La Journée mondiale des réfugiés – c’est du
quotidien depuis des décennies. Personne ne veut être un réfugié, personne.
Dernière heure – Sous la pression venant des
quatre coins des États-Unis et du monde, l’administration Trump met fin au
supplice des familles de migrants. «Cela me tient particulièrement à cœur.
[...] Nous n’aimons pas voir des familles séparées», a affirmé Trump en signant
le décret mettant fin à cette pratique qui lui a valu une avalanche de
critiques, y compris au sein de son propre camp. «Nous allons avoir des
frontières très fortes, mais nous allons garder les familles ensemble», a
encore dit le président américain qui a lui-même décrété début mai une
«tolérance zéro» sur l’immigration illégale qui s’est traduite par la
séparation des familles. (Agence France-Presse)
Une bonne
nouvelle parmi le lot quotidien de mauvaises nouvelles qui viennent de nos
voisins. En espérant que Trump ne fasse pas volte-face – c’est une manie. Néanmoins,
les familles continueront de se retrouver encagées dans centres de détention ou
des villages de tentes. Plusieurs enfants n’ont même pas d’identité, comment
pourrait-on les ramener à leurs parents, si ces derniers ont déjà été expédiés
dans leur pays d’origine? Deviendront-ils la propriété de l’État? En fera-t-on des
esclaves?
S’indigner,
contester et manifester, donne parfois des résultats, mais ne remisons pas les
pancartes.
Illustrateur : Francesco Bongiorni, Madrid, Espagne
Si tu vis dans un pays où tout marche relativement
bien, t’as pas besoin de chercher refuge ailleurs. Beaucoup de migrants quittent leur
pays pour fuir la misère et aider leurs familles, même au risque de mourir. Certains sont parfois kidnappés et vendus à des réseaux clandestins d’esclavage
et de prostitution. «Chaque jour de nouvelles personnes disparaissent.
Il y a une
immense souffrance au sein de centaines de milliers de familles. Je crois que
nous devrions être une armée à rechercher les disparus. Il n’existe pas de
douleur plus grande que la disparition d’un être cher, d’un enfant», dit l’enquêteur.
«Si je devais disparaitre je voudrais qu’on me cherche. Qu’on aide ma mère à me
trouver.»
Ce documentaire est bouleversant.
Mexique :
La recherche des migrants disparus – ARTE Reportage
L'histoire d'un homme à la recherche des migrants
latino-américains disparus sur la route des États-Unis. Réalisation : Alex
Gohari et Léo Mattei, montage Matthieu Besnard. NovaProdTv 14 févr. 2018
Des
déplacements de populations sans précédent
Selon le rapport annuel de l'Agence des Nations
Unies pour les réfugiés, les guerres,
les violences et la persécution ont propulsé les
déplacements forcés dans le monde vers un nouveau record, avec 68,5 millions de personnes déracinées en
2017, soit une toutes les deux secondes, soit environ la population de la
Thaïlande.
Le terme
«réfugié» fait référence à toute personne qui, «craignant avec raison d'être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son
appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se
trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de
cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle
n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa
résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de
ladite crainte, ne veut y retourner», d'après l'Organisation internationale
pour les migrations (OIM).
Les
réfugiés qui ont fui leurs pays pour échapper au conflit et à la persécution
représentent 25,4 millions sur les 68,5 millions de personnes déracinées, soit
un accroissement de 2,9 millions par rapport à 2016 et aussi la plus forte
augmentation jamais enregistrée par le HCR pour une seule année. Parallèlement,
le nombre de demandeurs d’asile qui étaient toujours en attente de l’obtention
du statut de réfugié au 31 décembre 2017, a augmenté d’environ 300 000 pour atteindre
3,1 millions. Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays sont au
nombre de 40 millions, soit un peu moins que les 40,3 millions de déplacés
internes en 2016, et les pays en développement sont les plus affectés.
Insécurité politique, économique. Et climatique – les
réfugiés environnementaux sont des personnes exposées à des catastrophes
naturelles (montée des eaux, avancée des déserts), qui ne sont pas considérés
comme des réfugiés même s’il s’agit de déplacements
forcés : leur nombre est estimé à 40
millions et risque fort, sans mesures pour contrer les effets du changement
climatique, de se multiplier à l’avenir.
