30 novembre 2010

Des élections, et après?

L’une de mes amies ajoute souvent des citations inspirantes comme signature à ses emails. Hier, elle avait choisi :
Disbelief in magic can force a poor soul into believing in government and business.
~ Tom Robbins
Quelle pertinence en ce jour d’élections partielles!  

Tom Robbins : un modèle de liberté vécue.

Un peu difficile de trouver des articles en français à son sujet, mais j’en ai découvert un excellent dans l’Express – par François Busnel (01/10/2010).

Article complet / Tom Robbins : «Le hot dog m’évoque Jésus»

En introduction

Connaissez-vous Tom Robbins, l'homme que l'on appelle «l'écrivain le plus dangereux du monde»? Sans doute pas. Pourtant, l'homme est un cas. Auteur d'une dizaine de romans traduits dans le monde entier et qui ont remporté un beau succès (on parle de 10 millions d'exemplaires vendus), le gaillard reste pratiquement inconnu chez nous. (…) Une bien étrange attraction, son premier roman, date de 1971. Écoulé à 6 000 exemplaires lors de sa sortie, il affiche aujourd'hui 2 millions de ventes au compteur.

Tom Robbins vit à La Conner, petit village de pêcheurs situé à deux heures de route au nord de Seattle, au bord de l'océan Pacifique. S'il a abandonné l'énorme moto avec laquelle il sillonnait l'Amérique, cette icône pop conserve pieusement une collection de figurines miniatures sur les étagères d'une bibliothèque où trône, entre autres trophées, un disque d'or des Doors dédicacé par les membres du groupe, une photo de Leonard Cohen signée «À mon ami Tom» (…).  

Interview (extraits)

Comment il est devenu écrivain 
Je pense qu'une fée s'est penchée sur mon berceau, le jour de ma naissance, un certain jour de 1936, dans les Appalaches, et a frappé mon front de sa baguette magique. Elle a dû bien m'abîmer la tête car j'ai commencé à aligner des mots à l'âge de cinq ans. Pour mon anniversaire, on m'a offert un album d'images avec Blanche-Neige et les sept nains sur la couverture : au lieu d'y coller des images, j'y écrivais des histoires. A cet âge-là, je ne savais pas encore écrire, donc je les dictais à ma mère. Je crois que j'étais un peu tyrannique car quand j'étais inspiré, quand j'avais une histoire en tête, ma mère devait arrêter immédiatement tout ce qu'elle était en train de faire et écrire l'histoire sous ma dictée. Elle aussi, jadis, avait voulu devenir écrivain. Du coup, elle apportait parfois quelques modifications à mes historiettes pour les améliorer. Il paraît que je faisais des caprices terribles pour qu'elle la réécrive telle que je la lui avais dictée. Lorsque j'ai raconté cette anecdote à mon éditeur à New York, plusieurs années après, il m'a répondu : «Bon sang, Robbins, en quarante ans, tu n'as pas changé!» Cela dit, je ne demande pas à un éditeur de se substituer à moi mais de me publier, point barre.  

A une époque, je pensais vaguement devenir poète. Ou plutôt, je cherchais une excuse pour quitter le bled de Virginie où j'avais fait mes études de journalisme et monter à New York afin de mener l'existence exaltante des poètes libres.

Pourquoi vit-il à Seattle?  
J'avais très envie de m'installer au Japon mais je n'en avais pas les moyens. J'avais entendu parler d'une école de peintres mystiques qui avait gagné en notoriété dans la région de Seattle, et il m'importait de voir quel genre de paysages américains pouvait bien donner naissance à une école de mystiques. Et puis Seattle était l'endroit le plus éloigné du Sud où j'avais grandi tout en restant sur le sol américain. De plus, Seattle est situé sur la côte Ouest des États-Unis, c'est-à-dire là où apparaissent toutes les nouveautés significatives. Prenez la contre-culture, par exemple. Elle n'est pas née à New York des rêves de Jack Kerouac mais à San Francisco. L'Ouest a toujours été l'endroit le plus libre et le plus novateur de ce pays. Ensuite seulement, tout se déplace vers New York car New York est... La Mecque de la culture américaine.

Son panthéon 
Le livre qui m'a le plus impressionné et inspiré est sans doute Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien d'Alfred Jarry. Je suis un fou de Jarry. Il parvient à mélanger humour, poésie, sexe, occultisme d'une façon magistrale. C'est ainsi que mon esprit fonctionne. C'est ce que je cherche à faire dans mes romans. Jarry est, d'une certaine façon, un père littéraire pour moi. Mais j'ai également été très marqué par Mark Twain, Blaise Cendrars, Henry Miller et Anaïs Nin. La poésie de Federico García Lorca compte beaucoup.

