14 août 2016

Quand on gratte le vernis patriotique

Le bulletin satirique The Onion (publié depuis 1988) met le doigt sur nos paradoxes et notre crédulité sans ménagement.

Le corps poussé à bout...
Sportology a simulé en laboratoire les conditions de travail des équipes de construction du stade olympique de Rio. La rapidité, l’endurance et la dévotion à sa famille de l’ouvrier brésilien Silva Rodrigo sont mises à rude épreuve. En fait c'est une vidéo-réalité...  

How Do Construction Workers Push Their Bodies To Finish Olympic Stadiums On Time?
The Onion's Sportology injects science directly into sports' veins. Brazilian construction worker Rodrigo Silva’s speed, endurance, and devotion to his family are put to test in the Sportology lab. Today in the lab: how fast are Rio's Olympic stadium construction crews?

The Onion America’s Finest News Source http://www.theonion.com/ 



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Je ne suis pas «branchée» sur les hystériques compétitions des JO, mais on en parle tellement que ça me donne juste envie de gratter le vernis patriotique.

L’autre jour j’ai vu le documentaire «Noir Brésil». Un dramatique bilan de mon ignorance. Nos livres d'histoire parlaient surtout de l’esclavage négrier aux États-Unis; on omettait bien sûr de mentionner qu’il y en avait eu au Canada. Avant Internet, on croyait que l’esclavage c’était de l’histoire ancienne, qu’il n’y en avait plus ou presque. À l’heure actuelle, beaucoup de pays sont assiégés par les bastions colonialistes du néolibéralisme. Autrement dit, rien n’a changé.

Notes tirées du documentaire :

Plusieurs pays colonialistes occidentaux ont pratiqué la traite négrière pendant des siècles. Mais, à ce chapitre, le Portugal remporte la médaille noire.

La transformation de certains quartiers de Rio pour le tourisme et les Jeux Olympiques, a mis à jour une partie de l’histoire de l’esclavage au Brésil. En creusant de site en site, on a découvert de nombreux  restes d’esclaves. Chaque pelletée de terre était remplie d’ossements, notamment d’enfants. Les esclaves noirs qui mourraient peu après leur arrivée étaient jetés dans une fausse commune avec les ordures – puisqu’ils avaient le statut d’animaux, d’objets, de bien-meubles. Il s’agit probablement du plus grand cimetière d’esclaves en Amérique du Sud. Les «Nouveaux Noirs», amenés par les négriers portugais, étaient originaires du Congo, du Mozambique, de l’Angola, de la Côte d’Ivoire, etc. Durant la diaspora africaine, des millions de personnes ont été amenées de force.

Le Brésil est le pays qui a le plus développé le système esclavagiste sur le continent américain. En trois siècles, 4 millions d’hommes et de femmes ont débarqué sur les côtes brésiliennes. C’est au moins 6 fois plus qu’aux États-Unis pendant la traite. Ils venaient des colonies portugaises. Pour les Portugais, l’Afrique était un réservoir de main-d’œuvre abondante. Beaucoup de jeunes adultes et de préadolescents étaient au service des classes dominantes. L’économie du Brésil s’est développée entièrement sur l’esclavage, d’abord dans les plantations de sucre, puis de café, de coton, etc. Mais, on n’en parle pas. «Ce que la société préfère cacher, l’archéologie peut le dévoiler. Ce n’est pas en enfouissant les problèmes qu’on les règle», dit une spécialiste.


L'esclavage au Brésil par Jean Baptiste Debret, première moitié du XIXe siècle

Le Brésil compte la plus grande population noire au monde après le Nigéria. Or, les Afro-Brésiliens souffrent toujours d’exclusion, vivant en marge de la société. Le fossé entre la population blanche et noire subsiste.

Noir Brésil
Production : AB Productions, France
Réalisateur(s) : Angèle Berland, Aglaé de Chalus, Nolwenn Hervé, Pierre Begon-Lours, Fabrice Averlan, Raphaël Krafft; Jean-Guy Michaud (à l'adaptation)

http://ici.tou.tv/les-grands-reportages/S2016E113?lectureauto=1

Pendant qu’on se dope aux vapeurs de la fierté nationale olympique (et autres drogues...), la ville d'Alep, en Syrie, subit les conséquences d'une attaque chimique qui a fait au moins 3 morts et plusieurs dizaines de blessés mercredi dernier. La grande majorité des victimes sont des femmes et des enfants. Les hôpitaux sont submergés et les médecins se font de plus en plus rares. Les attaques chimiques se multiplient en Syrie, s'ajoutant aux bombardements réguliers sur les civils et les établissements de santé. (Reuters)

Après avoir vu Noir Brésil, j’ai lu le dossier «Commerce triangulaire» au complet sur Wikipédia. Vraiment fou, malade, psychotique. Peut-être sommes-nous en effet une espèce monstrueuse, cruelle, barbare, venue d’on ne sait trop où, et totalement irrécupérable.

