10 décembre 2017

Peuples élus et terres promises

Nous avons eu l’occasion de constater que Donald Trump était nul en négociation. Les républicains ont laissé passer des gaffes monumentales. Par contre craquer une allumette à côté d’un jerrycan d’essence au milieu d’une poudrière est très suspect... Mais, pour être républicain, il faut être pro-armes, anti-avortement et pro-Israël, disait un analyste.

(Getty images) En arrière-plan, le gendre du président, Jared Kushner (de confession juive). Qui sont les vrais meneurs? Le VP de la Maison Blanche, Mike Pence (conservateur évangéliste ultra blanc), rêve d’établir un équivalent du code civil français de 1804, dit «Code Napoléon» (1). Ce même Napoléon aurait dit : «la religion existe pour empêcher les pauvres de tuer les riches». Pence dispose d'une relation étroite avec les donateurs milliardaires conservateurs (dont les frères Koch) qui ont largement sustenté les caisses du Parti républicain au cours des dernières années. Le VP est le seul officiel de la Maison Blanche qui ne peut pas être congédié. Si Trump est destitué, c’est lui qui le remplacera. Je ne sais pas lequel des deux est le plus épeurant... (Revoyez la série The Handmaid’s Tale de Bruce Miller)

Voici une analyse lucide de la décision de Trump, qui d’une manière n’étonne pas.

Célia Belin : «Un cadeau symbolique de Trump à sa base électorale évangélique»

Par Isabelle Hanne 7 décembre 2017 à 20:56


Pour la spécialiste de la droite radicale et des mouvements fondamentalistes Célia Belin, la décision américaine est l’aboutissement d’un positionnement de longue date du Parti républicain.

Le rôle des chrétiens évangéliques, qui façonnent l’idéologie du Parti républicain depuis plusieurs décennies, est une clé indispensable pour comprendre la décision de Donald Trump de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël. Pour Célia Belin, chercheuse invitée à la Brookings Institution (Washington), auteure de Jésus est juif en Amérique (Fayard, 2011), spécialiste des mouvements évangéliques et fondamentalistes et de la droite radicale américaine, cette décision de Trump n’a rien d’erratique ou de surprenant. Elle est au contraire un cadeau pour sa base électorale, dans un pays où les chrétiens évangéliques sont le groupe le plus pro-Israël. Selon un sondage du Pew Research Center, 82 % des évangélistes blancs pensent que Dieu a donné Israël au peuple juif soit deux fois plus que les juifs ou les catholiques américains. «Si le président Trump déplace l’ambassade à Jérusalem, il entrera dans l’immortalité, saluait carrément, mercredi, le pasteur texan John Hagee, leader des chrétiens sionistes américains. On se souviendra de lui pendant des millénaires pour son acte de courage.»

Dans quelle logique s’inscrit la décision de Donald Trump?

Elle émane de décennies de militantisme pro-Israël au sein du Parti républicain, qui avait déjà poussé le Congrès à voter en 1995 le Jerusalem Embassy Act [qui indique que «l’ambassade des États-Unis en Israël devra être établie à Jérusalem au plus tard le 31 mai 1999», ndlr]. Pour Trump, c’est la réalisation d’une promesse de campagne qui n’a de sens que si on la comprend comme un pilier de l’idéologie républicaine. Ce n’est pas une décision folle de Trump, uniquement disruptive. C’est une décision politique, un cadeau symbolique à sa base électorale évangélique.

Qui a façonné cette idéologie pro-Israël au sein du Parti républicain?

Si on schématise, il y a deux types d’influence : celle des organisations juives pro-israéliennes, très bien organisées, qui font du lobbying, des levées de fonds, qui influencent la rédaction des lois sur la politique étrangère des États-Unis. Mais ces organisations n’ont pas ou très peu de base électorale, à part à New York ou en Floride. Ceux qui pèsent de tout leur poids sur le Parti républicain, ce sont les chrétiens sionistes, très présents parmi les évangélistes. Cette décision de Trump, à court terme, c’est gagnant-gagnant : il va faire autant plaisir au premier groupe (en gros, ses donateurs), qu’au second, l’Américain moyen du fin fond de l’Alabama, qui y voit une forme de respect de la volonté divine. À partir des années 80, la défense d’Israël s’est ancrée dans la plateforme politique du Parti républicain. Et dans les années 2000, on a vu la consolidation des relations entre les chrétiens sionistes, les groupes juifs pro-Israël et la droite américaine.