Son premier livre Une bien étrange attraction 
Je ne relis jamais ce que j'ai écrit. (…) Vous voyez ces oiseaux qui amassent du verre, des objets brillants, des papiers colorés, et les intègrent à leurs nids pour attirer des partenaires ? Ceux qui ont participé à la contre-culture des années 60 faisaient exactement la même chose : ils collectaient des éléments de cultures primitives ou exotiques - et plus particulièrement d'Asie et d'Afrique -, de mythologies, de religions du monde entier, de contes traditionnels, et, les assimilant à la réalité de l'époque, créaient ainsi une nouvelle réalité afin d'attirer les dieux, un nouvel ordre de dieux, qui veilleraient sur un monde plus libre, plus paisible et plus esthétique. Une société où la magie et le mystère seraient reconnus et glorifiés quotidiennement. En 1971, aucun des romans qui prétendaient raconter la contre-culture ne prenait cela en compte.

Je savais donc que pour écrire sur cette période il fallait que je réinvente le roman. Pour rendre cette époque avec justesse, mais aussi pour contenter mon propre vortex imaginaire, je devais donner au roman une nouvelle forme. Vous savez, la plupart des romans classiques parcourent un plan incliné, d'un apogée mineur jusqu'à l'ultime point culminant. Cette structure ne correspondait ni à la période, ni au milieu à propos desquels j'écrivais. Je me suis alors rendu compte qu'il fallait que mon roman fonctionne comme un flipper ou comme les allumeurs de réverbères. (…) J'ai donc écrit Une bien étrange attraction avec ces petits éclats de lumière : certains passages éclaircissent l'intrigue et la font progresser alors que d'autres éclairent juste le lecteur.  

L’héroïne Amanda 
Sur la côte Ouest des États-Unis, dans les années 60, il y avait beaucoup de jeunes femmes semblables à Amanda. Amanda est un archétype. Celui de la déesse universelle : elle est sage, mais pas excessivement; douce tout en étant dangereuse. Amanda est connectée à la terre tel un champignon mais elle virevolte parmi les fleurs comme un papillon. Sage, donc mais aussi très naïve.  

La Grande Loufoquerie 
Il faut admettre que, même si la vie n'a aucun sens, elle n'en perd finalement pas pour autant sa valeur. C'est ça, la Grande Loufoquerie. Chaque moment de chaque jour possède une valeur autant qu'un sens. Pour espérer changer le monde, il faut modifier sa façon de percevoir le monde.  

Les drogues psychédéliques 
Le jour où j'ai pris du LSD pour la première fois a été le plus enrichissant de toute ma vie. Je ne l'échangerais pour rien au monde. Lorsque j'étais sous l'influence de cette drogue, j'ai compris le principe de relativité d'Einstein pour la première fois parce qu'il m'apparaissait concrètement. J'ai compris le bouddhisme zen et d'autres systèmes philosophiques de libération asiatiques parce qu'ils devenaient cohérents. C'était comme si de la boue avait couvert mes yeux pendant des années, et que j'avais pris une éponge pour essuyer cette boue afin de voir le monde entier avec beaucoup plus de clarté. Je pouvais voir la beauté, les merveilles et tout le reste.

Elles m'ont permis de comprendre que chaque fleur présente dans un champ a une identité tout aussi forte que la mienne. Une fois que vous avez ressenti et compris cela, votre vie ne peut qu'en être bouleversée. Ceux qui ne connaissent pas cette expérience s'imaginent que c'est comme être en état d'ébriété alors que c'est tout l'inverse. En fait, l'alcool ferme l'esprit alors que les drogues psychédéliques l'ouvrent encore, encore et encore. L'expérience de la drogue a élargi ma perception de la vie sur cette planète. Je parle des drogues psychédéliques, pas des drogues dures comme l'héroïne ou la cocaïne qu'il faut fuir.  

Je n'ai jamais écrit un seul mot sous l'influence d'une drogue. C'est absolument impossible. Quand j'écris, j'écris. Je ne bois même pas de café. Et je ne fume pas non plus. Pour écrire, il faut avoir les idées claires. C'est une idée stupide que de croire que l'on écrit mieux sous quelque emprise que ce soit. Il faut vivre. Et ensuite, écrire. Mais ce sont deux activités qu'il faut clairement séparer.

Religion 
Oh, je n'ai pas cherché à déconstruire quelque théorie ou religion que ce soit. Détruire les enseignements de Jésus, que j'admire énormément, ne m'intéressait pas. Mais, dans un sens, j'ai voulu m'attaquer avec humour et de manière ironique à ce que les hommes ont fait des enseignements de Jésus. A la façon dont on a exploité et mal compris le message du Christ. Chaque personne a une compréhension innée des forces mystiques de l'Univers - c'est du moins ce que je crois. C'est une émotion profondément humaine. Mais cela reste du domaine de l'intuition. Or le problème vient du fait que nous essayons de tout organiser. Mais le mysticisme ne se prête pas à l'organisation! Dès que vous cherchez à organiser cette identité spirituelle, vous signez son arrêt de mort. La religion est parvenue, en vingt siècles, à faire disparaître toute trace de spiritualité dans le christianisme, dans l'islam et dans le judaïsme.

Un gourou mystique?
C'est absurde. Mais je ne suis pas responsable de la manière dont les autres me perçoivent. Je ne me suis jamais proclamé gourou de quoi que ce soit. Je suis juste un imbécile heureux de plus sur le sentier gauche, c'est-à-dire sur le sentier qui est le moins emprunté, à la recherche de l'extase. Je verse le vin et, par-dessus tout, je glorifie le langage. Ma quête n'est pas Dieu, mais ce verbe, cet adjectif, qui me permettront un jour d'écrire cette phrase parfaite qui jaillira tel un dauphin bleu au milieu d'un évier débordant de vaisselle sale.  