Extraits

Selon le Census de Curtin, 9,5 millions d'Africains auraient été introduits dans les différentes colonies du Nouveau-Monde et, compte tenu de la mortalité au cours du middle passage, 11 millions, environ, seraient partis d'Afrique. En décembre 2008, David Eltis lance la plus large base de données consacrée à la traite négrière atlantique : The Trans-Atlantic Slave Trade Database – en réalité, 12 521 336 Africains auraient été déportés entre 1501 et 1866.

La France a aboli l’esclavage en 1849, les États-Unis en 1865, et le Brésil en 1888.

Les arguments contre l'abolition
Les arguments idéologiques – Les négriers avaient la possibilité de baptiser l'ensemble des captifs embarqués en Afrique. Par cet acte, les Noirs païens qui étaient «voués à l'enfer éternel» selon les missionnaires chrétiens, avaient une chance d'aller au paradis. Selon cet argument, les esclaves étaient les grands bénéficiaires de l'opération. Pour certains hommes, notamment des hommes d’Église, cet argument était essentiel.


Photo d’origine : shutterstock

La traversée de l’Atlantique
Noir passage – L'historien et ancien administrateur colonial Hubert Deschamps (1900-1979) qualifiait la traversée de l'Atlantique de «noir passage». 
   Les captifs étaient enferrés deux par deux. Ils couchaient nus sur les planches. Pour gagner en surface, le charpentier construisait un échafaud, un faux pont, sur les côtés. Le taux d'entassement était relativement important. Dans un volume représentant 1,44 m3 (soit un «tonneau d'encombrement», 170×160×53), les Portugais plaçaient jusqu'à cinq adultes, les Britanniques et les Français, de deux à trois. Pour les négriers nantais, entre 1707 et 1793, le rapport général entre tonnage et nombre de Noirs peut être ramené à une moyenne de 1,41. 
   Le marchand d'esclaves franco-italien Theophilus Conneau témoigna ainsi en 1854 : «Deux des officiers ont la charge d'arrimer les hommes. Au coucher du soleil, le lieutenant et son second descendent, le fouet à la main, et mettent en place les Nègres pour la nuit. Ceux qui sont à tribord sont rangés comme des cuillers, selon l'expression courante, tournés vers l'avant et s'emboîtant l'un dans l'autre. À bâbord, ils sont tournés vers l'arrière. Cette position est considérée comme préférable, car elle laisse le cœur battre plus librement.» 
   Si le temps le permettait, les déportés passaient la journée sur le pont. Toujours enchaînés, les hommes restaient séparés des femmes et des enfants. Ils montaient par groupes sur le pont supérieur vers huit heures du matin. 
   Les fers étaient vérifiés et ils étaient lavés à l'eau de mer. Deux fois par semaine, ils étaient enduits d'huile de palme. Tous les quinze jours, les ongles étaient coupés et la tête rasée. Tous les jours, les bailles à déjection étaient vidés, l'entrepont était gratté et nettoyé au vinaigre. 
   Par contre, en cas de mauvais temps et de tempête, les déportés restaient confinés dans l'entrepont. Il n'y avait pas de vidange, ni de lavement des corps, ni de nettoyage des sols. Le contenu des bailles coulait sur les planches de l'entrepont, se mêlait aux choses pourries, aux émanations des victimes du mal de mer, aux vomissures, au «flux de ventre, blanc ou rouge». Toutes les écoutilles pouvaient être closes. L'obscurité, l'air rendu irrespirable par le renversement des bailles à déjection, le roulis qui faisait frotter les corps nus sur les planches, la croyance d'un cannibalisme des négriers blancs, terrorisaient et affaiblissaient les captifs.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Commerce_triangulaire


Plan de «stockage» (≈stowage) type d'un navire négrier anglais (via Wikipédia)

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