui ont un sens. Quelques règles élémentaires – la phrase doit : 
– avoir un sens
– comporter l’énoncé complet d’une idée
– contenir un sujet, un verbe et un prédicat (ce qu’on a à dire du sujet)
– avoir une structure complète
– inclure au moins un verbe à mode personnel.

L’histoire se répète : 50 ans après l’émeute du défilé de la Saint-Jean de 1968 (le lundi de la matraque) auquel assistait P.-E. Trudeau, Justin s’est fait apostropher au parc Jarry (dans sa propre circonscription). L’homme lui a demandé s’il était venu lui parler en anglais. Il lui a ironiquement fait remarquer que sa fête (la Fête du Canada) aurait lieu la semaine prochaine. Il a ensuite reproché à M. Trudeau «d’être venu nous narguer chez nous». «Je suis chez moi», a répliqué le premier ministre. Il a ensuite sermonné l’homme en disant que «l’intolérance n’avait pas sa place au Québec». L’individu a rapidement été éloigné par les gardes du corps de M. Trudeau. 

Ironique, non?

«L’intolérance des tolérants existe, de même que la rage des modérés.»
~ Victor Hugo 

Il y a 50 ans, l’émeute de la Saint-Jean

Par Jean-François Nadeau
Le Devoir | 23 juin 2018

[...] Célibataire, figure de l’intellectuel antiduplessiste, millionnaire, Trudeau est en quête du pouvoir, suivi par deux de ses compagnons, le syndicaliste Jean Marchand et le journaliste Gérard Pelletier. La trudeaumanie bat son plein. Les nationalistes québécois découvrent en lui un adversaire farouche. [...]
   En mai, Trudeau affirme à Sherbrooke que les Québécois ont vécu 100 ans de bêtises.
   Or, ce printemps-là, en pleine campagne électorale, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal croit bon d’inviter Trudeau au grand défilé du 24 juin. Après tout, à titre de successeur de Lester B. Pearson, il occupe les fonctions de premier ministre officiellement depuis le 20 avril 1968.

Source de la photo : Le Devoir 

Pour l’événement, une estrade d’honneur est dressée. Les dignitaires sont regroupés devant la bibliothèque centrale de la ville de Montréal, rue Sherbrooke. [...]
   Un peu partout, des hommes de la GRC, des policiers, en civil ou en uniforme. Sur le toit de l’édifice de granit gris, des vigies en armes montent la garde, jumelles à la main.
   Le pire a non seulement été envisagé, il semble avoir été envisagé comme inévitable.
   Pourquoi Trudeau tient-il à se présenter à cette fête nationale alors qu’il ne cesse de nier l’existence de cette nation? [...]
   Pendant les semaines qui précèdent l’événement, le Rassemblement pour l’indépendance nationale et son président, Pierre Bourgault, ne cessent de dénoncer en tout cas le contresens que représente cette présence de Trudeau. De la provocation, disent-ils.
   Les indépendantistes ont l’intention de bien faire connaître leur opposition. Mais l’affaire tourne court le jour de l’événement. Prévenues d’éventuels débordements, les forces policières sont massées sur place. Ces policiers sont pour l’immense majorité des patrouilleurs. Ils ne sont en aucune façon entraînés pour ce type de manifestation. [...]
   Sitôt arrivé sur les lieux, Pierre Bourgault est porté à bout de bras par des militants. ... À peine arrivé, Bourgault est donc arrêté. Comme des dizaines de manifestants en sang, Bourgault est poussé vers un fourgon. La police n’y va pas avec le dos de la cuillère. [...]

Photographe : Antoine Desilets (source Le Devoir)

Au même moment, des bouteilles et divers projectiles sont lancés sur l’estrade officielle, plus ou moins en direction de Trudeau. Tout le monde est vite invité à quitter les lieux pour des raisons évidentes de sécurité. Mais Trudeau, par calcul sans doute autant que par tempérament, refuse de quitter sa place. Cette image va donner dans le reste du Canada l’impression d’un homme fort capable de «remettre le Québec à sa place». [...]
   Bilan de la soirée : au moins 123 blessés, dont 43 policiers. Une douzaine d’autopatrouilles ont été endommagées. Six chevaux canadiens de l’escouade de cavalerie de la police ont été blessés. [...]
   À la télévision d’État, le reporter envoyé sur le terrain, Claude Jean Devirieux, décrit le chaos : «La répression a été sauvage. Ceci n’est pas un jugement de valeur, j’ai vu des policiers frapper des jeunes gens de façon fort sauvage.» Il sera lui-même frappé.
   Si la manifestation n’empêche en rien Pierre Elliott Trudeau de devenir premier ministre le lendemain, elle marque néanmoins une vive opposition à un fédéralisme dont il se fait l’apôtre. [...]