Sa philosophie 
Lutter contre la tyrannie de l'esprit étriqué. Contrairement à ce que l'on nous apprend, nos vies ne sont pas limitées : tout est possible. Ne faites confiance à aucun gouvernement. La liberté est plus importante que la célébrité ou la richesse. L'humour est à la fois une forme de sagesse et un mode de survie. Et, surtout, l'amour est la seule chose qui compte véritablement dans une vie. Je ne parle pas de l'amour libre tel que nous le pratiquions dans les années 70 mais de l'amour vrai. J'ajouterai que dédier sa vie à l'éloge du langage, ce rayon de miel magique qui nous transporte, est une façon superbe de s'inventer soi-même.  

Des romans politiques?
Toute expression artistique qui exalte la vie dénigre automatiquement toutes les choses qui la répriment. Dans ce sens, tous mes romans sont politiques car ils se rapportent essentiellement à trois choses : la transformation, la célébration et la libération. Le thème de la libération est sous-jacent dans chacun de mes romans. En ce sens ils sont politiques même s'ils ne parlent pas d'élections, de leaders ou de mouvements politiques. Les véritables problèmes ne sont pas politiques mais philosophiques et spirituels. Tant que nous n'aurons pas résolu ces problèmes philosophiques et spirituels, nous serons condamnés à devoir faire face à ces conflits politiques encore, encore et encore...  

Considéré comme une légende 
Je n'ai pas lu un seul article sur moi ou mon travail depuis 1977. Je n'ai visité aucun des sites Internet qui me sont consacrés. Si je devais m'intéresser à ce genre de choses, alors je deviendrais tellement conscient de moi-même que je ne pourrais plus écrire. Du coup, je laisse les lecteurs délirer sur moi. Sachez juste que tout ce que vous lirez me concernant sur Internet est faux. La plupart des détails fournis sont fantaisistes. Mais ça ne me dérange pas, ça m'amuse.  

Comment écrit-il?
Tout doucement. Donc, au stylo et sur du papier. Un ordinateur ne me serait d'aucune utilité tant j'écris lentement. Je ne lâche jamais une phrase tant qu'elle n'est pas parfaite. Je commence avec des thèmes, des idées, mais sans trop savoir ce qui va constituer l'intrigue. J'ai quelquefois une idée au début, puis je progresse très lentement, mot par mot, phrase par phrase. J'avance comme cela. Il me faut trois ans au moins pour écrire un roman, mais une fois qu'il est achevé, il est achevé. Je n'écris pas d'autre jet. Je change un ou deux mots, parfois quelques expressions, mais je ne touche plus à l'intrigue parce qu'elle s'est développée de manière très lente, presque organique, comme une plante qui pousse. Pour écrire de la sorte, il faut être très conscient de ce que l'on fait. C'est très intense. Cela requiert beaucoup de concentration. A la fin d'une journée d'écriture, je suis complètement épuisé. J'écris le matin, mais jamais avant dix heures. Je vais déjeuner quand j'ai faim, puis je reviens à mon bureau. Et je fais cela tous les jours jusqu'à ce que le livre soit terminé. Ensuite, je pars en voyage. En Afrique, surtout. J'aime les endroits sauvages et libres. J'adore faire du rafting dans les rapides après trois ans de concentration intense sur un roman.  

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Citations

«Bon, suppose qu'on considère l'Église comme une guêpe chasseuse, son dard étant représenté par les religieuses et les prêtres qui l'enseignent dans les écoles. Et considérons les élèves comme la proie paralysée. L'œuf qui est injecté en eux, c'est le dogme, qui doit au bout d'un certain temps éclore et donner une larve - une philosophie personnelle ou une attitude religieuse. Cette larve, comme celle de la guêpe, se nourrit de l'intérieur, lentement, et d'une manière bien spéciale, jusqu'à ce que la victime soit détruite. C'est ça, mon impression sur l'enseignement religieux.» (Une bien étrange attraction)

«La logique ne donne à l'homme que ce dont il a besoin, bégaya-t-il. La magie lui donne ce qu'il veut.» (Une bien étrange attraction)

«- Quelle est la fonction de l'artiste? s'enquit Amanda auprès du talentueux intrus.
- La fonction de l'Artiste, répondit le Navajo, est de nous procurer ce que la vie ne peut pas nous donner.» (Une bien étrange attraction)

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Quotes

"We waste time looking for the perfect lover, instead of creating the perfect love."

"The highest function of love is that it makes the loved one a unique and irreplaceable being." (Jitterbug Perfume)

"Love is the ultimate outlaw. It just won't adhere to any rules. The most any of us can do is to sign on as its accomplice. Instead of vowing to honor and obey, maybe we should swear to aid and abet. That would mean that security is out od the question. The words "make" and "stay" become inappropriate. My love for you has no strings attached. I love you for free." (Still Life with Woodpecker)    

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