Que représentent les évangélistes aux États-Unis? Et les chrétiens sionistes?

Il y a entre 60 et 80 millions de protestants évangéliques dans le pays, environ 26 % de la population américaine. La base activiste des chrétiens sionistes est de 10 000 personnes environ. Mais on considère qu’il y a environ 3 millions de chrétiens sionistes, qui touchent un public beaucoup plus large. Quand ceux-là prêchent une parole pro-israélienne, ils ne trouvent aucune résistance, au contraire. Israël est un allié naturel des Etats-Unis depuis sa création. C’est un État qui leur ressemble, qui se voit comme un État pionnier… Il y a eu beaucoup de travail de la base militante depuis une dizaine d’années, et ça paye : le soutien en faveur d’Israël est maintenant la vision majoritaire chez les évangélistes alors que la communauté juive américaine est très divisée sur le sujet , et donc au sein du Parti républicain. Quand on est démocrate, c’est plus compliqué, les positions vis-à-vis d’Israël sont plus ambiguës.

En termes religieux, comment expliquer ce soutien des évangélistes à l’État hébreu?

Si on interroge un évangéliste sur son soutien à Israël, il répondra sans doute simplement que «Dieu l’a voulu». Mais il y a plusieurs grandes théologies derrière. Pour certains, la création de l’État d’Israël est la preuve que Dieu a tenu ses promesses envers le peuple juif : donner la Terre sainte aux descendants d’Abraham. D’autres s’appuient sur un passage de la Bible où Dieu s’adresse à Abraham et à sa descendance : «Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront.» Il y a cette croyance que soutenir Israël apporte des bénéfices aux États-Unis, et inversement. Les chrétiens sionistes disent d’ailleurs qu’il faut regarder le sort de ceux qui se sont opposés aux juifs : les nazis, l’URSS, l’Iran, qui «finissent tous maudits». Alors qu’à l’inverse, les États-Unis sont la première puissance mondiale… Il y a enfin une troisième explication, moins courante mais souvent retenue pas les médias, et nourrie par la guerre des Six Jours (1967). La réponse militaire d’Israël, et l’expansion spectaculaire de son territoire, a été le déclencheur de passions eschatologiques : le regroupement du peuple juif en Terre sainte serait le signe de l’approche de l’Apocalypse et du retour du Christ sur Terre, avec Jérusalem comme point focal du monde. Mais quelle que soit l’explication, elle est incompatible avec la solution à deux États et la partition de Jérusalem.

Quel rôle jouent les sentiments anti-islam?

Il y a une défiance intrinsèque envers les musulmans au sein de la droite américaine. Dans ce climat islamophobe, les Palestiniens se retrouvent dans une position extrêmement défavorable. Le sionisme chrétien marche très bien parce qu’il rencontre un terreau très fertile aux États-Unis. Encore plus dans l’ère post-11 Septembre, où Israël est vu comme cette petite démocratie dans un Moyen-Orient instable, seule à pouvoir faire face au terrorisme régional.

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Le père Moïse est une ordure
(Source : Ne dites pas à ma mère que je suis athée; Michel Morin, Perro Éditeur 2015)

Dans les journées entourant ces rares moments de l’année dont le chrétien moyen a encore conscience qu’elles ont un quelconque lien avec leur religion (nommément Noël et Pâques), les télédiffuseurs nous resservent immanquablement ce grand classique de Cecil B. De Mille : Les Dix Commandements. [...]
    Pour les impies qui ne seraient pas familiers avec cette grandiloquente mégaproduction, sachez que Les Dix Commandements raconte l’histoire de Moïse qui libère son peuple du méchant pharaon égyptien et les conduit jusqu’à la Terre promise. Vous dire à quel point le film fut populaire à l’époque : il reçut pas moins de sept nominations aux Oscars en 1957.
    Le film, hagiographique à souhait, présente bien entendu Moïse comme un héros libérateur, un personnage irréprochable, plus grand que nature.
    La lecture du Livre de l’Exode déshabille en deux temps trois mouvements le champion du petit peuple et révèle crûment le vrai Moïse : un homme soumis aveuglément aux ordres d’un Dieu méchant, un chef de tribu colérique, violent, sanguinaire, revanchard, qui se livre aux pires exactions sur ses ennemis et même sur son entourage. Il est ironique de penser que pour incarner ce méprisant personnage dans Les Dis Commandements, on a choisi l’acteur Charlton Heston, homme infréquentable, porte-parole intransigeant de la NRA (National Rifle Association) et promoteur acharné des armes à feu aux États-Unis jusqu’à sa mort.


Si les Conventions de Genève et autres lois régissant les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre avaient été en vigueur du temps de l’Exode, Moïse en aurait enfreint vraisemblablement tous les articles.
    Quand son peuple est libéré des Égyptiens et erre dans le désert, Moïse rencontre en chemin de méchants ennemis. Sur les ordres de Yahvé, Moïse et ses hommes de main pillent, exterminent, brûlent, humilient, etc. Le traitement des ennemis : jamais assez dur au goût de Yahvé. La mission de Moïse n’est qu’un enchaînement de violences et d’exactions à l’égard des autres peuples qui n’ont commis que la seule erreur de se trouver sur sa route vers la Terre promise. La barbarie et le manque absolu de miséricorde et de compassion du Tout-Puissant ne manquent pas de saisir d’horreur le lecteur non averti.
    Pour avoir un aperçu de son bilan peut reluisant, imaginons un instant que Moïse ait eu à rendre des comptes à un tribunal international ou à une commission d’enquête...

LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES GÉNOCIDES DE L’EXODE
Extraits du procès-verbal des procédures; Contre-interrogatoire du témoin Moïse X

[Extrait partiel du contre-interrogatoire, NDLR]

Monsieur Moïse, n’est-il pas vrai qu’alors que vous viviez en Égypte, vous êtes intervenu dans une altercation au cours de laquelle un Égyptien avait commis des voies de fait envers un Hébreu? N’est-il pas vrai que, pour venger votre compatriote, vous avez tué cet Égyptien, que vous avez enterré l’Égyptien dans le sable après l’agression? Vous faites ça souvent avec des gens vivants?
On a des preuves selon lesquelles vous avez agi, depuis l’époque où vous viviez en Égypte, en tant qu’homme de main d’un certain monsieur ... Yahvé. Il aurait d’autres pseudonymes : Dieu, l’Éternel, Emmanuel... Comment vous transmettait-il ses ordres? (Moïse : Il se dissimulait dans une nuée ou me parlait par l’entremise de... eh bien, d’un buisson de feu.) 
Bien sûr. Et on a des preuves que votre patron, le monsieur-aux-huit-pseudonymes, vous a mis au courant d’un complot visant à tuer tous les premiers-nés en Égypte. Et vous, sachant que ces horribles meurtres en série allaient se produire, vous n’avez rien fait pour l’empêcher? (Moïse : J’ai averti Pharaon, mais y m’a pas écouté. [...])
Votre supérieur Yahvé a fait en sorte que Pharaon refuse de vous laisser partir?
Donc, à la suite de l’extermination des premiers-nés, Pharaon vous laisse partir. Vous avez quitté l’Égypte avec un groupe évalué à 600 000 hommes, plus femmes et enfants. Quand votre groupe arrive à la mer Rouge, qu’arrive-t-il? (Moïse : Je tends la main et je sépare la mer en deux. Une fois passé, j’étends encore la main pour que la mer engloutisse l’armée égyptienne.)
Des rapports ici nous disent que vous êtes simplement passé à marée basse et que les Égyptiens se sont fait surprendre par la marée haute.
Parlez-nous de l’incident du veau d’or. Je crois comprendre que c’est survenu alors que votre frère Aaron avait fait fondre une espèce de statue et que les gens de votre tribu faisaient la fête alentour. Vous auriez alors demandé à vos subalternes de «passer par le fil de l’épée les membres de leurs propres familles». On parle de 3000 victimes. Vous reconnaissez les faits? (Moïse : Je ne faisais que suivre les ordres.)
J’ai ici un rapport détaillé où on relate une attaque que vous auriez dirigée contre les Madianites. D’après ce rapport, vos commandants auraient donc attaqué Madian et y auraient tué tous les hommes. Vous avez pillé tous leurs biens, incendié leurs villes et fait prisonniers les femmes et les enfants, c’est bien ça? (Moïse : Je ne faisais que suivre les ordres.)
Mais quand vos commandants se sont présentés devant vous, vous leur auriez déclaré, et je cite : «Maintenant, tuez tout mâle parmi les petits enfants, et tuez toute femme qui a connu un homme en couchant avec lui; mais laissez en vie pour vous toutes les filles qui n’ont point connu la couche d’un homme». Est-ce bien vos paroles?
Quand vous dites à vos hommes de «garder les filles pour eux», c’est de toute évidence pour en faire leurs esclaves sexuelles? (Moïse : Ah! S’il y en a qui ont les idées mal tournées...)
Le bilan fait état de 24 000 victimes. J’ai par ailleurs ici un document intitulé Deutéronome. On peut y lire certaines de vos déclarations. Entre autres, vous ordonnez aux parents de lapider leurs enfants rebelles, c’est exact? (Moïse : C’est Yahvé qui a dit que...)
On vous prête une autre déclaration pour le moins inquiétante. Je vous remets le document. Pouvez-vous le lire à la cour, s’il vous plaît? (Moïse, lisant : «L’homme aux testicules écrasés ou à la verge coupée ne sera pas admis à l’assemblée de Yahvé.») 

