14 novembre 2010

Le berger et son troupeau

Jean de La Fontaine

«Quoi? Toujours il me manquera
          Quelqu’un de ce peuple imbécile!
          Toujours le loup m’en gobera!
J’aurai beau les compter! Ils étaient plus de mille.
Et m’ont laissé ravir notre pauvre Robin;
          Robin mouton qui, par la ville
          Me suivait pour un peu de pain,
Et qui m’aurait suivi jusques au bout du monde.
Hélas! De ma musette il n’entendait le son;
Il me sentait venir de cent pas à la ronde.
          Ah! Le pauvre Robin mouton!»
Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,
          Il harangua tout le troupeau,
Les chefs, la multitude, et jusqu’au moindre agneau.
          Les conjurant de tenir ferme;
Cela seul suffirait pour écarter les loups.
Foie de peuple d’honneur, ils lui promirent tous
          De ne bouger non plus qu’un terme.
«Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
          Qui nous a pris Robin mouton.»
          Chacun en répond sur sa tête.
          Guillot les crut et leur fit fête.
          Cependant, devant qu’il fût nuit,
          Il arriva un nouvel encombre.
          Un loup parut : tout le troupeau s’enfuit.
Ce n’était pas un loup, ce n’en était que l’ombre.
          Haranguez de méchants soldats :
          Ils promettent de faire rage;
Mais au moindre danger, adieu tout le courage;
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

Fable inspirée d’Abstémius «Le berger exhortait son troupeau contre le Loup». La Fontaine s’en prend aux monarques qui préfèrent discourir plutôt que d’affronter la réalité. Nous retrouvons une fois de plus toute la sagesse épicurienne dans la pensée de La Fontaine  - chacun à sa place et méfiance envers les manipulateurs de mots.

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