Les
éruptions volcaniques, les tremblements de terre, les coulées de boue, ainsi que
le phénomène géologique appelé doline (sinkhole) ne sont pas des «actes
de Dieu». Le plus souvent ce sont des répercussions des activités
humaines, telles que le forage, la fracturation hydraulique et le minage. Les
dolines peuvent être corrélées aux pratiques d'utilisation des sols, en
particulier au pompage de l'eau souterraine, et aux pratiques de développement
et de construction. Elles peuvent aussi se former lorsque les structures
naturelles de drainage de l'eau sont modifiées et que de nouveaux systèmes de
déviation sont créés. D’autres se forment quand le sol est modifié, comme
lorsque l'industrie crée des bassins de stockage/ruissellement. Le poids
considérable du nouveau matériel peut déclencher un effondrement souterrain des
supports. Tout ce que l’homme construit est éphémère et voué à la destruction
ou à l’effondrement, surtout quand il construit sur du remblaiement de sable parce
que ça coûte moins cher... Mais, le climat joue un rôle – par exemple, avec les
longues périodes de sécheresse suivies de pluies torrentielles et persistantes,
on peut facilement prédire que de tels incidents seront de plus en plus
fréquents dans le futur à mesure que le climat de la terre change.
Enfin, la
surpopulation – la planète a ses limites en matière d’hébergement. Encourager
la planification et la limitation des naissances, en particulier dans les pays
où l’on se reproduit comme des lapins en raison de croyances religieuses ou
superstitieuses, aurait pu freiner l’explosion démographique. Mais, les tyrans préfèrent
les guerres et les génocides.
Le mythe du
progrès
Nicolas Casaux
«“Ils ne
valaient pas mieux que des chiens“, déclarait en 1835 le révérend Williams
Yates, “et vous n’agissiez pas plus mal en tirant sur eux qu’en abattant un
chien qui aboie après vous“. Justifiant l’utilisation du fouet, l’un des
premiers colons dans l’ouest de l’Australie notait pour sa part :
“Rappelons-nous qu’un natif avait un cuir et non une peau ordinaire comme les
êtres humains ordinaires“. Les cadavres des Aborigènes abattus étaient
suspendus aux branches des arbres et servaient d’épouvantails. “Leur destinée
est d’être exterminés et le plus tôt sera le mieux“, écrivait en 1870 Anthony
Trollope. En 1902 encore, un élu, King O’Mally, pouvait se lever au Parlement
et déclarer froidement : ”Il n’existe aucune preuve scientifique que l’aborigène
soit même un être humain”.» ~
Wade Davis, Pour ne pas disparaître
(Albin Michel, 2011)
Cette description de la manière dont les
Aborigènes d’Australie étaient considérés jusqu’à il n’y pas si longtemps – et sont encore considérés par
certains – en évoque bien d’autres.
La plupart des peuples «sauvages» du continent africain (Pygmées, Sans, etc.),
de l’Amérique, de l’Asie et des autres continents du globe, ont été perçus de
la sorte par les dirigeants des nations dites «civilisées». Leurs cultures
étaient considérées comme des sous-cultures, des arriérations.
«Le drame de
l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Le
paysan africain qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal
de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel
recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et
des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de
place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.» – Nicolas Sarkozy, 26 juillet 2007
Artiste inconnu. Même drame, seuls les gens et les décors changent.
Et puis, au cours du XXe siècle, cette perspective
raciste, paternaliste et suprémaciste a progressivement laissé place à une
perspective plus respectueuse. Les cultures dites «civilisées» ont cessé – du moins en partie, disons que la
perspective officielle de la Science civilisée a cessé, mais pas les Sarkozy du
monde – de considérer ces peuples
comme des arriérés, des populations (au mieux) jamais sorties de l’enfance de
l’humanité, «préindustrielles» ou «précapitalistes» (dans le sens où elles
n’avaient pas encore inventé la bombe atomique, le Roundup, la centrale
nucléaire et la Rolex, mais qu’elles allaient un jour y parvenir, car tel était
le destin et l’unique voie de développement de l’humanité).
La
nouvelle perspective officielle stipulait que ces peuples avaient simplement
choisi des modes d’existence différents, tout aussi valides que les nôtres – que LE nôtre en réalité : le
«développementisme-civilisé» qui, loin d’être valide, constitue la catastrophe
socio-écologique que l’on sait (ou que l’on devrait savoir).