Article intégral (et photos) :

Le traité des beaux perdants

Par Serge Bouchard - 06/04/2018
Notes de terrain (Québec Science)

Cet hiver, je suis loin du terrain, des routes glacées, des motels et des soupes du jour.

Je reste en ville, replié comme Montaigne dans sa tour, ce qui me permet de me concentrer sur mes émissions de radio, de lire, d’écrire, de faire le point. Je ressasse de vieilles affaires, des projets, des bribes; je regarde en arrière, je regarde en avant. Disons que je me recueille à l’intérieur d’une routine bien réglée. Toutefois, je voyage à ma manière, dans le temps et dans toutes sortes d’univers; qui donc saurait contenir son esprit ? Je suis justement en train d’écrire une préface pour un ouvrage de l’économiste Ianik Marcil, L’élan vers l’autre. Avec lui, j’aborde la réalité des marginaux  et des laissés-pour-compte du néolibéralisme; je touche les différents visages de la souffrance humaine. La rédaction de cette préface est pour moi l’occasion de replonger dans le Traité des vertus II de Vladimir Jankélévitch, des pages de virtuosité philosophique à propos de l’amour, en passant par la pauvreté et la mendicité, l’humilité et l’humiliation.

Par association d’idées, je me suis retrouvé chez les Beautiful Losers de Leonard Cohen, un roman écrit au milieu des années 1960 alors que le jeune auteur n’était pas encore célèbre. Les perdants magnifiques sont une quête mystico-érotique qui réunit les trois (et non deux) peuples fondateurs autour du personnage de Kateri Tekakwita, la sainte iroquoise morte à 24 ans à Kahnawake, victime de ses propres mortifications. Triangle tour à tour amoureux et belliqueux où un Anglo de Montréal, un Canadien français séparatiste et une Autochtone dépossédée se disputent une identité, un rôle dans l’histoire. Époque oblige, le récit fait dans le registre psychédélique. Sexe expérimental, pulsions hallucinées, violences spirituelles; je ne saurais vous dire combien je reconnais le climat de ma jeunesse. Bien que j’aie toujours été un grand fan de l’artiste, j’avoue ne pas avoir remarqué ce livre à sa sortie. Pourtant, le roman met au premier plan un anthropologue passionné d’«amérindianité». Un détail qui aurait pu piquer ma curiosité. Spécialiste de l’énigmatique tribu des «A…», le personnage est veuf d’une femme qui en était la dernière représentante. Un peu comme l’était Shanawditith, la dernière des Béothuks de Terre-Neuve, prise en charge à la fin de sa jeune vie par un explorateur philanthrope et dont j’ai raconté l’histoire, ainsi que celle de Kateri Tekakwita, dans ma série Les remarquables oubliés à la radio de Radio-Canada, laquelle aurait tout aussi pu s’intituler Les perdants magnifiques!

Où l’on voit que le triangle historique entre le Français, l’Anglais et l’Amérindien, ces trois solitudes, n’aura jamais fini de nous hanter. Je cherche d’ailleurs à savoir depuis plusieurs années qui a vraiment gagné la bataille de la Monongahela en 1755


L’histoire officielle dira que ce sont les Français, dirigés par le capitaine de Beaujeu – l’officier responsable du fort Duquesne (Pittsburgh aujourd’hui) –, qui auraient écrasé la colonne britannique du général Braddock, une armée de 2 300 soldats et miliciens. Pourtant, les Français ne faisaient pas le poids, de Beaujeu ne disposant que de 200 soldats, sinon moins. Selon Les mémoires d’Augustin Grignon, un vieillard de la Butte des Morts au Wisconsin, de Beaujeu était paralysé par la peur et ne voulait pas engager le combat. Le poste aurait bel et bien été perdu, n’eût été l’intervention de 1 300 Indiens coalisés, Menomines, Potawatomis, Wendats, Chouanons et Ottawas, réunis et commandés à Monongahela par le Métis franco-ottawa Charles Langlade et par l’Ottawa Pontiac. Ces deux derniers comptaient aussi sur 400 Canadiens français, explorateurs et coureurs des bois. Ils se battirent à l’indienne, en embuscade, comme de véritables guérilleros. Selon Grignon, petit-fils de Charles Langlade, ce sont les Indiens, les Métis francophones et les «coureurs de bois ensauvagés» qui humilièrent les Britanniques. Ce qui ne sera jamais reconnu, et encore moins admiré, ni par les Anglais ni par les Français, orgueil oblige. Cette journée-là de 1755, près de Pittsburgh, les «perdants magnifiques» ont gagné, sans que l’histoire n’en prenne note. Ils auront beau triompher, les perdants, leurs victoires seront toujours défaites par l’amnésie, le mensonge et l’omission.

Entre Cohen, Jankélévitch, Ianik Marcil et le vieux Grignon, je ne peux pas dire que je m’ennuie, retranché dans ma tour.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire