5 décembre 2017

À l’heure des négociations avec l’Empire du milieu...

Si choisir les gens qu’on invite chez soi c’est du racisme, alors je suis raciste.
Si choisir ce qu’on met dans son assiette c’est du racisme, alors je suis raciste.
Si choisir du Made in Canada c’est du racisme, alors je suis raciste.
Et je n’en éprouve aucune honte. Aucune.

La face cachée de la tomate industrielle
Le mardi 5 décembre 2017 – Interview avec Jean-Baptiste Malet, auteur de L’empire de l’or rouge, Enquête mondiale sur la tomate d’industrie (Fayard, Paris 2017; 288 pages) à Médium large

http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/medium-large/segments/entrevue/49966/face-cachee-tomate-industrielle-malet

Site de Jean-Baptiste Malet : https://twitter.com/jbaptistemalet?lang=fr

À voir...
Le documentaire L’empire de l’or rouge sera présenté au Québec le 6 décembre à 20h sur TV5.

L’EMPIRE DE L’OR ROUGE


Fruit pour le botaniste, légume pour le douanier, baril pour le courtier : en moins d’un siècle, la tomate est devenue un aliment incontournable de l’alimentation humaine. Transformée en usine, conditionnée en baril de concentré, la tomate circule d’un continent à l’autre. Pour raconter la spectaculaire diffusion universelle de cette tomate que tout le monde consomme, il fallait une fresque planétaire. Le rouge du coulis et du ketchup, de la pizza et du hamburger, nous relate une histoire méconnue du capitalisme agro-industriel qui s’avère être aux origines de la globalisation.

Des cueilleurs ouïgours du Xinjiang en Chine aux magnats de la tomate californienne, des industriels italiens aux producteurs africains, l’histoire de la tomate d’industrie et sa division internationale du travail contemporain nous offrent un récit inattendu mettant à nu la complexité de notre monde. Ce documentaire est à la fois une fresque économique relatant l’histoire du commerce impitoyable du fruit le plus consommé au monde – un commerce sans frontière – et une fresque sociale qui relate le parcours des industriels américains, italiens, français et chinois, ainsi que la vie de ces prolétaires des champs, migrants d’Afrique pour l’Italie, ou migrants de l’intérieur comme en Chine qui rendent ce marché possible.

Année de production : 2017 ǀ Pays d'origine : Canada ǀ Durée : 01:09:40
Producteur : Vincent Leroux ǀ Réalisateurs : Xavier Deleu, Jean-Baptiste Malet

En complément, mon billet du 6 août 2017 – oui, je me répète, parce que c’est loin d’être anodin, on ne parle pas de biscuits chinois là. Nous avons besoin d’un étiquetage adéquat, de gouvernements qui exigent des fabricants qu’ils révèlent tous les ingrédients de leurs produits et leur origine. Point.

Pétrole, lithium et tomates

Les Chinois comptent désormais parmi les grands prédateurs de la planète. Diable qu’on s’est moqué des futuristes qui craignaient un «péril jaune», non pas militaire tel qu’on l’imaginait au début du 20e siècle, mais économique. L’intrusion se fait à coûts d’investissements dans les industries, de partenariats majoritaires, d’achats de terres arables, de spéculations immobilières, etc.
   Pourquoi pensez-vous que l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau offre des vols sans escale Montréal-Pékin? Pourquoi Min Ying Holdings voulait-il établir son méga centre commercial en banlieue de Montréal? Pourquoi nos banques ont-elles servi de prête-noms aux Chinois pour l’achat de terres agricoles? Etc. Graduellement, la Chine est devenue le 2e partenaire économique du Québec après les États-Unis.
   Quand t’as épuisé tes propres ressources, tu vas les chercher ailleurs. Les investisseurs chinois grafignent  pour s’approprier les mines de métaux rares du Québec. Ces derniers servent à la fabrication de nombreux biens de consommation : téléphones cellulaires, processeurs, équipements informatiques; écrans de téléviseurs et d’ordinateurs; véhicules hybrides et électriques; superconducteurs; aimants permanents (moteurs électriques); alliages et superalliages en aéronautique; instruments chirurgicaux et implants; filtres pour rayons X, lasers; raffinage du pétrole, additifs et catalyseurs; verres et céramiques; batteries rechargeables et accumulateurs; éoliennes; cellules photovoltaïques; ampoules lumineuses ultra-efficaces; systèmes de radar et équipements militaires; convertisseurs catalytiques; industrie chimique et industrie nucléaire; produits de polissage. 
   Six mois après la vente de la mine Québec Lithium à la compagnie chinoise Jien International, les actionnaires étaient toujours dans l'incertitude. L'entreprise de RB Energy qui possédait la mine Québec Lithium n'avait pas déclaré faillite, mais elle n'avait plus aucun actif après la vente. Les actionnaires n'ont pas été consultés lors de la transaction qui a fait passer la mine aux mains de la compagnie chinoise.

Certains crient holà! mais nos gouvernements ignorent les alertes.  

Malheureusement, les Chinois ne respectent ni les humains, ni les animaux, ni la nature, ni le vivant, ni l’inerte. Leur contribution à la disparition de grandes espèces comme les éléphants pour leurs ridicules sculptures en ivoire, ou de plusieurs espèces menacées d’extinction comme les pangolins, pour ne nommer que celles-là, n’est que la pointe de l’iceberg.
   Ils n’ont par ailleurs aucun scrupule à maquiller des produits impropres à la consommation. En raison d’une législation laxiste en matière de sécurité sanitaire des aliments et des médicaments, nombre de consommateurs de produits chinois s’exposent à des risques de maladies ou d’empoisonnement. Ce risque est présent tant à l’achat d’une denrée aussi banale que de l’huile de cuisson, que lors de la vaccination des enfants.
   En Chine, de nombreux restaurateurs et industriels de l’agro-alimentaire badigeonnent et trempent leurs aliments dans des produits chimiques dangereux. Ces professionnels utilisent du formol ou du formaldéhyde cancérigène pour embellir leurs fruits de mer, et incluent des opiacés à leurs nouilles. En matière de trafic de stupéfiants, ils n’ont rien à envier à la mafia internationale. La Chine aura beau couvrir ses pratiques de panneaux solaires et se draper de conscience environnementale, ce n’est qu’un masque.

Voyez : Aliments à la Frankenstein 


L'or rouge ou les dessous de l'industrie de la tomate
La tomate est un fruit, celui de la convoitise, estime Jean-Baptiste Malet

Note de lecture de Fabien Deglise ǀ Le Devoir 22 juillet 2017 


La tomate permet de comprendre un peu mieux le monde dans lequel on vit et de saisir les paradoxes et les incohérences de l’économie mondialisée, résume l’essayiste.
   La sauce à «spag’» de matante Lucille, la pizza «toute garnie» du resto du coin ou la boisson aux légumes pour se donner bonne conscience risquent de ne plus avoir le même goût après la lecture de L’Empire de l’or rouge (Fayard), essai étonnant qui a conduit pendant deux ans son auteur, le journaliste français Jean-Baptiste Malet, aux quatre coins du globe, dans les coulisses d’une industrie pour le moins singulière : celle de la tomate.
   Fruit pour les botanistes, légume pour le commun des mortels, la tomate est devenue au fil des ans et sous l’effet de la mondialisation bien plus que cela : c’est désormais une matière première industrialisée et convoitée qui circule en baril, comme le pétrole, qui ment aux consommateurs sur sa véritable nature, qui abuse de leur pauvreté, de leur apathie, qui engraisse les multinationales et la mafia italienne. Pis, lorsqu’on analyse ses flux commerciaux, la tomate permet de comprendre un peu mieux le monde dans lequel on vit et de saisir les paradoxes et les incohérences de l’économie mondialisée, résume l’essayiste. Rien de moins.
   «Nous sommes entrés dans la civilisation de la tomate, la marchandise la plus accessible de l’ère capitaliste», résume à l’autre bout du fil le jeune auteur joint cette semaine par Le Devoir à Paris.

Marché globalisé

En 2013, le journaliste qui écrit entre autres pour Rue89, L’Humanité et Le Monde diplomatique s’était fait remarquer pour avoir infiltré Amazon afin de poser un regard critique nourri de l’intérieur sur les conditions de travail redoutables imposées par la multinationale américaine de la vente en ligne.
   «Tous les êtres humains mangent de la tomate dans tous les pays du monde à raison de 5 kg par an et par personne. Elle représente un marché de 10 milliards de dollars, mais aussi un marché globalisé qui en dit beaucoup sur l’économie néolibérale et sur cette idéologie qui en dicte les règles», souvent au mépris des humains qui s’en nourrissent, poursuit-il.
   Il suffit d’aller en Chine, d’ailleurs, pour en prendre conscience. Ce qu’il a fait en partant à la rencontre de Chalkis, l’entreprise militaro-agricole de l’empire du Milieu qui s’est imposée depuis le début du siècle comme l’un des grands exportateurs mondiaux de concentré de tomates, mis en baril, puis envoyé en Italie, aux États-Unis, dans le sud de la France où, après reconditionnement, il devient sauce tomate se drapant dans l’identité de son pays d’adoption, souvent avec l’exploitation d’un drapeau italien sur l’étiquette, d’une iconographie évoquant la Provence et de l’imagerie de tomates bien rondes et bien mûres dont ce concentré chinois n’est certainement pas issu.
   La tomate d’industrie, les agronomes «l’appellent pour plaisanter la tomate de combat», écrit Jean-Baptiste Malet dans son livre. «Elle est à la tomate fraîche ce qu’une pomme est à une poire. C’est un autre fruit, une autre géopolitique, un autre business. La tomate d’industrie est un fruit artificiellement créé par des généticiens, dont les caractéristiques ont été pensées pour être parfaitement adaptées à sa transformation industrielle. […] Cette tomate d’industrie n’est pas ronde : elle est oblongue. Elle est aussi plus lourde, plus dense qu’une tomate fraîche, car elle contient beaucoup moins d’eau.»

Des racines ontariennes

Soupe, sauce, pizza, condiment, boisson… La tomate d’industrie, cultivée en Chine, mais aussi en Italie, au Mexique ou en Californie, est désormais partout. La faute revient d’ailleurs à un Ontarien, découvre-t-on dans ce livre, qui dans les années 1950 a inventé le baril aseptique en s’inspirant de ceux utilisés par les compagnies pharmaceutiques pour le transport de leurs matières médicamenteuses, afin de conditionner de manière optimale la tomate et de permettre son déplacement par bateau à travers le monde.   
   L’homme travaillait dans l’usine de la Heinz Company à Leamington en Ontario, l’un des fleurons de cette compagnie spécialisée dans la tomate. Ironiquement, l’usine, qui carburait aux tomates canadiennes – y compris celles du Québec –, a fermé ses portes en 2014, frappée de plein fouet par la tomate chinoise et par les coûts d’une main-d’oeuvre chinoise que les travailleurs canadiens ne pouvaient pas concurrencer.
   «La mondialisation de la tomate, c’est aussi absurde que ça, dit Jean-Baptiste Malet. Le Canada pourrait être autosuffisant en matière de tomate, mais comme pour d’autres pays, les règles du commerce mondial érodent l’agriculture locale, tuent les industries qui y étaient liées et le font dans une opacité entretenue par les grands acteurs de ce milieu parce qu’elle leur permet de générer des mégaprofits.»
   En 2015, le Canada a importé pour plus de 800 millions de dollars de tomates fraîches, en conserve, en concentré ou en jus, avec les histoires sombres qui viennent parfois avec, indiquent les chiffres du ministère fédéral du Développement économique.

Mafia et additifs

En Chine, le journaliste a découvert que les concentrés de tomate pure ne l’étaient pas toujours. On y ajoute de la fibre de soya, de l’amidon, du dextrose, du colorant pour en influencer la texture, l’apparence, mais surtout pour les rendre plus profitables, particulièrement sur les marchés africains, où ces concentrés de tomate de très mauvaise qualité sont déversés par les Chinois, les Européens, les Américains sans vergogne, mais aussi sans que les étiquettes fassent mention de ces ajouts.
   En Italie, il a arpenté les territoires agro-industriels mafieux, qui génèrent une économie parallèle de 15 milliards dans la nourriture uniquement et par la tomate en particulier. Là-bas, on peut faire «cadeau» d’une usine de transformation de la tomate à un Chinois, pour «service rendu».
   En Californie, il a vu les dégâts sur l’environnement induits par des productions intensives qui se foutent des lendemains, guidées par la doctrine libertarienne, avec leur hyper individualisme érigé en outil de destruction sociale, politique et environnementale.
   En Chine, il a parlé pesticides interdits, et a compris aussi que les prisonniers, les minorités et les migrants sont exploités pour alimenter ce commerce de la tomate mondialisée.
   «Les industriels disent qu’il n’y a pas de problème, c’est faux. Il y en a plusieurs que l’on ne voit pas et qui, dans des démocraties comme les nôtres, devraient faire l’objet de débat. Et pour cela, le consommateur a besoin de savoir ce qu’il mange vraiment.»
   Dans son livre, il écrit : «Puisque l’industrie est un pouvoir, pourquoi l’industrie ne serait-elle pas contrôlée par des contre-pouvoirs démocratiques? Pendant combien de temps encore faudrait-il accepter de consommer des produits opaques?»
   Au téléphone, il ajoute : «Nos sociétés sont organisées selon des règles idéologiques qui se font au détriment du bon sens. Il faut réguler à nouveau plusieurs industries, plusieurs commerces, forcer, dans le cas de la tomate, la traçabilité de cette matière première, mais aussi de tous les ingrédients qui entrent dans la composition d’un produit alimentaire, afin de donner aux consommateurs l’information sur sa provenance, sur ce qu’il est vraiment, sur ce qu’il représente. Et on doit passer par la case politique pour ça», plutôt que par cette autorégulation, promue par le courant néolibéral depuis des lunes et qui, par la tomate, comme d’autres matières à importation d’ailleurs, démontre depuis longtemps son inefficacité, selon l’essayiste.
   Son livre va faire l’objet d’un documentaire qui devrait être diffusé sur les ondes de TV5 dans le courant de l’automne.
   Pour lui, la tomate est devenue «une caricature des excès du capitalisme». Excès qui, forcément, lorsqu’il est question de la table, peuvent facilement tomber sur l’estomac.


Résumé de l’éditeur

Que mange-t-on quand on ouvre une boîte de concentré, verse du ketchup dans son assiette ou entame une pizza? Des tomates d’industrie. Transformées en usine, conditionnées en barils de concentré, elles circulent d’un continent à l’autre. Toute l’humanité en consomme, pourtant personne n’en a vu.
   Où, comment et par qui ces tomates sont-elles cultivées et récoltées?
   Durant deux ans, des confins de la Chine à l’Italie, de la Californie au Ghana, Jean-Baptiste Malet a mené une enquête inédite et originale. Il a rencontré traders, cueilleurs, entrepreneurs, paysans, généticiens, fabricants de machine, et même un «général»  chinois.
   Des ghettos où la main-d’œuvre des récoltes est engagée parmi les migrants aux conserveries qui coupent du concentré incomestible avec des additifs suspects, il a remonté une filière opaque et très lucrative, qui attise les convoitises : les mafias s’intéressent aussi à la sauce tomate.
   L’Empire de l’or rouge nous raconte le capitalisme mondialisé. Il est le roman d’une marchandise universelle.

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