16 novembre 2010

Le prof idéal

Notre système d’éducation n’échappe pas aux problèmes de transition. «Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance...»

On nous bourrait le crâne en masse, mais on ne nous apprenait pas comment vivre, comment nous relier aux autres; on ne le fait pas davantage aujourd’hui. Le respect et la politesse résultent spontanément du vrai savoir-vivre.

Je peux compter sur les doigts d’une main les professeurs qui m’ont marquée. «On ne force pas une curiosité, on l'éveille», nous dit Daniel Pennac, l’ancien cancre devenu prof.
     Voilà, ils étaient rarissimes les profs capables de nous intéresser parce qu’ils vibraient à ce qu’ils transmettaient. Ils n’étaient ni les plus autoritaires ni les plus permissifs; ils n’avaient aucunement besoin de ces attitudes pour être respectés/aimés puisqu’ils nous captivaient.

J’aime beaucoup Daniel Pennac. Je n’avais pas lu Chagrin d’école – un livre inspirant, touchant d’authenticité où l’amour et l’humour ne manquent pas. Tous les profs gagneraient à le lire…

En voici deux passages.

III – Y ou le présent d’incarnation; 6 et 7

6
Ô le souvenir pénible des cours où je n’y étais pas ! Comme je les sentais flotter, mes élèves, ces jours-là, tranquillement dériver pendant que j’essayais de rameuter mes forces. Cette sensation de perdre ma classe… Je n’y suis pas, ils n’y sont plus, nous avons décroché. Pourtant, l’heure s’écoule. Je joue le rôle de celui qui fait cours, ils font ceux qui écoutent. Bien sérieuse mine commune, blabla d’un côté, griffonnage de l’autre, un inspecteur s’en satisferait peut-être; pourvu que la boutique ait l’air ouverte… Mais je n’y suis pas, nom d’un chien, je n’y suis pas, aujourd’hui, je suis ailleurs. Ce que je dis ne s’incarne pas, ils se foutent éperdument de ce qu’ils entendent. Ni questions ni réponses. Je me replie derrière le cours magistral. L’énergie démesurée que je dilapide alors pour faire prendre ce ridicule filet de savoir! Je suis à cent lieus de Voltaire, de Rousseau, de Diderot, de cette classe, de ce bahut, de cette situation, je m’épuise à réduire la distance mais pas moyen, je suis aussi loin de ma matière que de ma classe. Je ne suis pas le professeur, je suis le gardien du musée, je guide mécaniquement une visite obligatoire.

Ces heures ratées me laissaient sur les genoux. Je sortais de ma classe épuisé et furieux. Une fureur dont mes élèves risquaient de faire les frais toute la journée, car il n’y a pas plus prompt à vous engueuler qu’un professeur mécontent de lui-même. Attention les mêmes, rasez les murs, votre prof s’est donné une mauvaise note, le premier responsable venu fera l’affaire! Sans parler de la correction de vos copies, ce soir, à la maison. Un domaine où la fatigue et la mauvaise conscience ne sont pas bonnes conseillères! Mais non, pas de copies ce soir, et pas de télé, pas de sortie, au lit ! La première qualité d’un professeur, c’est le sommeil. Le bon professeur est celui qui se couche tôt.

7
Elle est immédiatement perceptible, la présence du professeur qui habite pleinement sa classe. Les élèves ressentent dès la première minute de l’année, nous en avons tous fait l’expérience : le professeur vient d’entrer, il est absolument là, cela s’est vu à sa façon de regarder, de saluer ses élèves, de s’asseoir, de prendre possession du bureau. Il ne s’est pas éparpillé par crainte de leurs réactions, il ne s’est pas recroquevillé sur lui-même, non, il est à son affaire, d’entrée de jeu, il est présent, il distingue chaque visage, la classe existe aussitôt sous ses yeux. (…)

Chagrin d’école
Daniel Pennac
Éditions Feryane
Prix Renaudot 2007

2 commentaires:

  1. J'ai pleuré en lisant ce livre tellement j'aurais aimé un seul professeur comme celui-là! La lecture de "Chagrin d'école" devrait figurer au programme des étudiants qui se destinent au professorat.
    Merci de m'avoir rappelé un grand bonheur!

    RépondreEffacer
  2. Vous avez tout à fait raison.

    Ce qui me frappe à chaque fois que je le vois en interview, c'est son charisme, son empathie, sa bonté : ça traverse l'écran! Quel bel homme, à tous points de vue...

    RépondreEffacer