Or de
Prachuap Khiri Khan à Marseille, de New-York à Tokyo, de Hong-Kong à Lagos, de
Buenos Aires à Phnom Pen et de Kuala Lumpur à Casablanca, les êtres humains
partagent désormais en grande partie –
si ce n’est totalement – les
mêmes coutumes, les mêmes croyances, les mêmes morales, les mêmes habitudes.
C’est-à-dire que d’un bout à l’autre de la planète, une seule et même culture
s’est imposée, et s’impose, celle des fausses démocraties (ou des vraies
dictatures), de la voiture, des routes, du travail en usine pour les mêmes
multinationales ou les mêmes banques, celle de la télévision, des smartphones,
des ordinateurs et des écrans partout, celle de Facebook, Instagram, Amazon,
Google, Apple, HSBC, Goldman Sachs, Monsanto, Total, ExxonMobil, BASF et Dow
Chemical.
Et non,
le fait que subsiste encore une mince surcouche de folklore (cuisine, musique,
vêtements, etc.) issu des cultures qui existaient auparavant en chacun de ces
endroits ne permet certainement pas d’affirmer, par exemple, que le Japon a
préservé sa culture parce qu’on y mange des sushis (qu’on peut désormais manger
à Paris ou à New-York, et n’importe où dans la civilisation industrielle, ou
presque). Ce folklore, qui n’a parfois plus rien de pittoresque (comme
l’illustre l’internationalisation des sushis), ne sert plus que d’argument de
vente pour le tourisme mondialisé, qui est le même partout.
[...]
Ainsi que
le formule Wade Davis : «Il s’agit de
trouver une inspiration et un réconfort dans l’idée qu’il existe des chemins
différents du nôtre et que notre destinée n’est donc pas écrite à l’encre
indélébile sur un ensemble de choix dont il est prouvé scientifiquement et de
manière démontrable qu’ils ne sont pas les bons.»
Le mythe du progrès et la toxicité de la
monoculture mondialisée
Le progrès
dans tous ses états…
Daniel Laguitton
Si le passé n’est jamais garant de l’avenir,
savoir d’où l’on vient n’en est pas moins utile pour comprendre un peu mieux où
l’on va. Cela vaut pour les individus comme pour les sociétés et le
«Connais-toi toi-même» inscrit quatre siècles avant notre ère sur le fronton du
temple d’Apollon à Delphes semble indiquer que ce constat ne date pas d’hier.
Ignorer son histoire est en effet une forme d’oubli de soi-même qui
s’accompagne, chez l’Homo sapiens, d’un mal-être et d’une quête identitaire qui
le rendent particulièrement vulnérable à une multitude d’identités d’emprunt
comme les modes vestimentaires ou culturelles, les manies et phobies en tous
genres, les psychotropes, le fanatisme politique et idéologique, les carrières
valorisantes aux yeux des autres, le prestige de l’uniforme, etc. En rendant
identiques ceux qui le portent, l’uniforme renforce bien sûr l’identité au sens
de similitude et peut créer un sentiment d’appartenance, mais l’habit ne fait
quand même pas le moine. L’attrait de tous les palliatifs identitaires est
l’illusion qu’ils procurent d’être «in» sans pour autant cesser de se sentir
viscéralement «out». L’adolescence est une période particulièrement vulnérable
aux emprunts identitaires, mais elle n’en a pas l’exclusivité.
Ce qui
est vrai pour les individus et les sociétés l’est aussi pour les mots : quand
ils oublient leur histoire, certains mots en viennent à perdre leur sens
originel. Par exemple, lorsqu’une compagnie recrute en affichant «Avec nous,
venez vivre votre passion», le mot «passion» n’a certainement pas, tout au
moins pour l’employeur, le sens originel de souffrance qu’il a gardé dans «la
Passion selon saint Matthieu».