En somme, Moïse ne fut rien d’autre qu’un officier aveuglément soumis aux ordres du patron d’en haut. Un patron à la mèche courte, toujours furax. [...]
    Les croyants, les adeptes du judaïsme en particulier, continuent à penser que Moïse lui-même aurait été l’auteur des premiers livres de la Bible, dont l’Exode. Les experts ont depuis longtemps démontré que la chose est impossible. Moïse eût-il existé, les écrits sont ultérieurs de centaines d’années à l’époque alléguée de son existence. De plus comment pourrait-il bien raconter sa propre mort? La réalité, c’est qu’on ne saura jamais l’identité de son auteur (ou de ses auteurs). [...] Nous disposons d’une abondance de documents administratifs remontant à l’époque supposée de l’exode et pas un ne mentionne quoi que soit au sujet de la captivité ou de la libération des Hébreux (600 000 hommes plus les femmes et les enfants approcherait le million et demi de personnes). L’impact socio-économique aurait été phénoménal et n’aurait pu être passé sous silence. [...]
    Au même titre que la Création, Adam et Ève, Noé, la tour de Babel, toute la saga Moïse appartient au domaine des mythes. [...] Le livre de l’Exode, ce n’est qu’un enchaînement de dialogues insensés, d’événements impossibles, d’anecdotes farfelues qui, voudrait-on les énumérer, exigeraient trop d’espace. Mais Moïse, c’est avant tout le dépositaire de la Loi. Il est LE grand secrétaire à qui Dieu a dicté ses règles. [...]
    On peut hocher la tête et être consterné : les dix commandements, c’est n’importe quoi.
    Si on oscille entre fabulation et horreur avec les premiers livres de l’Ancien Testament, avec les livres suivants, le Lévitique et le Deutéronome, on nage en plein délire. Oui, les choses vont en empirant.

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(1) Le code civil français de 1804, dit «Code Napoléon», a inspiré de nombreuses démocraties. Une catastrophe pour les femmes car il affirmait l’incapacité juridique* totale de la femme mariée :
interdiction d’accès aux lycées et aux universités;
interdiction de signer un contrat, de gérer ses biens;
exclusion totale des droits politiques;
interdiction de travailler sans l’autorisation du mari;
interdiction de toucher elle-même son salaire;
contrôle du mari sur la correspondance et les relations;
interdiction de voyager à l’étranger sans autorisation;
répression très dure de l’adultère pour les femmes;
les filles-mères et les enfants naturels n’ont aucun droit.
   Napoléon définit sans ambiguïté la place de la citoyenne dans la société à l’article 1124 de ce monument de misogynie qu’est le code civil : Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux. L’enfant appartient au mari de la femme. […] La femme est donnée à l’homme pour qu’elle lui fasse des enfants; elle est sa propriété comme l’arbre à fruits est celle du jardinier (Napoléon, Mémorial de Sainte-Hélène). Bref, la femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme, il en fait donc ce que bon lui semble.


* Capacité juridique : aptitude à être titulaire de droits et d'obligations.  

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