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Le bruit ne prouve rien. Souvent lorsqu’une poule vient juste de pondre un œuf elle caquète comme si elle avait pondu un astéroïde.
~ Mark Twain
Tableau par Emma Ekwell, 1838-1930 |
Fabuliste : Jean-Pierre Claris de Florian*
Le château de cartes
Un bon mari, sa femme, et deux jolis enfants,
coulaient en paix leurs jours dans le simple hermitage
où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons,
et le soir, dans l'été soupant sous le feuillage,
dans l'hiver devant leurs tisons,
ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
leur parlaient du bonheur qu'ils procurent toujours :
le père par un conte égayait ses discours,
la mère par une caresse.
L'ainé de ces enfants, né grave, studieux,
lisait et méditait sans cesse;
le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
assis près d'une table où s'appuyait la mère,
l'ainé lisait Rollin; le cadet, peu soigneux
d'apprendre les hauts faits des romains ou des parthes,
employait tout son art, toutes ses facultés,
à joindre, à soutenir par les quatre côtés
un fragile château de cartes.
Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout-à-coup voici le lecteur
qui s'interrompt : papa, dit-il, daigne m'instruire
pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
et d'autres fondateurs d'empire :
ces deux noms sont-ils différents?
Le père méditait une réponse sage,
lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
après tant de travail, d'avoir pu parvenir
à placer son second étage,
s'écrie : il est fini! Son frère murmurant
se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage;
et voilà le cadet pleurant.
Mon fils, répond alors le père,
le fondateur, c'est votre frère,
et vous êtes le conquérant.
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Le Roi et les deux bergers
Certain monarque un jour déplorait sa misère,
et se lamentait d'être roi :
quel pénible métier ! Disait-il : sur la terre
est-il un seul mortel contredit comme moi?
Je voudrais vivre en paix, on me force à la guerre;
je chéris mes sujets, et je mets des impôts;
j'aime la vérité, l'on me trompe sans cesse;
mon peuple est accablé de maux;
je suis consumé de tristesse;
partout je cherche des avis,
je prends tous les moyens, inutile est ma peine;
plus j'en fais, moins je réussis.
Notre monarque alors aperçoit dans la plaine
un troupeau de moutons maigres, de près tondus,
des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères,
dispersés, bêlants, éperdus,
et des béliers sans force errant dans les bruyères.
Leur conducteur Guillot allait, venait, courait,
tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,
tantôt à cet agneau qui demeure derrière,
puis à sa brebis la plus chère;
et, tandis qu'il est d'un côté,
un loup prend un mouton qu'il emporte bien vite.
Le berger court, l'agneau qu'il quitte
par une louve est emporté.
Guillot tout haletant s'arrête,
s'arrache les cheveux, ne sait plus où courir,
et, de son poing frappant sa tête,
il demande au ciel de mourir.
Voilà bien ma fidèle image!
s'écria le monarque; et les pauvres bergers,
comme nous autres rois, entourés de dangers,
n'ont pas un plus doux esclavage;
cela console un peu. Comme il disait ces mots,
il découvre en un pré le plus beau des troupeaux,
des moutons gras, nombreux, pouvant marcher à peine,
tant leur riche toison les gêne,
des béliers grands et fiers, tous en ordre paissants,
des brebis fléchissant sous le poids de la laine,
et de qui la mamelle pleine
fait accourir de loin les agneaux bondissants.
Leur berger, mollement étendu sous un hêtre,
faisait des vers pour son Iris,
les chantait doucement aux échos attendris,
et puis répétait l'air sur son hautbois champêtre.
Le roi tout étonné disait : ce beau troupeau
sera bientôt détruit : les loups ne craignent guère
les pasteurs amoureux qui chantent leur bergère;
on les écarte mal avec un chalumeau.
Ah ! Comme je rirais...! Dans l'instant le loup passe,
comme pour lui faire plaisir :
mais à peine il parait, que, prompt à le saisir,
un chien s'élance et le terrasse.
Au bruit qu'ils font en combattant,
deux moutons effrayés s'écartent dans la plaine;
un autre chien part, les ramène,
et pour rétablir l'ordre il suffit d'un instant.
Le berger voyait tout, couché dessus l'herbette,
et ne quittait pas sa musette.
Alors le roi presque en courroux
lui dit : comment fais-tu? Les bois sont pleins de loups,
tes moutons gras et beaux sont au nombre de mille;
et, sans en être moins tranquille,
dans cet heureux état toi seul tu les maintiens!
Sire, dit le berger, la chose est fort facile;
tout mon secret consiste à choisir de bons chiens.
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Les deux voyageurs
Le compère Thomas et son ami Lubin
allaient à pied tous deux à la ville prochaine.
Thomas trouve sur son chemin
une bourse de louis pleine;
il l'empoche aussitôt. Lubin, d'un air content,
lui dit : pour nous la bonne aubaine!
Non, répond Thomas froidement,
pour nous n'est pas bien dit, pour moi c'est différent.
Lubin ne souffle plus; mais, en quittant la plaine,
ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin.
Thomas tremblant, et non sans cause,
dit : nous sommes perdus! Non, lui répond Lubin,
nous n'est pas le vrai mot, mais toi, c'est autre chose.
Cela dit, il s'échappe à travers les taillis.
Immobile de peur, Thomas est bientôt pris,
il tire la bourse et la donne.
Qui ne songe qu'à soi quand sa fortune est bonne
dans le malheur n'a point d'amis.
* Autre fable et biographie :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2011/01/florianet.html
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