Un mot
qui exprime à lui seul bien des aspirations individuelles et collectives est le
mot «progrès» qui, sous le règne de la quantité, est devenu synonyme de
«mieux», lui-même confondu avec «plus». Il ne désigne pourtant, à la lettre,
qu’un pas en avant (du latin pro =
devant et gradus = le pas), sans en
préciser la direction ou la destination. Les maladies progressent, la décadence
aussi. On attribue à Sully Prudhomme (1839-1907), premier prix Nobel de
littérature, cette perle : «Nous sommes
au bord du gouffre, avançons donc avec résolution». Prudhomme peut-être,
prudent, c’est moins certain! Un progrès qui néglige l’éclairage du passé n’est
souvent qu’un pas en avant dans le noir.
[...]
Selon la
tradition hindoue, l’histoire du monde passe répétitivement par quatre ères
cosmiques (yugas) qui durent chacune plusieurs centaines de
millénaires : 1) un âge d’or béatifique ne connaissant ni haine, ni envie,
ni peur; 2) une ère ritualiste où le sang commence à couler dans des guerres et
dans des sacrifices visant à amadouer les dieux; 3) une ère de détérioration
des mœurs et de banalisation des rituels; 4) une ère du démon Kali, porteur de
souffrance et de destruction (le Kali Yuga). Selon ce calendrier cyclique, nous
en serions à la fin de cette quatrième ère et le métaphysicien René Guénon (1886-1951)
écrit à ce propos : «Si le monde moderne, considéré en lui-même,
constitue une anomalie et même une sorte de monstruosité, il n’en reste pas
moins vrai que, situé dans l’ensemble du cycle historique dont il fait partie,
il correspond exactement aux conditions d’une certaine phase de ce cycle, celle
que la tradition hindoue désigne comme la période extrême du Kali-Yuga».
[...]
Le
vingtième siècle et les deux premières décennies du vingt et unième se sont
soldés par un déclin prononcé sur plusieurs fronts, dont celui du rapport avec
la nature et celui du lien social, n’en déplaise aux Facebook et Twitter de ce
monde.
...Ludwig Klages (1872-1956) a brossé
une caricature mordante des progressistes de son temps : «Le
progressiste actuel est stupidement fier de ses succès, car il s’est en quelque
sorte persuadé lui-même que chaque accroissement du progrès de l’humanité
entraîne un accroissement de la valeur de cette humanité». Dans Mench und
Erde, paru en 1913 et publié chez RN éditions en 2016 sous le titre L’Homme
et la Terre, Klages s’affirme en précurseur de l’écologie moderne : «Implacable
vis-à-vis du concept de progrès (“le progrès n’est rien moins que la
destruction de la vie”), il prophétise la destruction des paysages, la
pollution environnementale ou encore l’exploitation des ressources naturelles
dans un texte bouillonnant de vie. L’un des tout premiers manifestes du genre,
ce texte qui s’abreuve aux sources de la rationalité rigoureuse comme à celles
du romantisme allemand est une lecture obligatoire d’aujourd’hui pour penser
l’écologie». [...] Il dénonce avec virulence le viol
de la Terre Mère et déplore que l’humanité matérialiste s’enferme de plus en
plus dans un univers conceptuel aux dépens de sa propre vitalité et de celle
des espèces avec lesquelles elle partage la biosphère. Bien que déplorant la
stérilité du règne du mental, Klages n’en reste pas moins convaincu que l’âme
résiliente du monde triomphera.
[...]
Pour la
première fois depuis que la Terre existe, les phases d’évolution des sociétés
humaines affectent aujourd’hui les mécanismes profonds de la géosphère, de
l’hydrosphère, de l’atmosphère et de la biosphère. Toute l’œuvre de l’historien
des cultures Thomas Berry (1914-2009), en particulier The Dream of the Earth
et The Great Work, porte sur la reconnaissance que l’évolution de
l’humanité ne peut plus être dissociée de celle de la Terre. L’activité humaine
a mis fin à l’ère cénozoïque (ère de la nouvelle vie) amorcée il y a 65
millions d’années avec la cinquième extinction (celle des dinosaures) et une
sixième extinction est en marche, signée Homo sapiens, au rythme actuel d’une
centaine d’extinctions d’espèces par jour. L’humanité fait donc face à un choix
crucial : périr en s’en tenant à une conception insoutenable du progrès ou
entrer courageusement dans une ère que Thomas Berry appelle «écozoïque»
caractérisée par une reconnaissance de la Terre en tant que «communion de
sujets plutôt que collection d’objets».
[...]
Encyclopédie de l’Agora